droitier gaucher

Bonjour,

Les idées reçues sur les gauchers sont très nombreuses, parmi lesquelles leur prétendue (mal)adresse, qui se ressent jusque dans les mots « adroit » et « gauche », n’est pas la moindre :

L’idée reçue la plus commune dans l’histoire est que les gauchers sont des gens maladroits (rappelons que, lexicologiquement parlant, la « main gauche » n’est pas désignée comme telle parce qu’elle se situe à gauche, mais parce qu’elle est gauche, au sens de « malhabile »). Néanmoins cette idée reçue s’est parfois accompagnée d’une autre, qui prétend… diamétralement l’inverse ! Les gauchers, entend-on ici ou là, seraient en fait bien plus adroits que la moyenne – donc, implicitement, bien plus adroits que les droitiers puisque ce sont eux qui, pour l’essentiel, composent cette moyenne.
[…] Peu importe que cette réputation d’habileté de la gent gauchère soit fondée ou non. Il n’est pas lieu ici d’établir un classement, mais de prendre conscience que, même élogieux, le discours sur les gauchers a toujours eu et conserve, aujourd’hui encore, quelque chose d’équivoque. On n’est jamais dans le compliment, on est dans le dithyrambe. Le gaucher adroit est, pourrait-on dire, plus adroit qu’adroit. C’est un superlatif de droitier. Il se situe dans un registre à part, dans un « hors du commun », avec tout le sentiment d’étrangeté qui va avec.
Source : Nouveau dictionnaire des gauchers Pierre-Michel Bertrand

Le clivage qui structure bien souvent notre pensée nous amène à la fois à nous sentir plein d’admiration devant les performances sportives des gauchers, tout en considérant secrètement que ces pauvres gauchers sont de grands maladroits d’où l’expression être gauche. […]

Arrêtons-nous d’abord sur le mot maladroit. Maladroit. Mal à dextre. Et qui est mal à dextre ? Le gaucher, bien sûr, qui n’a pas lieu, pas le droit, d’être adroit. C’est ce que disent les mots. Et ça parle les mots.
Source : Ces gauchers pointés du doigt : idées reçues sur la main gauche Marie-Alice Du Pasquier-Grall


Si certains gauchers développent effectivement une habileté particulière, il s’agirait moins souvent d’une qualité innée que d’une adaptation nécessaire à un environnement conçu presque exclusivement pour des droitiers :

La plupart des outils sont agencés pour être utilisés de la main droite. Plus l’outil est simple et conçu pour la main droite, plus le gaucher se trouve pénalisé et le temps d’apprentissage peut s’en trouver allongé. En revanche, sur des machines plus élaborées et complexes, la latéralité intervient moins et la différence quant à la facilité d’utilisation et le rendement entre droitiers et gauchers n’intervient plus. […]
Les gauchers seraient, paraît-il, particulièrement nombreux dans les professions de dentiste et chirurgien. Peut-on voir l’occasion pour les gauchers d’y exercer des compétences particulières ? Présenteraient-ils des qualités d’adresse et de minutie qui leur seraient spécifiques ? Ou bien serait-ce, pour certains gauchers, l’effet d’un effort répété d’adaptation à un environnement contrariant qui les aurait conduits à acquérir des aptitudes d’une exceptionnelle qualité et précieuses pour exercer ces professions de haute précision ?
Car dans l’environnement dans lequel nous vivons, depuis nos vêtements et la disposition des boutons et des poches latérales jusqu’à notre automobile et les différentes manettes, en passant par nos poignées de porte, les commandes de nos appareils ménagers, l’emplacement des couverts à tables, etc., tout est fait pour faciliter la tâche aux droitiers. Un monde tout mâché, tout cuit pour eux ! Pas besoin de chercher, de s’adapter, de trouver des combines… Une incitation à la paresse ! Ce qui n’est évidemment pas le cas pour les gauchers.
Source : Ces gauchers pointés du doigt : idées reçues sur la main gauche Marie-Alice Du Pasquier-Grall


Dans la population humaine, les gauchers représentent une niche minoritaire stable d’environ 13%. Il semble que les gauchers étaient déjà minoritaires il y a 200 000 ans chez les hommes de Neandertal. Pourquoi les gauchers sont-ils minoritaires ? L’article de Charlotte Faurie, Gaucher : avantage ou inconvénient ? tente d’apporter une réponse :

Les études ayant porté sur les parcours de vie des gauchers, ont révélé qu’être gaucher semble comporter de nombreux désavantages en termes de santé et de mortalité. De façon générale, le poids à la naissance est en moyenne plus faible pour les gauchers que pour les droitiers, une caractéristique généralement associée à une santé plus fragile. Les gauchers seraient plus fréquemment sujets à des maladies des systèmes immunitaire et nerveux, et leur longévité serait réduite, en partie à cause de risques plus élevés d’accidents, car la plupart des dispositifs et instruments du monde moderne ne leur sont pas faciles d’utilisation. De plus, ils sont en moyenne moins grands et moins lourds que les droitiers, ce qui est en général un inconvénient vis-à-vis de la sélection naturelle.

Une qualité à double tranchant

On ignore, à ce jour, pourquoi les gauchers naissent avec un poids réduit ; toujours est-il que, selon les données génétiques, le fait d’être gaucher est apparemment déterminé par un grand nombre de gènes ayant des effets divers sur l’organisme. Le fait de posséder cette différente combinaison d’allèles conduirait-il à un plus faible poids de naissance, voire à des problèmes de santé plus fréquents ? C’est à ce jour une hypothèse qu’il s’agirait de confirmer.


Avec de tels désavantages, on s’étonnerait presque que les gauchers existent toujours ! Heureusement pour eux, certains avantages viennent contrebalancer ces inconvénients, ce qui a amélioré leurs chances de survie au cours de l’évolution. Le fait d’être gaucher représente notamment un atout stratégique lors des combats (réels ou ritualisés), justement parce que les gauchers sont plus rares que les droitiers :

Les gauchers étant moins fréquents que les droitiers, un individu quelconque a plus de chances d’être confronté à un droitier lors d’un combat. Les gauchers sont par conséquent plus habitués aux opposants droitiers que l’inverse. Ils bénéficient ainsi d’un avantage stratégique. Les interactions agressives sont responsables de pressions de sélectionsqui ont eu une importance primordiale au cours de l’évolution des primates et de l’être humain. Une telle supériorité des gauchers dans les affrontements physiques leur conférait des avantages directs (meilleures chances de survie) et indirects (remporter un combat augmente le statut social, et donc la capacité de se reproduire et de garantir de bonnes conditions de croissance à sa progéniture).

On observe également des comportements asymétriques chez certains animaux :

Chez certaines espèces, on observe, comme chez l’homme, qu’une majorité d’individus préfère l’un des deux côtés. Les corbeaux calédoniens sont fortement latéralisés. Ils fabriquent des outils avec des feuilles de Pandanus, et les utilisent pour attraper des larves d’insectes. Pour la fabrication d’outils, la majorité des individus préfère le côté droit.
Chez les poissons vivant en banc, la majorité des individus a tendance à tourner toujours dans le même sens lors d’une attaque par un prédateur, ce qui permet aux poissons de rester en groupe et d’être ainsi protégés. Il existe cependant une minorité d’individus qui tourne dans l’autre sens lorsqu’ils sont attaqués. Ces derniers, par leur comportement imprévisible, parviennent à surprendre les prédateurs, qui ne sont pas habitués à ce comportement rare.
Source : Animaux : gauchers ou droitiers ? Cerveau & Psycho n°19, jan-fev 2007.


Pour aller plus loin :

- Gauchers, des gens à l'envers [D.V.D.], un film écrit par Alain Moreau et réalisé par Patrick Cabouat
- Journée mondiale des gauchers : sont-ils vraiment maladroits ? Le point sur 8 idées reçues, L’Obs le plus
- Avantages ou inconvénients, lesgauchers.com


Bonne journée.