Question d'origine :
S.V.P.
Dans le livre "Atlas de la France: 50 cartes en couleur,enjeux et défis" de Eric Janin..entre autres, edit. éllipses; je lis page 37 : "dates clés", " en 1669,dans ordonnance de Colbert sur les forêts", que le taux de boisement de la France d'alors n'était que de 10% ,contre 29 % de nos jours !!!!
Mon étonnement est très grand, car j'avais toujours entendu dire qu'au moyen âge et même après , sur l'espace actuel de la France, un écureuil pouvait alors traverser l'ensemble du territoire en sautant d'arbre en arbre...difficilement imaginable de nos jours !
Même si Colbert a pris d'importantes mesures pour amplifier l'espace forestier, -besoin de bois pour la marine, notamment-,j'ai du mal à imaginer notre territoire si peu boisé, même avant lui ....
De quoi se composait alors l'espace français d'alors et d'avant ? ....certainement pas les zones industrielles et commerciales ou les autoroutes ! merci.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 18/05/2016 à 10h35
Bonjour,
L'atlas de la France que vous citez n'est pas loin de la vérité concernant l'espace forestier au 17e siècle.
En effet, Jean-Robert Pitte donne quelques explications dans Géographie culturelle :
Il s'en faut de peu, dans les années de haute pression humaine qui suivent la guerre de Cent Ans, pour que la forêt aux abois ne soit réduite à un mouchoir de poche. Aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, elle ne couvre plus aujourd'hui que 7% du territoire, tandis qu'en France, c'est plus du quart de la superficie qui demeure forestier. Tout le mérite revient à l'intelligente politique menée à la fin du Moyen Age, mais qui se poursuit pendant la Renaissance, malgré quelques hésitations, pour se préciser en apothéose au début du règne de Louis XIV. Les menaces viennent, au 16e siècle, de la conjonction d'une poussée agricole qui ne sait pas encore intensifier la production sur les terres déjà défrichées et des nouveaux besoins en bois du bâtiment, de la marine, des fortifications, de la verrerie et, surtout, de la métallurgie en plein développement. [...] vient alors Colbert qui imagine et met en œuvre une politique cohérente de la forêt, visant à la fois la protection, mais aussi l'exploitation et donc au renouvellement. Chargé dès 1661 de l'administration des forêts, il rédige la fameuse grande ordonnance de 1669 qui règle désormais la vie des forêts devenues des parcs exploités intensivement et rationnellement, tout au moins sur les domaines royaux, communaux ou ecclésiastiques.
D'autre part, le site de l'Office national des forêts (ONF) donne quelques éléments complémentaires sur l'histoire de la forêt française :
Entre le XIe et le XIIIe siècle, 30.000 à 40.000 ha sont défrichés par an. L'ère des grands défrichements va venir, liée à la croissance démographique et à l'essor économique. C'est la "révolution agricole" : l'assolement triennal se généralise, la charrue se perfectionne, les rendements augmentent, les cultures se diversifient. On défriche et on assèche pour obtenir de nouvelles terres, sur des sols de moins en moins fertiles et cultivables. Jamais la France ne perdra autant de forêts : on estime qu'entre le XIe et le XIIIe siècle, 30 à 40.000 ha sont défrichés par an ! A partir du XIIIe siècle, les pouvoirs publics favorisent les colonies de défrichement, les "villefranches" ou "bastides" sont créées. Le couvert forestier d'alors ne dépasse pas 13 millions d'ha (25% du territoire). Les grands massifs que l'on retrouve aujourd'hui datent de cette époque. Le bois manque, même si la guerre de Cent ans permettra une reprise des forêts. En 1669, l’ordonnance de Colbert renverse la tendance
L'exploitation s'intensifie au XVIe siècle pour répondre non seulement aux besoins en bois de chauffage, mais aussi à ceux des premières industries : mines, forges, verreries, salines, etc.
La construction navale est également grosse consommatrice. De plus l'agriculture continue son expansion et le pâturage en forêt provoque de gros dégâts. Les réglementations existent mais ne sont que peu respectées, on assiste à de nombreux pillages rarement sanctionnés.
Au final, d'expansions en diminutions, la surface forestière du XVIIe est proche de celle du XIIIe. Le changement viendra avec Louis XIV et la réforme de Colbert : le pouvoir royal reprend la main sur la forêt, il réforme et contrôle. Les massifs surexploités sont protégés, un quart des forêts est mis en réserve totale, le traitement en futaie est généralisé, les âges d'exploitabilité sont repoussés. Cette fameuse ordonnance de Colbert de 1669 est de plus appliquée non seulement aux forêts royales, mais également à celles de l'église, des seigneurs et des communes.
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de l'Histoire de la forêt de Martine Calvet (publié en 2011, année de la forêt) : deux chapitres (le temps des déboisements et l'enracinement de la forêt marchande) font le tour de la question avec de nombreux détails sur les évolutions de la France agricole depuis le Moyen Age : Silva grignotée par les clairières puis par la mise en culture et la fixation de l'ager dans un nouveau système d'exploitation agricole ; poussée démographique, essor des villes et de l'artisanat, du commerce qui favorisent une croissance continue de la matière ligneuse, bois de feu pour le chauffage et l'artisanat, écorce de chêne pour tresser des cordes, résine pour les torches... Le bois est devenu un enjeu politique, stratégique et économique en raison de du besoin de construction de villes, châteaux, fortifications, bateaux et armes. Puis d'autres besoins naitront au 19e siècle avec les hauts-fourneaux, l'extraction minière, la construction du réseau ferré ou encore l'industrie papetière qui préfère le papier de bois au papier de chiffe...
Et pour être tout à fait complet, voici le texte de l'ordonnance de Colbert de 1669
L'atlas de la France que vous citez n'est pas loin de la vérité concernant l'espace forestier au 17e siècle.
En effet, Jean-Robert Pitte donne quelques explications dans Géographie culturelle :
Il s'en faut de peu, dans les années de haute pression humaine qui suivent la guerre de Cent Ans, pour que la forêt aux abois ne soit réduite à un mouchoir de poche. Aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, elle ne couvre plus aujourd'hui que 7% du territoire, tandis qu'en France, c'est plus du quart de la superficie qui demeure forestier. Tout le mérite revient à l'intelligente politique menée à la fin du Moyen Age, mais qui se poursuit pendant la Renaissance, malgré quelques hésitations, pour se préciser en apothéose au début du règne de Louis XIV. Les menaces viennent, au 16e siècle, de la conjonction d'une poussée agricole qui ne sait pas encore intensifier la production sur les terres déjà défrichées et des nouveaux besoins en bois du bâtiment, de la marine, des fortifications, de la verrerie et, surtout, de la métallurgie en plein développement. [...] vient alors Colbert qui imagine et met en œuvre une politique cohérente de la forêt, visant à la fois la protection, mais aussi l'exploitation et donc au renouvellement. Chargé dès 1661 de l'administration des forêts, il rédige la fameuse grande ordonnance de 1669 qui règle désormais la vie des forêts devenues des parcs exploités intensivement et rationnellement, tout au moins sur les domaines royaux, communaux ou ecclésiastiques.
D'autre part, le site de l'Office national des forêts (ONF) donne quelques éléments complémentaires sur l'histoire de la forêt française :
Entre le XIe et le XIIIe siècle, 30.000 à 40.000 ha sont défrichés par an. L'ère des grands défrichements va venir, liée à la croissance démographique et à l'essor économique. C'est la "révolution agricole" : l'assolement triennal se généralise, la charrue se perfectionne, les rendements augmentent, les cultures se diversifient. On défriche et on assèche pour obtenir de nouvelles terres, sur des sols de moins en moins fertiles et cultivables. Jamais la France ne perdra autant de forêts : on estime qu'entre le XIe et le XIIIe siècle, 30 à 40.000 ha sont défrichés par an ! A partir du XIIIe siècle, les pouvoirs publics favorisent les colonies de défrichement, les "villefranches" ou "bastides" sont créées. Le couvert forestier d'alors ne dépasse pas 13 millions d'ha (25% du territoire). Les grands massifs que l'on retrouve aujourd'hui datent de cette époque. Le bois manque, même si la guerre de Cent ans permettra une reprise des forêts. En 1669, l’ordonnance de Colbert renverse la tendance
L'exploitation s'intensifie au XVIe siècle pour répondre non seulement aux besoins en bois de chauffage, mais aussi à ceux des premières industries : mines, forges, verreries, salines, etc.
La construction navale est également grosse consommatrice. De plus l'agriculture continue son expansion et le pâturage en forêt provoque de gros dégâts. Les réglementations existent mais ne sont que peu respectées, on assiste à de nombreux pillages rarement sanctionnés.
Au final, d'expansions en diminutions, la surface forestière du XVIIe est proche de celle du XIIIe. Le changement viendra avec Louis XIV et la réforme de Colbert : le pouvoir royal reprend la main sur la forêt, il réforme et contrôle. Les massifs surexploités sont protégés, un quart des forêts est mis en réserve totale, le traitement en futaie est généralisé, les âges d'exploitabilité sont repoussés. Cette fameuse ordonnance de Colbert de 1669 est de plus appliquée non seulement aux forêts royales, mais également à celles de l'église, des seigneurs et des communes.
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de l'Histoire de la forêt de Martine Calvet (publié en 2011, année de la forêt) : deux chapitres (le temps des déboisements et l'enracinement de la forêt marchande) font le tour de la question avec de nombreux détails sur les évolutions de la France agricole depuis le Moyen Age : Silva grignotée par les clairières puis par la mise en culture et la fixation de l'ager dans un nouveau système d'exploitation agricole ; poussée démographique, essor des villes et de l'artisanat, du commerce qui favorisent une croissance continue de la matière ligneuse, bois de feu pour le chauffage et l'artisanat, écorce de chêne pour tresser des cordes, résine pour les torches... Le bois est devenu un enjeu politique, stratégique et économique en raison de du besoin de construction de villes, châteaux, fortifications, bateaux et armes. Puis d'autres besoins naitront au 19e siècle avec les hauts-fourneaux, l'extraction minière, la construction du réseau ferré ou encore l'industrie papetière qui préfère le papier de bois au papier de chiffe...
Et pour être tout à fait complet, voici le texte de l'ordonnance de Colbert de 1669
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