Question d'origine :
Sur la base de quels calculs statistiques ,les historiens ou les démographes affirment ils que l espérance de vie au Moyen Age était de 35 ans quand les exemples abondent de nonagénaires voire même de centenaires...Comment raisonnablement un sujet peut il tripler l espérance de vie moyenne de son époque ??...ce qui ramené à notre décennie laisserait augurer pour un homme 3fois 70 soit 210ans
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 27/07/2016 à 08h40
Bonjour,
Pour être menée de façon scientifique, une recherche démographique doit pouvoir disposer de trois ensembles de données fondamentales : des recensements de la population considérée ; un état civil comportant l'enregistrement des naissances, mariages et décès ; des statistiques des migrations [...] Or, malheureusement, la documentation des époques médiévales ne fournit pas, sauf exception, l'ensemble des données souhaitées. Compte tenu la durée de la période du Moyen âge, l'article du Dictionnaire du Moyen Age donne de nombreuses informations selon un découpage chronologique en cinq parties, mais il ne fait que dresser un panorama de l'évolution démographique sans faire état de l'espérance de vie à cette époque.
Les sources utilisées par les historiens sont nombreuses et leurs résultats croisés : Reste à confronter ces milliers de squelettes (archéologie funéraire, anthropologie) aux documents écrits, privilégiés par la discipline historique, notamment les testaments et inventaires après décès... (La mort au Moyen-âge / Danièle Alexandre-Bidon).
En supposant que vous vous interrogiez sur l’Occident médiéval, il faut rappeler que le Moyen-âge dure environ mille ans, et a donc connu des variations démographiques conséquentes. D'autre part, les différences seront notables selon la classe sociale : La source la plus complète, encore que ponctuelle, pour la connaissance du régime démographique d'une société médiévale est certainement le castato (impôt sur la fortune) florentin de 1427-1429, ayant donné lieu à un recensement en principe exhaustif des familles de Florence et de son contado, fondé sur des déclarations individuelles donnant la composition des familles, le sexe et l'âge de leur membres... (Dictionnaire encyclopédique du Moyen-âge, tome 1). On retrouve cette source florentine dans plusieurs des ouvrages cités dans cette réponse.
A titre d'exemple, voici quelques données issues de l'encyclopédie Larousse en ligne :
Soumise à de violents chocs démographiques (pestes et famines récurrentes) aux Ve et VIIe siècles, la population occidentale s'accroit de façon notable durant les deux siècles suivants. Ce phénomène est caractérisé par un rééquilibrage de l'occupation des territoires de l'Europe du nord. Mais l'espérance de vie moyenne ne dépasse guère 30 ans, et près de 45% des enfants n'atteignent pas l'âge de 5 ans. (pour mémoire, l’INSEE définit clairement l’espérance de vie : l'espérance de vie à la naissance (ou à l'âge 0) représente la durée de vie moyenne - autrement dit l'âge moyen au décès - d'une génération fictive soumise aux conditions de mortalité de l'année. Elle caractérise la mortalité indépendamment de la structure par âge)
Le site Histoire pour tous donne des chiffres différents (et des sources) mais on reste dans le même ordre de grandeur :
Disettes et famines persistent mais sont moins nombreuses. La mortalité infantile reste néanmoins assez forte, les proportions d’enfants mourant avant 20 ans demeurent les mêmes au XIIIème dans la famille royale capétienne que dans la famille royale carolingienne au IXème. Dans cette dernière, 45% des enfants mourraient avant 20 ans. Blanche de Castille (XIIIème siècle) a ainsi perdu 7 enfants sur les 12 qu’elle a eues. On peut supposer que la proportion était encore plus forte dans les autres milieux. Les études faites à partir de cimetières hongrois montrent que la mortalité infantile était restée stable entre le Xème et le XIVème. 40 à 46% des squelettes étaient des squelettes d’enfants de moins de 14 ans. Par ailleurs, l’espérance de vie à la naissance reste faible (30ans, bien que ce ne soit pas la moyenne de vie). Aucun roi capétien n’a ainsi atteint l’âge de 60 ans alors que des rois carolingiens sont morts à plus de 60ans. (Charlemagne, Louis II ou encore Charles le Chauve). Il n’y pas donc d’amélioration sensible en la matière.
Michel Vovelle donne quelques compléments dans un entretien (Vovelle Michel, « Le problème de la vieillesse pour un historien de la mort », Cliniques méditerranéennes 1/2009 (n° 79) , p. 21-31) :
Il va falloir s’intéresser au contexte démographique. Au XVIIe, c’est l’apogée, dans le cadre de « la vie brève », du modèle qui prévaut depuis le Moyen Âge, le XIIIe siècle, où l’espérance de vie dépasse rarement les 30 ans. Au XVe, elle chute même jusqu’à 23 ans. L’espérance de vie remonte sans dépasser ce stade de moins de 30 ans, et pas dans ce tragique XVIIe siècle, où j’ai écrit « Chanceux qui dépasse la soixantaine ». C’est « le massacre des innocents », l’énorme mortalité infantile. Dans mes recherches, à 20 ans, la moitié d’une cohorte est déjà morte. Ça laisse aux adultes une espérance de vie, à 20 ans, limitée de 25 à 30 ans, mais pas plus. Il y a deux passages dangereux, entre 20 et 30 ans, pour l’homme. C’est le risque de mort violente, à la guerre par exemple. Et autour de 29-30 ans pour la femme, qui risque la mort en couches.
Plus proche de nous dans le temps, un graphique publié par l’INED montre l’espérance de vie de 1740 à 2012 : il indique sa montée très nette avec des chutes lors des conflits notamment, mais surtout une espérance toujours très basse au 18e siècle. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y avait pas de centenaires à cette époque…Et si l’on trouve des traces de centenaires avant le XXe siècle, les sources sont difficilement vérifiables et très peu de chiffres sont disponibles avant le 14e siècle ; en effet, le recensement en France n’est pas suffisamment ancien et précis.
La consultation de documents plus spécialisés ne nous a pas permis de trouver plus de enseignements concrets :
La démographie médiévale, sources et méthodes
Population et démographie au Moyen Age
Le Moyen Age, bulletin d’histoire et de philologie
La revue Médiévales
Pour être menée de façon scientifique, une recherche démographique doit pouvoir disposer de trois ensembles de données fondamentales : des recensements de la population considérée ; un état civil comportant l'enregistrement des naissances, mariages et décès ; des statistiques des migrations [...] Or, malheureusement, la documentation des époques médiévales ne fournit pas, sauf exception, l'ensemble des données souhaitées. Compte tenu la durée de la période du Moyen âge, l'article du Dictionnaire du Moyen Age donne de nombreuses informations selon un découpage chronologique en cinq parties, mais il ne fait que dresser un panorama de l'évolution démographique sans faire état de l'espérance de vie à cette époque.
Les sources utilisées par les historiens sont nombreuses et leurs résultats croisés : Reste à confronter ces milliers de squelettes (archéologie funéraire, anthropologie) aux documents écrits, privilégiés par la discipline historique, notamment les testaments et inventaires après décès... (La mort au Moyen-âge / Danièle Alexandre-Bidon).
En supposant que vous vous interrogiez sur l’Occident médiéval, il faut rappeler que le Moyen-âge dure environ mille ans, et a donc connu des variations démographiques conséquentes. D'autre part, les différences seront notables selon la classe sociale : La source la plus complète, encore que ponctuelle, pour la connaissance du régime démographique d'une société médiévale est certainement le castato (impôt sur la fortune) florentin de 1427-1429, ayant donné lieu à un recensement en principe exhaustif des familles de Florence et de son contado, fondé sur des déclarations individuelles donnant la composition des familles, le sexe et l'âge de leur membres... (Dictionnaire encyclopédique du Moyen-âge, tome 1). On retrouve cette source florentine dans plusieurs des ouvrages cités dans cette réponse.
A titre d'exemple, voici quelques données issues de l'encyclopédie Larousse en ligne :
Soumise à de violents chocs démographiques (pestes et famines récurrentes) aux Ve et VIIe siècles, la population occidentale s'accroit de façon notable durant les deux siècles suivants. Ce phénomène est caractérisé par un rééquilibrage de l'occupation des territoires de l'Europe du nord. Mais l'espérance de vie moyenne ne dépasse guère 30 ans, et près de 45% des enfants n'atteignent pas l'âge de 5 ans. (pour mémoire, l’INSEE définit clairement l’espérance de vie : l'espérance de vie à la naissance (ou à l'âge 0) représente la durée de vie moyenne - autrement dit l'âge moyen au décès - d'une génération fictive soumise aux conditions de mortalité de l'année. Elle caractérise la mortalité indépendamment de la structure par âge)
Le site Histoire pour tous donne des chiffres différents (et des sources) mais on reste dans le même ordre de grandeur :
Disettes et famines persistent mais sont moins nombreuses. La mortalité infantile reste néanmoins assez forte, les proportions d’enfants mourant avant 20 ans demeurent les mêmes au XIIIème dans la famille royale capétienne que dans la famille royale carolingienne au IXème. Dans cette dernière, 45% des enfants mourraient avant 20 ans. Blanche de Castille (XIIIème siècle) a ainsi perdu 7 enfants sur les 12 qu’elle a eues. On peut supposer que la proportion était encore plus forte dans les autres milieux. Les études faites à partir de cimetières hongrois montrent que la mortalité infantile était restée stable entre le Xème et le XIVème. 40 à 46% des squelettes étaient des squelettes d’enfants de moins de 14 ans. Par ailleurs, l’espérance de vie à la naissance reste faible (30ans, bien que ce ne soit pas la moyenne de vie). Aucun roi capétien n’a ainsi atteint l’âge de 60 ans alors que des rois carolingiens sont morts à plus de 60ans. (Charlemagne, Louis II ou encore Charles le Chauve). Il n’y pas donc d’amélioration sensible en la matière.
Michel Vovelle donne quelques compléments dans un entretien (Vovelle Michel, « Le problème de la vieillesse pour un historien de la mort », Cliniques méditerranéennes 1/2009 (n° 79) , p. 21-31) :
Il va falloir s’intéresser au contexte démographique. Au XVIIe, c’est l’apogée, dans le cadre de « la vie brève », du modèle qui prévaut depuis le Moyen Âge, le XIIIe siècle, où l’espérance de vie dépasse rarement les 30 ans. Au XVe, elle chute même jusqu’à 23 ans. L’espérance de vie remonte sans dépasser ce stade de moins de 30 ans, et pas dans ce tragique XVIIe siècle, où j’ai écrit « Chanceux qui dépasse la soixantaine ». C’est « le massacre des innocents », l’énorme mortalité infantile. Dans mes recherches, à 20 ans, la moitié d’une cohorte est déjà morte. Ça laisse aux adultes une espérance de vie, à 20 ans, limitée de 25 à 30 ans, mais pas plus. Il y a deux passages dangereux, entre 20 et 30 ans, pour l’homme. C’est le risque de mort violente, à la guerre par exemple. Et autour de 29-30 ans pour la femme, qui risque la mort en couches.
Plus proche de nous dans le temps, un graphique publié par l’INED montre l’espérance de vie de 1740 à 2012 : il indique sa montée très nette avec des chutes lors des conflits notamment, mais surtout une espérance toujours très basse au 18e siècle. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y avait pas de centenaires à cette époque…Et si l’on trouve des traces de centenaires avant le XXe siècle, les sources sont difficilement vérifiables et très peu de chiffres sont disponibles avant le 14e siècle ; en effet, le recensement en France n’est pas suffisamment ancien et précis.
La consultation de documents plus spécialisés ne nous a pas permis de trouver plus de enseignements concrets :
La démographie médiévale, sources et méthodes
Population et démographie au Moyen Age
Le Moyen Age, bulletin d’histoire et de philologie
La revue Médiévales
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