Question d'origine :
Bonjour,
je ne parviens pas à trouver quelque chose de cohérent concernant la démographie des amérindiens, avant l'arrivée de Colomb, à combien estime-t-on leur nombre en Amérique du nord.
La même question mais cette fois avant que les européens ne chassent les tribus indiennes pour s'approprier les terres .
Il circule les nombres les plus fantaisistes à ce sujet sur le web et particulièrement sur les réseaux sociaux ( 80, 100, 200 millions ...)
Quels sont les liens qui pourraient me renseigner valablement ?
Merci .
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 03/08/2016 à 12h37
Bonjour,
Il est vrai que la démographie de l’Amérique du Nord est difficile à étudier, faute de sources. Nous vous proposons donc une synthèse des chiffres dont nous disposons ; ils évoluent au fil des découvertes et des techniques de plus en plus avancées.
De plus, les estimations varient selon ce que recouvre la notion Amérindien chez les uns ou les autres. De quoi rendre encore plus aléatoire cette démographie.
Enfin, l’installation des Européens sur les terres indiennes ayant été progressive (dans la moyenne vallée du Missouri, les premiers Européens n’apparurent que durant les années 1730), nous traiterons vos deux interrogations simultanément.
Nous ne pouvons recourir à aucune source écrite des Indiens eux-mêmes, puisqu’il s’agit de sociétés sans écriture. L’archéologie nous renseigne sur les modes de vie, elle nous permet de savoir si ces peuples étaient ou non agricoles, et ce qu’ils cultivaient, sur leurs maisons, et autres aspects de la culture matérielle.
Source : L’aventure oubliée des Indiens d’Amérique, Les collections de l’histoire n°54, 2012
Un article de la Revue des Deux Mondes paru en 1876 (L’Amérique avant Christophe Colomb par H. Blerzy) montre qu’à cette époque, on reste assez vague : Il y a encore, dit-on, 300,000 Indiens environ aux États-Unis, nombre bien inférieur a ce que l’on en aurait compté jadis.
Dans sa Petite histoire de la conquête des Amériques, Hans Koning est assez affirmatif :
Les historiens ont l’habitude de dire que dix millions d’habitants peuplaient les Amériques avant 1492. Dans les États-Unis et la Canada actuel, un million de chasseurs et de nomades auraient parcouru les plaines et les forêts. Jusqu’à il y a cinquante ans, c’était la vérité généralement admise. Nous savons maintenant que cette estimation est totalement fausse. Des anthropologues, des spécialistes de l’agriculture et d’autres universitaires ont parcouru le continent hectare par hectare, remontant l’histoire. Ils ont étudié les ruines des villes indiennes, les canaux d’irrigation, les cimetières et les documents fiscaux depuis le XVe siècle. Plus ils travaillaient, plus l’estimation du nombre d’habitant augmentait. Nous estimons aujourd’hui leur nombre à dix millions d’habitants rien que pour les États-Unis et la Canada. Pour le Mexique, l’estimation en est à vingt ou trente millions. Et le nombre total pour l’Amérique latine va de soixante-cinq à cent millions. Nous savons aussi que les premiers habitants des Amériques vinrent d’Asie, des milliers d’années avant ce que croyaient jusqu’ici les universitaires. Bien sûr, moins il y avait d’Indiens et moins longtemps ils avaient vécu là, plus il était facile de voir la Conquête comme une vague de plus dans le flux et le reflux des populations à travers l’histoire. C’était une terre densément peuplée, avec de nombreuses grandes villes. […]
S’il y avait tant d’habitants aux Amériques avant l’arrivée des Européens, comment ont-ils pu être si rapidement assujettis par si peu d’envahisseurs ? Cette question nécessite une réponse en plusieurs parties. Tout d’abord, il y avait le fait que les nations indiennes étaient souvent divisées entre elles. […]. Un autre coup fatal fut porté aux Indiens en raison de leur manque de résistance face aux maladies européennes. […] Mais la cause principale de la chute de la civilisation indienne a été la différence de développement technologique qui séparait la côte ouest de l’Europe de la côte est de l’Amérique.
En revanche, Jake Page est plus mesuré dans ses propos dans cette incroyable somme intitulée Entre les mains du grand esprit : vingt mille ans d’histoire des Indiens d’Amérique du nord :
Se demander combien d’habitants de l’Amérique du Nord périrent ainsi à cette époque (maladies apportées par les Européens NDLR) revient à se demander quelle était la population totale du sous-continent nord-américain avant l’arrivée de Christophe Colomb. C’est une interrogation indéniablement dotée d’une grande charge émotive à laquelle nous ne pourrons sans dote jamais apporter de réponse précise – bien que de nombreuses tentatives aient été faites au cours du XXe siècle pour en proposer une. […]
Jake Page donne d’autres éléments dans son remarquable essai (p.136 et suivantes) : De nombreux chercheurs ont depuis longtemps proposé des chiffres différents concernant l’étendue des ravages ainsi provoqués, ou en d’autres termes sur l’importance de la population indienne en Amérique du nord avant sa quasi extermination par les maladies, et sur le nombre possible d’individus qui en moururent. Le débat sur cette question est très ancien et les chiffres qui sont avancés pour évaluer l’importance de la population indienne précolombienne de l’Amérique du Nord sont très variables – pour les seuls Etats-Unis, de un à dix-huit millions d’individus, et même parfois plus.[…] Dans les années 30, A.L. Kroeber (de l’Université de Californie) et ses émules cherchèrent à mesurer ce qu’avait été le monde indien d’avant Christophe Colomb en reconstituant le passé à partir du présent, essentiellement en interrogeant les Indiens vivants. Etant parvenus à déterminer cet "état neuf", inchangé (qu’ils appelèrent le présent ethnographique), ils se penchèrent ensuite sur les archives historiques (recensements et autres statistiques) afin de mesurer les effets produits sur la population indienne des événements comme les épidémies en s’appuyant sur le présent ethnographique. Tous ces travaux les conduisirent à estimer que les Indiens d’Amérique du nord ne devaient pas être plus d’un million au moment de leur contact avec les Blancs.
Plus loin, d’autres chiffres sont avancés, suite à d’autres recherches d’anthropologues :
-Dobyns (Université de l’Oklahoma) conclut que la population totale des deux Amériques avait dû être de cent douze millions d’individus en 1492, parmi lesquels de douze à dix-huit millions vivaient en Amérique du Nord.
-Douglas Ubelaker, en utilisant d’autres méthodes de recherches – qui combinaient l’étude au cas par cas des recensements de chaque tribu et un dénombrement aussi prévis que possible des restes humains retrouvés par les archéologues – aboutit à une estimation de la population indienne précolombienne de l’Amérique du Nord en dessous de deux millions d’individus. Au début du XXe siècle, les Indiens vivant aux États-Unis n’étaient plus que deux cent cinquante mille.[…] Durant les quatre siècles de la période historique (depuis l’arrivée des Européens), celle-ci avait été réduite de 95% selon Dobyns ou d’au moins 75% selon Ubelaker.
Dans 1491, nouvelles révélations sur les Amériques avant Colomb, Charles C. Mann évoque également les sources citées plus haut. Mais il mentionne aussi les travaux de David Henige qui a publié Numbers from nowhere (Des chiffres venus de nulle part). Ce dernier réfute les chiffres sur la démographie précolombienne et affirme que cette tâche est tout simplement impossible.
Encore des chiffres, avec ceux publiés en 2016 dans La conquête des Amériques, par Grégory Wallerick : Au total, le XVIe siècle a vu la perte de plus de 40 millions d’Amérindiens, alors que la population d’avant la rencontre est estimée à 100 millions d’indigènes. (Alors que dans la revue Les collections de l'histoire citée plus haut, nous lisons : Vers 1500, on compte sans doute 7 millions d’habitants en Amérique du Nord)
En conclusion, et pour montrer que la controverse est loin d’être close ; les militants indiens contestent les estimations : « Les Blancs font tout pour minimiser l’importance numérique des populations autochtones que leurs ancêtres ont remplacées » s’insurge Lenore Stiffarm, ethnologue à l’Université du Saskatchewan. […] Pour elle, moins les Indiens étaient nombreux, plus il est facile de considérer le continent comme désert, et par la même disponible. « Il est parfaitement acceptable de s’installer sur des territoires inoccupés. Ça l’est à peine moins de s’approprier un territoire peuplé d’une poignée de "Sauvages" ». (1491 / C.C. Mann, op. cit)
D'autres sources :
Les Amérindiens / Larry J. Zimmerman
Histoire des Indiens des Etats-Unis / Angie Debo
Indiens et conquistadores en Amérique du Nord / Jean-Michel Sallmann
L'Amérique avant Christophe Colomb : préhistoire et hautes civilisations / P. Bosch-Gimpera
Il est vrai que la démographie de l’Amérique du Nord est difficile à étudier, faute de sources. Nous vous proposons donc une synthèse des chiffres dont nous disposons ; ils évoluent au fil des découvertes et des techniques de plus en plus avancées.
De plus, les estimations varient selon ce que recouvre la notion Amérindien chez les uns ou les autres. De quoi rendre encore plus aléatoire cette démographie.
Enfin, l’installation des Européens sur les terres indiennes ayant été progressive (dans la moyenne vallée du Missouri, les premiers Européens n’apparurent que durant les années 1730), nous traiterons vos deux interrogations simultanément.
Nous ne pouvons recourir à aucune source écrite des Indiens eux-mêmes, puisqu’il s’agit de sociétés sans écriture. L’archéologie nous renseigne sur les modes de vie, elle nous permet de savoir si ces peuples étaient ou non agricoles, et ce qu’ils cultivaient, sur leurs maisons, et autres aspects de la culture matérielle.
Source : L’aventure oubliée des Indiens d’Amérique, Les collections de l’histoire n°54, 2012
Un article de la Revue des Deux Mondes paru en 1876 (L’Amérique avant Christophe Colomb par H. Blerzy) montre qu’à cette époque, on reste assez vague : Il y a encore, dit-on, 300,000 Indiens environ aux États-Unis, nombre bien inférieur a ce que l’on en aurait compté jadis.
Dans sa Petite histoire de la conquête des Amériques, Hans Koning est assez affirmatif :
Les historiens ont l’habitude de dire que dix millions d’habitants peuplaient les Amériques avant 1492. Dans les États-Unis et la Canada actuel, un million de chasseurs et de nomades auraient parcouru les plaines et les forêts. Jusqu’à il y a cinquante ans, c’était la vérité généralement admise. Nous savons maintenant que cette estimation est totalement fausse. Des anthropologues, des spécialistes de l’agriculture et d’autres universitaires ont parcouru le continent hectare par hectare, remontant l’histoire. Ils ont étudié les ruines des villes indiennes, les canaux d’irrigation, les cimetières et les documents fiscaux depuis le XVe siècle. Plus ils travaillaient, plus l’estimation du nombre d’habitant augmentait. Nous estimons aujourd’hui leur nombre à dix millions d’habitants rien que pour les États-Unis et la Canada. Pour le Mexique, l’estimation en est à vingt ou trente millions. Et le nombre total pour l’Amérique latine va de soixante-cinq à cent millions. Nous savons aussi que les premiers habitants des Amériques vinrent d’Asie, des milliers d’années avant ce que croyaient jusqu’ici les universitaires. Bien sûr, moins il y avait d’Indiens et moins longtemps ils avaient vécu là, plus il était facile de voir la Conquête comme une vague de plus dans le flux et le reflux des populations à travers l’histoire. C’était une terre densément peuplée, avec de nombreuses grandes villes. […]
S’il y avait tant d’habitants aux Amériques avant l’arrivée des Européens, comment ont-ils pu être si rapidement assujettis par si peu d’envahisseurs ? Cette question nécessite une réponse en plusieurs parties. Tout d’abord, il y avait le fait que les nations indiennes étaient souvent divisées entre elles. […]. Un autre coup fatal fut porté aux Indiens en raison de leur manque de résistance face aux maladies européennes. […] Mais la cause principale de la chute de la civilisation indienne a été la différence de développement technologique qui séparait la côte ouest de l’Europe de la côte est de l’Amérique.
En revanche, Jake Page est plus mesuré dans ses propos dans cette incroyable somme intitulée Entre les mains du grand esprit : vingt mille ans d’histoire des Indiens d’Amérique du nord :
Se demander combien d’habitants de l’Amérique du Nord périrent ainsi à cette époque (maladies apportées par les Européens NDLR) revient à se demander quelle était la population totale du sous-continent nord-américain avant l’arrivée de Christophe Colomb. C’est une interrogation indéniablement dotée d’une grande charge émotive à laquelle nous ne pourrons sans dote jamais apporter de réponse précise – bien que de nombreuses tentatives aient été faites au cours du XXe siècle pour en proposer une. […]
Jake Page donne d’autres éléments dans son remarquable essai (p.136 et suivantes) : De nombreux chercheurs ont depuis longtemps proposé des chiffres différents concernant l’étendue des ravages ainsi provoqués, ou en d’autres termes sur l’importance de la population indienne en Amérique du nord avant sa quasi extermination par les maladies, et sur le nombre possible d’individus qui en moururent. Le débat sur cette question est très ancien et les chiffres qui sont avancés pour évaluer l’importance de la population indienne précolombienne de l’Amérique du Nord sont très variables – pour les seuls Etats-Unis, de un à dix-huit millions d’individus, et même parfois plus.[…] Dans les années 30, A.L. Kroeber (de l’Université de Californie) et ses émules cherchèrent à mesurer ce qu’avait été le monde indien d’avant Christophe Colomb en reconstituant le passé à partir du présent, essentiellement en interrogeant les Indiens vivants. Etant parvenus à déterminer cet "état neuf", inchangé (qu’ils appelèrent le présent ethnographique), ils se penchèrent ensuite sur les archives historiques (recensements et autres statistiques) afin de mesurer les effets produits sur la population indienne des événements comme les épidémies en s’appuyant sur le présent ethnographique. Tous ces travaux les conduisirent à estimer que les Indiens d’Amérique du nord ne devaient pas être plus d’un million au moment de leur contact avec les Blancs.
Plus loin, d’autres chiffres sont avancés, suite à d’autres recherches d’anthropologues :
-Dobyns (Université de l’Oklahoma) conclut que la population totale des deux Amériques avait dû être de cent douze millions d’individus en 1492, parmi lesquels de douze à dix-huit millions vivaient en Amérique du Nord.
-Douglas Ubelaker, en utilisant d’autres méthodes de recherches – qui combinaient l’étude au cas par cas des recensements de chaque tribu et un dénombrement aussi prévis que possible des restes humains retrouvés par les archéologues – aboutit à une estimation de la population indienne précolombienne de l’Amérique du Nord en dessous de deux millions d’individus. Au début du XXe siècle, les Indiens vivant aux États-Unis n’étaient plus que deux cent cinquante mille.[…] Durant les quatre siècles de la période historique (depuis l’arrivée des Européens), celle-ci avait été réduite de 95% selon Dobyns ou d’au moins 75% selon Ubelaker.
Dans 1491, nouvelles révélations sur les Amériques avant Colomb, Charles C. Mann évoque également les sources citées plus haut. Mais il mentionne aussi les travaux de David Henige qui a publié Numbers from nowhere (Des chiffres venus de nulle part). Ce dernier réfute les chiffres sur la démographie précolombienne et affirme que cette tâche est tout simplement impossible.
Encore des chiffres, avec ceux publiés en 2016 dans La conquête des Amériques, par Grégory Wallerick : Au total, le XVIe siècle a vu la perte de plus de 40 millions d’Amérindiens, alors que la population d’avant la rencontre est estimée à 100 millions d’indigènes. (Alors que dans la revue Les collections de l'histoire citée plus haut, nous lisons : Vers 1500, on compte sans doute 7 millions d’habitants en Amérique du Nord)
En conclusion, et pour montrer que la controverse est loin d’être close ; les militants indiens contestent les estimations : « Les Blancs font tout pour minimiser l’importance numérique des populations autochtones que leurs ancêtres ont remplacées » s’insurge Lenore Stiffarm, ethnologue à l’Université du Saskatchewan. […] Pour elle, moins les Indiens étaient nombreux, plus il est facile de considérer le continent comme désert, et par la même disponible. « Il est parfaitement acceptable de s’installer sur des territoires inoccupés. Ça l’est à peine moins de s’approprier un territoire peuplé d’une poignée de "Sauvages" ». (1491 / C.C. Mann, op. cit)
D'autres sources :
Les Amérindiens / Larry J. Zimmerman
Histoire des Indiens des Etats-Unis / Angie Debo
Indiens et conquistadores en Amérique du Nord / Jean-Michel Sallmann
L'Amérique avant Christophe Colomb : préhistoire et hautes civilisations / P. Bosch-Gimpera
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