Question d'origine :
Bonjour,
je suis en train de travailler sur l'émergence des imagiers jeunesse et je n'arrive pas à trouver quel est le titre du premier imagier à destination des enfants ?
Merci par avance.
L.Barraud
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 13/03/2019 à 14h14
Bonjour,
Sans présumer de l’éventuel usage pédagogique des fresques de la grotte Chauvet, nous n’avons pas trouvé en occident d’imagier pour la jeunesse antérieur àOrbis sensualium pictus de Jan Amos Komensky dit Comenius (1658), théologien et pédagogue tchèque du XVIIè siècle.
Cela ne veut pas dire que l’image n’ait pas été précédemment utilisée pour édifier la jeunesse. Selon l’ouvrage La pédagogie par l'image en France et au Japon [Livre] / sous la dir. d'Annie Renonciat et Marianne Simon-Oikawa :
« En dépit du statut controversé de l’image dans la tradition scolaire française, face à l’autorité de la parole magistrale et à la légitimité de l’écrit, l’enseignement visuel s’est développé en France, et plus largement en Europe, à partir des XVIe-XVIIe siècles, dans le sillon d’Érasme qui fut le premier à vanter, dans son traité d’éducation De pueris, publié en 1529, les atouts de l’image pour l’apprentissage et la mémorisation des fables et l’acquisition du vocabulaire :
« Quant aux fables et aux apologues, il [l’enfant] les apprendra plus volontiers et s’en souviendra mieux si on lui en présente les sujets sous les yeux, habilement figurés [...]. La même méthode sera également valable pour apprendre les noms d’arbres et d’animaux, en même temps que la nature propre à ces êtres. »
Le recours aux images pour l’enseignement s’est d’abord développé dans le cadre restreint de l’enseignement préceptoral et/ou aristocratique. Louis XIII, par exemple, a appris l’histoire de France, la mythologie et le blason à l’aide de peintures, de livres et de jeux illustrés. Dans les collèges jésuites au XVIIe siècle, qui accueillaient un public plus large, les jeunes gens étudiaient les emblèmes et les images symboliques en classe de rhétorique, la décoration des bâtiments complétant cette initiation :le collège de La Trinité à Lyon, par exemple, était orné d’allégories représentant les connaissances humaines, suivant un programme iconographique confié à Claude-François Ménestrier (1631-1705) qui en a donné une description détaillée dans Le Temple de la sagesse. À la fin du XVIIe siècle, un texte de Roger de Piles (1635-1709), théoricien et membre de l’Académie de peinture, atteste qu’à cette date, on a parfaitement conscience des « bons effets qui peuvent venir de l’usage des estampes » »
Cependant la réunion des illustrations en un livre, maniable et bon marché est bien due à Comenius, et est le fruit d’une réflexion pédagogique complexe :
« L’Orbis sensualium pictus de Comenius est un livre de petit format, illustré de 150 planches, édité à Nuremberg en 1658 par Michael Endter. Dans sa forme originale, c’était un outil pédagogique bilingue (allemand-latin), à usage scolaire, pour l’apprentissage de l’alphabet, de la langue maternelle et du latin dans une visée encyclopédique. Son texte bilingue l’a rapidement voué à un usage dictionnairique : il a été édité en quatre langues, dont le français, dès 1666, et a connu une fortune internationale avec de nombreuses réimpressions et rééditions dans toute l’Europe et aux États-unis, des traductions en arabe et en chinois et de nombreuses imitations. Différents facteurs ont contribué à ce succès, qui relèvent de la personnalité de l’auteur et des qualités de son œuvre.
[…]
L’Orbis pictus est le fruit d’une pensée complexe, qui présente deux aspects complémentaires : un fondement théologique et philosophique construit sur différents héritages, d’Aristote à Bacon, et une pensée pédagogique d’avant-garde. La préoccupation première de Comenius est la préparation des hommes à la vie éternelle. Selon lui, cette préparation ne doit pas se faire au mépris de notre monde mais en cultivant au contraire le savoir, l’action et la liberté. C’est dans la Grande Didactique, ou fart universel de tout enseigner à tous, son œuvre majeure publiée en 1627, plaidoyer pour la construction d’écoles accessibles à tous les enfants, que Comenius expose de façon détaillée sa conception de la pédagogie, seul moyen, selon lui, de former les individus à leurs responsabilités morales, sociales et politiques. L’homme, conçu par Dieu à son image, y est présenté comme doté d’une intelligence sans limites dont il suffit de cultiver le germe en le plaçant dans un milieu favorable et en respectant scrupuleusement l’évolution de ses capacités cognitives. Le pédagogue s’élève contre les méthodes de la scolastique et de la philosophie nominaliste : il estime que la jeunesse est surchargée d’une infinité de préceptes de grammaire, de nomenclatures de mots dont elle ne comprend pas le sens. Persuadé qu’《 il n’y a rien dans l’intellect qui n’ait d’abord été dans les sens », suivant l’adage aristotélicien (« nihil est in intellectu quod non sit prius in sensu »), il estime nécessaire de commencer par la connaissance du monde sensible : la création divine ne peut tromper l’homme, et les hommes se sont vu attribuer des sens pour apprendre à la connaître. […] ouvrage d’initiation au langage et d’acquisition des premières connaissances, son but est « que les enfants ne voient rien qu’ils ne sachent nommer et qu’ils ne nomment rien qu’ils ne sachent montrer ».
[…]
L’ouvrage de Comenius offre ainsi à un public large un outil pédagogique remarquable : livre d’images pour les tout-petits, abécédaire amusant, méthode d’apprentissage de la langue maternelle et du latin, encyclopédie abrégée des connaissances utiles, mais également, ainsi que l’indique le pédagogue, livre de modèles pour le dessin, voire pour le coloriage. Le génie de l’auteur a été de réunir cette riche substance dans un livre de petit format, maniable et bon marché, accessible à tous les enfants. »
Le blog librairies-sorcieres.blogspot.com présente le livre avec un extrait illustré et un portrait de l’auteur.
Vous pouvez également feuilleter l'ouvrage sur Gallica.
Bonne journée.
Sans présumer de l’éventuel usage pédagogique des fresques de la grotte Chauvet, nous n’avons pas trouvé en occident d’imagier pour la jeunesse antérieur à
Cela ne veut pas dire que l’image n’ait pas été précédemment utilisée pour édifier la jeunesse. Selon l’ouvrage La pédagogie par l'image en France et au Japon [Livre] / sous la dir. d'Annie Renonciat et Marianne Simon-Oikawa :
« En dépit du statut controversé de l’image dans la tradition scolaire française, face à l’autorité de la parole magistrale et à la légitimité de l’écrit, l’enseignement visuel s’est développé en France, et plus largement en Europe, à partir des XVIe-XVIIe siècles, dans le sillon d’Érasme qui fut le premier à vanter, dans son traité d’éducation De pueris, publié en 1529, les atouts de l’image pour l’apprentissage et la mémorisation des fables et l’acquisition du vocabulaire :
« Quant aux fables et aux apologues, il [l’enfant] les apprendra plus volontiers et s’en souviendra mieux si on lui en présente les sujets sous les yeux, habilement figurés [...]. La même méthode sera également valable pour apprendre les noms d’arbres et d’animaux, en même temps que la nature propre à ces êtres. »
Le recours aux images pour l’enseignement s’est d’abord développé dans le cadre restreint de l’enseignement préceptoral et/ou aristocratique. Louis XIII, par exemple, a appris l’histoire de France, la mythologie et le blason à l’aide de peintures, de livres et de jeux illustrés. Dans les collèges jésuites au XVIIe siècle, qui accueillaient un public plus large, les jeunes gens étudiaient les emblèmes et les images symboliques en classe de rhétorique, la décoration des bâtiments complétant cette initiation :le collège de La Trinité à Lyon, par exemple, était orné d’allégories représentant les connaissances humaines, suivant un programme iconographique confié à Claude-François Ménestrier (1631-1705) qui en a donné une description détaillée dans Le Temple de la sagesse. À la fin du XVIIe siècle, un texte de Roger de Piles (1635-1709), théoricien et membre de l’Académie de peinture, atteste qu’à cette date, on a parfaitement conscience des « bons effets qui peuvent venir de l’usage des estampes » »
Cependant la réunion des illustrations en un livre, maniable et bon marché est bien due à Comenius, et est le fruit d’une réflexion pédagogique complexe :
« L’Orbis sensualium pictus de Comenius est un livre de petit format, illustré de 150 planches, édité à Nuremberg en 1658 par Michael Endter. Dans sa forme originale, c’était un outil pédagogique bilingue (allemand-latin), à usage scolaire, pour l’apprentissage de l’alphabet, de la langue maternelle et du latin dans une visée encyclopédique. Son texte bilingue l’a rapidement voué à un usage dictionnairique : il a été édité en quatre langues, dont le français, dès 1666, et a connu une fortune internationale avec de nombreuses réimpressions et rééditions dans toute l’Europe et aux États-unis, des traductions en arabe et en chinois et de nombreuses imitations. Différents facteurs ont contribué à ce succès, qui relèvent de la personnalité de l’auteur et des qualités de son œuvre.
[…]
L’Orbis pictus est le fruit d’une pensée complexe, qui présente deux aspects complémentaires : un fondement théologique et philosophique construit sur différents héritages, d’Aristote à Bacon, et une pensée pédagogique d’avant-garde. La préoccupation première de Comenius est la préparation des hommes à la vie éternelle. Selon lui, cette préparation ne doit pas se faire au mépris de notre monde mais en cultivant au contraire le savoir, l’action et la liberté. C’est dans la Grande Didactique, ou fart universel de tout enseigner à tous, son œuvre majeure publiée en 1627, plaidoyer pour la construction d’écoles accessibles à tous les enfants, que Comenius expose de façon détaillée sa conception de la pédagogie, seul moyen, selon lui, de former les individus à leurs responsabilités morales, sociales et politiques. L’homme, conçu par Dieu à son image, y est présenté comme doté d’une intelligence sans limites dont il suffit de cultiver le germe en le plaçant dans un milieu favorable et en respectant scrupuleusement l’évolution de ses capacités cognitives. Le pédagogue s’élève contre les méthodes de la scolastique et de la philosophie nominaliste : il estime que la jeunesse est surchargée d’une infinité de préceptes de grammaire, de nomenclatures de mots dont elle ne comprend pas le sens. Persuadé qu’《 il n’y a rien dans l’intellect qui n’ait d’abord été dans les sens », suivant l’adage aristotélicien (« nihil est in intellectu quod non sit prius in sensu »), il estime nécessaire de commencer par la connaissance du monde sensible : la création divine ne peut tromper l’homme, et les hommes se sont vu attribuer des sens pour apprendre à la connaître. […] ouvrage d’initiation au langage et d’acquisition des premières connaissances, son but est « que les enfants ne voient rien qu’ils ne sachent nommer et qu’ils ne nomment rien qu’ils ne sachent montrer ».
[…]
L’ouvrage de Comenius offre ainsi à un public large un outil pédagogique remarquable : livre d’images pour les tout-petits, abécédaire amusant, méthode d’apprentissage de la langue maternelle et du latin, encyclopédie abrégée des connaissances utiles, mais également, ainsi que l’indique le pédagogue, livre de modèles pour le dessin, voire pour le coloriage. Le génie de l’auteur a été de réunir cette riche substance dans un livre de petit format, maniable et bon marché, accessible à tous les enfants. »
Le blog librairies-sorcieres.blogspot.com présente le livre avec un extrait illustré et un portrait de l’auteur.
Vous pouvez également feuilleter l'ouvrage sur Gallica.
Bonne journée.
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