Question d'origine :
Bonjour à tous,
Avant toute chose, un grand merci à toute l'équipe du savoir pour son formidable travail !
En fait, je voulais savoir quelle était l'attitude des gens du 13e, 14e siècle face aux ergots de Seigle. L'ergotisme a déjà été traité par le guichet du savoir, et j'ai bien compris qu'il faudra attendre le 17e pour que les gens incriminent l'ergot et le pain/farine contaminé dans les cas d'ergotisme.
Mais avant cette découverte médicale, les paysans et meuniers médiévaux devaient bien repérer ces champignons. Les gens étaient ils soupçonneux vis à vis de ces champignons ? S'en moquaient ils ? Les conservaient ils pour les sages femmes ? Les herboristes s’étaient ils déjà pencher sur la question ?
Comment étaient considérés les ergots avant que la science ne s'en empare ?
Merci pour vos réponses !
Woof
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 19/03/2019 à 16h33
Bonjour,
D'après les documents consultés, les paysans et meuniers médiévaux, comme vous le savez, ne tenaient pas l'ergot de seigle pour responsable du feu Saint-Antoine, le mal dont ils étaient atteints. C'est en partie pour cette raison qu'ils ne prenaient parfois pas la peine de supprimer l'ergot des épis de leurs céréales qu'ils consommaient en abondance voire de manière excluvise.
Dans l'ouvrage intitulé Le feu Saint-Antoine et l'étonnante intoxication ergotée : contribution à l'étude du mal des ardents et de l'ergotisme(aux pages pages 36 et 149), le Docteur Régis Delaigue explique que "l'importance de la nourriture dans le feu Saint-Antoine, a été entrevue dès l'apparition de la maladie (cf épidémie de 945). Son rôle ne sera vraiment compris qu'au XVIIe siècle.
[...]
" Affirmer que l'ergot de seigle était connu des civilisations anciennes est très difficile, essentiellement pour des problèmes linguistiques, de terminologie et de traduction. La difficulté est encore plus grande pour dire si l'ergotisme existait alors ; également pour savoir si l'ergot était utilisé à des fins thérapeutiques.
En revanche, on sait que déjàau XVIe siècle, la médecine populaire utilisait l'ergot en obstétrique , tout au moins dans certaines régions d'Allemagne, de Suisse et de France. Et au siècle suivant on reconnaissait sa toxicité, comme nous l'avons vu. Mais ce sont les progrès de la chimie au XIXe puis au XXe siècle , et l'essor de la pharmacologie depuis une soixantaine d'années surtout, qui allaient permettre de préciser la nature des alcaloïdes de l'ergot, leur structure et leurs propriétés, d'en préparer des dérivés, et d'en développer l'utilisation thérapeutique."
Comment les paysans et meuniers médiévaux considéraient alors cet ergot qu'ils pouvaient observer sur leurs épis de seigle ?
L'article de Virginie Coumans intitulé Notes sur l'ergotisme en Brabant au Moyen Âge, particulièrement à Oplinter (In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 80, fasc. 4, 2002. Histoire medievale, moderne et contemporaine - Middeleeuwse. moderne en hedendaagse geschiedenis. pp. 1125-1141) explique que l'ergotisme était particulièrement fort par temps de disette car le seigle étant récolté trop tôt, il n'avait pas le temps de tomber naturellement et les hommes ne prenaient pas le temps de l’ôter :
" Parmi les parasites qui ont affecté les graminées au Moyen Age, le clavi- ceps purpurea est l'un des plus communs. Au printemps, ses spores germent dans les fleurs des graminées et se substituent à leur appareil de reproduction. Petit à petit, un sclérote se développe et empêche le grain de se former. A la fin de l'été, le sclérote devenu adulte et lourd se détache de la plante et tombe sur le sol pour y passer l'hiver (7). La particularité de ce parasite tient cependant dans le fait qu'il contient des substances nocives pour l'être humain dont l'ingestion entraîne une intoxication pouvant affecter, on l'a vu, une forme gangreneuse ou convulsive. [...]
L'origine de l'intoxication par l'ergot de seigle est alimentaire: des ergots de seigle pouvaient se mêler au grain sain lors des récoltes et, moulus ensemble lors de la confection de la farine, ils contaminaient le pain et les bouillies. Mais les moissons d'un champ de seigle ergoté ne sont pas nécessairement suivies de cas d'intoxications. En effet, le seigle et l'ergot atteignent leur maturité en été. Les épis de seigle sont alors prêts à être récoltés et les sclérotes devenus lourds tombent d'eux-mêmes sur le sol lors des opérations de récoltes et de transport de gerbes. Quant à ceux qui seraient restés malgré tout fixés aux épis, leur aspect noirâtre permettra de les repérer puis de les évacuer lors du triage des grains. Enfin, les propriétés nocives du champignon s'atténuent quelques mois après sa maturité. Ainsi, le seigle stocké et consommé plusieurs mois après les récoltes présente moins de risques d'intoxication contrairement à celui qui est consommé immédiatement après les récoltes (12).
Il résulte de tout ceci que les crises d'ergotisme se produisaient essentiellement dans un contexte de crise alimentaire (13) et prenaient une dimension épidémique dans la mesure où la pénurie de céréales frappait l'ensemble de la population. La faim poussait les hommes à récolter précocement les grains de seigle quand les ergots ne se détachaient pas facilement des épis, et à les consommer immédiatement sans prendre soin de les trier pour séparer les ergots du bon grain.
Si les hommes pouvaient éviter l'ergotisme, ils ne le faisaient pas de manière intentionnelle.
Ce qui signifie probablement qu'ils ne faisaient pas vraiment attention à cet ergot. Ses propriétés chimiques et vertus thérapeutiques, notamment en obstétrique, ne seront avérées que plus tard.
Nous n'avons malheureusement pas trouvé d'informations plus précises à ce sujet.
Pour aller plus loin, peut-être pouvez-vous consulter ces documents :
- Poitou Christian. Ergotisme, ergot de seigle et épidémies en Sologne au XVIIIe siècle. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 23 N°3, Juillet-septembre 1976. Recherches d'histoire régionale. pp. 354-368.
- Histoire des peurs alimentaires [Livre] : du Moyen âge à l'aube du XXe siècle / Madeleine Ferrières
- Le mal des ardents et le feu Saint-Antoine / Henry Chaumartin ; préf. par Laignel-Lavastine
- L'ergot de seigle depuis le moyen âge : des antonins d'Issenheim à l'officine en 2016 / Virginie Faton ; [sous la direction de] Jean-Philippe Rioult
Bonne journée
D'après les documents consultés, les paysans et meuniers médiévaux, comme vous le savez, ne tenaient pas l'ergot de seigle pour responsable du feu Saint-Antoine, le mal dont ils étaient atteints. C'est en partie pour cette raison qu'ils ne prenaient parfois pas la peine de supprimer l'ergot des épis de leurs céréales qu'ils consommaient en abondance voire de manière excluvise.
Dans l'ouvrage intitulé Le feu Saint-Antoine et l'étonnante intoxication ergotée : contribution à l'étude du mal des ardents et de l'ergotisme(aux pages pages 36 et 149), le Docteur Régis Delaigue explique que "
[...]
" Affirmer que l'ergot de seigle était connu des civilisations anciennes est très difficile, essentiellement pour des problèmes linguistiques, de terminologie et de traduction. La difficulté est encore plus grande pour dire si l'ergotisme existait alors ; également pour savoir si l'ergot était utilisé à des fins thérapeutiques.
En revanche, on sait que déjà
Comment les paysans et meuniers médiévaux considéraient alors cet ergot qu'ils pouvaient observer sur leurs épis de seigle ?
L'article de Virginie Coumans intitulé Notes sur l'ergotisme en Brabant au Moyen Âge, particulièrement à Oplinter (In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 80, fasc. 4, 2002. Histoire medievale, moderne et contemporaine - Middeleeuwse. moderne en hedendaagse geschiedenis. pp. 1125-1141) explique que l'ergotisme était particulièrement fort par temps de disette car le seigle étant récolté trop tôt, il n'avait pas le temps de tomber naturellement et les hommes ne prenaient pas le temps de l’ôter :
" Parmi les parasites qui ont affecté les graminées au Moyen Age, le clavi- ceps purpurea est l'un des plus communs. Au printemps, ses spores germent dans les fleurs des graminées et se substituent à leur appareil de reproduction. Petit à petit, un sclérote se développe et empêche le grain de se former. A la fin de l'été, le sclérote devenu adulte et lourd se détache de la plante et tombe sur le sol pour y passer l'hiver (7). La particularité de ce parasite tient cependant dans le fait qu'il contient des substances nocives pour l'être humain dont l'ingestion entraîne une intoxication pouvant affecter, on l'a vu, une forme gangreneuse ou convulsive. [...]
L'origine de l'intoxication par l'ergot de seigle est alimentaire: des ergots de seigle pouvaient se mêler au grain sain lors des récoltes et, moulus ensemble lors de la confection de la farine, ils contaminaient le pain et les bouillies. Mais les moissons d'un champ de seigle ergoté ne sont pas nécessairement suivies de cas d'intoxications. En effet, le seigle et l'ergot atteignent leur maturité en été. Les épis de seigle sont alors prêts à être récoltés et les sclérotes devenus lourds tombent d'eux-mêmes sur le sol lors des opérations de récoltes et de transport de gerbes. Quant à ceux qui seraient restés malgré tout fixés aux épis,
Il résulte de tout ceci que les crises d'ergotisme se produisaient essentiellement dans un contexte de crise alimentaire (13) et prenaient une dimension épidémique dans la mesure où la pénurie de céréales frappait l'ensemble de la population.
Ce qui signifie probablement qu'ils ne faisaient pas vraiment attention à cet ergot. Ses propriétés chimiques et vertus thérapeutiques, notamment en obstétrique, ne seront avérées que plus tard.
Nous n'avons malheureusement pas trouvé d'informations plus précises à ce sujet.
Pour aller plus loin, peut-être pouvez-vous consulter ces documents :
- Poitou Christian. Ergotisme, ergot de seigle et épidémies en Sologne au XVIIIe siècle. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 23 N°3, Juillet-septembre 1976. Recherches d'histoire régionale. pp. 354-368.
- Histoire des peurs alimentaires [Livre] : du Moyen âge à l'aube du XXe siècle / Madeleine Ferrières
- Le mal des ardents et le feu Saint-Antoine / Henry Chaumartin ; préf. par Laignel-Lavastine
- L'ergot de seigle depuis le moyen âge : des antonins d'Issenheim à l'officine en 2016 / Virginie Faton ; [sous la direction de] Jean-Philippe Rioult
Bonne journée
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