Question d'origine :
Bonjour, Dans la série "Le nom de la Rose", Adso est pris d'hallucinations où il voit des démons. Cela se déroule près d'un encensoir dans la bibliothèque (dans le labyrinthe). William de Baskerville explique que les plantes peuvent produire des hallucinations. L'encens pouvait il réellement produire de telles hallucinations ? Et si oui, pourquoi ? L'encens médiéval pouvait être mélangé à des solanacées comme la mandragore, la jusquiame ou des champignons ? Libérait-il ce que les scientifiques nomment des "alcaloïdes" qui produisent des hallucinations ? Merci pour les réponses et bonne journée !
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 24/04/2019 à 14h34
Bonjour,
Les solanacées peuvent effectivement être utilisées sous forme de fumigations. Au Moyen Age, des plantes comme la mandragore, la jusquiame et le datura étaient associées à la magie et la sorcellerie :
«Des plantes, des dieux et des démons
Maudites Solanacées : l’exemple de l’inquiétante mandragore, la plante qui crie…
Au Moyen-Âge, l’utilisation des plantes prend une dimension spirituelle. C’est le cas des Solanacées utilisées en magie et sorcellerie. Prenons l’exemple de la mandragore. […]
Sa réputation de plante magique va perdurer durant le Moyen-Âge et même au-delà. Elle permettrait de devenir riche, elle permettrait aux sorciers de rentrer en communication avec le Diable et d’obtenir des pouvoirs surnaturels. La mandragore inspire alors, en pleine époque médiéviale, la peur et les pires légendes : elle avait la réputation d’être utilisée par les sorcières dans des onguents ou des breuvages en mélange avec d’autres Solanacées comme la belladone (Atropa belladona), la jusquiame (Hyoscyamus niger) et de la graisse d’enfant mort-né. Les propriétés hallucinogènes et narcotiques des alcaloïdes (hyoscyamine, scopolamine, atropine) contenus dans ces Solanacées étaient utilisées au cours du sabbat, une assemblée de socrières organisée pour communiquer avec le Diable. Une autre vertu de la mangragore est le caractère aphrodisiaque de ses baies qui étaient utilisées dans des potions et philtres. Cette propriété est à rapprocher de l’analogie à la fécondation : l’ensemencement de la terre était supposé pouvoir engendrer la mandragore.
Les Solanacées ont une place particulière dans le monde végétal ; elles ont, depuis des siècles, symbolisé la noirceur, l’inquiétude et la mort.Jusquiame, mandragore et datura sont les trois principales « plantes maudites » qui ont été utilisées dans l’Europe médiévale par les sorcières pour communiquer avec les forces surnaturelles et exercer leur influence. Ces plantes ont en commun leur composition chimique à l’origine de propriétés hallucinogènes ; elles étaient utilisées sous forme de breuvages, philtres, onguents et en fumigations .
Source : Biodiversité et évolution du monde végétal, David Garon, Jean-Christophe Guéguen
Ces plantes étaient aussi connues depuis l’Antiquité pour leurs propriétés calmantes et analgésiques, mais leur mauvaise réputation « magique » a peu à peu poussé les médecins à abandonner leur usage :
« Dès l’Antiquité et jusqu’à la fin de la Renaissance,les solanacées, jusquiame, belladone, stramoine, mandragore , dominent une matière médicale caractérisée par une gamme de produits très étendue et par la polypharmacie ; elles entrent, par exemple, à côté de l’opium et du cannabis, dans la composition du célèbre Nepenthès, donné par Hélène à ses hôtes.
Avec la laitue, la cigüe, l’opium bien sûr, le castoreum et quelques produits aromatiques comme la cannelle ou le gingembre, ces drogues constituent l’essentiel de la pharmacopée, sans qu’il existe de véritable séparation pharmacologique entre narcotiques, hypnotiques et analgésiques. Les formes galéniques frappent également par leur diversité et les présentations topiques l’emportent. Parmi elles, lesfumigations , les emplâtres, mais surtout les éponges somnifères à base souvent de mandragore, d’opium, de cigüe et de jusquiame, utilisées comme anesthétiques en chirurgie, mais aussi comme calmants en médecine , et aussi l’étonnant Unguentum Populeum composé, entre autres, de laitue, de mandragore, de jusquiame, présent dans les pharmacopées du Moyen âge, mais usité encore au XXe siècle.
Tous ces produits appartiennent à la pharmacie « officielle », mais, par leur dimension magique, surnaturelle, par leurs liens avec l’astronomie, servent aussi aux sorcières. […] les solanées, appliquées avant tout en onctions, donnent des hallucinations, provoquant des transes. Vers 1600, l’abus des solanacées entraîne une restriction de leur emploi : quel médecin, en période de dénonciation des sorcières – et de leurs produits - , voudrait encore prescrire pareils médicaments ? En revanche, la consommation d’opium augmente, soutenue en partie par les écrits de Paracelse. On constate à la même époque une modification du mode d’application des médicaments. A l’abandon des préparations topiques, pommades, éponges, cataplasmes, huiles, etc., correspond un emploi plus fréquent des produits agissant par voie interne. Du même coup, le rejet de certains médicaments puissants pour des raisons plus morales que thérapeutiques, conduit, puisqu’il faut la supporter, à une vision « positive » de la douleur. »
Source : Une histoire des analgésiques, des somnifères et des stupéfiants : Franz-Josef Kuhlen, Zur Geschichte der Schmerz-, Schlaf- und Betäu- bungsmittel in Mittelalter und früher Neuzeit [compte-rendu], Ledermann François, Revue d'Histoire de la Pharmacie, Année 1983 259 pp. 346-348
Etant donné leurs effets, nous voyons difficilement l'intérêt de brûler un encens à base de jusquiame ou de mandragore dans une bibliothèque, mais n'ayant pas vu la série, le contexte de la scène nous échappe sans doute... Frère Béranger est-il allé piocher en douce dans les réserves du frère herboriste ?
Bonne journée.
Les solanacées peuvent effectivement être utilisées sous forme de fumigations. Au Moyen Age, des plantes comme la mandragore, la jusquiame et le datura étaient associées à la magie et la sorcellerie :
«
Maudites Solanacées : l’exemple de l’inquiétante mandragore, la plante qui crie…
Au Moyen-Âge, l’utilisation des plantes prend une dimension spirituelle. C’est le cas des Solanacées utilisées en magie et sorcellerie. Prenons l’exemple de la mandragore. […]
Sa réputation de plante magique va perdurer durant le Moyen-Âge et même au-delà. Elle permettrait de devenir riche, elle permettrait aux sorciers de rentrer en communication avec le Diable et d’obtenir des pouvoirs surnaturels. La mandragore inspire alors, en pleine époque médiéviale, la peur et les pires légendes : elle avait la réputation d’être utilisée par les sorcières dans des onguents ou des breuvages en mélange avec d’autres Solanacées comme la belladone (Atropa belladona), la jusquiame (Hyoscyamus niger) et de la graisse d’enfant mort-né. Les propriétés hallucinogènes et narcotiques des alcaloïdes (hyoscyamine, scopolamine, atropine) contenus dans ces Solanacées étaient utilisées au cours du sabbat, une assemblée de socrières organisée pour communiquer avec le Diable. Une autre vertu de la mangragore est le caractère aphrodisiaque de ses baies qui étaient utilisées dans des potions et philtres. Cette propriété est à rapprocher de l’analogie à la fécondation : l’ensemencement de la terre était supposé pouvoir engendrer la mandragore.
Les Solanacées ont une place particulière dans le monde végétal ; elles ont, depuis des siècles, symbolisé la noirceur, l’inquiétude et la mort.
Source : Biodiversité et évolution du monde végétal, David Garon, Jean-Christophe Guéguen
Ces plantes étaient aussi connues depuis l’Antiquité pour leurs propriétés calmantes et analgésiques, mais leur mauvaise réputation « magique » a peu à peu poussé les médecins à abandonner leur usage :
« Dès l’Antiquité et jusqu’à la fin de la Renaissance,
Avec la laitue, la cigüe, l’opium bien sûr, le castoreum et quelques produits aromatiques comme la cannelle ou le gingembre, ces drogues constituent l’essentiel de la pharmacopée, sans qu’il existe de véritable séparation pharmacologique entre narcotiques, hypnotiques et analgésiques. Les formes galéniques frappent également par leur diversité et les présentations topiques l’emportent. Parmi elles, les
Tous ces produits appartiennent à la pharmacie « officielle », mais, par leur dimension magique, surnaturelle, par leurs liens avec l’astronomie, servent aussi aux sorcières. […] les solanées, appliquées avant tout en onctions, donnent des hallucinations, provoquant des transes. Vers 1600, l’abus des solanacées entraîne une restriction de leur emploi : quel médecin, en période de dénonciation des sorcières – et de leurs produits - , voudrait encore prescrire pareils médicaments ? En revanche, la consommation d’opium augmente, soutenue en partie par les écrits de Paracelse. On constate à la même époque une modification du mode d’application des médicaments. A l’abandon des préparations topiques, pommades, éponges, cataplasmes, huiles, etc., correspond un emploi plus fréquent des produits agissant par voie interne. Du même coup, le rejet de certains médicaments puissants pour des raisons plus morales que thérapeutiques, conduit, puisqu’il faut la supporter, à une vision « positive » de la douleur. »
Source : Une histoire des analgésiques, des somnifères et des stupéfiants : Franz-Josef Kuhlen, Zur Geschichte der Schmerz-, Schlaf- und Betäu- bungsmittel in Mittelalter und früher Neuzeit [compte-rendu], Ledermann François, Revue d'Histoire de la Pharmacie, Année 1983 259 pp. 346-348
Etant donné leurs effets, nous voyons difficilement l'intérêt de brûler un encens à base de jusquiame ou de mandragore dans une bibliothèque, mais n'ayant pas vu la série, le contexte de la scène nous échappe sans doute... Frère Béranger est-il allé piocher en douce dans les réserves du frère herboriste ?
Bonne journée.
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