Ingérences soviétiques dans le programme spatial américain
Le 18/07/2019 à 20h49
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Question d'origine :
Bonjour. On célèbre en ce moment les 50 ans du premier pas sur la lune. Je n’ai pas vu de mentions, dans les différents articles à ce sujet, relatives à d’éventuelles actions de sabotage menées par l’URSS pour gêner les progrès du programme spatial américain. Dans un contexte de guerre froide, l’idée ne paraît pourtant pas improbable. Est ce que de telles tentatives ont été documentées par les historiens ? Merci. Meilleures salutations.
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 22/07/2019 à 08h19
Bonjour,
Les documents consultés ne mentionnent pas de tentatives de sabotage du programme spatial américain Apollo 11 par les russes. Dans cette course à l'espace, les soviétiques étaient en réalité bien loin des américains. C'est ce que mentionne Pierre Barthélémy dans La course perdue des Soviétiques (Le Monde - jeudi 18 juillet 2019) :
En réalité, en cette année 1968, les Soviétiques ont déjà perdu la course depuis un petit moment . Comme l'explique Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherches au CNRS et spécialiste des politiques spatiales, le premier à vouloir révéler le pot aux roses s'appelle Leonid Vladimirov : « C'est un journaliste scientifique qui a fui l'URSS en 1966. Il présente alors à des éditeurs britanniques un projet de livre où il affirme que l'Union soviétique n'est plus dans la course à la Lune. Personne n'accepte de le publier. »
Lorsque son ouvrage paraît finalement, en 1971, sous le titre The Russian Space Bluff (Tom Stacey, non traduit), Leonid Vladimirov raconte en introduction comment, après avoir demandé l'asile politique au Royaume-Uni, il a été ébahi de constater que les Occidentaux croyaient dur comme fer à la possibilité qu'un Soviétique soit le premier à fouler le sol sélénite. Il a beau, devant le directeur d'une des plus grandes maisons d'édition londoniennes, s'exclamer que « c'est impossible », son interlocuteur regarde sa montre et lui répond : « Je crains que le nombre des choses impossibles dans ce monde devienne de moins en moins grand. Mais s'il y a quelque chose d'impossible, croyez-moi, c'est la publication de votre livre. Du moins jusqu'à ce que nous ayons la réponse à la question de savoir qui sera le premier » à aller sur la Lune.
Pour Isabelle Sourbès-Verger, cette « censure » s'explique parce qu' « il était impensable, en 1966, de dire que les Américains étaient en train de courir contre quelqu'un qui ne faisait pas la course .
L'auteur répond également à cette question :
Comment expliquer cette déroute alors que l'URSS est perçue comme la championne incontestée du spatial ?
Première raison avancée : la mariée n'est pas si belle.
« Le filtre de la propagande, qui ne parle que des succès, fait croire qu'il n'y a que des premières, mais quand on regarde les statistiques, on est effaré par lenombre d'échecs sur les lanceurs , assure Alain Cirou. Alors que, pour les programmes américains Mercury, Gemini, Apollo, toutes les fusées partent, côté soviétique, c'est une catastrophe. On a des lancements qui échouent, des fusées qui explosent, des engins qui n'atteignent pas la bonne orbite. Mais les Russes ne communiquent pas sur leurs échecs . Ne ressortent que les annonces victorieuses. Derrière la façade, il y a beaucoup de problèmes techniques et un déchet monstrueux . » Ainsi, sur les quarante-cinq missions automatiques lancées vers la Lune, seulement quinze, soit un tiers, rempliront leurs objectifs.
Cependant, la raison profonde de l'échec soviétique dans la course à la Lune est à chercher du côté de l'organisation . Au début des années 1960, « côté Américain, certains se disent que les plans quinquennaux soviétiques ont du bon, et on met sur pied un plan décennal pour Apollo, on réactive la grosse machine de guerre sous l'égide de la NASA, explique Isabelle Sourbès-Verger. Le système russe, lui, n'a pas de structure capable d'exercer un leadership unique. Il n'a pas créé d'agence et fonctionne avec des concurrences internes et plusieurs grands "bureaux d'étude", les OKB. » Les trois principaux OKB dans le secteur spatial sont dirigés par Sergueï Korolev, Vladimir Tchelomeï père de la fusée Proton, lanceur lourd qui est toujours en activité aujourd'hui et Mikhaïl Yanguel, spécialiste de missiles intercontinentaux. « Khrouchtchev était un paysan dont la philosophie se résumait ainsi : on ne met pas tous ses oeufs dans le même panier », explique Alain Cirou.
Au point que deux programmes lunaires différents vont être développés en parallèle ! Celui de Korolev, qui, avec la fusée N-1 et le vaisseau Soyouz, veut se poser sur la Lune. Et celui de Tchelomeï, dont l'ambition, moins grande, consiste à se mettre en orbite autour de notre satellite naturel. « Quand Sergueï Afanassiev est nommé en 1965 à la tête du tout nouveau ministère des machines générales pour essayer de coordonner tout le monde, il n'y parvient pas, constate Alain Cirou. Il y a plus d'une centaine de structures différentes, et le puzzle n'est plus réconciliable. »
Les efforts sont divisés, les moyens aussi, sans compter que les « concurrents » font parfois des choix techniques différents et qu'ils perdent de l'énergie en lobbying auprès de la nomenklatura... Pour couronner le tout, les rivalités entre personnes nuisent à l'efficacité . Le meilleur exemple de cette division, dit Alain Cirou, est celui de « Valentin Glouchko, le roi des moteurs, qui choisit le camp Tchelomeï alors que la fusée N-1 de Korolev avait le plus besoin d'un motoriste . « L'ironie de l'histoire, conclut Philippe Henarejos, rédacteur en chef à Ciel & Espace, c'est qu'Apollo a été un succès grâce à son organisation à la soviétique, très pyramidale, alors que chez les Soviétiques la mise en concurrence à l'américaine a conduit à une déperdition des forces... »
Le seul écueil qui aurait pu gêner l'avancée des américains est le lancement d'une fusée russe avec à son bord Luna-15, une sonde orbitale sensée atterrir sur la lune pour prélever et analyser des échantillons de roche lunaire. Les américains informés de ce projet jusque-là tenu secret s'inquiètent d'une éventuelle collision et de possibles interférences dans les communications Lune-Terre :
Le 13 juillet 1969, alors que sont effectués, à Cap Canaveral (Floride), les derniers préparatifs d'Apollo-11, la première mission qui posera des hommes sur la Lune, une fusée Proton décolle de Baïkonour. A son bord, Luna-15, un engin qui doit atterrir sur notre satellite, y prélever des échantillons et les rapporter sur Terre. Un exploit technique inédit censé atténuer si ce n'est masquer, pour les populations de l'URSS le séisme que va constituer l'annonce du premier pas d'un Américain dans la mer de la Tranquillité. L'ultime épisode de la course à la Lune, même déséquilibré, se joue.
Quand la fusée Saturn-V emporte Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins, la NASA ignore qu'un autre vaisseau spatial prend la même route.En l'apprenant, les Américains oublient la guerre froide et contactent d'urgence leurs homologues soviétiques pour s'assurer qu'il n'y a aucun risque de collision ! Luna-15 reste en orbite lunaire deux jours et entame sa descente alors qu'Armstrong et Aldrin ont déjà fini de fouler le régolithe lunaire. Mais quelque chose se passe mal, et Luna-15 s'écrase lamentablement dans la bien nommée mer des Crises. Dans une langue de bois du plus pur style soviétique, le communiqué de Moscou dit simplement que « la station a quitté son orbite pour atteindre la surface de la Lune dans la zone prévue ...
Quelques articles sur Luna-15 :
- 21 juillet 1969 : le jour où... une sonde russe s’écrasa sur la Lune / Tanguy de l’Espinay - Le Parisien - 19/07/2019
- Le fiasco secret du programme lunaire soviétique / Vanlerberghe, Cyrille - Le Figaro, no. 23304 - Le Figaro, jeudi 18 juillet 2019 1215 mots, p. 11
- Apollo 11 Renaissance : Luna 15, le dernier coup de poker des Russes / Cité de l'Espace
Pionnière de l'aventure spatiale, l'URSS a pourtant perdu la course à l'espace et les concurrents semblent s'être montrés plutôt sportifs, jusqu'à preuve du contraire !
Bonne journée.
Les documents consultés ne mentionnent pas de tentatives de sabotage du programme spatial américain Apollo 11 par les russes. Dans cette course à l'espace, les soviétiques étaient en réalité bien loin des américains. C'est ce que mentionne Pierre Barthélémy dans La course perdue des Soviétiques (Le Monde - jeudi 18 juillet 2019) :
Lorsque son ouvrage paraît finalement, en 1971, sous le titre The Russian Space Bluff (Tom Stacey, non traduit), Leonid Vladimirov raconte en introduction comment, après avoir demandé l'asile politique au Royaume-Uni, il a été ébahi de constater que les Occidentaux croyaient dur comme fer à la possibilité qu'un Soviétique soit le premier à fouler le sol sélénite. Il a beau, devant le directeur d'une des plus grandes maisons d'édition londoniennes, s'exclamer que « c'est impossible », son interlocuteur regarde sa montre et lui répond : « Je crains que le nombre des choses impossibles dans ce monde devienne de moins en moins grand. Mais s'il y a quelque chose d'impossible, croyez-moi, c'est la publication de votre livre. Du moins jusqu'à ce que nous ayons la réponse à la question de savoir qui sera le premier » à aller sur la Lune.
L'auteur répond également à cette question :
Première raison avancée : la mariée n'est pas si belle.
« Le filtre de la propagande, qui ne parle que des succès, fait croire qu'il n'y a que des premières, mais quand on regarde les statistiques, on est effaré par le
Cependant, la raison profonde de l'échec soviétique dans la course à la Lune est à chercher du côté de l'
Au point que deux programmes lunaires différents vont être développés en parallèle ! Celui de Korolev, qui, avec la fusée N-1 et le vaisseau Soyouz, veut se poser sur la Lune. Et celui de Tchelomeï, dont l'ambition, moins grande, consiste à se mettre en orbite autour de notre satellite naturel. « Quand Sergueï Afanassiev est nommé en 1965 à la tête du tout nouveau ministère des machines générales pour essayer de coordonner tout le monde, il n'y parvient pas, constate Alain Cirou. Il y a plus d'une centaine de structures différentes, et le puzzle n'est plus réconciliable. »
Le seul écueil qui aurait pu gêner l'avancée des américains est le lancement d'une fusée russe avec à son bord Luna-15, une sonde orbitale sensée atterrir sur la lune pour prélever et analyser des échantillons de roche lunaire. Les américains informés de ce projet jusque-là tenu secret s'inquiètent d'une éventuelle collision et de possibles interférences dans les communications Lune-Terre :
Le 13 juillet 1969, alors que sont effectués, à Cap Canaveral (Floride), les derniers préparatifs d'Apollo-11, la première mission qui posera des hommes sur la Lune, une fusée Proton décolle de Baïkonour. A son bord, Luna-15, un engin qui doit atterrir sur notre satellite, y prélever des échantillons et les rapporter sur Terre. Un exploit technique inédit censé atténuer si ce n'est masquer, pour les populations de l'URSS le séisme que va constituer l'annonce du premier pas d'un Américain dans la mer de la Tranquillité. L'ultime épisode de la course à la Lune, même déséquilibré, se joue.
Quand la fusée Saturn-V emporte Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins, la NASA ignore qu'un autre vaisseau spatial prend la même route.
Quelques articles sur Luna-15 :
- 21 juillet 1969 : le jour où... une sonde russe s’écrasa sur la Lune / Tanguy de l’Espinay - Le Parisien - 19/07/2019
- Le fiasco secret du programme lunaire soviétique / Vanlerberghe, Cyrille - Le Figaro, no. 23304 - Le Figaro, jeudi 18 juillet 2019 1215 mots, p. 11
- Apollo 11 Renaissance : Luna 15, le dernier coup de poker des Russes / Cité de l'Espace
Pionnière de l'aventure spatiale, l'URSS a pourtant perdu la course à l'espace et les concurrents semblent s'être montrés plutôt sportifs, jusqu'à preuve du contraire !
Bonne journée.
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