Le« pica» trouble alimentaire et psychologique en grossesse.
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 23/07/2019 à 11h40
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Question d'origine :
Bonjour,
Le «pica »touche l’espèce humaine en période de grossesse ou encore l’espèce animale ?
Mes meilleures salutations.
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 24/07/2019 à 13h08
Bonjour,
Dans le Traitement des troubles psychiatriques selon le DSM-5 et la CIM-10 ouvrage disponible à la bibliothèque municipale mais actuellement emprunté Pierre aborde la cas du pica. Google livres permet d’en lire quelques extraits :
« Pica est le nom latin pour la pie, oiseau réputé collectionner et avaler des objets.Manger de la terre (géophagie) est habituel chez les espèces animales, mais considéré pathologique chez l’homme . (…)
Mettre à la bouche des objets non alimentaires est un comportement d’exploration du jeune enfant, comportement qui disparaît progressivement. Sa persistance et le fait d’avaler ces objets définissent la pica. Le patient mange de la terre, du sable, des objets (papier, savon, jouet) ou des substances comestibles inhabituelles : insectes, petits animaux (larves, bactraciens, reptiles) parfois vivants.
Par ailleurs, l'Encyclopédie familiale de la santé: comprendre, prévenir, soigner souligne que « Le pica est caractérisé par l’ingestion de matière non comestibles. Normal chez les enfants de moins de 2 ans, ce comportement est considéré comme pathologique au-delà. Le pica touche principalement les jeunes enfants, mais il peut occasionnellement affecter les femmes enceintes. Lorsqu’il n’est pas associé à des troubles psychiatriques (…) il est souvent lié à des problèmes familiaux (…) parfois à une carence en fer et rappelle quechez les femmes enceintes, « ce comportement serait lié à une carence en fer » .
De plus amples informations sont présentées dans l’étude Géophagie et grossesse : état des connaissances et conduite à tenir. Expérience d’une maternité de Guyane française (Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction, Volume 43, n° 7
, 2014, pages 496-503) :
La « géophagie est la consommation régulière de terre. Les comportements alimentaires consistant en une ingestion compulsive de substances non nutritives sont appelés picas. À l’instar de la pagophagie (ingestion de glaçons) ou l’amylophagie (ingestion d’amidon), cette curieuse appétence connaît unerecrudescence pendant la grossesse, en particulier chez des patientes non caucasiennes . Peu connue du corps médical, la géophagie n’est pas recherchée de façon systématique lors de l’examen prénatal. De leur côté, les patientes, bien souvent migrantes en situation précaire, confient rarement s’adonner à cette pratique, parfois par peur d’une stigmatisation, souvent parce que celle-ci n’est pas ressentie comme un problème de santé.
Pourtant, dans le tube digestif de la femme enceinte, l’argile ingérée en quantité parfois massive interagit avec le bol alimentaire. Ses remarquables propriétés d’échangeuse d’ions bouleversent l’absorption des ions et des métaux, provoquant carences et intoxications dont l’installation va se faire à bas bruit durant la grossesse. La géophagie n’est donc pas un simple trouble du comportement alimentaire, c’est une pathologie véritable nutritionnelle qui va perturber le déroulement de la grossesse et menacer le bien-être de la mère et de l’enfant.
(…)
La géophagie n’est pas une spécificité humaine, c’est un comportement ancestral partagé par de nombreuses espèces d’oiseaux, de reptiles, de mammifères. Chez l’animal, sauvage ou d’élevage, les sols consommés sont quasi exclusivement des argiles. Dans nos sociétés, ces argiles, de récolte et de conditionnement semi-artisanal, sont disponibles via les réseaux de distribution de produits exotiques dans toutes les régions d’Europe. Le choix de ces terres argileuses, souvent des kaolinites ou des smectites, n’est pas le fruit du simple hasard mais résulte d’une longue démarche adaptative [3].
L’argile est inscrite dans les pharmacopées occidentales et traditionnelles. À côté d’activités thérapeutiques certaines, l’argile est parée d’un rôle magique dans de nombreuses cultures ce qui complexifie d’une dimension symbolique l’acte géophagique.
La géophagie humaine est retrouvée dans tous les continents depuis l’antiquité et même la préhistoire ; elle perd de sa visibilité dans les pays industrialisés où elle est supplantée par d’autres picas (amylophagie, pagophagie) ; elle semble ne plus y concerner que quelques femmes enceintes, de jeunes enfants, et certains malades (insuffisants rénaux, malades mentaux) ; elle demeure cependant très pratiquée par des migrantes non caucasiennes (asiatiques au Royaume Uni, africaines en France). Sa prévalence reste mal connue et n’a été étudiée que sur des échantillons restreints : elle est très variable selon la composition sociale et ethnique de la population allant de 71 % des femmes enceintes Zaïroises à moins de un pour cent de celles du Danemark [5, 6].
Plusieurs types de géophagie se côtoient dans la littérature scientifique brouillant l’analyse de ses conséquences
(…)
Dans l’espèce humaine, le besoin manger de la terre apparaît dans la petite enfance et au moment de la grossesse mais le stimulus amorçant ce phénomène n’est pas clairement identifié. Beaucoup d’hypothèses ont été avancées, souvent basées sur des études transversales où il est impossible de dégager cause et conséquence. Pour faire avancer la controverse, on ne peut que s’appuyer sur des protocoles expérimentaux animaux ou sur quelques observations humaines d’apparition du phénomène suite à une intervention ciblée.
(…)
Chirurgie bariatique
Cinq cas de pica ont été décrits entre un mois et cinq ans après une intervention de dérivation bilio-pancreatique avec gastrectomie pour obésité. Le pica ne concernait que l’ingestion de glaçons ; induites par cette chirurgie bariatique, une carence martiale était présente chez tous les patients et une hypocalcémie chez un ; chaque fois, dans les jours ou semaines suivant la correction des carences, l’ingestion de glace était significativement réduite [14].
Hypothèse carentielle
Il a été avancé, devant la richesse en sels minéraux des argiles consommées, que ce sont des carences nutritionnelles, en particulier en calcium ou en zinc, qui déclencheraient le besoin de manger de la terre. Mais la composition des argiles ne reflète pas la biodisponibilité de leur contenu minéral comme on le verra plus loin et aucune expérience n’a montré que de telles carences initiaient ces comportements géophages.
L’étiopathogénie de la géophagie est donc complexe et très certainement multifactorielle : toutes les femmes nauséeuses, carencées ou angoissées n’ingèrent pas de la terre. Peut-être s’y ajoute-t-il une prédisposition génétique comme ont tenté de le démontrer Lee et al. dans leurs travaux sur le lien entre pica et mutation de TMPRSS6, une protéine transmembranaire régulant l’expression de l’hepcidine qui contrôle l’homéostasie du fer.
A priori, plusieurs types de stimuli déclenchent, hors du champ de la conscience à la manière d’un réflexe archaïque, peut-être sur un terrain déterminé, une appétence irrépressible pour l’argile. Il faut souligner, qu’en dehors de la nausée, l’ingestion d’argile est incapable de corriger les stimuli habituellement cités comme initiateurs : il n’a jamais été décrit de correction d’une carence martiale chez un géophage.
En pratique, il y a donc tout intérêt à corriger ces situations prédisposantes dès le début de la grossesse si on veut éviter l’entrée en géophagie.
Top of the page - Article Outline
Conséquence sur la grossesse
Anémie par carence martiale
Alors que les besoins en fer croissent pendant la grossesse, l’ingestion d’argile provoque le piégeage des ions ferreux et ferriques par la matrice argileuse et conduit inexorablement à l’épuisement des réserves martiales. Une carence martiale est presque universellement observée chez les femmes enceintes géophages, mais selon le type d’argile, cette captation du fer est plus ou moins complète [17]. Alors qu’on a longtemps avancé que les stocks martiaux du fœtus étaient toujours préservés, de nombreux travaux montrent que les carences maternelles profondes impactent également les réserves fœtales. Ces taux de ferritine basse chez le nouveau-né sont associés à des déficits cognitifs irréversibles dès la petite enfance [18, 19, 20].
Lorsque la ferritine sérique chute en dessous de 12μg/L, une anémie s’installe, classiquement microcytaire (VGM<80μ) hypochrome arégénérative (réticulocytes<5 %) ; elle va s’aggraver tant que l’entrée du fer dans les entérocytes reste bloquée. C’est une authentique anémie par malabsorption que les mécanismes de régulation de la synthèse d’hepcidine maternelle ne sont pas capables d’enrayer. Outre l’asthénie, cette anémie constitue un facteur de risque significatif en termes de morbidité tant maternelle que fœtale. De façon quasi unanime et sur de nombreuses séries, il est reconnu que l’anémie ferriprive majore le risque d’accouchement prématuré et celui de faible poids de naissance. Ainsi, la vaste enquête rétrospective concernant 153 396 naissances de Levy et al. a montré que chez les 13 204 femmes dont le taux d’hémoglobine (Hb) était inférieur à 10g/100mL en début de suivi de grossesse, le nombre d’accouchements avant 37SA était majoré avec un odd ratio (OR) de 1,1 [95 % CI 1,1–1,2, p =0,001] ainsi que le nombre d’enfants de poids de naissance inférieur à 2500g OR=1,2 [95 % CI 1,1–1,2, p <0,001]. La prématurité ainsi induite va, à son tour, majorer le risque d’altération du développement cognitif fœtal [21].
(…)
Recommandation pour la grossesse
Identification précoce de la géophagie
Lors de l’entretien prénatal, il faut interroger systématiquement les femmes enceintes sur d’éventuelles pratiques de pica et ce, d’autant plus qu’il existe une carence martiale ou un terrain psychiatrique obsessionnel compulsif voire l’appartenance à une minorité ethnique. La consommation devient inquiétante si elle est décrite comme une envie que la patiente n’arrive plus à réprimer. La quantité et la nature du matériel ingéré seront renseignées ainsi que les modalités et les horaires des prises, ces éléments pouvant être modulés pour limiter l’interaction argile-bol alimentaire. Le dialogue recherchera d’éventuelles autres addictions.
Recherche et lutte contre les facteurs prédisposants
Troubles dyspeptiques ou nausées prolongées, carences en fer, zinc ou calcium, situations de stress devront être identifiés et réduits.
Recherche des conséquences
Les complications mécaniques de la consommation prolongée d’argile sont recherchées par l’interrogatoire. La constipation opiniâtre sera traitée par des lubrifiants locaux voire une irrigation recto-colique. En général, ce ralentissement du transit en reste à un stade d’inconfort ; toutefois, de rares décès par péritonite sur perforation sigmoïdienne et une exceptionnelle dystocie ont été recensés dans la littérature [39, 40].
L’anémie par carence martiale demeure la principale complication de la géophagie. Un traitement martial per os à dose curative sera dans un premier temps mis en place. Mais les cas de géophagie intense, il est illusoire d’espérer corriger le déficit tant que l’ingestion d’argile est poursuivie. L’efficacité du traitement martial doit donc être vérifiée. En cas d’échec, on utilise le fer par voie veineuse ou, si la proximité du terme l’exige, la transfusion maternelle.
L’ionogramme doit être contrôlé, en particulier le niveau de la kaliémie.
Les métaux lourds sont dosés (Pb, Al, Hg, Cd). Seule la découverte du saturnisme débouche sur des mesures préventives bien codifiées afin de préserver la santé de l’enfant à venir : corriger carences en fer et en calcium, informer la patiente pour qu’elle arrête son intoxication, discuter un traitement chélateur lorsque le seuil de 350μg/L est atteint, surveiller la plombémie de l’enfant à la naissance. Pour les autres métaux, l’avis d’un toxicologue devra être sollicité.
Soutien au sevrage
Par le dialogue, il faut tenter de limiter l’interférence de la géophagie avec l’état de santé en expliquant l’interaction de l’argile avec tous les aliments et médicaments consommés.
Mais ce dialogue reste souvent inefficace. On peut dans les situations difficiles proposer, au moins pour le temps de la grossesse, le soutien d’équipes spécialisées en addictologie ; une stratégie comportementaliste peut en effet être payante.
Le suivi du taux d’Hb est dans notre expérience un bon indice du respect de l’abstinence.
Dans les cas où l’arrêt est impossible, il faut éviter la co-ingestion avec des aliments ou des boissons riches en acide citrique (plats citronnés, jus et nectar de fruits, sodas) qui favorisent l’absorption des métaux lourds et en particulier de l’aluminium. Les phénomènes de piégeage des nutriments ou médicaments dans la gangue argileuse seront limités en écartant les horaires des prises.
En dernier recours, faute de mieux, on conseillera un autre pica (amidon ou glaçon) de façon à éviter au moins le volet toxique de la géophagie".
Nous vous laissons lire l’article dans son intégralité et vous notifions aussi l’existence de travaux universitaires à ce sujet :
* Pica et grossesse : étude prospective à propos de 54 cas à l' île de la Réunion / Rabia Ouchikhe ; Sous la direction de Gilles Camp
Thèse d'exercice, Médecine Générale : Bordeaux 2 : 2002.
* Pica et anémie ferriprive : à propos de 10 cas / Aurelia Gonnot ; directeur de thèse Francis Gaches
thèse d'exercice : Médecine : Toulouse 3 : 2009 : "Le pica est un syndrome méconnu par la population médicale. Même si un lien entre pica et anémie ferriprive tend à être démontré, le rapport de cause à conséquence n'a pas encore été élucidé. Notre étude comportait 10 cas de patients atteints de pica. Tous étaient porteurs d'anémie ferriprive. Dans 40% des cas le pica n'était pas responsable de l'anémie. Dans 50 % des cas nous ne pouvions pas conclure. La littérature médicale récente évoque le pica comme symptôme de l'anémie ferriprive. Or celle-ci concerne 2 milliards d'individus ; l'ampleur du pica est donc probablement sous-estimée".
* Anémie ferriprive et pica : cause et/ou conséquence ? / Céline Gamelin ; sous la dir. de Jean-Christophe Weber; thèse d'exercice : Medecine : Strasbourg 1 : 2005
Vous pourriez aussi jeter un coup d'oeil à l'article : la géophagie : avancées dans la compréhension de ses causes et conséquences
Enfin, diverses études ont été consacrées à la géophagie chez les animaux. Nous vous laissons notamment lire en ligne L'Automédication chez les animaux dans la nature: et ce que nous pourrions ... Le chapitre sur la géophagie apporte des informations très précises et souligne que "la géophagie est surtout observée chez les herbivores. En Amérique du Sud, on observe régulièrement ce comportement chez les singes, les tapirs, les pécaris, les opacas et les perroquets, mais plus rarement chez les omnivores. Il en est de même dans les zones tropicales et subtropicales des autres continents. Il apparaît bien que cette pratique est plus commune sous les tropiques que dans les régions tempérées. Elle peut être également, dans certains cas, une source de minéraux, comme le sodium, qui est nécessaire pour la détoxication des métabolites secondaires..."
Nous vous laissons poursuivre les lectures.
Dans le Traitement des troubles psychiatriques selon le DSM-5 et la CIM-10 ouvrage disponible à la bibliothèque municipale mais actuellement emprunté Pierre aborde la cas du pica. Google livres permet d’en lire quelques extraits :
« Pica est le nom latin pour la pie, oiseau réputé collectionner et avaler des objets.
Mettre à la bouche des objets non alimentaires est un comportement d’exploration du jeune enfant, comportement qui disparaît progressivement. Sa persistance et le fait d’avaler ces objets définissent la pica. Le patient mange de la terre, du sable, des objets (papier, savon, jouet) ou des substances comestibles inhabituelles : insectes, petits animaux (larves, bactraciens, reptiles) parfois vivants.
Par ailleurs, l'Encyclopédie familiale de la santé: comprendre, prévenir, soigner souligne que « Le pica est caractérisé par l’ingestion de matière non comestibles. Normal chez les enfants de moins de 2 ans, ce comportement est considéré comme pathologique au-delà. Le pica touche principalement les jeunes enfants, mais il peut occasionnellement affecter les femmes enceintes. Lorsqu’il n’est pas associé à des troubles psychiatriques (…) il est souvent lié à des problèmes familiaux (…) parfois à une carence en fer et rappelle que
De plus amples informations sont présentées dans l’étude Géophagie et grossesse : état des connaissances et conduite à tenir. Expérience d’une maternité de Guyane française (Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction, Volume 43, n° 7
, 2014, pages 496-503) :
La « géophagie est la consommation régulière de terre. Les comportements alimentaires consistant en une ingestion compulsive de substances non nutritives sont appelés picas. À l’instar de la pagophagie (ingestion de glaçons) ou l’amylophagie (ingestion d’amidon), cette curieuse appétence connaît une
Pourtant, dans le tube digestif de la femme enceinte, l’argile ingérée en quantité parfois massive interagit avec le bol alimentaire. Ses remarquables propriétés d’échangeuse d’ions bouleversent l’absorption des ions et des métaux, provoquant carences et intoxications dont l’installation va se faire à bas bruit durant la grossesse. La géophagie n’est donc pas un simple trouble du comportement alimentaire, c’est une pathologie véritable nutritionnelle qui va perturber le déroulement de la grossesse et menacer le bien-être de la mère et de l’enfant.
(…)
La géophagie n’est pas une spécificité humaine, c’est un comportement ancestral partagé par de nombreuses espèces d’oiseaux, de reptiles, de mammifères. Chez l’animal, sauvage ou d’élevage, les sols consommés sont quasi exclusivement des argiles. Dans nos sociétés, ces argiles, de récolte et de conditionnement semi-artisanal, sont disponibles via les réseaux de distribution de produits exotiques dans toutes les régions d’Europe. Le choix de ces terres argileuses, souvent des kaolinites ou des smectites, n’est pas le fruit du simple hasard mais résulte d’une longue démarche adaptative [3].
L’argile est inscrite dans les pharmacopées occidentales et traditionnelles. À côté d’activités thérapeutiques certaines, l’argile est parée d’un rôle magique dans de nombreuses cultures ce qui complexifie d’une dimension symbolique l’acte géophagique.
La géophagie humaine est retrouvée dans tous les continents depuis l’antiquité et même la préhistoire ; elle perd de sa visibilité dans les pays industrialisés où elle est supplantée par d’autres picas (amylophagie, pagophagie) ; elle semble ne plus y concerner que quelques femmes enceintes, de jeunes enfants, et certains malades (insuffisants rénaux, malades mentaux) ; elle demeure cependant très pratiquée par des migrantes non caucasiennes (asiatiques au Royaume Uni, africaines en France). Sa prévalence reste mal connue et n’a été étudiée que sur des échantillons restreints : elle est très variable selon la composition sociale et ethnique de la population allant de 71 % des femmes enceintes Zaïroises à moins de un pour cent de celles du Danemark [5, 6].
Plusieurs types de géophagie se côtoient dans la littérature scientifique brouillant l’analyse de ses conséquences
(…)
Dans l’espèce humaine, le besoin manger de la terre apparaît dans la petite enfance et au moment de la grossesse mais le stimulus amorçant ce phénomène n’est pas clairement identifié. Beaucoup d’hypothèses ont été avancées, souvent basées sur des études transversales où il est impossible de dégager cause et conséquence. Pour faire avancer la controverse, on ne peut que s’appuyer sur des protocoles expérimentaux animaux ou sur quelques observations humaines d’apparition du phénomène suite à une intervention ciblée.
(…)
Chirurgie bariatique
Cinq cas de pica ont été décrits entre un mois et cinq ans après une intervention de dérivation bilio-pancreatique avec gastrectomie pour obésité. Le pica ne concernait que l’ingestion de glaçons ; induites par cette chirurgie bariatique, une carence martiale était présente chez tous les patients et une hypocalcémie chez un ; chaque fois, dans les jours ou semaines suivant la correction des carences, l’ingestion de glace était significativement réduite [14].
Hypothèse carentielle
Il a été avancé, devant la richesse en sels minéraux des argiles consommées, que ce sont des carences nutritionnelles, en particulier en calcium ou en zinc, qui déclencheraient le besoin de manger de la terre. Mais la composition des argiles ne reflète pas la biodisponibilité de leur contenu minéral comme on le verra plus loin et aucune expérience n’a montré que de telles carences initiaient ces comportements géophages.
L’étiopathogénie de la géophagie est donc complexe et très certainement multifactorielle : toutes les femmes nauséeuses, carencées ou angoissées n’ingèrent pas de la terre. Peut-être s’y ajoute-t-il une prédisposition génétique comme ont tenté de le démontrer Lee et al. dans leurs travaux sur le lien entre pica et mutation de TMPRSS6, une protéine transmembranaire régulant l’expression de l’hepcidine qui contrôle l’homéostasie du fer.
A priori, plusieurs types de stimuli déclenchent, hors du champ de la conscience à la manière d’un réflexe archaïque, peut-être sur un terrain déterminé, une appétence irrépressible pour l’argile. Il faut souligner, qu’en dehors de la nausée, l’ingestion d’argile est incapable de corriger les stimuli habituellement cités comme initiateurs : il n’a jamais été décrit de correction d’une carence martiale chez un géophage.
En pratique, il y a donc tout intérêt à corriger ces situations prédisposantes dès le début de la grossesse si on veut éviter l’entrée en géophagie.
Top of the page - Article Outline
Conséquence sur la grossesse
Anémie par carence martiale
Alors que les besoins en fer croissent pendant la grossesse, l’ingestion d’argile provoque le piégeage des ions ferreux et ferriques par la matrice argileuse et conduit inexorablement à l’épuisement des réserves martiales. Une carence martiale est presque universellement observée chez les femmes enceintes géophages, mais selon le type d’argile, cette captation du fer est plus ou moins complète [17]. Alors qu’on a longtemps avancé que les stocks martiaux du fœtus étaient toujours préservés, de nombreux travaux montrent que les carences maternelles profondes impactent également les réserves fœtales. Ces taux de ferritine basse chez le nouveau-né sont associés à des déficits cognitifs irréversibles dès la petite enfance [18, 19, 20].
Lorsque la ferritine sérique chute en dessous de 12μg/L, une anémie s’installe, classiquement microcytaire (VGM<80μ) hypochrome arégénérative (réticulocytes<5 %) ; elle va s’aggraver tant que l’entrée du fer dans les entérocytes reste bloquée. C’est une authentique anémie par malabsorption que les mécanismes de régulation de la synthèse d’hepcidine maternelle ne sont pas capables d’enrayer. Outre l’asthénie, cette anémie constitue un facteur de risque significatif en termes de morbidité tant maternelle que fœtale. De façon quasi unanime et sur de nombreuses séries, il est reconnu que l’anémie ferriprive majore le risque d’accouchement prématuré et celui de faible poids de naissance. Ainsi, la vaste enquête rétrospective concernant 153 396 naissances de Levy et al. a montré que chez les 13 204 femmes dont le taux d’hémoglobine (Hb) était inférieur à 10g/100mL en début de suivi de grossesse, le nombre d’accouchements avant 37SA était majoré avec un odd ratio (OR) de 1,1 [95 % CI 1,1–1,2, p =0,001] ainsi que le nombre d’enfants de poids de naissance inférieur à 2500g OR=1,2 [95 % CI 1,1–1,2, p <0,001]. La prématurité ainsi induite va, à son tour, majorer le risque d’altération du développement cognitif fœtal [21].
(…)
Recommandation pour la grossesse
Identification précoce de la géophagie
Lors de l’entretien prénatal, il faut interroger systématiquement les femmes enceintes sur d’éventuelles pratiques de pica et ce, d’autant plus qu’il existe une carence martiale ou un terrain psychiatrique obsessionnel compulsif voire l’appartenance à une minorité ethnique. La consommation devient inquiétante si elle est décrite comme une envie que la patiente n’arrive plus à réprimer. La quantité et la nature du matériel ingéré seront renseignées ainsi que les modalités et les horaires des prises, ces éléments pouvant être modulés pour limiter l’interaction argile-bol alimentaire. Le dialogue recherchera d’éventuelles autres addictions.
Recherche et lutte contre les facteurs prédisposants
Troubles dyspeptiques ou nausées prolongées, carences en fer, zinc ou calcium, situations de stress devront être identifiés et réduits.
Recherche des conséquences
Les complications mécaniques de la consommation prolongée d’argile sont recherchées par l’interrogatoire. La constipation opiniâtre sera traitée par des lubrifiants locaux voire une irrigation recto-colique. En général, ce ralentissement du transit en reste à un stade d’inconfort ; toutefois, de rares décès par péritonite sur perforation sigmoïdienne et une exceptionnelle dystocie ont été recensés dans la littérature [39, 40].
L’anémie par carence martiale demeure la principale complication de la géophagie. Un traitement martial per os à dose curative sera dans un premier temps mis en place. Mais les cas de géophagie intense, il est illusoire d’espérer corriger le déficit tant que l’ingestion d’argile est poursuivie. L’efficacité du traitement martial doit donc être vérifiée. En cas d’échec, on utilise le fer par voie veineuse ou, si la proximité du terme l’exige, la transfusion maternelle.
L’ionogramme doit être contrôlé, en particulier le niveau de la kaliémie.
Les métaux lourds sont dosés (Pb, Al, Hg, Cd). Seule la découverte du saturnisme débouche sur des mesures préventives bien codifiées afin de préserver la santé de l’enfant à venir : corriger carences en fer et en calcium, informer la patiente pour qu’elle arrête son intoxication, discuter un traitement chélateur lorsque le seuil de 350μg/L est atteint, surveiller la plombémie de l’enfant à la naissance. Pour les autres métaux, l’avis d’un toxicologue devra être sollicité.
Soutien au sevrage
Par le dialogue, il faut tenter de limiter l’interférence de la géophagie avec l’état de santé en expliquant l’interaction de l’argile avec tous les aliments et médicaments consommés.
Mais ce dialogue reste souvent inefficace. On peut dans les situations difficiles proposer, au moins pour le temps de la grossesse, le soutien d’équipes spécialisées en addictologie ; une stratégie comportementaliste peut en effet être payante.
Le suivi du taux d’Hb est dans notre expérience un bon indice du respect de l’abstinence.
Dans les cas où l’arrêt est impossible, il faut éviter la co-ingestion avec des aliments ou des boissons riches en acide citrique (plats citronnés, jus et nectar de fruits, sodas) qui favorisent l’absorption des métaux lourds et en particulier de l’aluminium. Les phénomènes de piégeage des nutriments ou médicaments dans la gangue argileuse seront limités en écartant les horaires des prises.
En dernier recours, faute de mieux, on conseillera un autre pica (amidon ou glaçon) de façon à éviter au moins le volet toxique de la géophagie".
Nous vous laissons lire l’article dans son intégralité et vous notifions aussi l’existence de travaux universitaires à ce sujet :
* Pica et grossesse : étude prospective à propos de 54 cas à l' île de la Réunion / Rabia Ouchikhe ; Sous la direction de Gilles Camp
Thèse d'exercice, Médecine Générale : Bordeaux 2 : 2002.
* Pica et anémie ferriprive : à propos de 10 cas / Aurelia Gonnot ; directeur de thèse Francis Gaches
thèse d'exercice : Médecine : Toulouse 3 : 2009 : "Le pica est un syndrome méconnu par la population médicale. Même si un lien entre pica et anémie ferriprive tend à être démontré, le rapport de cause à conséquence n'a pas encore été élucidé. Notre étude comportait 10 cas de patients atteints de pica. Tous étaient porteurs d'anémie ferriprive. Dans 40% des cas le pica n'était pas responsable de l'anémie. Dans 50 % des cas nous ne pouvions pas conclure. La littérature médicale récente évoque le pica comme symptôme de l'anémie ferriprive. Or celle-ci concerne 2 milliards d'individus ; l'ampleur du pica est donc probablement sous-estimée".
* Anémie ferriprive et pica : cause et/ou conséquence ? / Céline Gamelin ; sous la dir. de Jean-Christophe Weber; thèse d'exercice : Medecine : Strasbourg 1 : 2005
Vous pourriez aussi jeter un coup d'oeil à l'article : la géophagie : avancées dans la compréhension de ses causes et conséquences
Enfin, diverses études ont été consacrées à la géophagie chez les animaux. Nous vous laissons notamment lire en ligne L'Automédication chez les animaux dans la nature: et ce que nous pourrions ... Le chapitre sur la géophagie apporte des informations très précises et souligne que "
Nous vous laissons poursuivre les lectures.
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