être Maltais ou Sicilien à Tunis aux XVIII-XXe siècle?
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 19/08/2019 à 07h46
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Question d'origine :
Bonjour,
Je voudrais avoir des renseignements sur la vie (les façons de vivre, les lois, le quotidien, il-y-avait-il une ghettoïsation?) des Maltais et Siciliens habitants à Tunis entre 1800 et 1935.
Leur nombre?
Les métiers qu'ils étaient autorisé à exercer
Allaient-ils à l'école?
Avaient-ils le droit de vote?
Etaient-ils parqués ensembles?
Vous remerciant par avance
F. HAMMS
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 21/08/2019 à 14h32
Entre 1800 et 1935, la population de la ville de Tunis connaît de nombreuses évolutions résultant, entre autres, d’un changement d’autorité politique. Après une longue domination ottomane, c’est la France qui conquit la Tunisie et y établit son protectorat.
En 1534, le corsaire Khayreddin Barberousse envahit le royaume hafside et s’empare de sa capitale, Tunis. Tout en proclamant la déchéance de la dynastie régnante, il annexe le pays pour en faire une province de l’Empire Ottoman. La Tunisie reste ottomane jusqu’en 1881, lorsqu’elle devient un protectorat français. Il faut donc préciser que deux réalités politiques se succèdent pendant la période en question.
Les habitants de la ville sont, jusqu’en 1881, des sujets de la Sublime Porte et sont soumis à ses lois. Celles-ci prévoient un système de millet pour la gestion des communautés confessionnelles non musulmanes. Ainsi, le chef religieux, c.a.d. un patriarche, un rabbin ou un catholicos, était également un fonctionnaire administratif, responsable de sa communauté religieuse dans ses liens avec l’Etat. A travers ce système, adapté de l’organisation communautaire juive dans l’Empire byzantin, les communautés religieuses non musulmanes avaient la possibilité de préserver leur identité par leur propre juridiction et, dans les limites de la charia, la liberté de culte.
Quant aux ressortissants de pays européens, conformément au principe des Capitulations de l’Empire ottoman, ils gardaient indéfiniment leur nationalité d’origine et ne relevaient, pour arbitrer leurs conflits, que des juridictions consulaires. Ils vivaient dans la partie basse de la médina, peuplant un réseau de ruelles qui constituaient le quartier franc. Les différentes vagues d’immigration, arrivées au cours du XIXe siècle, ont vu ce quartier s’étendre considérablement, surtout après l’instauration du protectorat français.
A la veille de la promulgation de la Constitution de 1861 et en vertu de divers traités négociés entre la Régence de Tunis et les puissances européennes, les colonies étrangères de Tunis se sont vues concéder le droit de construire et d’acquérir des biens immobiliers. Les murs de la vieille ville laissant peu de place pour l’extension, les Européens ont construit des immeubles hors de la Porte de la Mer (Bab-al-Bahr), où s’était déjà constitué un faubourg de baraques et de
foundouks, habités par les strates les plus pauvres de la population chrétienne, d’origine maltaise ou italienne.
A l’intérieur des murs de Tunis, à la Goulette, les constructions n’ont pas cessé de se multiplier depuis la fin du XVIIIe siècle. Ce sont principalement les activités maritimes qui ont causé cet essor, et notamment la pêche, pratiquée par les émigrés de Sicile et de Pantalarée, mais aussi l’implantation d’une population étrangère de plus en plus nombreuse où les Italiens et les Maltais étaient en force. Le quartier de la Goulette a alors vu apparaître des écoles et quelques églises à l’usage de la population chrétienne.
A vrai dire, précise Paul Sebag dans son livre intitulé "Tunis. Histoire d’une ville", il ne s’agissait plus d’un quartier franc mais d’une véritable ville franque, où les colonies européennes avaient non seulement leurs consulats, mais encore leurs écoles, leurs théâtres, leurs hôpitaux, leurs lieux de prière et leurs cimetières.
L’implantation de colonies plus nombreuses d’année en année entrainait la création d’écoles. Ainsi, en 1831, Pompeo Sulema, émigré de Livourne pour raisons politiques, fonda la première école de garçons. En 1845, l’abbé François Bourgade en ouvrit une deuxième, sous le nom de Collège Saint-Louis. Pendant quelque temps, les deux établissements se sont partagé les élèves sur des critères religieux : l’école de l’abbé accueillait les élèves catholiques, celle du livournais, en revanche, donnait la préférence aux élèves juifs.
Deux écoles de filles, une payante et l’autre gratuite, étaient apparues entre-temps, grâce aux religieuses. En 1864, un collège italien, ouvert sur initiative de la colonie et soutenu par le gouvernement de l’Italie tout juste constituée en un seul Etat, ouvrit ses portes à Tunis. L’année suivante, le bey Mohamed Al-Sadoq offrit gracieusement le terrain pour la construction d’un nouvel édifice pour l’établissement. Une autre école de filles vit bientôt le jour au sein de la colonie italienne. A la veille du Protectorat, toutes les écoles européennes recevaient au total environ un milliers d’élèves.
En 1875, sur l’initiative d’un riche israélite, on construisit à Tunis un théâtre en dehors de la Porte de la Mer, portant le nom de Théâtre Cohen. Une fois l’édifice érigé, les Italiens créèrent rapidement une société philharmonique avec une salle de concert dans la rue Al-Djazira.
Pour chiffrer la population de la ville de Tunis, Paul Sebag reprend les données recueilles par certains voyageurs, et notamment :
En 1829, L. Filippi recense 82 000 musulmans, 15 500 israélites, 2 500 chrétiens, ce qui fait un total de 100 000 habitants.
En 1857, P. Daumas décrit une ville habitée par 52 500 musulmans, 16 500 juifs et 6 000 chrétiens, pour une population de 75 000 personnes.
A l’aube du protectorat français, en 1882, G. Perpetua compte 62 000 musulmans, 40 000 juifs et environ 13 000 chrétiens, pour une population de 125 000 âmes.
Comme nous pouvons le constater, à la veille du protectorat, de nombreux Européens (Français, Italiens venus de différentes régions de la péninsule, Maltais, Grecs et Espagnols) vivaient donc à Tunis, concentrés dans la partie basse de la médina - dans le quartier franc - et avaient déjà initié leur expansion au-delà de la Porte de la Mer. Cette population s’est considérablement accrue après 1881 car le passage du pays sous l’autorité française assurait à tous les ressortissants européens une entière sécurité. La réussite économique des uns encourageait l’afflux des autres. En résultat, en moins de trois décennies, cette population a plus que sextuplé, s’élevant à 70 000 âmes en 1911 (dont environ 18 000 Français, 44 300 Italiens, 6 000 Maltais).
La structure de la population italienne paraît assez complexe. D’une part, il existait un petit nombre de familles implantées dans le pays depuis longue date, pour la plupart de confession juive, constituant la bourgeoisie locale qui occupait des positions de premier plan dans le secteur bancaire, le commerce et l’industrie, exerçant le métier d’avocat, de médecin ou de pharmacien. D’autre part, les masses arrivées par vagues successives de migrants constituaient un véritable prolétariat, travaillant dans l’agriculture, dans la pêche et l’industrie. Au fil des années, une classe moyenne s’était formée essentiellement d’artisans et de commerçants, répondant aux besoins de la population urbaine dans le domaine de l’alimentation (épiciers, bouchers, boulangers, glaciers), de l’habillement (couturières, blanchisseuses, cordonniers, modistes), ou de l’équipement domestique (menuisiers, tapissiers, peintres). Certains émigrés ont dirigé des entreprises prospères et rivalisé, par leur fortune, avec l’ancienne bourgeoisie.
Pendant longtemps, les Italiens continuaient à peupler la partie base de la médina, puis ont étendu la zone habitée sur les marges des vieux faubourgs de Bab Al-Jazira et Bab Al-Suwayqa. Lorsque la vieille ville devint trop étroite, les nouveaux venus s’installèrent au cœur de la ville moderne, dans un quartier qui fut aussitôt nommé la « Petite Sicile ». La Goulette, elle aussi, eut sa « Petite Sicile », peuplée essentiellement par des familles de pêcheurs originaires de cette île (environ 2 000 personnes). D’autres immigrés s’étaient établis dans divers quartiers de la ville. En 1911, plus de 2 000 vivaient à la Goulette, 330 environ à Maxula-Radès et 850 à Hammam-Lif.
Sous le protectorat français, les Italiens continuèrent à jouir des droits et des libertés qui leurs avaient été garantis par le traité italo-tunisien du 8 septembre 1868. En vertu de ce traité, les Italiens vivant en Tunisie conservaient leur nationalité d’origine et la transmettaient indéfiniment, de génération en génération, de iure sanguinis, (par le droit du sang). Ils avaient un libre accès à toutes les professions. Le traité leur reconnaissait le droit d’avoir leurs écoles, leurs journaux, leurs associations et leurs hôpitaux. Par-contre, lorsque l’appareil de justice français fut établi en Tunisie, les Italiens étaient devenus justiciables des tribunaux français, à partir de 1884. Nombre d’entre eux avaient sollicité la nationalité française par voie de naturalisation.
Les premières données précise sur la population maltaise de l’agglomération tunisoise ont été apportées par les dénombrements de 1906 et de 1911. Ainsi, en 1906, la ville comptait environ 5500 habitants maltais, la banlieue 400, alors qu’en 1911, presque 6 000 Maltais habitaient en ville. En revanche, le nombre de Maltais résidant dans la banlieue était resté stable.
A leur arrivée à Tunis, les Maltais se portaient souvent vers des activités qu’ils exerçaient dans leur pays. Ils étaient donc chevriers, charretier ou cochers. Ils fournissaient aussi une main-d’œuvre très appréciée pour toutes sortes de chantiers de construction ou dans l’industrie. Les plus entreprenants d’entre eux se sont trouvés à la tête de grandes entreprises commerciales et industrielles, d’autres furent propriétaires de grands magasins. Dans les premières années du XXe siècle, des Maltais exerçaient les professions libérales, notamment de médecin et d’avocat.
Sous le protectorat, les Maltais ont conservé le statut que leur assurait le traité du 19 juillet 1875 entre l’Angleterre et la Tunisie. Tout comme les Italiens, ils conservaient leur nationalité d’origine et avec celle-ci, leur qualité de sujets de Sa Majesté. Tout comme les Italiens, ils ont cessé de relever du consul de Grande Bretagne pour l’arbitrage de leurs conflits. La création des tribunaux français fut suivie de la suppression de la justice consulaire. A partir de 1884, comme tous les autres Européens, les Maltais devinrent donc justiciables des tribunaux français.
La population venue de Malte s’est établie aux confins de la vieille ville et de la ville moderne. La toponymie témoigne de leur présence, avec les rues des Maltais et la rue Malta Srira, « Petite Malte ». Elle était également implantée dans le faubourg nord, près de Bab El-Khadra. C’est non loin de là, près de la route de la Goulette, que les cochers maltais avaient leurs remises et leurs écuries. Ils n’ont cependant pas tardé à se mêler aux autres populations, dans la ville comme dans la banlieue, les clivages sociaux se substituant peu à peu aux clivages résultant de l’origine.
La répartition géographique des différentes communautés européennes à travers la ville est liée à la législation en vigueur, aux activités des populations, aux infrastructures et à l’expansion potentielle des habitations. De la Petite Sicile à la rue Petite Malte, à travers une véritable ville franque, les colonies européennes se sont côtoyés et crée progressivement des espaces d’échanges autant entre elles qu’avec la population autochtone. Comme le démontre l’exemple des Maltais, les différences ethniques ou culturelles se sont estompées avec le temps, laissant la place aux clivages sociaux.
Les communautés européennes de Tunis ont participé à la vie économique et culturelle de la ville, dans un premier temps dans le cadre des Capitulations, puis des différents traités internationaux définissant leurs statuts. A partir de 1864, en tant que sujets du Royaume d’Italie, les Siciliens bénéficiaient des mêmes droits que les autres sujets de la couronne italienne. Il en est de même pour les Maltais, sujets de la monarchie britannique. Ils jouissaient d’un privilège d’exterritorialité et conservaient leur nationalité d’origine de père en fils et étaient en mesure de créer des structures sociales, culturelles et éducatives au sein desquelles ils cultivaient leur identité. Si la force et l’essor des différentes colonies dépendaient de leur importance et de leur vivacité, le soutien politique et la puissance de leur pays d’origine jouaient un rôle primordial dans la négociation de leurs conditions de vie et dans leur prospérité.
Pour aller plus loin :
Tunis et Alger au XVIIIe siècle, Jean-Michel Venture de Paradis, mémoires et observations rassemblées par Joseph Cuocq, Paris, Sindbad, 1983
Les Européens en Tunisie au milieu du XIXe siècle (1840 - 1870), Cahiers de Tunisie, n°11, 1955
Tunis au XVIIe siècle : une cité barbaresque au temps de la course, Paul Sebag, Paris, l'Harmattan, 1989
… et comparer les deux communautés de Siciliens et de Maltais, dans le cas de la ville de Sousse, un article des Archives Ouvertes.
En 1534, le corsaire Khayreddin Barberousse envahit le royaume hafside et s’empare de sa capitale, Tunis. Tout en proclamant la déchéance de la dynastie régnante, il annexe le pays pour en faire une province de l’Empire Ottoman. La Tunisie reste ottomane jusqu’en 1881, lorsqu’elle devient un protectorat français. Il faut donc préciser que deux réalités politiques se succèdent pendant la période en question.
Les habitants de la ville sont, jusqu’en 1881, des sujets de la Sublime Porte et sont soumis à ses lois. Celles-ci prévoient un système de millet pour la gestion des communautés confessionnelles non musulmanes. Ainsi, le chef religieux, c.a.d. un patriarche, un rabbin ou un catholicos, était également un fonctionnaire administratif, responsable de sa communauté religieuse dans ses liens avec l’Etat. A travers ce système, adapté de l’organisation communautaire juive dans l’Empire byzantin, les communautés religieuses non musulmanes avaient la possibilité de préserver leur identité par leur propre juridiction et, dans les limites de la charia, la liberté de culte.
Quant aux ressortissants de pays européens, conformément au principe des Capitulations de l’Empire ottoman, ils gardaient indéfiniment leur nationalité d’origine et ne relevaient, pour arbitrer leurs conflits, que des juridictions consulaires. Ils vivaient dans la partie basse de la médina, peuplant un réseau de ruelles qui constituaient le quartier franc. Les différentes vagues d’immigration, arrivées au cours du XIXe siècle, ont vu ce quartier s’étendre considérablement, surtout après l’instauration du protectorat français.
A la veille de la promulgation de la Constitution de 1861 et en vertu de divers traités négociés entre la Régence de Tunis et les puissances européennes, les colonies étrangères de Tunis se sont vues concéder le droit de construire et d’acquérir des biens immobiliers. Les murs de la vieille ville laissant peu de place pour l’extension, les Européens ont construit des immeubles hors de la Porte de la Mer (Bab-al-Bahr), où s’était déjà constitué un faubourg de baraques et de
foundouks, habités par les strates les plus pauvres de la population chrétienne, d’origine maltaise ou italienne.
A l’intérieur des murs de Tunis, à la Goulette, les constructions n’ont pas cessé de se multiplier depuis la fin du XVIIIe siècle. Ce sont principalement les activités maritimes qui ont causé cet essor, et notamment la pêche, pratiquée par les émigrés de Sicile et de Pantalarée, mais aussi l’implantation d’une population étrangère de plus en plus nombreuse où les Italiens et les Maltais étaient en force. Le quartier de la Goulette a alors vu apparaître des écoles et quelques églises à l’usage de la population chrétienne.
A vrai dire, précise Paul Sebag dans son livre intitulé "Tunis. Histoire d’une ville", il ne s’agissait plus d’un quartier franc mais d’une véritable ville franque, où les colonies européennes avaient non seulement leurs consulats, mais encore leurs écoles, leurs théâtres, leurs hôpitaux, leurs lieux de prière et leurs cimetières.
L’implantation de colonies plus nombreuses d’année en année entrainait la création d’écoles. Ainsi, en 1831, Pompeo Sulema, émigré de Livourne pour raisons politiques, fonda la première école de garçons. En 1845, l’abbé François Bourgade en ouvrit une deuxième, sous le nom de Collège Saint-Louis. Pendant quelque temps, les deux établissements se sont partagé les élèves sur des critères religieux : l’école de l’abbé accueillait les élèves catholiques, celle du livournais, en revanche, donnait la préférence aux élèves juifs.
Deux écoles de filles, une payante et l’autre gratuite, étaient apparues entre-temps, grâce aux religieuses. En 1864, un collège italien, ouvert sur initiative de la colonie et soutenu par le gouvernement de l’Italie tout juste constituée en un seul Etat, ouvrit ses portes à Tunis. L’année suivante, le bey Mohamed Al-Sadoq offrit gracieusement le terrain pour la construction d’un nouvel édifice pour l’établissement. Une autre école de filles vit bientôt le jour au sein de la colonie italienne. A la veille du Protectorat, toutes les écoles européennes recevaient au total environ un milliers d’élèves.
En 1875, sur l’initiative d’un riche israélite, on construisit à Tunis un théâtre en dehors de la Porte de la Mer, portant le nom de Théâtre Cohen. Une fois l’édifice érigé, les Italiens créèrent rapidement une société philharmonique avec une salle de concert dans la rue Al-Djazira.
Pour chiffrer la population de la ville de Tunis, Paul Sebag reprend les données recueilles par certains voyageurs, et notamment :
En 1829, L. Filippi recense 82 000 musulmans, 15 500 israélites, 2 500 chrétiens, ce qui fait un total de 100 000 habitants.
En 1857, P. Daumas décrit une ville habitée par 52 500 musulmans, 16 500 juifs et 6 000 chrétiens, pour une population de 75 000 personnes.
A l’aube du protectorat français, en 1882, G. Perpetua compte 62 000 musulmans, 40 000 juifs et environ 13 000 chrétiens, pour une population de 125 000 âmes.
Comme nous pouvons le constater, à la veille du protectorat, de nombreux Européens (Français, Italiens venus de différentes régions de la péninsule, Maltais, Grecs et Espagnols) vivaient donc à Tunis, concentrés dans la partie basse de la médina - dans le quartier franc - et avaient déjà initié leur expansion au-delà de la Porte de la Mer. Cette population s’est considérablement accrue après 1881 car le passage du pays sous l’autorité française assurait à tous les ressortissants européens une entière sécurité. La réussite économique des uns encourageait l’afflux des autres. En résultat, en moins de trois décennies, cette population a plus que sextuplé, s’élevant à 70 000 âmes en 1911 (dont environ 18 000 Français, 44 300 Italiens, 6 000 Maltais).
La structure de la population italienne paraît assez complexe. D’une part, il existait un petit nombre de familles implantées dans le pays depuis longue date, pour la plupart de confession juive, constituant la bourgeoisie locale qui occupait des positions de premier plan dans le secteur bancaire, le commerce et l’industrie, exerçant le métier d’avocat, de médecin ou de pharmacien. D’autre part, les masses arrivées par vagues successives de migrants constituaient un véritable prolétariat, travaillant dans l’agriculture, dans la pêche et l’industrie. Au fil des années, une classe moyenne s’était formée essentiellement d’artisans et de commerçants, répondant aux besoins de la population urbaine dans le domaine de l’alimentation (épiciers, bouchers, boulangers, glaciers), de l’habillement (couturières, blanchisseuses, cordonniers, modistes), ou de l’équipement domestique (menuisiers, tapissiers, peintres). Certains émigrés ont dirigé des entreprises prospères et rivalisé, par leur fortune, avec l’ancienne bourgeoisie.
Pendant longtemps, les Italiens continuaient à peupler la partie base de la médina, puis ont étendu la zone habitée sur les marges des vieux faubourgs de Bab Al-Jazira et Bab Al-Suwayqa. Lorsque la vieille ville devint trop étroite, les nouveaux venus s’installèrent au cœur de la ville moderne, dans un quartier qui fut aussitôt nommé la « Petite Sicile ». La Goulette, elle aussi, eut sa « Petite Sicile », peuplée essentiellement par des familles de pêcheurs originaires de cette île (environ 2 000 personnes). D’autres immigrés s’étaient établis dans divers quartiers de la ville. En 1911, plus de 2 000 vivaient à la Goulette, 330 environ à Maxula-Radès et 850 à Hammam-Lif.
Sous le protectorat français, les Italiens continuèrent à jouir des droits et des libertés qui leurs avaient été garantis par le traité italo-tunisien du 8 septembre 1868. En vertu de ce traité, les Italiens vivant en Tunisie conservaient leur nationalité d’origine et la transmettaient indéfiniment, de génération en génération, de iure sanguinis, (par le droit du sang). Ils avaient un libre accès à toutes les professions. Le traité leur reconnaissait le droit d’avoir leurs écoles, leurs journaux, leurs associations et leurs hôpitaux. Par-contre, lorsque l’appareil de justice français fut établi en Tunisie, les Italiens étaient devenus justiciables des tribunaux français, à partir de 1884. Nombre d’entre eux avaient sollicité la nationalité française par voie de naturalisation.
Les premières données précise sur la population maltaise de l’agglomération tunisoise ont été apportées par les dénombrements de 1906 et de 1911. Ainsi, en 1906, la ville comptait environ 5500 habitants maltais, la banlieue 400, alors qu’en 1911, presque 6 000 Maltais habitaient en ville. En revanche, le nombre de Maltais résidant dans la banlieue était resté stable.
A leur arrivée à Tunis, les Maltais se portaient souvent vers des activités qu’ils exerçaient dans leur pays. Ils étaient donc chevriers, charretier ou cochers. Ils fournissaient aussi une main-d’œuvre très appréciée pour toutes sortes de chantiers de construction ou dans l’industrie. Les plus entreprenants d’entre eux se sont trouvés à la tête de grandes entreprises commerciales et industrielles, d’autres furent propriétaires de grands magasins. Dans les premières années du XXe siècle, des Maltais exerçaient les professions libérales, notamment de médecin et d’avocat.
Sous le protectorat, les Maltais ont conservé le statut que leur assurait le traité du 19 juillet 1875 entre l’Angleterre et la Tunisie. Tout comme les Italiens, ils conservaient leur nationalité d’origine et avec celle-ci, leur qualité de sujets de Sa Majesté. Tout comme les Italiens, ils ont cessé de relever du consul de Grande Bretagne pour l’arbitrage de leurs conflits. La création des tribunaux français fut suivie de la suppression de la justice consulaire. A partir de 1884, comme tous les autres Européens, les Maltais devinrent donc justiciables des tribunaux français.
La population venue de Malte s’est établie aux confins de la vieille ville et de la ville moderne. La toponymie témoigne de leur présence, avec les rues des Maltais et la rue Malta Srira, « Petite Malte ». Elle était également implantée dans le faubourg nord, près de Bab El-Khadra. C’est non loin de là, près de la route de la Goulette, que les cochers maltais avaient leurs remises et leurs écuries. Ils n’ont cependant pas tardé à se mêler aux autres populations, dans la ville comme dans la banlieue, les clivages sociaux se substituant peu à peu aux clivages résultant de l’origine.
La répartition géographique des différentes communautés européennes à travers la ville est liée à la législation en vigueur, aux activités des populations, aux infrastructures et à l’expansion potentielle des habitations. De la Petite Sicile à la rue Petite Malte, à travers une véritable ville franque, les colonies européennes se sont côtoyés et crée progressivement des espaces d’échanges autant entre elles qu’avec la population autochtone. Comme le démontre l’exemple des Maltais, les différences ethniques ou culturelles se sont estompées avec le temps, laissant la place aux clivages sociaux.
Les communautés européennes de Tunis ont participé à la vie économique et culturelle de la ville, dans un premier temps dans le cadre des Capitulations, puis des différents traités internationaux définissant leurs statuts. A partir de 1864, en tant que sujets du Royaume d’Italie, les Siciliens bénéficiaient des mêmes droits que les autres sujets de la couronne italienne. Il en est de même pour les Maltais, sujets de la monarchie britannique. Ils jouissaient d’un privilège d’exterritorialité et conservaient leur nationalité d’origine de père en fils et étaient en mesure de créer des structures sociales, culturelles et éducatives au sein desquelles ils cultivaient leur identité. Si la force et l’essor des différentes colonies dépendaient de leur importance et de leur vivacité, le soutien politique et la puissance de leur pays d’origine jouaient un rôle primordial dans la négociation de leurs conditions de vie et dans leur prospérité.
Pour aller plus loin :
Tunis et Alger au XVIIIe siècle, Jean-Michel Venture de Paradis, mémoires et observations rassemblées par Joseph Cuocq, Paris, Sindbad, 1983
Les Européens en Tunisie au milieu du XIXe siècle (1840 - 1870), Cahiers de Tunisie, n°11, 1955
Tunis au XVIIe siècle : une cité barbaresque au temps de la course, Paul Sebag, Paris, l'Harmattan, 1989
… et comparer les deux communautés de Siciliens et de Maltais, dans le cas de la ville de Sousse, un article des Archives Ouvertes.
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