Question d'origine :
Bonjour
Qui est Peter Gelderloos ?
Quel est son parcours ?
Y a-t-il d’autres intellectuels et/ou activistes qui ont fait comme lui l’éloge de la contestation violente type Black Bloc ?
merci
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 02/09/2019 à 12h36
Bonjour,
Selon babelio.com,Peter Gelderloos , né à Morristown, New Jersey, en 1982, " est un philosophe libertaire, activiste et théoricien anarchiste.
Il est connu à travers le monde pour ses livres visant à exposer, sans langue de bois, les erreurs stratégiques des mouvements et luttes et sa volonté d'ouvrir le débat sur les sujets tels que l'utilisation légitime de la force et la fausse opposition violence/non-violence.
En 2005, il est notamment l'auteur de "Comment la non-violence protège l'État" (How Nonviolence Protects the State).
Loin de faire l'apologie d'une violence irraisonnée, ce livre déboulonne l’argumentaire fallacieux de ceux qui affirment que la non-violence est la seule méthode acceptable de lutte face à la violence du capitalisme et de l’État.
Il vit à Barcelone."
Le site voidnetwork.gr, nous apprend également que Gelderloos, a étudié la littérature, les langues étrangères et l'anthropologie à la James Madison University d'Harrisonburg, en Virginie, mais qu'il a "quitté l'université avant d'avoir obtenu ses diplômes", qu'il a été incarcéré six mois en 2001 après une manifestation contre l'école militaire des Amériques, un centre militaire situé aux États-Unis et formant des militaires et des forces de police policiers sud-américaines, et à l'origine de l'efficacité de pas mal de coups d'États - qu'il a soutenu des associations contre les violences policières, l'économie capitaliste ou encore la prolifération des armes.
Un tel activiste s'inscrit bien dans la lignée d'actions telles que celles desBlack Blocs , dont un article de francetvinfo.fr nous rappelle qu'ils ne sont en aucun cas une organisation, mais bien une tactique :
"S'il suscite beaucoup de fantasmes, le terme "black bloc" ne désigne en réalité qu'une méthode de manifestation mise au point par des militants de la gauche radicale et insurrectionnelle. Pendant les défilés auxquels ils participent, ces individus – d'abord dispersés dans le cortège – se vêtent de noir, se masquent le visage, puis se réunissent pour créer "une sorte d'énorme drapeau noir, tissé d'êtres humains", explique le politologue Francis Dupuis-Déri, auteur d'un livre remarqué sur le sujet, Les Black blocs : la liberté et l'égalité se manifestent (Lux, 2019). "Ils forment ainsi un bloc compact permettant à chacun de préserver son anonymat."
Les participants défilent alors derrière des banderoles aux slogans anticapitalistes ou anti-Etat. "Certains renforcent leurs banderoles avec des plaques de bois, ce qui nous permet de nous protéger des tirs de LBD et des coups de matraque", explique à franceinfo Isidore*, un militant anarcho-communiste de l'ouest de la France. Cette configuration permet aussi "d'éviter la fragmentation du bloc", indique une note du Centre de recherche de l'école des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN), ajoutant que, dans ce contexte, "l'interpellation d'un individu est rendue difficile voire impossible".
Sortons les livres d'histoire. Ce type de manifestation est né en Allemagne, au tout début des années 1980. Le Mur est toujours debout et, à Berlin-Ouest, des militants autonomes ont investi des squats. Quand les autorités tentent d'évacuer ces lieux, certains occupants creusent des tranchées, volent des bulldozers pour dresser des barricades et n'hésitent pas à en découdre avec la police. Pour ne pas être identifiés, les squatteurs manifestent en groupe, vêtus de noir et le visage dissimulé par un masque. Lors des procès, les juges parlent de "Schwarzer Block", "black bloc" en allemand.
Cette "tactique" se diffuse au sein du milieu anarcho-punk, via la musique et les fanzines. De petits black blocs apparaissent alors ponctuellement aux Etats-Unis et au Canada, jusqu'à un sommet de l'OMC à Seattle, en 1999. Les militants altermondialistes, qui tentent de bloquer le centre des congrès où se tient l'évènement, sont aspergés de gaz lacrymogène par la police. En réponse, un black bloc constitué de plusieurs centaines de manifestants affronte les forces de l'ordre et fracasse les vitrines des banques et des multinationales de la ville. Les images, spectaculaires, font le tour du monde. Les chaînes de télévision baptisent l'évènement "la bataille de Seattle" et évoquent des "saccages anarchistes"."
Pour autant, selon l'universitaire Sylvain Boulouque, la violence n'est pas ce qui caractérise les Black blocs :
"Dans l’imaginaire collectif, les manifestants Black Blocs sont nécessairement violents. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas, précise Sylvain Boulouque : "Ce qui les soude, c’est l’anticapitalisme, pas plus". Eux-mêmes "ne se considèrent pas comme révolutionnaires", explique Francis Dupuis-Deri dans son essai, et si violence il y a, "elle n’est pas meurtrière, mais plutôt symbolique". Le chercheur canadien a interrogé des militants dans cet essai, dont celui-ci, ayant souhaité rester anonyme :
Je suis un pacifiste, un non-violent. Mais le monde dans lequel je vis est violent et non pacifiste, et je considère qu'il est légitime pour moi d'utiliser la force pour ne pas laisser le monopole de la violence à l'État.
Cet argument sur les actes de violence pendant des manifestations a notamment été entendu lors du mouvement social contre la loi Travail en France, en 2016.
Pour Sylvain Boulouque, la violence des Black Blocs ne devrait pas cesser de sitôt. Il avance le nombre de 1500 à 2000 individus en France, qui seraient "prêts à participer" au mouvement. "Il n’y a absolument pas de raison que cela s’arrête", conclut-il, "puisqu’on est dans un jeu provocation-répression [entre la police et les manifestants Black Blocs ndlr]. Et plus la répression est forte, plus sa dénonciation risque d’être forte." Reste à voir si cette hypothèse se vérifiera lors du G7 à Biarritz, où 13200 policiers et gendarmes seront mobilisés.
(Source : arte.tv)
Peu d'intellectuels prônent à notre connaissance la lutte violente aujourd'hui. On peut citer le " comité invisible " auteur de l'essai L'insurrection qui vient, longtemps attribué au groupe de Tarnac et en particulier à Julien Coupat, qui partant des émeutes de 2005, s'intéresse aux moyens de canaliser un supposé "ras le bol" de la population dans le but de renverser le rapport de forces entre l'Etat et le peuple pour une révolution vue comme " inévitable ". On peut penser également aux auteur (anonymes eux aussi) du webzine Lundi matin. L'anonymat n'est pas surprenant, puisque selon l'article Article 433-10 du Code pénal, "La provocation directe à la rébellion, manifestée soit par des cris ou des discours publics, soit par des écrits affichés ou distribués, soit par tout autre moyen de transmission de l'écrit, de la parole ou de l'image, est punie de deux mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende."
Par ailleurs, la crise des "gilets jaunes", mouvement qui se caractérise par son refus de toute organisation verticale, a beaucoup divisé les intellectuels radicaux :
"Pour une partie de la gauche critique, qui se retrouve dans les analyses du Monde diplomatique, les « gilets jaunes » sont la manifestation de la nouvelle « lutte de classes en France », comme l'écrivent les journalistes Serge Halimi et Pierre Rimbert, le soulèvement du peuple insurgé auquel le gouvernement « fait la guerre », comme l'explique l'économiste Frédéric Lordon. Le philosophe Patrice Maniglier assuremême que le soulèvement des « gilets jaunes » est « le premier mouvement social français à manifester un authentique potentiel révolutionnaire » depuis Mai 68. Les « gilets jaunes » seraient l'étendard de toutes les colères, la bannière de toutes les révoltes contre Emmanuel Macron, dont le pouvoir est caractérisé par « l'alliance du flash-ball et des stock-options », écrit-il dans La Philosophie qui se fait, conversation avec Philippe Petit, (éd. Cerf, 2019, 542 pages, 24 euros).
Mais quelle révolution? La gauche radicale y perçoit, davantage que les anciennes jacqueries médiévales, certaines analogies avec la révolution de 1848, la Commune de Paris, la grande révolte du Midi de 1907 (Jean-Claude Michéa), Mai 68 (Ludivine Bantigny) ou le mouvement contre « la profitation » lancé en 2008 dans les départements d'outre-mer (Michelle Zancarini-Fournel). Mais la présence récurrente du drapeau tricolore, des bonnets phrygiens, de la guillotine, des cahiers de doléances et de la Marseillaise fait de la Révolution française la référence historique centrale.
L'historienne Sophie Wahnich explique que « la structure sociologique des mobilisations actuelles (...) correspond à celle des sans-culottes, en plus féminin » dans le livre collectif Le fond de l'air est jaune. Comprendre une révolte inédite, éd. Seuil, 224 pages, 14,50 euros). Une interprétation contestée par l'historien Guillaume Mazeau, selon qui les « gilets jaunes », majoritairement issus du monde rural, « ne ressemblent pas du tout aux sans-culottes » qui « provenaient surtout de l'artisanat et du petit commerce urbain, en particulier parisien » (« Gilets jaunes » : hypothèses sur un mouvement, La Découverte, 216 pages, 12 euros). En résumé, même si la Révolution est « une référence pour comprendre le mouvement », écrit-il, qui permet d'expliquer « le retournement de la violence subie » (Wahnich) ou la façon dont ces « invisibles » sont capables de « réouvrir les portes du futur » (Mazeau), comparaison n'est pas raison.
Et « tout ce qui bouge n'est pas rouge », ajoute le philosophe Alain Badiou, dans un texte à paraître. Une tribune à contre-courant de son « camp », particulièrement révélatrice du conflit des interprétations qui sévit au coeur de la radicalité savante et militante. Le mouvement des « gilets jaunes » n'est pas révolutionnaire, poursuit l'intellectuel communiste, à l'usage de « ceux qui sont toujours à l'affût d'un "mouvement" à se mettre sous la dent », il n'est même pas conservateur, mais bien « réactionnaire », comme l'était pour Marx, en 1848, la classe moyenne qui combattait la bourgeoisie. Car une légitime colère contre la vie chère ne rend pas mécaniquement une insurrection révolutionnaire. Et une révolution peut être aussi bien rouge que brune, sociale que nationale. Le soutien de Matteo Salvini (ministre italien de l'intérieur, d'extrême droite), les contacts pris par certains « gilets jaunes » avec Luigi di Maio (le vice-premier ministre italien et chef du mouvement « Cinq étoiles »), les diatribes de certaines figures emblématiques du mouvement ou les fausses informations sur le pacte de Marrakech, par exemple, en ont refroidi plus d'un. Sans compter les actes racistes, les propos sexistes et les slogans antisémites qui, même s'ils restent minoritaires, ont entaché le mouvement. Ou encore cette volonté de dépasser le clivage droite-gauche, au profit d'une opposition entre le peuple et les élites, caractéristique du populisme.
« Ce peuple fantasmé par la gauche est en fait un peuple de droite », résume le philosophe Michel Feher, auteur de Le Temps des investis. Essai sur la nouvelle question sociale (La Découverte, 2017). Et « si une partie de la gauche veut appuyer le pôle progressiste de ce mouvement, elle ne peut en aucun cas se passer de formuler une critique intransigeante de ce qu'il contient de revendications nationalistes et d'éléments d'extrême droite », tranchent les militants écologistes et antifascistes Sarah Kilani et Thomas Moreau (Le Monde, 15 décembre 2018). Car «l'émeute en elle-même n'est pas émancipatrice », soutient l'historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France (France Inter, 7 février), vertement critiqué par Gérard Noiriel, historien des mouvements populaires aux XIXe et XXe siècles, qui, sur son blog, lui reproche de n'avoir pas eu « un mot de compassion pour la misère sociale que ce mouvement a révélée; pas un mot pour condamner les violences policières qui ont profondément choqué l'opinion » (« Patrick Boucheron : un historien sans "gilet jaune" », Gérard Noiriel, sur le blog Le Populaire dans tous ses états, 11 février).
L'unanimisme apparent des intellectuels est en train de se fissurer. Une nouvelle ligne de partage semble se dessiner entre ceux qui estiment que le mouvement des « gilets jaunes » offre aux idéologues et commentateurs de tout poil une occasion inespérée de « vendre leur petite came identitaire ou insurrectionnelle », comme le dit Patrick Boucheron, et ceux qui, tel Gérard Noiriel, critiquent l'indifférence sociale « des élites intellectuelles . Par sa radicalité, le mouvement des « gilets jaunes » aura permis de souligner ces nouveaux clivages."
(Source : lemonde.fr)
C'est pourquoi beaucoup d'intellectuels radicaux ne croient pas aujourd'hui à la possibilité d'une révolution efficiente et organisée, comme Michel Onfray qui, tout en soutenant les récentes manifestations des Gilets jaunes, considère que "le cocktail Molotov balancé sur les CRS et la fronde pour leur envoyer des boulons, le taguage des bâtiments historiques et le pillage des boutiques de souvenirs, la destruction des vitrines des magasins de luxe ou le ravage des terrasses de café, la barre de fer et la batte de base-ball, tout cela sert à accélérer l’instauration de la justice sociale! C’est une pensée courte, simpliste et simplette, car cette violence ne contribue pas à l’avènement du Grand Soir, mais juste à la riposte violente du pouvoir qui s’en trouve d’autant légitimé qu’il invoque la protection des citoyens, sans parler de ses grandes invocations médiatiques de la République, de la démocratie et de la liberté en danger…"
(Source : les-crises.fr)
Pour aller plus loin :
- Comment la non-violence protège l'Etat [Livre] : essai sur l'inefficacité des mouvements sociaux / Peter Gelderloos ; préface Francis Dupuis-Déri ; traduction de Nicolas Casaux et Arthur Fontenay
- Révolution [Livre] / Ludivine Bantigny
- Et si la révolution était possible [Livre] / Denis Langlois
- Violences et répression dans la France moderne [Livre] / Yves-Marie Bercé
- Les Black Blocs [Livre] : la liberté et l'égalité se manifestent / Francis Dupuis-Déri
- Les oeuvres de Peter Gelderloos sur theanarchistlibrary.org (en anglais).
- Les "Black Blocs" et leur impact sur les autres acteurs du mouvement anti/altermondialiste au Québec : le cas du Sommet de Québec en 2001, mémoire de Félix Thérault-Bérubé sur umontreal.ca
- "La non-violence est-elle possible ?", article de Sylvie Laurent, sur laviedesidees.fr
Bonne journée.
Selon babelio.com,
Il est connu à travers le monde pour ses livres visant à exposer, sans langue de bois, les erreurs stratégiques des mouvements et luttes et sa volonté d'ouvrir le débat sur les sujets tels que l'utilisation légitime de la force et la fausse opposition violence/non-violence.
En 2005, il est notamment l'auteur de "Comment la non-violence protège l'État" (How Nonviolence Protects the State).
Loin de faire l'apologie d'une violence irraisonnée, ce livre déboulonne l’argumentaire fallacieux de ceux qui affirment que la non-violence est la seule méthode acceptable de lutte face à la violence du capitalisme et de l’État.
Il vit à Barcelone."
Le site voidnetwork.gr, nous apprend également que Gelderloos, a étudié la littérature, les langues étrangères et l'anthropologie à la James Madison University d'Harrisonburg, en Virginie, mais qu'il a "quitté l'université avant d'avoir obtenu ses diplômes", qu'il a été incarcéré six mois en 2001 après une manifestation contre l'école militaire des Amériques, un centre militaire situé aux États-Unis et formant des militaires et des forces de police policiers sud-américaines, et à l'origine de l'efficacité de pas mal de coups d'États - qu'il a soutenu des associations contre les violences policières, l'économie capitaliste ou encore la prolifération des armes.
Un tel activiste s'inscrit bien dans la lignée d'actions telles que celles des
"S'il suscite beaucoup de fantasmes, le terme "black bloc" ne désigne en réalité qu'une méthode de manifestation mise au point par des militants de la gauche radicale et insurrectionnelle. Pendant les défilés auxquels ils participent, ces individus – d'abord dispersés dans le cortège – se vêtent de noir, se masquent le visage, puis se réunissent pour créer "une sorte d'énorme drapeau noir, tissé d'êtres humains", explique le politologue Francis Dupuis-Déri, auteur d'un livre remarqué sur le sujet, Les Black blocs : la liberté et l'égalité se manifestent (Lux, 2019). "Ils forment ainsi un bloc compact permettant à chacun de préserver son anonymat."
Les participants défilent alors derrière des banderoles aux slogans anticapitalistes ou anti-Etat. "Certains renforcent leurs banderoles avec des plaques de bois, ce qui nous permet de nous protéger des tirs de LBD et des coups de matraque", explique à franceinfo Isidore*, un militant anarcho-communiste de l'ouest de la France. Cette configuration permet aussi "d'éviter la fragmentation du bloc", indique une note du Centre de recherche de l'école des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN), ajoutant que, dans ce contexte, "l'interpellation d'un individu est rendue difficile voire impossible".
Sortons les livres d'histoire. Ce type de manifestation est né en Allemagne, au tout début des années 1980. Le Mur est toujours debout et, à Berlin-Ouest, des militants autonomes ont investi des squats. Quand les autorités tentent d'évacuer ces lieux, certains occupants creusent des tranchées, volent des bulldozers pour dresser des barricades et n'hésitent pas à en découdre avec la police. Pour ne pas être identifiés, les squatteurs manifestent en groupe, vêtus de noir et le visage dissimulé par un masque. Lors des procès, les juges parlent de "Schwarzer Block", "black bloc" en allemand.
Cette "tactique" se diffuse au sein du milieu anarcho-punk, via la musique et les fanzines. De petits black blocs apparaissent alors ponctuellement aux Etats-Unis et au Canada, jusqu'à un sommet de l'OMC à Seattle, en 1999. Les militants altermondialistes, qui tentent de bloquer le centre des congrès où se tient l'évènement, sont aspergés de gaz lacrymogène par la police. En réponse, un black bloc constitué de plusieurs centaines de manifestants affronte les forces de l'ordre et fracasse les vitrines des banques et des multinationales de la ville. Les images, spectaculaires, font le tour du monde. Les chaînes de télévision baptisent l'évènement "la bataille de Seattle" et évoquent des "saccages anarchistes"."
Pour autant, selon l'universitaire Sylvain Boulouque, la violence n'est pas ce qui caractérise les Black blocs :
"Dans l’imaginaire collectif, les manifestants Black Blocs sont nécessairement violents. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas, précise Sylvain Boulouque : "Ce qui les soude, c’est l’anticapitalisme, pas plus". Eux-mêmes "ne se considèrent pas comme révolutionnaires", explique Francis Dupuis-Deri dans son essai, et si violence il y a, "elle n’est pas meurtrière, mais plutôt symbolique". Le chercheur canadien a interrogé des militants dans cet essai, dont celui-ci, ayant souhaité rester anonyme :
Je suis un pacifiste, un non-violent. Mais le monde dans lequel je vis est violent et non pacifiste, et je considère qu'il est légitime pour moi d'utiliser la force pour ne pas laisser le monopole de la violence à l'État.
Cet argument sur les actes de violence pendant des manifestations a notamment été entendu lors du mouvement social contre la loi Travail en France, en 2016.
Pour Sylvain Boulouque, la violence des Black Blocs ne devrait pas cesser de sitôt. Il avance le nombre de 1500 à 2000 individus en France, qui seraient "prêts à participer" au mouvement. "Il n’y a absolument pas de raison que cela s’arrête", conclut-il, "puisqu’on est dans un jeu provocation-répression [entre la police et les manifestants Black Blocs ndlr]. Et plus la répression est forte, plus sa dénonciation risque d’être forte." Reste à voir si cette hypothèse se vérifiera lors du G7 à Biarritz, où 13200 policiers et gendarmes seront mobilisés.
(Source : arte.tv)
Peu d'intellectuels prônent à notre connaissance la lutte violente aujourd'hui. On peut citer le " comité invisible " auteur de l'essai L'insurrection qui vient, longtemps attribué au groupe de Tarnac et en particulier à Julien Coupat, qui partant des émeutes de 2005, s'intéresse aux moyens de canaliser un supposé "ras le bol" de la population dans le but de renverser le rapport de forces entre l'Etat et le peuple pour une révolution vue comme " inévitable ". On peut penser également aux auteur (anonymes eux aussi) du webzine Lundi matin. L'anonymat n'est pas surprenant, puisque selon l'article Article 433-10 du Code pénal, "La provocation directe à la rébellion, manifestée soit par des cris ou des discours publics, soit par des écrits affichés ou distribués, soit par tout autre moyen de transmission de l'écrit, de la parole ou de l'image, est punie de deux mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende."
Par ailleurs, la crise des "gilets jaunes", mouvement qui se caractérise par son refus de toute organisation verticale, a beaucoup divisé les intellectuels radicaux :
"Pour une partie de la gauche critique, qui se retrouve dans les analyses du Monde diplomatique, les « gilets jaunes » sont la manifestation de la nouvelle « lutte de classes en France », comme l'écrivent les journalistes Serge Halimi et Pierre Rimbert, le soulèvement du peuple insurgé auquel le gouvernement « fait la guerre », comme l'explique l'économiste Frédéric Lordon. Le philosophe Patrice Maniglier assuremême que le soulèvement des « gilets jaunes » est « le premier mouvement social français à manifester un authentique potentiel révolutionnaire » depuis Mai 68. Les « gilets jaunes » seraient l'étendard de toutes les colères, la bannière de toutes les révoltes contre Emmanuel Macron, dont le pouvoir est caractérisé par « l'alliance du flash-ball et des stock-options », écrit-il dans La Philosophie qui se fait, conversation avec Philippe Petit, (éd. Cerf, 2019, 542 pages, 24 euros).
Mais quelle révolution? La gauche radicale y perçoit, davantage que les anciennes jacqueries médiévales, certaines analogies avec la révolution de 1848, la Commune de Paris, la grande révolte du Midi de 1907 (Jean-Claude Michéa), Mai 68 (Ludivine Bantigny) ou le mouvement contre « la profitation » lancé en 2008 dans les départements d'outre-mer (Michelle Zancarini-Fournel). Mais la présence récurrente du drapeau tricolore, des bonnets phrygiens, de la guillotine, des cahiers de doléances et de la Marseillaise fait de la Révolution française la référence historique centrale.
L'historienne Sophie Wahnich explique que « la structure sociologique des mobilisations actuelles (...) correspond à celle des sans-culottes, en plus féminin » dans le livre collectif Le fond de l'air est jaune. Comprendre une révolte inédite, éd. Seuil, 224 pages, 14,50 euros). Une interprétation contestée par l'historien Guillaume Mazeau, selon qui les « gilets jaunes », majoritairement issus du monde rural, « ne ressemblent pas du tout aux sans-culottes » qui « provenaient surtout de l'artisanat et du petit commerce urbain, en particulier parisien » (« Gilets jaunes » : hypothèses sur un mouvement, La Découverte, 216 pages, 12 euros). En résumé, même si la Révolution est « une référence pour comprendre le mouvement », écrit-il, qui permet d'expliquer « le retournement de la violence subie » (Wahnich) ou la façon dont ces « invisibles » sont capables de « réouvrir les portes du futur » (Mazeau), comparaison n'est pas raison.
Et « tout ce qui bouge n'est pas rouge », ajoute le philosophe Alain Badiou, dans un texte à paraître. Une tribune à contre-courant de son « camp », particulièrement révélatrice du conflit des interprétations qui sévit au coeur de la radicalité savante et militante. Le mouvement des « gilets jaunes » n'est pas révolutionnaire, poursuit l'intellectuel communiste, à l'usage de « ceux qui sont toujours à l'affût d'un "mouvement" à se mettre sous la dent », il n'est même pas conservateur, mais bien « réactionnaire », comme l'était pour Marx, en 1848, la classe moyenne qui combattait la bourgeoisie. Car une légitime colère contre la vie chère ne rend pas mécaniquement une insurrection révolutionnaire. Et une révolution peut être aussi bien rouge que brune, sociale que nationale. Le soutien de Matteo Salvini (ministre italien de l'intérieur, d'extrême droite), les contacts pris par certains « gilets jaunes » avec Luigi di Maio (le vice-premier ministre italien et chef du mouvement « Cinq étoiles »), les diatribes de certaines figures emblématiques du mouvement ou les fausses informations sur le pacte de Marrakech, par exemple, en ont refroidi plus d'un. Sans compter les actes racistes, les propos sexistes et les slogans antisémites qui, même s'ils restent minoritaires, ont entaché le mouvement. Ou encore cette volonté de dépasser le clivage droite-gauche, au profit d'une opposition entre le peuple et les élites, caractéristique du populisme.
« Ce peuple fantasmé par la gauche est en fait un peuple de droite », résume le philosophe Michel Feher, auteur de Le Temps des investis. Essai sur la nouvelle question sociale (La Découverte, 2017). Et « si une partie de la gauche veut appuyer le pôle progressiste de ce mouvement, elle ne peut en aucun cas se passer de formuler une critique intransigeante de ce qu'il contient de revendications nationalistes et d'éléments d'extrême droite », tranchent les militants écologistes et antifascistes Sarah Kilani et Thomas Moreau (Le Monde, 15 décembre 2018). Car «
L'unanimisme apparent des intellectuels est en train de se fissurer. Une nouvelle ligne de partage semble se dessiner entre ceux qui estiment que le mouvement des « gilets jaunes » offre aux idéologues et commentateurs de tout poil une occasion inespérée de « vendre leur petite came identitaire ou insurrectionnelle », comme le dit Patrick Boucheron, et ceux qui, tel Gérard Noiriel, critiquent l'indifférence sociale « des élites intellectuelles . Par sa radicalité, le mouvement des « gilets jaunes » aura permis de souligner ces nouveaux clivages."
(Source : lemonde.fr)
C'est pourquoi beaucoup d'intellectuels radicaux ne croient pas aujourd'hui à la possibilité d'une révolution efficiente et organisée, comme Michel Onfray qui, tout en soutenant les récentes manifestations des Gilets jaunes, considère que "le cocktail Molotov balancé sur les CRS et la fronde pour leur envoyer des boulons, le taguage des bâtiments historiques et le pillage des boutiques de souvenirs, la destruction des vitrines des magasins de luxe ou le ravage des terrasses de café, la barre de fer et la batte de base-ball, tout cela sert à accélérer l’instauration de la justice sociale! C’est une pensée courte, simpliste et simplette, car cette violence ne contribue pas à l’avènement du Grand Soir, mais juste à la riposte violente du pouvoir qui s’en trouve d’autant légitimé qu’il invoque la protection des citoyens, sans parler de ses grandes invocations médiatiques de la République, de la démocratie et de la liberté en danger…"
(Source : les-crises.fr)
- Comment la non-violence protège l'Etat [Livre] : essai sur l'inefficacité des mouvements sociaux / Peter Gelderloos ; préface Francis Dupuis-Déri ; traduction de Nicolas Casaux et Arthur Fontenay
- Révolution [Livre] / Ludivine Bantigny
- Et si la révolution était possible [Livre] / Denis Langlois
- Violences et répression dans la France moderne [Livre] / Yves-Marie Bercé
- Les Black Blocs [Livre] : la liberté et l'égalité se manifestent / Francis Dupuis-Déri
- Les oeuvres de Peter Gelderloos sur theanarchistlibrary.org (en anglais).
- Les "Black Blocs" et leur impact sur les autres acteurs du mouvement anti/altermondialiste au Québec : le cas du Sommet de Québec en 2001, mémoire de Félix Thérault-Bérubé sur umontreal.ca
- "La non-violence est-elle possible ?", article de Sylvie Laurent, sur laviedesidees.fr
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