Serf en fuite, au Moyen Age
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 11/09/2019 à 17h26
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Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerais savoir s'il est vrai qu'au XII° siècle, un serf qui fuirait la terre de son seigneur et se réfugierait dans une ville serait déclaré libre au bout d'un an et un jour, si ledit seigneur ne l'avait pas rattrapé ?
Et durant ce laps de temps, pourrait-il être employé comme manoeuvre sur le chantier d'une cathédrale (Notre-Dame de Paris dans le cas qui m'intéresse) ? Devrait-il cacher d'où il vient à son employeur ou bien la ville était-elle considérée comme terre d'asile pour les serfs en fuite ?
Merci pour vos réponses, toujours si documentées !
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 13/09/2019 à 13h23
Bonjour,
Cette période de un an et un jour ne s’appliquait pas partout : c’est notamment la charte de Lorris, promulguée par Louis VI en 1134, qui permet aux serfs réfugiés dans certaines villes du royaume de s’affranchir au bout d’un an et un jour :
« La charte de Lorris est promulguée en 1134 par le roi de France Louis VI le Gros (1108-1137). Elle donne à Lorris « privilèges et franchises » connus sous le nom de coutumes, ce qui fait de Lorris la première commune libre de France. »
Source : Wikipedia
« La pression démographique, qui ne cesse d’augmenter durant le XIIe siècle, risque d’accroître encore les revendications paysannes et, phénomène tout aussi inquiétant, de provoquer un exode massif vers d’autres horizons – les villes notamment – alors même qu’elle impose la mise en culture de nouvelles terres. Or, tout, dans la charte octroyée naguère par Louis VI le Gros aux habitants de Lorris, est fait pour permettre aux populations rurales d’exploiter le sol en toute liberté et au meilleur rendement. Anciens habitants et nouveaux hôtes sont juridiquement libres et peuvent donc aller et venir, quitter la seigneurie, aliéner leurs biens comme bon leur semble. Tout serf en fuite d’une autre seigneurie et fixé à Lorris pendant un an et un jour « sans qu’aucune réclamation l’y ait poursuivi y demeurera libre et tranquille ». »
Source : Louis VII, Yves Sassier
Louis VII étend les coutumes de Lorris à d’autres villes, situées dans les régions du centre du royaume à partir de 1155.
Il semble, d’après les informations que nous trouvons dans Histoire de la civilisation française d’Alfred Rambaud, que Paris ait bénéficié du même régime, toutefois l’extrait consulté ne fournit pas de dates qui nous permettraient de situer précisément la période concernée, et surtout son commencement :
« Région du centre : la charte de Lorris
Entre le midi, qui est le pays des municipalités consulaires, et le nord, qui est celui des communes jurées, s’étend une région où l’on ne trouve pas de républiques souveraines. Cela tient surtout à ce que, dans cette région, domine le roi de France. Il a été assez fort pour empêcher presque toujours l’émancipation complète, assez sage pour accorder aux bourgeois les libertés les plus indispensables. Les villes de cette région n’ont ni magistrats élus, ni beffroi, ni sceau communal. Leurs milices sont commandées, les impôts sont perçus, la justice est rendue par des officiers du roi. Seulement l’ancien arbitraire dans les impôts et dans la justice a cessé. Les habitants jouissent de chartes octroyées, qui leur assurent des garanties contre l’oppression. Le modèle de ces chartes est celle qui fut octroyée par Louis VII à la petite ville de Lorris et qui a ensuite été concédée à près de trois cents villes ou bourgs de l’Ile-de-France, de l’Orléanais, du Berry, de la Touraine.
Les anciens vilains, dans ces centres privilégiés, sont maintenant des bourgeois : les bourgeois du roi. Ces villes sont les « bonnes villes » du roi. Quels sont les avantages que leur garantit la charte de Lorris ? D’abord les corvées que les habitants doivent au prince sont rigoureusement déterminées : « Que nul homme de Lorris, dit la charte, ne fasse pour nous de corvée, si ce n’est pour amener notre vin à Orléans, et non ailleurs. » Ensuite on limite la durée du crédit que les fournisseurs sont tenus d’ouvrir au roi. On réduit les amendes de justice, les douanes, les péages, le droit de cuisson au four banal, le droit de guet. On ne fera jamais sortir les bourgeois de leur ville pour être jugés. On ne les retiendra point en prison avant le jugement, s’ils peuvent donner caution. Ils ne seront point tenus de subir l’épreuve du combat judiciaire. On ne forcera pas leur milice à s’éloigner de plus d’une demi-journée de chemin. En outre, on leur accorde des privilèges qui aideront à la prospérité et à l’accroissement de la ville : un serf qui aura passé un an et un jour dans la ville, sans être réclamé par son maître, acquerra la liberté.
C’étaient là de précieux avantages. Puisque la sûreté de ces villes était garantie par le roi, leurs citoyens n’avaient pas à regretter le droit souverain de paix et de guerre. Ils pouvaient ne pas envier la liberté orageuse, les luttes intestines, les compétitions électorales des cités du midi ou des communes du nord.
La charte de Lorris fut jugée si avantageuse à la fois par les seigneurs et par les vilains, que nous la voyons se propager hors des limites du domaine royal, pénétrer en Bourgogne et dans les provinces françaises du roi d’Angleterre. Les libertés de Lorris seront considérées, au XVIe siècle, comme « les plus anciennes, fameuses et renommées coutumes qu’aucunes autres en France ». Paris, pendant longtemps, n’eut qu’un régime semblable à celui-là.
Des constitutions analogues étaient établies dans tout le centre : Bourbonnais, Auvergne, Nivernais. »
(version numérisée de l’ouvrage disponible dans archive.org)
Notons qu’une disposition similaire était appliquée en Normandie, où les serfs ont contribué à l’expansion de villes comme Rouen :
« Une loi de Guillaume-le-Conquérant, confirmée par Henri I, avait beaucoup contribué à briser les liens des serfs, et à leur ouvrir les portes des villes. Elle était conçue en ces termes : « Si un serf reste un an et un jour sans être réclamé, dans nos villes ou dans nos bourgs entourés de murs ou dans nos châteaux, il sera libre et délivré pour toujours du joug de la servitude. » Combien de serfs durent profiter de la protection des cités, et chercher dans leurs murs un asile où ils pussent se dérober à leurs maîtres, et échapper à l’esclavage ! A la faveur de la protection des bourgeois, il était facile de se soustraire aux poursuites des seigneurs, et les habitants des villes surent seconder, dans leur propre intérêt, la fuite des serfs. Il en résulta, pour les cités de Normandie en général, et spécialement pour Rouen, un accroissement considérable de population. Plus tard, Henri II confirma encore la loi de Guillaume-le-Conquérant, et son grand justicier, Glanville, déclara positivement, dans son Traité des Coutumes, que, si un serf passait tranquillement un an et un jour dans une ville privilégiée, et était reçu par les bourgeois dans leur ghilde, il serait affranchi. Favorisés par les lois, les serfs cherchèrent en grand nombre un refuge dans les villes, et l’accroissement de la population rouennaise continua pendant tout le cours du XIIe siècle. »
Source : Histoire de Rouen pendant l'époque communale 1150-1382, Pierre Adolphe Chéruel
Un serf réfugié à Paris aurait-il pu participer à la construction de Notre-Dame ? On peut en effet le supposer. Même sans expérience, il aurait pu se faire embaucher comme manœuvre ou homme de corvée, recruté sur place à la journée, avant, peut-être, de devenir apprenti :
« Sur le chantier pharaonique, où en moyenne 300 hommes s’affairent chaque jour, les ouvriers sont regroupés par spécialité autour d’un maître. Ici, pas question de polyvalence. On ne taille pas des pierres le matin pour participer à la charpente l’après-midi. A l’exception des métiers du bas de l’échelle, tous sont hyperspécialisés.Les manœuvres et hommes de corvées sont recrutés sur place et payés à la journée. Ils sont chargés des tâches les plus ingrates et physiquement éprouvantes : l’eau, la chaux, le sable, le bois, les énormes blocs rocheux, ce sont eux qui les transportent. Peu considérés, ils ne peuvent changer de statut qu’en «entrant dans un métier» reconnu, tailleur de pierre, maçon, charpentier ou verrier... Ces compagnons sont tous des spécialistes hors pair qui gardent secrètes leurs recettes. Dès qu’ils le peuvent, ils se retrouvent dans leur loge, une cabane de bois située à quelques mètres de la construction. Là, protégés des regards, ils se partagent le travail ou se reposent entre deux corvées. Ils transmettent aussi les gestes du métier aux futurs compagnons dont l’apprentissage dure cinq ans. »
Source : Le quotidien d'un ouvrier sur le chantier de Notre-Dame, capital.fr
Bonne journée.
Cette période de un an et un jour ne s’appliquait pas partout : c’est notamment la charte de Lorris, promulguée par Louis VI en 1134, qui permet aux serfs réfugiés dans certaines villes du royaume de s’affranchir au bout d’un an et un jour :
« La charte de Lorris est promulguée en 1134 par le roi de France Louis VI le Gros (1108-1137). Elle donne à Lorris « privilèges et franchises » connus sous le nom de coutumes, ce qui fait de Lorris la première commune libre de France. »
Source : Wikipedia
« La pression démographique, qui ne cesse d’augmenter durant le XIIe siècle, risque d’accroître encore les revendications paysannes et, phénomène tout aussi inquiétant, de provoquer un exode massif vers d’autres horizons – les villes notamment – alors même qu’elle impose la mise en culture de nouvelles terres. Or, tout, dans la charte octroyée naguère par Louis VI le Gros aux habitants de Lorris, est fait pour permettre aux populations rurales d’exploiter le sol en toute liberté et au meilleur rendement. Anciens habitants et nouveaux hôtes sont juridiquement libres et peuvent donc aller et venir, quitter la seigneurie, aliéner leurs biens comme bon leur semble. Tout serf en fuite d’une autre seigneurie et fixé à Lorris pendant un an et un jour « sans qu’aucune réclamation l’y ait poursuivi y demeurera libre et tranquille ». »
Source : Louis VII, Yves Sassier
Louis VII étend les coutumes de Lorris à d’autres villes, situées dans les régions du centre du royaume à partir de 1155.
Il semble, d’après les informations que nous trouvons dans Histoire de la civilisation française d’Alfred Rambaud, que Paris ait bénéficié du même régime, toutefois l’extrait consulté ne fournit pas de dates qui nous permettraient de situer précisément la période concernée, et surtout son commencement :
« Région du centre : la charte de Lorris
Entre le midi, qui est le pays des municipalités consulaires, et le nord, qui est celui des communes jurées, s’étend une région où l’on ne trouve pas de républiques souveraines. Cela tient surtout à ce que, dans cette région, domine le roi de France. Il a été assez fort pour empêcher presque toujours l’émancipation complète, assez sage pour accorder aux bourgeois les libertés les plus indispensables. Les villes de cette région n’ont ni magistrats élus, ni beffroi, ni sceau communal. Leurs milices sont commandées, les impôts sont perçus, la justice est rendue par des officiers du roi. Seulement l’ancien arbitraire dans les impôts et dans la justice a cessé. Les habitants jouissent de chartes octroyées, qui leur assurent des garanties contre l’oppression. Le modèle de ces chartes est celle qui fut octroyée par Louis VII à la petite ville de Lorris et qui a ensuite été concédée à près de trois cents villes ou bourgs de l’Ile-de-France, de l’Orléanais, du Berry, de la Touraine.
Les anciens vilains, dans ces centres privilégiés, sont maintenant des bourgeois : les bourgeois du roi. Ces villes sont les « bonnes villes » du roi. Quels sont les avantages que leur garantit la charte de Lorris ? D’abord les corvées que les habitants doivent au prince sont rigoureusement déterminées : « Que nul homme de Lorris, dit la charte, ne fasse pour nous de corvée, si ce n’est pour amener notre vin à Orléans, et non ailleurs. » Ensuite on limite la durée du crédit que les fournisseurs sont tenus d’ouvrir au roi. On réduit les amendes de justice, les douanes, les péages, le droit de cuisson au four banal, le droit de guet. On ne fera jamais sortir les bourgeois de leur ville pour être jugés. On ne les retiendra point en prison avant le jugement, s’ils peuvent donner caution. Ils ne seront point tenus de subir l’épreuve du combat judiciaire. On ne forcera pas leur milice à s’éloigner de plus d’une demi-journée de chemin. En outre, on leur accorde des privilèges qui aideront à la prospérité et à l’accroissement de la ville : un serf qui aura passé un an et un jour dans la ville, sans être réclamé par son maître, acquerra la liberté.
C’étaient là de précieux avantages. Puisque la sûreté de ces villes était garantie par le roi, leurs citoyens n’avaient pas à regretter le droit souverain de paix et de guerre. Ils pouvaient ne pas envier la liberté orageuse, les luttes intestines, les compétitions électorales des cités du midi ou des communes du nord.
La charte de Lorris fut jugée si avantageuse à la fois par les seigneurs et par les vilains, que nous la voyons se propager hors des limites du domaine royal, pénétrer en Bourgogne et dans les provinces françaises du roi d’Angleterre. Les libertés de Lorris seront considérées, au XVIe siècle, comme « les plus anciennes, fameuses et renommées coutumes qu’aucunes autres en France ». Paris, pendant longtemps, n’eut qu’un régime semblable à celui-là.
Des constitutions analogues étaient établies dans tout le centre : Bourbonnais, Auvergne, Nivernais. »
(version numérisée de l’ouvrage disponible dans archive.org)
Notons qu’une disposition similaire était appliquée en Normandie, où les serfs ont contribué à l’expansion de villes comme Rouen :
« Une loi de Guillaume-le-Conquérant, confirmée par Henri I, avait beaucoup contribué à briser les liens des serfs, et à leur ouvrir les portes des villes. Elle était conçue en ces termes : « Si un serf reste un an et un jour sans être réclamé, dans nos villes ou dans nos bourgs entourés de murs ou dans nos châteaux, il sera libre et délivré pour toujours du joug de la servitude. » Combien de serfs durent profiter de la protection des cités, et chercher dans leurs murs un asile où ils pussent se dérober à leurs maîtres, et échapper à l’esclavage ! A la faveur de la protection des bourgeois, il était facile de se soustraire aux poursuites des seigneurs, et les habitants des villes surent seconder, dans leur propre intérêt, la fuite des serfs. Il en résulta, pour les cités de Normandie en général, et spécialement pour Rouen, un accroissement considérable de population. Plus tard, Henri II confirma encore la loi de Guillaume-le-Conquérant, et son grand justicier, Glanville, déclara positivement, dans son Traité des Coutumes, que, si un serf passait tranquillement un an et un jour dans une ville privilégiée, et était reçu par les bourgeois dans leur ghilde, il serait affranchi. Favorisés par les lois, les serfs cherchèrent en grand nombre un refuge dans les villes, et l’accroissement de la population rouennaise continua pendant tout le cours du XIIe siècle. »
Source : Histoire de Rouen pendant l'époque communale 1150-1382, Pierre Adolphe Chéruel
Un serf réfugié à Paris aurait-il pu participer à la construction de Notre-Dame ? On peut en effet le supposer. Même sans expérience, il aurait pu se faire embaucher comme manœuvre ou homme de corvée, recruté sur place à la journée, avant, peut-être, de devenir apprenti :
« Sur le chantier pharaonique, où en moyenne 300 hommes s’affairent chaque jour, les ouvriers sont regroupés par spécialité autour d’un maître. Ici, pas question de polyvalence. On ne taille pas des pierres le matin pour participer à la charpente l’après-midi. A l’exception des métiers du bas de l’échelle, tous sont hyperspécialisés.
Source : Le quotidien d'un ouvrier sur le chantier de Notre-Dame, capital.fr
Bonne journée.
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