Amour et amitié
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 14/09/2019 à 13h53
996 vues
Question d'origine :
Pourquoi est-il acceptable dans la plupart des sociétés que les relations amicales ne soient pas exclusives, mais qu'il n'en soit pas de même pour les relations amoureuses ? Pourquoi faut-il être fidèle à une seul partenaire amoureux contrairement au nombre d'amis qui peuvent être illimités ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 17/09/2019 à 12h33
Bonjour,
Vous vous interrogez sur la monogamie, seule forme « socialement acceptable » de la relation romantique, du moins dans la société occidentale actuelle. Avant de nous intéresser aux différences qui séparent la relation romantique de la relation amicale, penchons-nous plus particulièrement sur la monogamie et ses origines.
Dans l’histoire de l’humanité et ses différentes cultures, la monogamie n’est pas nécessairement le modèle le plus répandu. Et même au sein d’une culture monogame, la "stricte" monogamie ne serait en fait pas la norme. C’est ce qu’explique Meg Barker, sexologue et professeure de psychologie au Royaume-Uni :
« "Si l'on remonte le temps et les cultures, on observe une grande diversité de relations, de structures et de règles", écrit-elle dans le Guardian (en anglais).
"Il y a davantage de sociétés polygames que monogames (…) et dans les sociétés monogames, la non-monogamie cachée ou le fait de connaître plusieurs relations monogames dans une vie sont en fait la norme", ajoute la psychologue. Et de citer l'exemple des couples libres, des familles recomposées ou encore des couples homosexuels, qui éloignent le comportement humain de la stricte monogamie de très rares espèces animales, où un mâle et une femelle sont ensemble jusqu'à ce que la mort les sépare. »
Source : Pourquoi sommes-nous devenus monogames ? francetvinfo.fr
Dans son article du Guardian, Meg Barker poursuit son analyse :
« The basis of western partner relationships has shifted over the past century from pragmatic and economic concerns to an overwhelming emphasis on romantic love. There have been related shifts in living arrangements from extended to nuclear families, and with increasing numbers of people living alone and not having children. Of course the recent extension of marriage to same-sex couples reflects another change which research on male/female relationships alone will struggle to inform. Increasing gender equality is a further shift which has a huge impact on how we now conduct relationships. The internet too raises new questions around what counts as sexual or emotional fidelity. With new technology there has been a proliferation of forms of open non-monogamy: hook-up culture, friends with benefits, monogamish relationships, polyamory, and relationship anarchy, to name but a few.
Turning to psychological elements, we find that people experience their relationships in a diversity of ways, even within one culture or community. Ask people their reasons for getting married, or swinging, or having an affair, and you will get a wide range of responses. For example, some openly non-monogamous people emphasise their individual freedom or hedonistic pleasure; some have political reasons to do with the patriarchal and capitalist history of monogamous marriage; some feel it is an inherent part of their being, akin to a sexual identity; some wish to connect with multiple people, to find a sense of belonging, or to avoid the risks inherent in pressurising one relationship to meet all of their needs.
We need to get beyond our cultural obsession with what is "natural" when it comes to human relationships, and the common assumption that this equates to what is "normal" and also to what is "good". Instead we should turn our attention to the diversity of ways in which humans connect, and ask ethical questions about how we relate to each other in a world of ever-changing relationship rules. »
Traduction :
Au cours du siècle dernier, la base des relations de couple occidentales est passée de préoccupations pragmatiques et économiques à une importance primordiale accordée à l'amour romantique. Il y a eu des changements connexes dans les modes de vie des familles élargies aux familles nucléaires et avec le nombre croissant de personnes vivant seules et n'ayant pas d'enfants. Bien entendu, l’extension récente du mariage aux couples de même sexe reflète un autre changement que les recherches sur les relations hommes / femmes auront de la peine à informer seules. L'augmentation de l'égalité des sexes est un autre changement qui a un impact considérable sur la manière dont nous conduisons maintenant les relations. Internet aussi soulève de nouvelles questions sur ce qui compte comme fidélité sexuelle ou émotionnelle. Avec les nouvelles technologies, on assiste à une prolifération de formes de non-monogamie ouverte: culture de l’aventure sans lendemain, sexfriend, couple libre, polyamour et anarchie relationnelle, pour n'en citer que quelques-unes.
En ce qui concerne les éléments psychologiques, nous constatons que les personnes vivent leurs relations de différentes manières, même au sein d’une même culture ou d’une même communauté. Demandez aux gens les raisons pour lesquelles ils se marient, pratiquent le sexe libre ou ont une liaison, vous obtiendrez un large éventail de réponses. Par exemple, certaines personnes ouvertement non monogames soulignent leur liberté individuelle ou leur plaisir hédoniste; certains ont des raisons politiques à voir avec l'histoire patriarcale et capitaliste du mariage monogame; certains pensent que cela fait partie de leur être, comme une identité sexuelle; certains souhaitent établir des liens avec plusieurs personnes, trouver un sentiment d'appartenance ou éviter les risques inhérents à la mise sous pression d'une relation qui ne peut répondre à tous leurs besoins.
Nous devons dépasser notre obsession culturelle avec ce qui est "naturel" en ce qui concerne les relations humaines et l'hypothèse courante selon laquelle cela équivaut à ce qui est "normal" et aussi à ce qui est "bon". Au lieu de cela, nous devrions nous concentrer sur la diversité des relations entre les êtres humains et nous poser des questions éthiques sur la manière dont nous interagissons dans un monde où les règles relationnelles évoluent sans cesse.
Qu’est-ce qui a amené l’humanité à opter pour la monogamie ? Chez les animaux, ce sont souvent des facteurs environnementaux qui favorisent les comportements monogames, et en particulier l’accès limité aux ressources :
« Il est certain que dans la nature, le régime le plus fréquent est la polygynie, c’est-à-dire l’association d’un seul mâle avec plusieurs femelles. Depuis les années 1960, les tenants de l’écologie comportementale analysent l’organisation sociale de la reproduction en partant de l’asymétrie fondamentale entre le potentiel reproducteur des mâles et celui des femelles. Du fait qu’un seul spermatozoïde est nécessaire pour féconder un ovule, chaque mâle est a priori capable de féconder un grand nombre de femelles. À l’inverse, une femelle ne gagne rien à multiplier les partenaires sexuels puisqu’un seul et unique mâle peut suffire à fertiliser les ovules qu’elle produit à chaque épisode de reproduction.
Comment expliquer cependant que la monogamie soit présente, certes en moindre proportion, chez une large gamme d’espèces, des invertébrés aux vertébrés ? Chez les termites par exemple, les colonies sont fondées par un unique couple de reproducteurs. Pourquoi la polygynie ne constitue-t-elle pas le seul modèle d’association ? En fait, chez plusieurs espèces, les mâles sont assujettis à la monogamie pour des raisons d’ordre économique, les ressources essentielles à la survie n’étant pas réparties de façon à permettre le regroupement des femelles. Lorsque les ressources sont rares dans l’environnement, les femelles sont conduites à se disperser pour pouvoir les exploiter. Il devient alors impossible pour un mâle de contrôler, face à ses rivaux, un espace suffisamment riche en ressources pour accueillir l’ensemble des femelles et les progénitures à venir. Les mâles ne peuvent donc être polygynes que si les conditions environnementales l’autorisent. D’autre part, certaines contraintes anatomiques peuvent canaliser la monogamie au cours de l’évolution. C’est ainsi que 95 % des oiseaux sont socialement monogames, contre environ 5 % des mammifères. Cette différence s’explique facilement : chez les mammifères, la gestation dans le ventre de la mère et l’allaitement allègent les mâles de leur contribution aux soins parentaux. Pour les oiseaux, il en est tout autrement : si le mâle ne participe pas à l’incubation des œufs, il y a toutes les chances pour que la couvée échoue, par exemple lorsque la femelle devra l’abandonner pour aller se nourrir. C’est le succès de la reproduction qui est alors en jeu. »
Source : La monogamie est-elle naturelle ? Frank Cézilly, Sciences Humaines n° 188 - Décembre 2007
Quant aux humains, il semble que les causes soient encore une fois liées aux contraintes économiques :
« La monogamie n’est guère de mise chez les espèces de primates qui se trouvent être les plus proches de l’espèce humaine d’un point de vue phylogénétique. Ni les chimpanzés, ni les bonobos, qui sont les descendants actuels des espèces de primates dont la lignée qui a conduit à l’humain s’est irrémédiablement séparée il y a environ cinq millions d’années, ne sont monogames. Il en va de même de ces autres lointains cousins que sont les gorilles et les orang-outans […].
Cinq millions d’années d’évolution humaine représentent cependant un nombre de générations assez conséquent pour que des changements adaptatifs se produisent. Il reste donc possible d’imaginer que la monogamie se soit substituée à la très probable polygynie des ancêtres communs à l’homme et aux chimpanzés, après la séparation entre les deux groupes. Mais où et quand ? C’est là que les avis divergent. Certains conçoivent une hypothétique adoption d’un régime d’appariement monogame par nos ancêtres hominidés comme un événement fondateur de l’espèce humaine, au même titre que la bipédie […]. Mais ce n’est à l’évidence pas l’avis de la psychologie évolutionniste, qui considère à l’inverse que la polygynie était la règle tout au long du Pléistocène (c’est-à-dire entre environ 1,8 million d’années et 10 000 ans avant notre ère), période au cours de laquelle le psychisme humain se serait modelé […]. Un critère régulièrement invoqué pour juger du degré de monogamie ou de polygynie de nos ancêtres hominidés est l’étendue du dimorphisme sexuel. D’une manière générale, on constate parmi les espèces animales une association étroite entre dimorphisme sexuel et régime d’appariement. Chez les espèces monogames où la compétition entre mâles est limitée, le dimorphisme sexuel est typiquement modéré. Cette règle est assez bien respectée par les primates, d’où l’idée que le dimorphisme sexuel mesuré chez les australopithèques puisse servir d’indice pour juger du caractère ancestral ou non de la monogamie. Malheureusement (ou heureusement), les choses ne sont pas si simples. Et ce pour deux raisons majeures. D’une part les considérations sur l’étendue du dimorphisme sexuel des hominidés sont sujettes à caution. Sur la base d’un même échantillon il est possible de conclure à l’existence d’un dimorphisme similaire à celui observé chez l’homme moderne […], ou au contraire largement supérieur […]. D’autre part, notre reconstruction de l’évolution de l’homme n’est pas à ce point parfaite qu’il nous soit possible de connaître nos ancêtres directs parmi la diversité des espèces appartenant au genre Australopithecus. Le dimorphisme semble cependant s’atténuer au cours des quatre derniers millions d’années, mais ce n’est pas là le seul changement directionnel majeur observable au sein des lignées d’où provient l’homme moderne […] : il faut y ajouter un triplement du volume cérébral et un quasi-doublement de la période de développement. Quant au dimorphisme sexuel des humains d’aujourd’hui, il convient d’abord de noter qu’il varie entre populations […] sans pour autant pouvoir le corréler à une variation dans le régime d’appariement. En comparaison des primates, les différences de stature entre hommes et femmes sont plus marquées que celles couramment observées chez les espèces de primates monogames, mais bien inférieures à celles mesurées chez les anthropoïdes polygynes.
Certaines données génétiques tendent à valider l’hypothèse d’une transition de la polygynie vers la monogamie au sein de l’espèce humaine il y a environ 5 à 10 000 ans […], avec cependant un certain degré de variation entre les populations vivant sous les tropiques et celle vivant plus au nord, variation qui pourrait être liée à des différences entre populations dans le mode dominant d’exploitation des ressources […]. La prédominance de la polygynie jusqu’à une période relativement récente est peut-être aussi à rapprocher de la tendance des groupes humains à manifester une philopatrie mâle, c’est-à-dire une tendance plus forte des mâles que des femelles à demeurer au sein de leur groupe natal une fois atteint l’âge reproducteur […]. Si l’existence d’un fort degré d’apparentement entre certains mâles au sein des groupes sociaux a pu jouer un rôle déterminant dans la constitution d’alliances, particulièrement efficace lors des conflits entre groupes, elle a pu aussi favoriser une polygynie de type clanique au sein des groupes. L’augmentation de la taille des groupes humains, jointe à la différenciation des tâches issue du développement technologique, aurait petit à petit imposé un fonctionnement plus égalitaire entraînant une diminution du nombre d’hommes polygynes au sein des populations humaines […]. La complexité du phénomène est encore augmentée par le découplage entre monogamie sociale et monogamie sexuelle.
Au final, il est bien difficile de délivrer à l’espèce humaine un certificat biologique d’authenticité monogame. Cette difficulté tient pour beaucoup au fait que la monogamie n’est pas à proprement parler un trait biologique, à l’égal du nombre de dents, de la taille de la portée ou du nombre de neurones dans le cerveau. La monogamie, considérée au niveau des individus, serait certainement mieux appréhendée en tant que tableau comportemental polymorphe, c’est-à-dire sous la forme d’une suite de traits dont tous ne sont éventuellement pas présents, ou du moins pas exprimés avec la même intensité, chez toutes les espèces considérées comme monogames, voire même chez tous les individus d’une même espèce.La monogamie, en tant que régime d’appariement, c’est-à-dire en tant qu’état caractéristique majoritaire d’une espèce ou d’une population, reste avant tout une solution à un problème économique, chez l’homme ou chez l’animal […]. Or, précisément, le phénomène de convergence évolutive atteste de la capacité des espèces à aboutir à un même état en empruntant des chemins différents. D’où la limite d’un raisonnement privilégiant une stricte homologie. »
Source : Homme et animal, la question des frontières, Valérie Camos, Franck Cézilly, Pierre Guenancia...
(Chapitre 2 : « La monogamie humaine est-elle « naturelle » ? » Frank Cézilly)
Les humains ne sont donc pas plus « naturellement » monogames que polygames :
« Au bout du compte, la caractéristique essentielle du psychisme humain pourrait bien tenir à la formidable plasticité de notre système nerveux, qui loin de figer nos conduites, permettrait plutôt un ajustement continu à l’environnement physique et social. De ce point de vue, l’espèce humaine ne serait pas plus disposée biologiquement à être monogame, polygyne ou polyandre mais aurait la capacité de s’accommoder de chacun de ces régimes d’appariement en fonction des contraintes économiques du moment. C’est peut-être même là une des raisons de la formidable expansion écologique de l’espèce humaine au cours de son histoire évolutive et peut-être une piste d’intérêt à explorer en matière de démarcation entre l’homme et l’animal. »
Source : Homme et animal, la question des frontières, Valérie Camos, Franck Cézilly, Pierre Guenancia...
(Chapitre 2 : « La monogamie humaine est-elle « naturelle » ? » Frank Cézilly)
Et l’amour dans tout ça ? Vous l’aurez remarqué, les raisons profondes qui ont imposé la monogamie (ou la polygamie) comme modèle sociétal n’ont que très peu à voir avec la romance ou le désir.
Arrivés ici, des points de définition nous paraissent nécessaires : qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce qui distingue le sentiment amoureux (amour romantique) de l’amitié ?
Il est délicat de fournir une définition simple de l’amour ou de l’amitié, quand les définitions de ces deux notions sont aussi nombreuses que les philosophes qui les ont énoncées ! Néanmoins, nous avons choisi de nous appuyer sur le Dictionnaire de philosophie de Christian Godin, qui définit l’amour comme un «sentiment d’une intensité particulière qui porte un être vers un autre être », tandis que l’amitié est « une affection réciproque liant deux personnes et relation résultant de cette affection ».
On voit donc qu’il y a une différence d’intensité entre ces deux sentiments ; par ailleurs, l’amour peut ne pas être réciproque, à la différence de l’amitié.
Notons également que chez les grecs, « amour » peut traduire trois formes bien distinctes :
« Le terme amour traduit trois mots grecs érôs, philia et agapè. Amour est à la fois plus et moins que chacun d’eux. Mais érôs (la dimension sexuelle), philia (la dimension sociale), et agapê (la dimension morale et religieuse) peuvent être considérés comme des composantes plus ou moins importantes et actives de l’amour. »
Source : Dictionnaire de philosophie, Christian Godin
Vos relations avec les autres, ou les sentiments que vous leur portez, peuvent donc comprendre, dans des proportions variables, ces trois dimensions de l’amour.
Enfin nous en arrivons à votre question : peut-on être amoureux de plusieurs personnes simultanément, de la même manière qu’un sentiment d’amitié nous lie à plusieurs personnes à la fois ?
Tout dépend, finalement, de ce que vous mettez derrière ce terme d’amour. Si vous entendez « amour » au sens d’érôs pur, alors sans aucun doute, vous pouvez « aimer » plusieurs personnes à la fois. Mais les choses se compliquent un peu dès lors qu’on entre dans une dimension plus profonde de l’amour ou de l’affection.
Le sentiment amoureux, de par son intensité, est peut-être difficile à distribuer aussi généreusement que l’amitié, qui réclame un engagement moindre. Pour reprendre les trois degrés définis par Descartes : « l’affection (qui nous fait aimer l’objet moins que soi), l’amitié (qui nous fait aimer l’objet à l’égal de soi) et la dévotion (qui nous fait aimer l’objet davantage que soi) », à notre sens le « grand amour » romantique se situe plutôt au niveau de la dévotion… Ceci étant dit, l’amitié que vous éprouvez pour votre meilleur.e ami.e sera peut-être plus profonde (et proche de la dévotion) que l’amour que vous éprouvez pour votre partenaire romantique du moment, que vous avez rencontré il y a une semaine !
Ainsi, qu’il soit romantique ou non, platonique ou non, c’est, nous semble-t-il, la profondeur du sentiment qui vous lie à l'autre plutôt que sa nature qui définira votre niveau d’engagement et de fidélité dans la relation…
Bonne journée.
Vous vous interrogez sur la monogamie, seule forme « socialement acceptable » de la relation romantique, du moins dans la société occidentale actuelle. Avant de nous intéresser aux différences qui séparent la relation romantique de la relation amicale, penchons-nous plus particulièrement sur la monogamie et ses origines.
Dans l’histoire de l’humanité et ses différentes cultures, la monogamie n’est pas nécessairement le modèle le plus répandu. Et même au sein d’une culture monogame, la "stricte" monogamie ne serait en fait pas la norme. C’est ce qu’explique Meg Barker, sexologue et professeure de psychologie au Royaume-Uni :
« "Si l'on remonte le temps et les cultures, on observe une grande diversité de relations, de structures et de règles", écrit-elle dans le Guardian (en anglais).
"
Source : Pourquoi sommes-nous devenus monogames ? francetvinfo.fr
Dans son article du Guardian, Meg Barker poursuit son analyse :
« The basis of western partner relationships has shifted over the past century from pragmatic and economic concerns to an overwhelming emphasis on romantic love. There have been related shifts in living arrangements from extended to nuclear families, and with increasing numbers of people living alone and not having children. Of course the recent extension of marriage to same-sex couples reflects another change which research on male/female relationships alone will struggle to inform. Increasing gender equality is a further shift which has a huge impact on how we now conduct relationships. The internet too raises new questions around what counts as sexual or emotional fidelity. With new technology there has been a proliferation of forms of open non-monogamy: hook-up culture, friends with benefits, monogamish relationships, polyamory, and relationship anarchy, to name but a few.
Turning to psychological elements, we find that people experience their relationships in a diversity of ways, even within one culture or community. Ask people their reasons for getting married, or swinging, or having an affair, and you will get a wide range of responses. For example, some openly non-monogamous people emphasise their individual freedom or hedonistic pleasure; some have political reasons to do with the patriarchal and capitalist history of monogamous marriage; some feel it is an inherent part of their being, akin to a sexual identity; some wish to connect with multiple people, to find a sense of belonging, or to avoid the risks inherent in pressurising one relationship to meet all of their needs.
We need to get beyond our cultural obsession with what is "natural" when it comes to human relationships, and the common assumption that this equates to what is "normal" and also to what is "good". Instead we should turn our attention to the diversity of ways in which humans connect, and ask ethical questions about how we relate to each other in a world of ever-changing relationship rules. »
Traduction :
Au cours du siècle dernier, la base des relations de couple occidentales est passée de préoccupations pragmatiques et économiques à une importance primordiale accordée à l'amour romantique. Il y a eu des changements connexes dans les modes de vie des familles élargies aux familles nucléaires et avec le nombre croissant de personnes vivant seules et n'ayant pas d'enfants. Bien entendu, l’extension récente du mariage aux couples de même sexe reflète un autre changement que les recherches sur les relations hommes / femmes auront de la peine à informer seules. L'augmentation de l'égalité des sexes est un autre changement qui a un impact considérable sur la manière dont nous conduisons maintenant les relations. Internet aussi soulève de nouvelles questions sur ce qui compte comme fidélité sexuelle ou émotionnelle. Avec les nouvelles technologies, on assiste à une prolifération de formes de non-monogamie ouverte: culture de l’aventure sans lendemain, sexfriend, couple libre, polyamour et anarchie relationnelle, pour n'en citer que quelques-unes.
En ce qui concerne les éléments psychologiques, nous constatons que les personnes vivent leurs relations de différentes manières, même au sein d’une même culture ou d’une même communauté. Demandez aux gens les raisons pour lesquelles ils se marient, pratiquent le sexe libre ou ont une liaison, vous obtiendrez un large éventail de réponses. Par exemple, certaines personnes ouvertement non monogames soulignent leur liberté individuelle ou leur plaisir hédoniste; certains ont des raisons politiques à voir avec l'histoire patriarcale et capitaliste du mariage monogame; certains pensent que cela fait partie de leur être, comme une identité sexuelle; certains souhaitent établir des liens avec plusieurs personnes, trouver un sentiment d'appartenance ou éviter les risques inhérents à la mise sous pression d'une relation qui ne peut répondre à tous leurs besoins.
Nous devons dépasser notre obsession culturelle avec ce qui est "naturel" en ce qui concerne les relations humaines et l'hypothèse courante selon laquelle cela équivaut à ce qui est "normal" et aussi à ce qui est "bon". Au lieu de cela, nous devrions nous concentrer sur la diversité des relations entre les êtres humains et nous poser des questions éthiques sur la manière dont nous interagissons dans un monde où les règles relationnelles évoluent sans cesse.
Qu’est-ce qui a amené l’humanité à opter pour la monogamie ? Chez les animaux, ce sont souvent des facteurs environnementaux qui favorisent les comportements monogames, et en particulier l’accès limité aux ressources :
« Il est certain que dans la nature, le régime le plus fréquent est la polygynie, c’est-à-dire l’association d’un seul mâle avec plusieurs femelles. Depuis les années 1960, les tenants de l’écologie comportementale analysent l’organisation sociale de la reproduction en partant de l’asymétrie fondamentale entre le potentiel reproducteur des mâles et celui des femelles. Du fait qu’un seul spermatozoïde est nécessaire pour féconder un ovule, chaque mâle est a priori capable de féconder un grand nombre de femelles. À l’inverse, une femelle ne gagne rien à multiplier les partenaires sexuels puisqu’un seul et unique mâle peut suffire à fertiliser les ovules qu’elle produit à chaque épisode de reproduction.
Comment expliquer cependant que la monogamie soit présente, certes en moindre proportion, chez une large gamme d’espèces, des invertébrés aux vertébrés ? Chez les termites par exemple, les colonies sont fondées par un unique couple de reproducteurs. Pourquoi la polygynie ne constitue-t-elle pas le seul modèle d’association ? En fait, chez plusieurs espèces, les mâles sont assujettis à la monogamie pour des raisons d’ordre économique, les ressources essentielles à la survie n’étant pas réparties de façon à permettre le regroupement des femelles. Lorsque les ressources sont rares dans l’environnement, les femelles sont conduites à se disperser pour pouvoir les exploiter. Il devient alors impossible pour un mâle de contrôler, face à ses rivaux, un espace suffisamment riche en ressources pour accueillir l’ensemble des femelles et les progénitures à venir. Les mâles ne peuvent donc être polygynes que si les conditions environnementales l’autorisent. D’autre part, certaines contraintes anatomiques peuvent canaliser la monogamie au cours de l’évolution. C’est ainsi que 95 % des oiseaux sont socialement monogames, contre environ 5 % des mammifères. Cette différence s’explique facilement : chez les mammifères, la gestation dans le ventre de la mère et l’allaitement allègent les mâles de leur contribution aux soins parentaux. Pour les oiseaux, il en est tout autrement : si le mâle ne participe pas à l’incubation des œufs, il y a toutes les chances pour que la couvée échoue, par exemple lorsque la femelle devra l’abandonner pour aller se nourrir. C’est le succès de la reproduction qui est alors en jeu. »
Source : La monogamie est-elle naturelle ? Frank Cézilly, Sciences Humaines n° 188 - Décembre 2007
Quant aux humains, il semble que les causes soient encore une fois liées aux contraintes économiques :
« La monogamie n’est guère de mise chez les espèces de primates qui se trouvent être les plus proches de l’espèce humaine d’un point de vue phylogénétique. Ni les chimpanzés, ni les bonobos, qui sont les descendants actuels des espèces de primates dont la lignée qui a conduit à l’humain s’est irrémédiablement séparée il y a environ cinq millions d’années, ne sont monogames. Il en va de même de ces autres lointains cousins que sont les gorilles et les orang-outans […].
Cinq millions d’années d’évolution humaine représentent cependant un nombre de générations assez conséquent pour que des changements adaptatifs se produisent. Il reste donc possible d’imaginer que la monogamie se soit substituée à la très probable polygynie des ancêtres communs à l’homme et aux chimpanzés, après la séparation entre les deux groupes. Mais où et quand ? C’est là que les avis divergent. Certains conçoivent une hypothétique adoption d’un régime d’appariement monogame par nos ancêtres hominidés comme un événement fondateur de l’espèce humaine, au même titre que la bipédie […]. Mais ce n’est à l’évidence pas l’avis de la psychologie évolutionniste, qui considère à l’inverse que la polygynie était la règle tout au long du Pléistocène (c’est-à-dire entre environ 1,8 million d’années et 10 000 ans avant notre ère), période au cours de laquelle le psychisme humain se serait modelé […]. Un critère régulièrement invoqué pour juger du degré de monogamie ou de polygynie de nos ancêtres hominidés est l’étendue du dimorphisme sexuel. D’une manière générale, on constate parmi les espèces animales une association étroite entre dimorphisme sexuel et régime d’appariement. Chez les espèces monogames où la compétition entre mâles est limitée, le dimorphisme sexuel est typiquement modéré. Cette règle est assez bien respectée par les primates, d’où l’idée que le dimorphisme sexuel mesuré chez les australopithèques puisse servir d’indice pour juger du caractère ancestral ou non de la monogamie. Malheureusement (ou heureusement), les choses ne sont pas si simples. Et ce pour deux raisons majeures. D’une part les considérations sur l’étendue du dimorphisme sexuel des hominidés sont sujettes à caution. Sur la base d’un même échantillon il est possible de conclure à l’existence d’un dimorphisme similaire à celui observé chez l’homme moderne […], ou au contraire largement supérieur […]. D’autre part, notre reconstruction de l’évolution de l’homme n’est pas à ce point parfaite qu’il nous soit possible de connaître nos ancêtres directs parmi la diversité des espèces appartenant au genre Australopithecus. Le dimorphisme semble cependant s’atténuer au cours des quatre derniers millions d’années, mais ce n’est pas là le seul changement directionnel majeur observable au sein des lignées d’où provient l’homme moderne […] : il faut y ajouter un triplement du volume cérébral et un quasi-doublement de la période de développement. Quant au dimorphisme sexuel des humains d’aujourd’hui, il convient d’abord de noter qu’il varie entre populations […] sans pour autant pouvoir le corréler à une variation dans le régime d’appariement. En comparaison des primates, les différences de stature entre hommes et femmes sont plus marquées que celles couramment observées chez les espèces de primates monogames, mais bien inférieures à celles mesurées chez les anthropoïdes polygynes.
Certaines données génétiques tendent à valider l’hypothèse d’une transition de la polygynie vers la monogamie au sein de l’espèce humaine il y a environ 5 à 10 000 ans […], avec cependant un certain degré de variation entre les populations vivant sous les tropiques et celle vivant plus au nord, variation qui pourrait être liée à des différences entre populations dans le mode dominant d’exploitation des ressources […]. La prédominance de la polygynie jusqu’à une période relativement récente est peut-être aussi à rapprocher de la tendance des groupes humains à manifester une philopatrie mâle, c’est-à-dire une tendance plus forte des mâles que des femelles à demeurer au sein de leur groupe natal une fois atteint l’âge reproducteur […]. Si l’existence d’un fort degré d’apparentement entre certains mâles au sein des groupes sociaux a pu jouer un rôle déterminant dans la constitution d’alliances, particulièrement efficace lors des conflits entre groupes, elle a pu aussi favoriser une polygynie de type clanique au sein des groupes. L’augmentation de la taille des groupes humains, jointe à la différenciation des tâches issue du développement technologique, aurait petit à petit imposé un fonctionnement plus égalitaire entraînant une diminution du nombre d’hommes polygynes au sein des populations humaines […]. La complexité du phénomène est encore augmentée par le découplage entre monogamie sociale et monogamie sexuelle.
Au final, il est bien difficile de délivrer à l’espèce humaine un certificat biologique d’authenticité monogame. Cette difficulté tient pour beaucoup au fait que la monogamie n’est pas à proprement parler un trait biologique, à l’égal du nombre de dents, de la taille de la portée ou du nombre de neurones dans le cerveau. La monogamie, considérée au niveau des individus, serait certainement mieux appréhendée en tant que tableau comportemental polymorphe, c’est-à-dire sous la forme d’une suite de traits dont tous ne sont éventuellement pas présents, ou du moins pas exprimés avec la même intensité, chez toutes les espèces considérées comme monogames, voire même chez tous les individus d’une même espèce.
Source : Homme et animal, la question des frontières, Valérie Camos, Franck Cézilly, Pierre Guenancia...
(Chapitre 2 : « La monogamie humaine est-elle « naturelle » ? » Frank Cézilly)
Les humains ne sont donc pas plus « naturellement » monogames que polygames :
« Au bout du compte, la caractéristique essentielle du psychisme humain pourrait bien tenir à la formidable plasticité de notre système nerveux, qui loin de figer nos conduites, permettrait plutôt un ajustement continu à l’environnement physique et social. De ce point de vue, l’espèce humaine ne serait pas plus disposée biologiquement à être monogame, polygyne ou polyandre mais aurait la capacité de s’accommoder de chacun de ces régimes d’appariement en fonction des contraintes économiques du moment. C’est peut-être même là une des raisons de la formidable expansion écologique de l’espèce humaine au cours de son histoire évolutive et peut-être une piste d’intérêt à explorer en matière de démarcation entre l’homme et l’animal. »
Source : Homme et animal, la question des frontières, Valérie Camos, Franck Cézilly, Pierre Guenancia...
(Chapitre 2 : « La monogamie humaine est-elle « naturelle » ? » Frank Cézilly)
Et l’amour dans tout ça ? Vous l’aurez remarqué, les raisons profondes qui ont imposé la monogamie (ou la polygamie) comme modèle sociétal n’ont que très peu à voir avec la romance ou le désir.
Arrivés ici, des points de définition nous paraissent nécessaires : qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce qui distingue le sentiment amoureux (amour romantique) de l’amitié ?
Il est délicat de fournir une définition simple de l’amour ou de l’amitié, quand les définitions de ces deux notions sont aussi nombreuses que les philosophes qui les ont énoncées ! Néanmoins, nous avons choisi de nous appuyer sur le Dictionnaire de philosophie de Christian Godin, qui définit l’amour comme un «
On voit donc qu’il y a une différence d’intensité entre ces deux sentiments ; par ailleurs, l’amour peut ne pas être réciproque, à la différence de l’amitié.
Notons également que chez les grecs, « amour » peut traduire trois formes bien distinctes :
« Le terme amour traduit trois mots grecs érôs, philia et agapè. Amour est à la fois plus et moins que chacun d’eux. Mais érôs (la dimension sexuelle), philia (la dimension sociale), et agapê (la dimension morale et religieuse) peuvent être considérés comme des composantes plus ou moins importantes et actives de l’amour. »
Source : Dictionnaire de philosophie, Christian Godin
Vos relations avec les autres, ou les sentiments que vous leur portez, peuvent donc comprendre, dans des proportions variables, ces trois dimensions de l’amour.
Enfin nous en arrivons à votre question : peut-on être amoureux de plusieurs personnes simultanément, de la même manière qu’un sentiment d’amitié nous lie à plusieurs personnes à la fois ?
Tout dépend, finalement, de ce que vous mettez derrière ce terme d’amour. Si vous entendez « amour » au sens d’érôs pur, alors sans aucun doute, vous pouvez « aimer » plusieurs personnes à la fois. Mais les choses se compliquent un peu dès lors qu’on entre dans une dimension plus profonde de l’amour ou de l’affection.
Le sentiment amoureux, de par son intensité, est peut-être difficile à distribuer aussi généreusement que l’amitié, qui réclame un engagement moindre. Pour reprendre les trois degrés définis par Descartes : « l’affection (qui nous fait aimer l’objet moins que soi), l’amitié (qui nous fait aimer l’objet à l’égal de soi) et la dévotion (qui nous fait aimer l’objet davantage que soi) », à notre sens le « grand amour » romantique se situe plutôt au niveau de la dévotion… Ceci étant dit, l’amitié que vous éprouvez pour votre meilleur.e ami.e sera peut-être plus profonde (et proche de la dévotion) que l’amour que vous éprouvez pour votre partenaire romantique du moment, que vous avez rencontré il y a une semaine !
Ainsi, qu’il soit romantique ou non, platonique ou non, c’est, nous semble-t-il, la profondeur du sentiment qui vous lie à l'autre plutôt que sa nature qui définira votre niveau d’engagement et de fidélité dans la relation…
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter