Question d'origine :
Bonjour,
Je finis un voyage en Crète, où je suis passée par le village d'Aradéna, qui m'a beaucoup intriguée. On y trouve surtout des ruines assez récentes (panier de basket dans une cour, organisation du jardin encore visible...) avec des chats partout, un temple un minuscule cimetièreavec 3/4 tombes, un pont vertigineux surplombant les magnifiques gorges éponymes, un café et quelques maisons qui semblent encore utilisées. Alors que le pont a semble t il été construit dans les années 80, le village aurait été déserté avant, à priori suite à une vendetta familiale, d'après un site internet. Pourriez-vous dénicher plus d'informations sur l'histoire de ce village et pourquoi il a été abandonné ? Le tout donne une impression fantomatique très curieuse.
Merci
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 05/11/2019 à 12h43
Bonjour,
Difficile de trouver des sources pour vous répondre. Les livres consacrés à la Crète dans notre collection sont essentiellement des guides touristiques ou des monographies archéologiques ou artistiques sur les Minoens ; aucun de ceux que nous avons pu consulter – du Routard au Lonely planet en passant par le Michelin et le guide Géo – ne s’attarde à expliquer les raisons de la désertion du village.
On trouve en revanche quelques sources – touristiques également – en ligne, et en anglais. Cette courte description de la tragédie, par exemple :
“ The village of Aradena itself is a tourist attraction. It is an abandoned village. Around the year 1947 all inhabitants left their small municipality. Two families had held a vendetta in Aradena. Several villagers were murdered. The rest of the villagers moved out of fear. Only the church has been renovated since then, all other houses have deteriorated into ruins in the last 70 years.”
(Source: crete-guide.info)
Soit, traduit par nos soins :
« Le village d’Aradena est en soi une attraction touristique. C’est un village fantôme. Vers1947 tous les habitants ont quitté leur petite commune. Deux familles avaient entamé une vendetta à Aradena. Plusieurs villageois furent assassinés. Effrayés, les autres déménagèrent. Seul l’église a été rénovée depuis, tous les autres bâtiments sont lentement tombé en ruines au cours des 70 dernières années. »
Un article un peu plus détaillé :
« Since 1947 no one lives in the village of Aradena after two boys in the village had a fight over a goat bell, which ultimately resulted in a vendetta and the death of nearly all residents. The few people who survived moved to nearby Anopolis.
[…]
Aradena is the site of the ancient Greek city that was called Aradin. It was a settlement in the Roman, Byzantine and Venetian period. Both Anopolis and Aradin were destroyed by the Ottoman Turks. Ruins of the ancient Aradin are to be found near the village of Aradena. ”
(angelfire.com)
“Plus personne ne vit au village d’Aradena depuis qu’en 1947 deux garçons du village se disputèrent une cloche de chèvre, dispute d’où résulta une vendetta qui provoqua la mort de presque tous les habitants. Les quelques survivants déménagèrent au village voisin d’Anopoli.
[…]
Aradena est situé sur le site de l’ancienne cité grecque d’Aradin. Le village fut également habité durant les périodes romaine, byzantine et vénitienne. Anopoli et Aradin furent tous les deux détruits par les Ottomans. On trouve des ruines de l’Aradin ancien près du village d’Aradena. »
Voici pour les quelques éléments d’histoire.
Le seul article un peu détaillé que nous ayons pu dénicher est lisible sur cretablog.gr – en grec.
Du fait des limites de notre maîtrise de la langue de Kazantzakis, nous avons eu recours à un traducteur automatique. Voici tout de même la teneur de l’article :
« Aradena est un village du dème de Sfakia, en Crète. C’est une destination touristique en raison de la gorge et du pont du même nom. Le recensement de 1881 dénombrait 124 habitants. La population monta à 700 habitants jusqu’aux années 1950, date à laquelle le village été complètement déserté à cause d’une vendetta lancée en 1948 pour une cloche de bouc.
La Vendetta est un vestige d'un passé lointain qui tire ses racines de l'Antiquité et de certaines codifications rudimentaires du droit en vigueur. Ce sont essentiellement des meurtres ou des peurs motivés par la vengeance pour un autre meurtre, le vol et même une insulte.
La vendetta crétoise est un phénomène courant, comme le veut la coutume, et survit encore aujourd'hui comme l'une des manifestations les plus caractéristiques de la particularité crétoise.
La "loi du sang" existe toujours. Aradaina, […] est un exemple frappant. Elle est déserte à cause d'une vendetta apparemment insignifiante.
L'histoire est la suivante: un petit garçon qui vivait dans ce petit hameau pittoresque a trouvé une cloche de chèvre. Son propriétaire s'est rendu chez lui pour la lui demander, et la conversation a mal tourné.
On dit que cette vendetta a laissé sept morts et ceux qui ont survécu ont quitté Aradena pour ne pas continuer le mal. »
Ajoutons que selon le guide de Loraine Wilson The High Mountains of Crete (extrait consulté sur Google Livres) le pont « Bailey » - structure métallique préfabriquée – fut offert dans les années 1980 à la « communauté de Saint Jean » (nous pensons qu’il s’agit d’un monastère à proximité) par quatre frères issus du village et ayant fait fortune dans l’huile d’olive. Selon d’autres guides consultés, son installation eut lieu en 1986.
Il n’est pas surprenant que les informations soient lacunaires sur un épisode de vendetta, si on en croit l’ethnologue Aris Tsantiropoulos :
« La raison en est que dans la vendetta règne ce que les médias appellent “la loi du silence”. Les gens ne parlent même pas entre eux des meurtres de vendetta commis par leurs parents ou de ceux dont leurs parents ont été victimes. En outre, nous constatons une attitude ambivalente dans la façon dont les Crétois apprécient le phénomène. D’une part, ils prétendent que les vendettas ont anéanti des familles entières et, d’autre part, ils reconnaissent que ceux qui, à cause de la vendetta, ont été obligés de s’éloigner des limites étroites et des mentalités de leur village pour emménager soit à l’étranger, soit dans des villes lointaines afin de fuir la vengeance, ont pu réussir leur vie2. Cette même attitude ambivalente et inconstante vis-à-vis de la vengeance régit aussi toute la tragédie grecque, dont elle constitue la substance même. »
(Source : « La vendetta en Crète contemporaine », in
Afti inè i Kriti ! Identités, altérités et figures crétoises , article consultable sur openedition.org)
Nous vous conseillons vivement la lecture de cet article qui décrit la vendetta non comme un simple événement ponctuel mais une tradition structurant tous les rapports sociaux dans le cadre clanique de la Crète centrale : l’auteur y ajoute, également, que le silence entourant les meurtres à répétition s’explique par le fait qu’un crime rappelé oblige un membre de la famille de la victime à en commettre un.
De là à considérer la Crète comme la Sicile grecque, il n’y a qu’un pas, qu’un article du Figaro de mars 2009 nous inciterait à sauter avec la souplesse d’un cabri local :
« Deux familles crétoises engagées depuis des années dans une sanglante vendetta se sont à nouveau affrontées ce week-end, faisant un mort, quatre blessés et deux arrestations.
Les deux clans ont repris les hostilités samedi dans leur village de Pervolakia, près de La Canée, au nord-ouest de la Crète, après un échange d'insultes autour d'un feu de broussailles, allumé par les uns et gênant les autres, a précisé une source policière.
Les armes ont vite parlé, tuant un jeune de 25 ans, blessant légèrement deux autres hommes et provoquant l'intervention de la police, qui a arrêté deux suspects du meurtre.
Des proches de ces derniers se sont du coup rué au dispensaire où le mort venait d'être transféré pour y poignarder sa mère et son beau-frère, qui ont dû être hospitalisés, a raconté le chef de la police de la Canée, Aristidis Kazalis.
"Ces deux familles sont engagées depuis de longues années dans des différends qui ont déjà fait des morts des deux côtés", le dernier en date, un septuagénaire, dans les années 90, a-t-il affirmé.
D'importantes forces de police avaient été déployées dimanche dans le village, pour empêcher la poursuite des représailles.
Longtemps tolérée par les autorités, la tradition de la vendetta reste vivace en Crète, nourrie par la possession généralisée d'armes à feu, hors de toute légalité. »
Notez qu’Aris Tsantiropoulos, apparait dans le documentaire de Christian Argentino La Vengeance en Héritage (2017). Nous n’avons malheureusement pu visionner celui-ci.
Έχετε μια ωραία μέρα.
Difficile de trouver des sources pour vous répondre. Les livres consacrés à la Crète dans notre collection sont essentiellement des guides touristiques ou des monographies archéologiques ou artistiques sur les Minoens ; aucun de ceux que nous avons pu consulter – du Routard au Lonely planet en passant par le Michelin et le guide Géo – ne s’attarde à expliquer les raisons de la désertion du village.
On trouve en revanche quelques sources – touristiques également – en ligne, et en anglais. Cette courte description de la tragédie, par exemple :
“ The village of Aradena itself is a tourist attraction. It is an abandoned village. Around the year 1947 all inhabitants left their small municipality. Two families had held a vendetta in Aradena. Several villagers were murdered. The rest of the villagers moved out of fear. Only the church has been renovated since then, all other houses have deteriorated into ruins in the last 70 years.”
(Source: crete-guide.info)
Soit, traduit par nos soins :
« Le village d’Aradena est en soi une attraction touristique. C’est un village fantôme. Vers
Un article un peu plus détaillé :
« Since 1947 no one lives in the village of Aradena after two boys in the village had a fight over a goat bell, which ultimately resulted in a vendetta and the death of nearly all residents. The few people who survived moved to nearby Anopolis.
[…]
Aradena is the site of the ancient Greek city that was called Aradin. It was a settlement in the Roman, Byzantine and Venetian period. Both Anopolis and Aradin were destroyed by the Ottoman Turks. Ruins of the ancient Aradin are to be found near the village of Aradena. ”
(angelfire.com)
“Plus personne ne vit au village d’Aradena depuis qu’en 1947 deux garçons du village se disputèrent une cloche de chèvre, dispute d’où résulta une vendetta qui provoqua la mort de presque tous les habitants. Les quelques survivants déménagèrent au village voisin d’Anopoli.
[…]
Aradena est situé sur le site de l’ancienne cité grecque d’Aradin. Le village fut également habité durant les périodes romaine, byzantine et vénitienne. Anopoli et Aradin furent tous les deux détruits par les Ottomans. On trouve des ruines de l’Aradin ancien près du village d’Aradena. »
Voici pour les quelques éléments d’histoire.
Le seul article un peu détaillé que nous ayons pu dénicher est lisible sur cretablog.gr – en grec.
Du fait des limites de notre maîtrise de la langue de Kazantzakis, nous avons eu recours à un traducteur automatique. Voici tout de même la teneur de l’article :
« Aradena est un village du dème de Sfakia, en Crète. C’est une destination touristique en raison de la gorge et du pont du même nom. Le recensement de 1881 dénombrait 124 habitants. La population monta à 700 habitants jusqu’aux années 1950, date à laquelle le village été complètement déserté à cause d’une vendetta lancée en 1948 pour une cloche de bouc.
La Vendetta est un vestige d'un passé lointain qui tire ses racines de l'Antiquité et de certaines codifications rudimentaires du droit en vigueur. Ce sont essentiellement des meurtres ou des peurs motivés par la vengeance pour un autre meurtre, le vol et même une insulte.
La vendetta crétoise est un phénomène courant, comme le veut la coutume, et survit encore aujourd'hui comme l'une des manifestations les plus caractéristiques de la particularité crétoise.
La "loi du sang" existe toujours. Aradaina, […] est un exemple frappant. Elle est déserte à cause d'une vendetta apparemment insignifiante.
L'histoire est la suivante: un petit garçon qui vivait dans ce petit hameau pittoresque a trouvé une cloche de chèvre. Son propriétaire s'est rendu chez lui pour la lui demander, et la conversation a mal tourné.
On dit que cette vendetta a laissé sept morts et ceux qui ont survécu ont quitté Aradena pour ne pas continuer le mal. »
Ajoutons que selon le guide de Loraine Wilson The High Mountains of Crete (extrait consulté sur Google Livres) le pont « Bailey » - structure métallique préfabriquée – fut offert dans les années 1980 à la « communauté de Saint Jean » (nous pensons qu’il s’agit d’un monastère à proximité) par quatre frères issus du village et ayant fait fortune dans l’huile d’olive. Selon d’autres guides consultés, son installation eut lieu en 1986.
Il n’est pas surprenant que les informations soient lacunaires sur un épisode de vendetta, si on en croit l’ethnologue Aris Tsantiropoulos :
« La raison en est que dans la vendetta règne ce que les médias appellent “la loi du silence”. Les gens ne parlent même pas entre eux des meurtres de vendetta commis par leurs parents ou de ceux dont leurs parents ont été victimes. En outre, nous constatons une attitude ambivalente dans la façon dont les Crétois apprécient le phénomène. D’une part, ils prétendent que les vendettas ont anéanti des familles entières et, d’autre part, ils reconnaissent que ceux qui, à cause de la vendetta, ont été obligés de s’éloigner des limites étroites et des mentalités de leur village pour emménager soit à l’étranger, soit dans des villes lointaines afin de fuir la vengeance, ont pu réussir leur vie2. Cette même attitude ambivalente et inconstante vis-à-vis de la vengeance régit aussi toute la tragédie grecque, dont elle constitue la substance même. »
(Source : « La vendetta en Crète contemporaine », in
Afti inè i Kriti ! Identités, altérités et figures crétoises , article consultable sur openedition.org)
Nous vous conseillons vivement la lecture de cet article qui décrit la vendetta non comme un simple événement ponctuel mais une tradition structurant tous les rapports sociaux dans le cadre clanique de la Crète centrale : l’auteur y ajoute, également, que le silence entourant les meurtres à répétition s’explique par le fait qu’un crime rappelé oblige un membre de la famille de la victime à en commettre un.
De là à considérer la Crète comme la Sicile grecque, il n’y a qu’un pas, qu’un article du Figaro de mars 2009 nous inciterait à sauter avec la souplesse d’un cabri local :
« Deux familles crétoises engagées depuis des années dans une sanglante vendetta se sont à nouveau affrontées ce week-end, faisant un mort, quatre blessés et deux arrestations.
Les deux clans ont repris les hostilités samedi dans leur village de Pervolakia, près de La Canée, au nord-ouest de la Crète, après un échange d'insultes autour d'un feu de broussailles, allumé par les uns et gênant les autres, a précisé une source policière.
Les armes ont vite parlé, tuant un jeune de 25 ans, blessant légèrement deux autres hommes et provoquant l'intervention de la police, qui a arrêté deux suspects du meurtre.
Des proches de ces derniers se sont du coup rué au dispensaire où le mort venait d'être transféré pour y poignarder sa mère et son beau-frère, qui ont dû être hospitalisés, a raconté le chef de la police de la Canée, Aristidis Kazalis.
"Ces deux familles sont engagées depuis de longues années dans des différends qui ont déjà fait des morts des deux côtés", le dernier en date, un septuagénaire, dans les années 90, a-t-il affirmé.
D'importantes forces de police avaient été déployées dimanche dans le village, pour empêcher la poursuite des représailles.
Longtemps tolérée par les autorités, la tradition de la vendetta reste vivace en Crète, nourrie par la possession généralisée d'armes à feu, hors de toute légalité. »
Notez qu’Aris Tsantiropoulos, apparait dans le documentaire de Christian Argentino La Vengeance en Héritage (2017). Nous n’avons malheureusement pu visionner celui-ci.
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