Question d'origine :
Bonjour !
Je suis étudiant en métiers du livre, et j'ai récemment entendu parler du problème de surproduction dans le milieu du livre. J'ai un peu fouillé internet et je suis un peu déçu du nombre de sources que j'ai réussi à trouver.
Je me tourne donc vers vous, pour savoir si vous aviez des idées des causes et des conséquences que peut avoir la surproduction éditoriale, et peut-être quelques sources pour approfondir le sujet, les mécanismes en jeu, peut-être même des modèles étrangers différents.
Merci d'avance pour votre réponse !
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 14/11/2019 à 09h49
Bonjour,
Votre difficulté à trouver des sources sur la surproduction dans la chaîne du livre s’explique sans doute le fait que la notion même semble avoir été une sorte de de tabou… jusqu’aux vœux 2019 de Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE).
La déclaration de M. Montagne a libéré des langues dans le milieu du livre et entraîné une sorte de prise de conscience collective dont Livres hebdo s’est fait l’écho :
« Lors des vœux du Syndicat national de l'édition, le 10 janvier, son président, Vincent Montagne, soulevait l'épineuse question du nombre de nouveautés en librairie,employant pour la première fois - un symbole - le terme de « surproduction ». Quelques jours plus tard, Xavier Moni, président du Syndicat de la librairie française évoquait à son tour « la surproduction [qui] n'est pas un indice de bonne santé de la diversité mais, au contraire, ce qui l'étouffe ».
La remise en question d'une routine délétère
Identifié comme le fléau à combattre en 2019, le niveau de la production ne s'est pourtant pas relevé. Le nombre de nouveaux titres a cessé de progresser depuis quatre ans pour s'établir à 67 942 titres en 2018, d'après nos données Livres Hebdo/Electre data services. Sur dix ans, le nombre de nouveaux titres n'a progressé que de 7 % quand la population augmentait de 5 % sur la même période. Cependant, la dégradation parallèle du marché, avec encore - 1,7 % en 2018 d'après le bilan Livres Hebdo/I+C, rend plus sensible l'impression de trop-plein.
Si la prise de conscience touche toute la chaîne du livre, les solutions restent à trouver. Premiers ciblés,les éditeurs sont sommés de se mettre au régime . Le Pommier réduit presque de moitié sa production en interrompant les nouveautés jeunesse. Bragelonne a prévu une diminution de 25 % du nombre de titres en 2019. « Le problème n'est pas la surproduction, c'est la sous-commercialisation », analyse Stéphane Marsan, son directeur, qui a revu son programme et, avec ses équipes, a réfléchi à chaque parution. « C'est une remise en question profonde d'une routine délétère qui consistait à acheter un livre et à le publier, poursuit-il. Mais déprogrammer, c'est quand même un apprentissage du deuil. »
Marie Sellier, auteure jeunesse et présidente de la Société des gens de lettres, ressent les effets de la surproduction sur ses livres par une baisse des tirages et des réimpressions. Son credo : «Moins de livres, des auteurs mieux traités et des ouvrages mieux suivis . » Cependant, quel auteur renoncera à une publication ? »
Phrase d'autant plus sensible que, selon une étude récente, un français de plus de 18 ans sur deux ait déjà écrit un livre ou rêve d'en écrire un...
Vous trouverez en ligne le rapport de Pierre Lungheretti, La Bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle - 54 propositions pour une politique nationale renouvelée, commandé par le ministère de la Culture et paru en janvier 2019, qui, s’il s’intéresse à un secteur plutôt préservé, a le mérite de bien poser les choses :
« Dans le secteur du livre cinq facteurs sont à l’origine de la surproduction :
1. Les industries culturelles sont une industrie de prototypes reposant sur une logique de l’offre, pour laquelle chaque oeuvre produite est un pari commercial, et plus on multiplie la production, plus les chances de succès s’accroissent ;
2. La prise en compte de plus en plus forte du public et de sa composition, ce qui induit une segmentation plus marquée de l’offre donc inévitablement un accroissement de la production et des nouveautés, via des phénomènes de “collections” ou de sous-genres qu’il faut alimenter ;
3. Les évolutions technologiques et la baisse des coûts conjuguées avec une facilité accrue de diffusion (internet, libraires…) ;
4. La plus forte scolarisation et l’élévation du niveau moyen des connaissances qui favorisent la diffusion du livre ;
5. Le besoin en trésorerie des éditeurs.
[…]
Les conséquences de cet accroissement de la production sont de plusieurs ordres : une plus grande visibilité de la bande dessinée dans les canaux de diffusion, notamment les médias et les librairies généralistes, une possibilité plus importante pour les auteurs d’être publiés, mais elle apporte son lot de conséquences négatives : l’engorgement des librairies, notamment spécialisées, la difficulté de la prescription, du repérage des auteurs, et induit fatalement un déséquilibre entre la production et le volume des ventes. Pour les libraires, cela engendre une difficulté majeure à repérer des auteurs, à défendre et promouvoir des livres, tant le flux continu paralyse la possibilité d’installer un titre dans la durée. Du côté des éditeurs, elle amoindrit le temps passé sur chaque livre et le travail approfondi avec l’auteur, de direction artistique d’un projet d’édition.
Cette hausse de la production crée une bipolarisation pointée par plusieurs professionnels du livre: “d’un côté de moins en moins de références qui se vendent de plus en plus, et de l’autre de plus en plus de références qui se vendent de moins en moins”. L’appréciation de cette évolution ne fait pas consensus au sein de la profession et chez les observateurs. Elle constitue pour certains d’entre eux une richesse, un vecteur de diversité, et une possibilité accrue pour les auteurs d’être publiés, pour d’autres elle constitue un problème, elle est synonyme de “cancer” et ne garantit ni la diversité culturelle ni l’originalité des publications.
[…]
Une autre difficulté réside également dans la saisonnalité des parutions, notamment la concentration des titres au plus fort potentiel commercial entre octobre et décembre, cycle de mise en place lié aux fêtes de fin d’année qui crée une saturation chez les libraires et l’impossibilité de mettre en oeuvre une action de prescription efficace. Ce phénomène mériterait une réflexion partagée avec les éditeurs et les libraires pour mieux répartir le rythme des publications sur toute l’année et permettre ainsi une meilleure diffusion des titres auprès des publics. Un code de bonne conduite mériterait d’être élaboré conjointement en ce domaine qui conditionne une augmentation des ventes et celle du lectorat. »
Interrogé par L’Express, Vincent Monadé, le président du Centre national du livre (CNL), évoque la concurrence des séries comme complément d’explication, mais avance également que l’abondance de production est le revers d’un impératif de diversité sans quoi le livre étoufferait :
« […] pour un éditeur, ce qui est important, ce n'est pas de savoir si l'on produit trop ou pas, mais si son chiffre d'affaires progresse. N'oublions pas quel'édition est un marché de l'offre, qui doit présenter une certaine diversité, et que c'est un métier très dynamique, avec de nombreuses maisons qui se créent chaque année . Des milliers d'emplois sont en jeu... Reste qu'il s'agit là d'une question à laquelle les éditeurs eux-mêmes réfléchissent ; ils freinent d'ailleurs leurs publications depuis quelque temps. En fait, je pense que le problème est surtout qualitatif, il y a ceux qui pratiquent une édition de qualité, qui prennent soin du texte mais aussi de l'actualité de l'ouvrage, et puis il y a des produits de consommation très courante. Cela dit, il est vrai que la vente de livres par titre s'est restreinte, le tirage moyen a baissé . »
Cela dit, la crise que traverse le marché épargne certains secteurs de celui-ci :
« La BD va très bien, le poche se porte étonnamment bien, le plus inquiétant est cette baisse des ventes en fiction grand format. Mais la solution passe-t-elle par une production moindre ou différente ? Les gens se retrouvent-ils dans les livres qui leur sont proposés ? Regardez le nombre de gamins qui adorent la fantasy et auxquels l'école ne propose jamais rien dans le domaine... »
Vincent Monadé comparant la situation en France avec celle des autres pays, fait enfin remarquer qu’entre le CNL et les agences du livre en Région, le système d’aide à la création et à l’édition apporte déjà une réponse à la difficulté croissante des auteurs et éditeurs à s’en sortir, notamment dans les secteurs les plus fragiles, tels que le théâtre et la poésie.
Pour une approche assez synthétique de la question, un article publié en mars dernier dans La Croix, donnant la parole à plusieurs éditeurs, montre un certain consensus sur le diagnostic selon lequel ladite surproduction serait sue à un cumul de facteurs tels que le triplement des parutions annuelles au cours des 30 dernières années et la concurrence de l’audiovisuel – et en particulier des séries.
« Résultat quasi mécanique : « Le marché se contracte inévitablement, soupire Frédéric Mora, du Seuil. Comment rivaliser avec Netflix qui offre une abondance de séries pour moins de 10 € par mois, le prix d’un livre de poche, et ne demande pas le même effort que la lecture ? » Une éditrice confie que beaucoup d’auteurs rêvent de devenir scénaristes chez Netflix, lorgnent cette supposée poule aux œufs d’or.
Autre conséquence de ce marasme de l’édition : la précarisation des auteurs, la diminution de leurs revenus, l’affaissement de leur statut social. Les rentes de situation, comme les réputations bien établies, s’effilochent. Le livre perd peu à peu de son prestige. Il n’est plus le marqueur de distinction qui signale l’honnête homme. Un écran géant dans le salon et un solide appareillage numérique suscitent aujourd’hui plus de convoitise qu’une belle bibliothèque où se repèrent des ouvrages de qualité aux couvertures ridées et patinées. »
Le même article donne en annexe quelques données intéressantes :
« Surproduction et baisse des ventes : 68 000 livres sont publiés chaque année en France.
Depuis vingt ans, le poids du secteur livre dans l’ensemble de l’économie française ne cesse de diminuer. Il ne représente aujourd’hui que 0,12 %.
En cinq ans, les ventes de nouveautés grand format ont reculé de 17 %.
Pour la quatrième année consécutive, le marché du livre a encore baissé, de 1,7 % en 2018.
Les secteurs en recul : les romans, les sciences humaines, l’économie, la gestion, les beaux livres et les livres d’art, le droit, les ouvrages scientifiques, techniques et médicaux, les ouvrages scolaires, la littérature étrangère et les dictionnaires (-5 %).
Les secteurs qui marchent : la non-fiction, les livres pour la jeunesse, la bande dessinée, la psychologie, le développement personnel, la santé et puériculture, la science-fiction, l’histoire de France. Le poche représente désormais près des deux tiers des ventes. »
Nous vous invitons à compléter ces données avec les principaux chiffres 2018 communiqués par le SNE. Il se trouve que le contexte de surproduction s’est accompagné d’une baisse légère mais non négligeable du chiffre d’affaire des éditeurs sur 2018-2019, poursuivant une tendance de plusieurs années après une embellie en 2015.
Mais la surproduction est également, structurellement, induite par une chaîne du livre dont les diffuseurs-distributeurs, en particulier les plus gros, occupent le centre névralgique. De plus en plus de libraires pointent du doigt des méthodes de travail accusées de miser sur la quantité plus que sur la qualité, ce qui tend à créer des situations ubuesques où près de la moitié des livres placés chez les libraires sont renvoyés à l’éditeur :
« [La libraire] Michèle Béal a fait le compte: entre les rendez-vous avec les représentants et le traitement des offres parfois absconses des diffuseurs, elle doit prévoir en moyenne 2 heures 30 de travail supplémentaire par jour dans son planning. Un chiffre étayé par une étude à paraître d’Edelweiss, qui révèle que les libraires consacrent actuellement entre 1 heure et demi et 2 heures de rendez-vous par représentant, alors qu’ils préféreraient y consacrer seulement trente minutes. Une perte de temps d'autant plus significative que certaines boutiques reçoivent chaque mois la visite de dizaines de représentants. "Dans mon établissement nous sommes deux libraires, souvent sollicités par les clients. Le temps que nous passons en rendez-vous, en plus sur la surface de vente, est du temps perdu sur le conseil clientèle, notre cœur de métier. Comme le travail quotidien reste latent, on doit faire des horaires à rallonge", regrette Michèle Béal.
48%
C’est le taux de retour "monstrueux" qu’a atteint plusieurs fois François Céard dans son ancienne librairie de second niveau à Gap. Le libraire estime que certains représentants souffrent d’un "décalage entre l’estimation et la réalité du terrain." Puis d’ajouter: "on constate une incapacité à s’adapter aux spécificités des différents magasins. Tous les excès de retour étaient dus aux représentants qu’on ne voyait pas et qui ne connaissaient pas vraiment l’établissement". Michèle Béal abonde: "on aimerait que les représentants s’intéressent à ce qu’il y a sur les tables et comprennent la boutique, pour qu’ils puissent adapter leur catalogue et leurs préconisations". »
(Source : Livres Hebdo)
Face à ce constat, le secteur de la diffusion est en pleine restructuration, selon un article de Livres hebdo daté d’avril 2019. La Sodis, leader de la distribution du livre en France, a choisi de se séparer de la moitié des éditeurs avec lesquels elle travaillait. Chance pour de nombreux diffuseurs indépendants, plus à même de traiter qualitativement leur offre de trouver un marché dans l’édition indépendante.
Si la prise en compte du problème est collective, aucune solution miracle ne semble avoir été trouvée à ce jour. On relève cependant des remarques de nombreux acteurs (notamment les libraires) dans le sens du « produire moins mais produire mieux », qui, en Espagne par exemple, porte ses fruits depuis quelques années :
« A rebours de la surproduction qui touche le secteur français, cette amélioration s’inscrit dans un contexte de diminution de la production sur le marché ibérique : avec 76202 titres parus au cours de l’année, le nombre de nouveautés a diminué de 12,7% par rapport à 2017.
Cette sobriété s'étend également au tirage moyen, en baisse de 5,8% pour s'établir à 3762 exemplaires, ainsi qu'au prix moyen d'un livre : 13,96 euros, en diminution de 4,7% par rapport à 2017. Au total, 160 millions d’exemplaires ont été vendus en 2018, soit 1,6% de plus que l’an passé.
La fiction et la jeunesse en locomotives
La croissance du secteur a été portée par la hausse des revenus tirés de la vente de la fiction pour adulte (+ 8,1%), de la littérature jeunesse (+6%) et de la non-fiction (+3,7%). La vente à l’export affiche également de bons résultats puisque ses revenus augmentent de 4,5%. La balance commerciale avec l'étranger reste positive, avec un excédent de 396,2 millions d’euros.
Le livre numérique fait du surplace avec un chiffre d’affaires en baisse de 0,1% (118,9 millions d’euros) pour 5% de part de marché. 12,8 millions d’ebooks ont été vendus, dont la moitié concerne des ouvrages documentaires. Les romans ne représentent qu'un cinquième des livres numériques achetés. »
(Source : Livre hebdo)
Bonne journée.
Votre difficulté à trouver des sources sur la surproduction dans la chaîne du livre s’explique sans doute le fait que la notion même semble avoir été une sorte de de tabou… jusqu’aux vœux 2019 de Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE).
La déclaration de M. Montagne a libéré des langues dans le milieu du livre et entraîné une sorte de prise de conscience collective dont Livres hebdo s’est fait l’écho :
« Lors des vœux du Syndicat national de l'édition, le 10 janvier, son président, Vincent Montagne, soulevait l'épineuse question du nombre de nouveautés en librairie,
La remise en question d'une routine délétère
Identifié comme le fléau à combattre en 2019, le niveau de la production ne s'est pourtant pas relevé. Le nombre de nouveaux titres a cessé de progresser depuis quatre ans pour s'établir à 67 942 titres en 2018, d'après nos données Livres Hebdo/Electre data services. Sur dix ans, le nombre de nouveaux titres n'a progressé que de 7 % quand la population augmentait de 5 % sur la même période. Cependant, la dégradation parallèle du marché, avec encore - 1,7 % en 2018 d'après le bilan Livres Hebdo/I+C, rend plus sensible l'impression de trop-plein.
Si la prise de conscience touche toute la chaîne du livre, les solutions restent à trouver. Premiers ciblés,
Marie Sellier, auteure jeunesse et présidente de la Société des gens de lettres, ressent les effets de la surproduction sur ses livres par une baisse des tirages et des réimpressions. Son credo : «
Phrase d'autant plus sensible que, selon une étude récente, un français de plus de 18 ans sur deux ait déjà écrit un livre ou rêve d'en écrire un...
Vous trouverez en ligne le rapport de Pierre Lungheretti, La Bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle - 54 propositions pour une politique nationale renouvelée, commandé par le ministère de la Culture et paru en janvier 2019, qui, s’il s’intéresse à un secteur plutôt préservé, a le mérite de bien poser les choses :
« Dans le secteur du livre cinq facteurs sont à l’origine de la surproduction :
1. Les industries culturelles sont une industrie de prototypes reposant sur une logique de l’offre, pour laquelle chaque oeuvre produite est un pari commercial, et plus on multiplie la production, plus les chances de succès s’accroissent ;
2. La prise en compte de plus en plus forte du public et de sa composition, ce qui induit une segmentation plus marquée de l’offre donc inévitablement un accroissement de la production et des nouveautés, via des phénomènes de “collections” ou de sous-genres qu’il faut alimenter ;
3. Les évolutions technologiques et la baisse des coûts conjuguées avec une facilité accrue de diffusion (internet, libraires…) ;
4. La plus forte scolarisation et l’élévation du niveau moyen des connaissances qui favorisent la diffusion du livre ;
5. Le besoin en trésorerie des éditeurs.
[…]
Les conséquences de cet accroissement de la production sont de plusieurs ordres : une plus grande visibilité de la bande dessinée dans les canaux de diffusion, notamment les médias et les librairies généralistes, une possibilité plus importante pour les auteurs d’être publiés, mais elle apporte son lot de conséquences négatives : l’engorgement des librairies, notamment spécialisées, la difficulté de la prescription, du repérage des auteurs, et induit fatalement un déséquilibre entre la production et le volume des ventes. Pour les libraires, cela engendre une difficulté majeure à repérer des auteurs, à défendre et promouvoir des livres, tant le flux continu paralyse la possibilité d’installer un titre dans la durée. Du côté des éditeurs, elle amoindrit le temps passé sur chaque livre et le travail approfondi avec l’auteur, de direction artistique d’un projet d’édition.
Cette hausse de la production crée une bipolarisation pointée par plusieurs professionnels du livre: “d’un côté de moins en moins de références qui se vendent de plus en plus, et de l’autre de plus en plus de références qui se vendent de moins en moins”. L’appréciation de cette évolution ne fait pas consensus au sein de la profession et chez les observateurs. Elle constitue pour certains d’entre eux une richesse, un vecteur de diversité, et une possibilité accrue pour les auteurs d’être publiés, pour d’autres elle constitue un problème, elle est synonyme de “cancer” et ne garantit ni la diversité culturelle ni l’originalité des publications.
[…]
Une autre difficulté réside également dans la saisonnalité des parutions, notamment la concentration des titres au plus fort potentiel commercial entre octobre et décembre, cycle de mise en place lié aux fêtes de fin d’année qui crée une saturation chez les libraires et l’impossibilité de mettre en oeuvre une action de prescription efficace. Ce phénomène mériterait une réflexion partagée avec les éditeurs et les libraires pour mieux répartir le rythme des publications sur toute l’année et permettre ainsi une meilleure diffusion des titres auprès des publics. Un code de bonne conduite mériterait d’être élaboré conjointement en ce domaine qui conditionne une augmentation des ventes et celle du lectorat. »
Interrogé par L’Express, Vincent Monadé, le président du Centre national du livre (CNL), évoque la concurrence des séries comme complément d’explication, mais avance également que l’abondance de production est le revers d’un impératif de diversité sans quoi le livre étoufferait :
« […] pour un éditeur, ce qui est important, ce n'est pas de savoir si l'on produit trop ou pas, mais si son chiffre d'affaires progresse. N'oublions pas que
Cela dit, la crise que traverse le marché épargne certains secteurs de celui-ci :
« La BD va très bien, le poche se porte étonnamment bien, le plus inquiétant est cette baisse des ventes en fiction grand format. Mais la solution passe-t-elle par une production moindre ou différente ? Les gens se retrouvent-ils dans les livres qui leur sont proposés ? Regardez le nombre de gamins qui adorent la fantasy et auxquels l'école ne propose jamais rien dans le domaine... »
Vincent Monadé comparant la situation en France avec celle des autres pays, fait enfin remarquer qu’entre le CNL et les agences du livre en Région, le système d’aide à la création et à l’édition apporte déjà une réponse à la difficulté croissante des auteurs et éditeurs à s’en sortir, notamment dans les secteurs les plus fragiles, tels que le théâtre et la poésie.
Pour une approche assez synthétique de la question, un article publié en mars dernier dans La Croix, donnant la parole à plusieurs éditeurs, montre un certain consensus sur le diagnostic selon lequel ladite surproduction serait sue à un cumul de facteurs tels que le triplement des parutions annuelles au cours des 30 dernières années et la concurrence de l’audiovisuel – et en particulier des séries.
« Résultat quasi mécanique : « Le marché se contracte inévitablement, soupire Frédéric Mora, du Seuil. Comment rivaliser avec Netflix qui offre une abondance de séries pour moins de 10 € par mois, le prix d’un livre de poche, et ne demande pas le même effort que la lecture ? » Une éditrice confie que beaucoup d’auteurs rêvent de devenir scénaristes chez Netflix, lorgnent cette supposée poule aux œufs d’or.
Autre conséquence de ce marasme de l’édition : la précarisation des auteurs, la diminution de leurs revenus, l’affaissement de leur statut social. Les rentes de situation, comme les réputations bien établies, s’effilochent. Le livre perd peu à peu de son prestige. Il n’est plus le marqueur de distinction qui signale l’honnête homme. Un écran géant dans le salon et un solide appareillage numérique suscitent aujourd’hui plus de convoitise qu’une belle bibliothèque où se repèrent des ouvrages de qualité aux couvertures ridées et patinées. »
Le même article donne en annexe quelques données intéressantes :
« Surproduction et baisse des ventes : 68 000 livres sont publiés chaque année en France.
Depuis vingt ans, le poids du secteur livre dans l’ensemble de l’économie française ne cesse de diminuer. Il ne représente aujourd’hui que 0,12 %.
En cinq ans, les ventes de nouveautés grand format ont reculé de 17 %.
Pour la quatrième année consécutive, le marché du livre a encore baissé, de 1,7 % en 2018.
Les secteurs en recul : les romans, les sciences humaines, l’économie, la gestion, les beaux livres et les livres d’art, le droit, les ouvrages scientifiques, techniques et médicaux, les ouvrages scolaires, la littérature étrangère et les dictionnaires (-5 %).
Les secteurs qui marchent : la non-fiction, les livres pour la jeunesse, la bande dessinée, la psychologie, le développement personnel, la santé et puériculture, la science-fiction, l’histoire de France. Le poche représente désormais près des deux tiers des ventes. »
Nous vous invitons à compléter ces données avec les principaux chiffres 2018 communiqués par le SNE. Il se trouve que le contexte de surproduction s’est accompagné d’une baisse légère mais non négligeable du chiffre d’affaire des éditeurs sur 2018-2019, poursuivant une tendance de plusieurs années après une embellie en 2015.
Mais la surproduction est également, structurellement, induite par une chaîne du livre dont les diffuseurs-distributeurs, en particulier les plus gros, occupent le centre névralgique. De plus en plus de libraires pointent du doigt des méthodes de travail accusées de miser sur la quantité plus que sur la qualité, ce qui tend à créer des situations ubuesques où près de la moitié des livres placés chez les libraires sont renvoyés à l’éditeur :
« [La libraire] Michèle Béal a fait le compte: entre les rendez-vous avec les représentants et le traitement des offres parfois absconses des diffuseurs, elle doit prévoir en moyenne 2 heures 30 de travail supplémentaire par jour dans son planning. Un chiffre étayé par une étude à paraître d’Edelweiss, qui révèle que les libraires consacrent actuellement entre 1 heure et demi et 2 heures de rendez-vous par représentant, alors qu’ils préféreraient y consacrer seulement trente minutes. Une perte de temps d'autant plus significative que certaines boutiques reçoivent chaque mois la visite de dizaines de représentants. "Dans mon établissement nous sommes deux libraires, souvent sollicités par les clients. Le temps que nous passons en rendez-vous, en plus sur la surface de vente, est du temps perdu sur le conseil clientèle, notre cœur de métier. Comme le travail quotidien reste latent, on doit faire des horaires à rallonge", regrette Michèle Béal.
C’est le taux de retour "monstrueux" qu’a atteint plusieurs fois François Céard dans son ancienne librairie de second niveau à Gap. Le libraire estime que certains représentants souffrent d’un "décalage entre l’estimation et la réalité du terrain." Puis d’ajouter: "on constate une incapacité à s’adapter aux spécificités des différents magasins. Tous les excès de retour étaient dus aux représentants qu’on ne voyait pas et qui ne connaissaient pas vraiment l’établissement". Michèle Béal abonde: "on aimerait que les représentants s’intéressent à ce qu’il y a sur les tables et comprennent la boutique, pour qu’ils puissent adapter leur catalogue et leurs préconisations". »
(Source : Livres Hebdo)
Face à ce constat, le secteur de la diffusion est en pleine restructuration, selon un article de Livres hebdo daté d’avril 2019. La Sodis, leader de la distribution du livre en France, a choisi de se séparer de la moitié des éditeurs avec lesquels elle travaillait. Chance pour de nombreux diffuseurs indépendants, plus à même de traiter qualitativement leur offre de trouver un marché dans l’édition indépendante.
Si la prise en compte du problème est collective, aucune solution miracle ne semble avoir été trouvée à ce jour. On relève cependant des remarques de nombreux acteurs (notamment les libraires) dans le sens du « produire moins mais produire mieux », qui, en Espagne par exemple, porte ses fruits depuis quelques années :
« A rebours de la surproduction qui touche le secteur français, cette amélioration s’inscrit dans un contexte de diminution de la production sur le marché ibérique : avec 76202 titres parus au cours de l’année, le nombre de nouveautés a diminué de 12,7% par rapport à 2017.
Cette sobriété s'étend également au tirage moyen, en baisse de 5,8% pour s'établir à 3762 exemplaires, ainsi qu'au prix moyen d'un livre : 13,96 euros, en diminution de 4,7% par rapport à 2017. Au total, 160 millions d’exemplaires ont été vendus en 2018, soit 1,6% de plus que l’an passé.
La fiction et la jeunesse en locomotives
La croissance du secteur a été portée par la hausse des revenus tirés de la vente de la fiction pour adulte (+ 8,1%), de la littérature jeunesse (+6%) et de la non-fiction (+3,7%). La vente à l’export affiche également de bons résultats puisque ses revenus augmentent de 4,5%. La balance commerciale avec l'étranger reste positive, avec un excédent de 396,2 millions d’euros.
Le livre numérique fait du surplace avec un chiffre d’affaires en baisse de 0,1% (118,9 millions d’euros) pour 5% de part de marché. 12,8 millions d’ebooks ont été vendus, dont la moitié concerne des ouvrages documentaires. Les romans ne représentent qu'un cinquième des livres numériques achetés. »
(Source : Livre hebdo)
Bonne journée.
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