Question d'origine :
Quelle est l'origine de « logos » (grec) ? Quelle est le succès de ce concept dans l'histoire de la philosophie ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 16/11/2019 à 10h37
Bonjour,
Le terme logos vient en effet du grec λο ́γος qui signifie « parole » ou « raison ». Il est une notion importante de la philosophie antique et, pourrait-on dire, à l’origine d’une grande partie de la philosophie occidentale. Voici sa définition sur le portail du CNTRL Trésor de la Langue Française informatisé.
Le mot, dérivé delégein (rassembler, cueillir, choisir, d’où compter, raconter, dire), est l’un des termes qui, dans la pensée grecque, ont la plus grande polyvalence. Vous trouverez les différentes acceptations qu'il a pu prendre selon les penseurs antiques dans la notice du volume 1 des Notions philosophique de l’Encyclopédie philosophique universelle (p. 1501-1502).
Nous vous conseillons la lecture de la notice très détaillée sur le terme "logos", son utilisation et ses équivalents dans d’autres langues dans le Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles / dir. Barbara Cassin, (p. 727-740)
Voici la définition de l’Encyclopédia Universalis par Lucien Jerphagnon : « Dans le grec classique, logos signifie une parole ou la parole, et tout rôle qu'elle assume : profane (proposition, définition, exemple, science, opinion particulière, rumeur publique) ou sacré (réponse d'oracle, révélation d'en haut). Ce terme tient une place si considérable dans la langue philosophique que la multiplicité des significations qu'il recouvre oblige à s'enquérir chaque fois du contexte où on le surprend. Précaution d'autant plus indispensable qu'on est tenté de créditer les époques archaïques de la diversité de sens dont l'a chargé la succession des systèmes.
Chez Héraclite (~ vie-~ ve s.), logos signifie tantôt simple dire, parole sensée du maître (« La Nature, précise C. Ramnoux, parle en œuvrant. L'homme œuvre en parlant »), tantôt mesure selon laquelle le Feu se change en Eau, mais non pas raison gouvernant toutes choses. Ce dernier sens de raison organisatrice ne s'affirme, en effet, qu'avec Platon, où le logos acquiert le caractère d'instance scientifique. La dimension d'entité organisatrice des finalités naturelles vient d'Aristote, chez qui logos signifie aussi notion. Quant à la représentation d'un logos recteur du cosmos et loi de son développement historique, « analogue à celle qui régit l'évolution d'un germe » (J. Moreau) — le logos spermatikos —, c'est du stoïcisme qu'elle procède. Les néo-platoniciens font du logos une hypostase secondaire, intercalée entre l'Intellect et l'Âme du monde, et investie d'une fonction démiurgique, organisatrice de la nature.
À ces emplois philosophiques se mêlent, dès la fin de la période hellénistique, des influences venues des traditions religieuses et des cultes à mystères. La loi astrale est dite logos, ainsi que le souffle créateur du divin Hermès. Selon Philon d'Alexandrie (~ 20-45), le logos combine les notions juives de parole divine (il traduit l'hébreu dāvār), de loi, de sagesse et les concepts helléniques de lieu des idées et des archétypes : c'est une instance intermédiaire entre Dieu et la Création. Chez les chrétiens, notamment à partir de l'Évangile de Jean (i, 1-5), le Logos est Parole de Dieu dès le commencement, deuxième hypostase de la Trinité, intelligence divine organisatrice du monde, incarnée en Jésus, qui la manifeste dans le temps. La carrière de cette notion, surtout sous sa forme latinisée de Verbum, jalonne toute la tradition patristique, la théologie médiévale (en particulier avec la preuve de Dieu dite « psychologique », preuve d'inspiration augustinienne), le courant cartésien (« Je sais que toutes les intelligences n'ont qu'un seul et unique maître, le Verbe divin », Malebranche, Entretiens métaphysiques, VI, 2) et certaines « philosophies chrétiennes » contemporaines (Rosmini, Gratry, Blondel, Laberthonnière). »
« Depuis Cicéron,ratio sert également à traduire le terme grec logos , lequel, quoique à l'origine non étranger au sens de calcul, désigne, dès la naissance de la philosophie grecque, le discours cohérent, l'énonciation sensée et, en tant que telle, compréhensible, admissible, valable universellement. », extrait de l’article sur la raison dans l’Encyclopedia universalis.
Voir aussi le définition de la raison dans l'Encyclopédie Larousse
Selon Jacques Derrida, dès les débuts de la philosophie grecque, le logos a violemment imposé sa souveraineté, sous le déguisement de la raison, de l'entendement ou de la logique.
Ce cours en ligne de l’Université de Genève revient aussi sur la distinction entre surMythe et logos : « Le mythe raconte une histoire : c'est sa propriété principale, c'est aussi son principal défaut. C'est en effet ce qui l'a disqualifié historiquement, au profit d'un autre régime discursif, celui du logos, c'est-à-dire du raisonnement logique. C'est Platon qui a distingué le plus nettement ces deux types de discours, d'abord analogues dans la Grèce antique, et qui a instauré la suprématie du logos vis-à-vis du muthos.
Certes, Platon reconnaît au mythe une valeur pédagogique dans le discours philosophique. Il recourt au mythe dans Protagoras (320 c), c'est-à-dire à la fiction philosophique plutôt qu'à la démonstration théorique, parce que c'est plus agréable: on raconte une histoire. Dans la République (X, 621 c), Platon montre également que le mythe en appelle moins à la raison qu'à la foi. Il suscite une adhésion, une créance chez le lecteur: il se substitue à un discours rationnel et peut appréhender des vérités qui dépassent l'entendement, rendre compte de l'inexplicable, de ce qui défie la raison.
Cependant, dans ce même ouvrage de la République, Platon se livre à une violente attaque des fictions créées par les poètes, qui reposent sur l'illusion, l'incroyable, le mensonger: les mythes trompent et doivent être rejetés de la république (livres II et III). Ainsi s'établit une supériorité du logos, ouvrant l'ère du concept et de l'abstraction, sur le muthos, désormais associé au passé et à la tradition. Cette supériorité va être entérinée par le développement de la pensée logique et de la science, lesquelles vont infirmer les mythes d'origine et imposer des explications objectives, empiriquement prouvées, en lieu et place des histoires fabuleuses et sacrées. Tel est le cas de la Genèse, mythe d'origine qui sera évincé dans sa réalité scientifique par la découverte de l'évolution des espèces au XIXe s.
Au XIXe siècle, le philosophe Nietzsche cherchera à renverser cette hégémonie du Logos qu'a instaurée la métaphysique platonicienne. Il concevra la tragédie comme une forme qui a permis historiquement de maintenir le mythe, aujourd'hui disparu: "Le logos l'a emporté sur le mythe, Apollon sur Dionysos. Aujourd'hui, l'homme est dépourvu de mythes" (Naissance de la tragédie). Il s'agit donc pour lui de faire revivre le mythe, de préparer sa renaissance, en inventant une philosophie qui raconte la sagesse, plutôt qu'elle ne l'explique dans un discours logique (Ainsi parlait Zarathoustra).
Si l'explication objective l'a emporté sur le discours mythique, celui-ci reste cependant à même de représenter des aspects qui échappent à l'analyse rationnelle. La littérature a peut-être eu pour fonction d'accueillir le mythe supplanté par le langage logique, comme l'avance Nietzsche. Mais elle peut aussi y trouver un moyen de figurer des expériences qui ne relèvent pas de l'explication conceptuelle, d'en éclairer le sens par d'autres biais que l'analyse objective. »
Voir aussi : Mûthos, logos et histoire. Usages du passé héroïque dans la rhétorique grecque
Le terme logos vient en effet du grec λο ́γος qui signifie « parole » ou « raison ». Il est une notion importante de la philosophie antique et, pourrait-on dire, à l’origine d’une grande partie de la philosophie occidentale. Voici sa définition sur le portail du CNTRL Trésor de la Langue Française informatisé.
Le mot, dérivé de
Nous vous conseillons la lecture de la notice très détaillée sur le terme "logos", son utilisation et ses équivalents dans d’autres langues dans le Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles / dir. Barbara Cassin, (p. 727-740)
Voici la définition de l’
Chez Héraclite (~ vie-~ ve s.), logos signifie tantôt simple dire, parole sensée du maître (« La Nature, précise C. Ramnoux, parle en œuvrant. L'homme œuvre en parlant »), tantôt mesure selon laquelle le Feu se change en Eau, mais non pas raison gouvernant toutes choses. Ce dernier sens de raison organisatrice ne s'affirme, en effet, qu'avec Platon, où le logos acquiert le caractère d'instance scientifique. La dimension d'entité organisatrice des finalités naturelles vient d'Aristote, chez qui logos signifie aussi notion. Quant à la représentation d'un logos recteur du cosmos et loi de son développement historique, « analogue à celle qui régit l'évolution d'un germe » (J. Moreau) — le logos spermatikos —, c'est du stoïcisme qu'elle procède. Les néo-platoniciens font du logos une hypostase secondaire, intercalée entre l'Intellect et l'Âme du monde, et investie d'une fonction démiurgique, organisatrice de la nature.
À ces emplois philosophiques se mêlent, dès la fin de la période hellénistique, des influences venues des traditions religieuses et des cultes à mystères. La loi astrale est dite logos, ainsi que le souffle créateur du divin Hermès. Selon Philon d'Alexandrie (~ 20-45), le logos combine les notions juives de parole divine (il traduit l'hébreu dāvār), de loi, de sagesse et les concepts helléniques de lieu des idées et des archétypes : c'est une instance intermédiaire entre Dieu et la Création. Chez les chrétiens, notamment à partir de l'Évangile de Jean (i, 1-5), le Logos est Parole de Dieu dès le commencement, deuxième hypostase de la Trinité, intelligence divine organisatrice du monde, incarnée en Jésus, qui la manifeste dans le temps. La carrière de cette notion, surtout sous sa forme latinisée de Verbum, jalonne toute la tradition patristique, la théologie médiévale (en particulier avec la preuve de Dieu dite « psychologique », preuve d'inspiration augustinienne), le courant cartésien (« Je sais que toutes les intelligences n'ont qu'un seul et unique maître, le Verbe divin », Malebranche, Entretiens métaphysiques, VI, 2) et certaines « philosophies chrétiennes » contemporaines (Rosmini, Gratry, Blondel, Laberthonnière). »
« Depuis Cicéron,
Voir aussi le définition de la raison dans l'Encyclopédie Larousse
Selon Jacques Derrida, dès les débuts de la philosophie grecque, le logos a violemment imposé sa souveraineté, sous le déguisement de la raison, de l'entendement ou de la logique.
Ce cours en ligne de l’Université de Genève revient aussi sur la distinction entre sur
Certes, Platon reconnaît au mythe une valeur pédagogique dans le discours philosophique. Il recourt au mythe dans Protagoras (320 c), c'est-à-dire à la fiction philosophique plutôt qu'à la démonstration théorique, parce que c'est plus agréable: on raconte une histoire. Dans la République (X, 621 c), Platon montre également que le mythe en appelle moins à la raison qu'à la foi. Il suscite une adhésion, une créance chez le lecteur: il se substitue à un discours rationnel et peut appréhender des vérités qui dépassent l'entendement, rendre compte de l'inexplicable, de ce qui défie la raison.
Cependant, dans ce même ouvrage de la République, Platon se livre à une violente attaque des fictions créées par les poètes, qui reposent sur l'illusion, l'incroyable, le mensonger: les mythes trompent et doivent être rejetés de la république (livres II et III). Ainsi s'établit une supériorité du logos, ouvrant l'ère du concept et de l'abstraction, sur le muthos, désormais associé au passé et à la tradition. Cette supériorité va être entérinée par le développement de la pensée logique et de la science, lesquelles vont infirmer les mythes d'origine et imposer des explications objectives, empiriquement prouvées, en lieu et place des histoires fabuleuses et sacrées. Tel est le cas de la Genèse, mythe d'origine qui sera évincé dans sa réalité scientifique par la découverte de l'évolution des espèces au XIXe s.
Au XIXe siècle, le philosophe Nietzsche cherchera à renverser cette hégémonie du Logos qu'a instaurée la métaphysique platonicienne. Il concevra la tragédie comme une forme qui a permis historiquement de maintenir le mythe, aujourd'hui disparu: "Le logos l'a emporté sur le mythe, Apollon sur Dionysos. Aujourd'hui, l'homme est dépourvu de mythes" (Naissance de la tragédie). Il s'agit donc pour lui de faire revivre le mythe, de préparer sa renaissance, en inventant une philosophie qui raconte la sagesse, plutôt qu'elle ne l'explique dans un discours logique (Ainsi parlait Zarathoustra).
Si l'explication objective l'a emporté sur le discours mythique, celui-ci reste cependant à même de représenter des aspects qui échappent à l'analyse rationnelle. La littérature a peut-être eu pour fonction d'accueillir le mythe supplanté par le langage logique, comme l'avance Nietzsche. Mais elle peut aussi y trouver un moyen de figurer des expériences qui ne relèvent pas de l'explication conceptuelle, d'en éclairer le sens par d'autres biais que l'analyse objective. »
Voir aussi : Mûthos, logos et histoire. Usages du passé héroïque dans la rhétorique grecque
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