Question d'origine :
D’où vient l’expression argotique « ma gueule » qui ponctue des phrases et peut être remplacée par « gars », « cousin », « gros », etc. ?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 23/12/2019 à 10h31
Bonjour,
Il est toujours très compliqué de retracer l'origine d'une expression argotique, l'argot étant par définition d'une part un phénomène langagier essentiellement oral, dont l'évolution ne laisse pas de trace écrite au moment où elle se fait, et d'autre part un moyen de marquer son appartenance à un groupe, donc de se distinguer, dimension peu compatible avec la divulgation de mécanismes lexicologiques...
De fait, l'origine de l'expression " ma gueule " reste un mystère : les Grand Robert que nous avons consulté n'en souffle mot, pas plus que le CNRTL, et les dictionnaires en ligne ou papier qui en font mention, tels que le Wictionnaire et le Dictionnaire ado français, ne brillent pas par leur précision étymologique...
Tout au plus pouvons-nous dire que la popularisation de l'expression ne semble pas si récente, selon la thèse d'Alena PODHORNÁ-POLICKÁ, "Expressivité vs identité dans les langues : aspects contemporains des argots", lisible surResearchgate et dont nous vous recommandons chaleureusement la lecture. L'auteure y fait cette remarque :
" Notre corpus comportait 352 lexèmes et 75 expressions, c’est-à-dire 427 unités. La majorité, soit 81%, de l’ensemble du corpus était représentée par l’argot commun. L’argot commun des jeunes et des jeunes des cités en représentait 10%, soit 32 lexèmes et 9 expressions. Les néologismes occupaient 9% du corpus : 23 lexèmes et 3 expressions.
Pour illustrer, voilà quelques exemples des lexèmes issus de notre corpus :
– Argot commun des jeunes - bader, bolos, cistra, esquive, flipette, kéblo, keumé, loveur, mytho-ner, pourav, trash, uc, wesh, zguègue
– Néologismes - breaker, gafette, gaming, kid, macdo, mouta, mythoneuse, précioso, relooking, (se) séguer, totale
– Les néologismes big (adj.), macdo (n.m.), mouille (n.f.), totale (n.f.) et les expressions film de boule, faire de la fesse, ouach ma gueule et truc de fou faisaient partie du corpus de l’année 2003 ainsi que de l’année 2008.
Cette apparition témoigne de leur emploi fréquent et ils devraient faire partie plutôt de l’argot commun des jeunesmême si les dictionnaires analysés ne les incorporent pas dans leur nomenclature ."
On trouve également une remarque intéressante dans l'ouvrage Les 100 mots de l'adolescent [Livre] / sous la direction de Fanny Dargent et Vincent Estellon : l'usage d'un terme représentant une partie du corps du locuteur témoignant presque de l'aspect fusionnel de l'amitié et faisant de l'ami " un " ami-miroir ", dans lequel se reflète une version aimée de soi ". Et la crudité même de l'expression témoignerait avec pudeur de la force de l'amitié, " du "Wesh ma gueule, wesh ma couille ! " côté garçons, à "Salut meuf ! Ca va, p'tite pute ?" côté filles".
Il est possible aussi que cette expression métonymique soit une manière d'insister à dessein sur la ressemblance entre deux visages, ou deux couleurs de peau, notamment dans son emploi par des personnes issues de minorités visibles. C'est ce que semble suggérer l'article de Pierre-Edouard Weill dans son article "« Plutôt l'UEFA que l'UE ! » (dés-)enchantement de l'identification à l'Europe des jeunes de milieux populaires issus de l'immigration ", paru en 2010 dans la revue Politique européenne et que vous pouvez consulter sur Cairn en bibliothèque. L'auteur y remarque " une certaine connivence qui n’est pas nécessairement de classe, mais peut être liée à une communauté d’expériences sociales de discrimination. Désiré, catholique non pratiquant, noir de peau et habitant d’un petit ensemble HLM dans un « quartier tranquille », majoritairement pavillonnaire, affirme ainsi : « Carrément ca me gène pas que la Turquie ils rentrent dans l’Europe, ils se développent et tout c’est bien… mais après on peut pas dire qu’ils sont vraiment européens quand même… Et pourquoi tu dis ça ? Wesh ma gueule c’est des musulmans… t’es ouf (fou) ou quoi ! Y a trop de racistes en plus… c’est comme les noirs, ils en veulent pas ! »."
Bonne journée.
"
Il est toujours très compliqué de retracer l'origine d'une expression argotique, l'argot étant par définition d'une part un phénomène langagier essentiellement oral, dont l'évolution ne laisse pas de trace écrite au moment où elle se fait, et d'autre part un moyen de marquer son appartenance à un groupe, donc de se distinguer, dimension peu compatible avec la divulgation de mécanismes lexicologiques...
De fait, l'origine de l'expression " ma gueule " reste un mystère : les Grand Robert que nous avons consulté n'en souffle mot, pas plus que le CNRTL, et les dictionnaires en ligne ou papier qui en font mention, tels que le Wictionnaire et le Dictionnaire ado français, ne brillent pas par leur précision étymologique...
Tout au plus pouvons-nous dire que la popularisation de l'expression ne semble pas si récente, selon la thèse d'Alena PODHORNÁ-POLICKÁ, "Expressivité vs identité dans les langues : aspects contemporains des argots", lisible surResearchgate et dont nous vous recommandons chaleureusement la lecture. L'auteure y fait cette remarque :
" Notre corpus comportait 352 lexèmes et 75 expressions, c’est-à-dire 427 unités. La majorité, soit 81%, de l’ensemble du corpus était représentée par l’argot commun. L’argot commun des jeunes et des jeunes des cités en représentait 10%, soit 32 lexèmes et 9 expressions. Les néologismes occupaient 9% du corpus : 23 lexèmes et 3 expressions.
Pour illustrer, voilà quelques exemples des lexèmes issus de notre corpus :
– Argot commun des jeunes - bader, bolos, cistra, esquive, flipette, kéblo, keumé, loveur, mytho-ner, pourav, trash, uc, wesh, zguègue
– Néologismes - breaker, gafette, gaming, kid, macdo, mouta, mythoneuse, précioso, relooking, (se) séguer, totale
– Les néologismes big (adj.), macdo (n.m.), mouille (n.f.), totale (n.f.) et les expressions film de boule, faire de la fesse, ouach ma gueule et truc de fou faisaient partie du corpus de l’année 2003 ainsi que de l’année 2008.
Cette apparition témoigne de leur emploi fréquent et ils devraient faire partie plutôt de l’argot commun des jeunes
On trouve également une remarque intéressante dans l'ouvrage Les 100 mots de l'adolescent [Livre] / sous la direction de Fanny Dargent et Vincent Estellon : l'usage d'un terme représentant une partie du corps du locuteur témoignant presque de l'aspect fusionnel de l'amitié et faisant de l'ami " un " ami-miroir ", dans lequel se reflète une version aimée de soi ". Et la crudité même de l'expression témoignerait avec pudeur de la force de l'amitié, " du "Wesh ma gueule, wesh ma couille ! " côté garçons, à "Salut meuf ! Ca va, p'tite pute ?" côté filles".
Il est possible aussi que cette expression métonymique soit une manière d'insister à dessein sur la ressemblance entre deux visages, ou deux couleurs de peau, notamment dans son emploi par des personnes issues de minorités visibles. C'est ce que semble suggérer l'article de Pierre-Edouard Weill dans son article "« Plutôt l'UEFA que l'UE ! » (dés-)enchantement de l'identification à l'Europe des jeunes de milieux populaires issus de l'immigration ", paru en 2010 dans la revue Politique européenne et que vous pouvez consulter sur Cairn en bibliothèque. L'auteur y remarque " une certaine connivence qui n’est pas nécessairement de classe, mais peut être liée à une communauté d’expériences sociales de discrimination. Désiré, catholique non pratiquant, noir de peau et habitant d’un petit ensemble HLM dans un « quartier tranquille », majoritairement pavillonnaire, affirme ainsi : « Carrément ca me gène pas que la Turquie ils rentrent dans l’Europe, ils se développent et tout c’est bien… mais après on peut pas dire qu’ils sont vraiment européens quand même… Et pourquoi tu dis ça ? Wesh ma gueule c’est des musulmans… t’es ouf (fou) ou quoi ! Y a trop de racistes en plus… c’est comme les noirs, ils en veulent pas ! »."
Bonne journée.
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