Pourquoi les Russes sont-ils si fort aux échecs et aux dames
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 30/12/2019 à 00h25
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Question d'origine :
Pourquoi les Russes sont-ils si fort aux échecs et aux dames
Merci.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 31/12/2019 à 11h46
Bonjour,
En réalité, il faudrait parler non pas de suprématie non pas russe, mais soviétique : c’est en effet, selon un article de Slate, les autorités bolcheviques qui, très tôt, ont impulsé une politique volontariste – et largement subventionnée – pour le développement du jeu d’échecs :
« L'Union soviétique semblait avoir un penchant naturel pour les échecs. D'une part, de nombreux intellectuels et leaders communistes s'étaient pris de passion pour les 64 cases bicolores[…]. D'autre part, les soviétiques ont toujours considéré que les échecs incarnaient leurs idéaux révolutionnaires. Ce jeu de stratégie permettait à l'URSS de faire valoir son patrimoine intellectuel national. C'était, en outre, un loisir bon marché et accessible à tout le monde. Et aux yeux des dirigeants du bloc communiste, sa dynamique de va-et-vient reflétait la conception dialectique de l'histoire, qui se trouve au cœur du marxisme. L'ironie induite par la manipulation de reines et de rois, symboles de l'impérialisme, n'avait aucune importance. »
Voyez aussi cet article de Gazeta.ru cité par le Courrier international :
« Alexandre Fiodorovitch Iline-Jenevski, membre éminent du Parti bolchévique, diplomate et joueur d’échecs passionné, fut le premier propagandiste des échecs dans la Russie soviétique et en fit un sport prolétaire : en 1920, alors commissaire à la Direction générale de l’instruction militaire, il organisa à Moscou une Olympiade panrusse, devenue le premier championnat d’échecs de la Russie soviétique. Le titre fut remporté par Alexandre Alekhine, couronné premier champion d’échecs russe, avant d’émigrer en France l’année suivante.
Les échecs se trouvèrent ainsi placés sous la tutelle du gouvernement soviétique. La popularité de ce jeu en Russie, puis en Union soviétique, fut absolument phénoménale. La Fièvre des échecs (titre d’un film muet de 1925, mettant en scène l’amour des héros pour les échecs, interprété notamment par l’imposant champion cubain José Raúl Capablanca) frappa de façon mystique les habitants de l’Union soviétique d’avant-guerre. Mais le premier champion du monde soviétique s’imposa seulement après la Seconde Guerre mondiale. »
Ce champion du monde, c’est Mikhail Botvinnik (1911-1995), sept fois champion d’URSS :
« Après le décès, en 1946, du joueur français d'origine russe Alexandre Alekhine, champion du monde en titre, la Fédération internationale des échecs organise en 1948 un tournoi entre cinq joueurs pour le titre suprême, que Botvinnik remporta. Il sera champion du monde de 1948 à 1957, de 1958 à 1960 et de 1961 à 1963. Il défend victorieusement son titre en 1951 et en 1954, contre les Soviétiques David Bronstein et Vassili Smyslov, respectivement. Ce dernier le lui ravit en 1957, mais Botvinnik lui reprend la couronne l'année suivante. En 1960, le Soviétique Mikhaïl Tal le détrône, mais Botvinnik le bat sévèrement lors du match revanche, en 1961. Il perdra définitivement le titre mondial en 1963, devant le Soviétique Tigran Petrossian. »
(Source : Encyclopadia universalis)
Selon Jean-Louis Cazaux, auteur de Petites histoires des échecs [Livre], les soubresauts de l’histoire donnèrent une nouvelle importance aux jeux de stratégie pour les Soviétiques :
« […] l’URSS et les Etats-Unis allaient maintenant s’affronter dans la Guerre Froide et les échecs offraient un prolongement intellectuel à cette lutte pour la suprématie mondiale. »
Un style proprement soviétique des échecs s’était déjà développé :
« Dans les années 1920, une nouvelle école de pensée s'est introduite dans les échecs de haut niveau : l'hypermodernisme. L'idée principale est de contrôler le centre avec des pièces mineures au lieu de simplement l'occuper avec des pions. Cette nouvelle approche a été mise en évidence dans les parties d'une nouvelle génération de grands talents tels que Aron Nimzovich, Efim Bogolyubov, Richard Reti et Ernst Grunfeld. Dans cette période, de nouveaux schémas et ouvertures ont émergé et pris le relais comme la Défense Indienne, la Grunfeld, et la Benoni.
La plus hypermoderne de toutes les ouvertures est peut-être la Défense Alekhine (du nom du quatrième champion du monde, Alexander Alekhine). Son objectif est d'inviter les blancs à avancer leurs pions centraux, puis de contre-attaquer en ciblant ce centre proéminent. Aujourd'hui, Alekhine est davantage vu comme le premier joueur au style dynamique - il pouvait aussi bien jouer de manière extrêmement tactique et agressive, que de façon calme et positionnelle. Il a monopolisé le titre de champion du monde de 1927 à 1935, année de sa défaite contre Max Euwe, avant de remporter le match retour en 1937 et de conserver ses lauriers jusqu'à sa mort en 1946. Il est le seul champion du monde à les emporter jusque dans sa tombe. »
Selon le même article de chess.com, « De 1927 à 2006, les joueurs de l'Union soviétique et de Russie ont raflé tous les titres de champion du monde (à deux exceptions près). Alekhine, Mikhail Botvinnik, Vassily Smyslov, Mikhail Tal, Tigran Petrosian, Boris Spassky, Anatoly Karpov, Garry Kasparov et Vladimir Kramnik sont les géants des échecs, contributeurs de cette hégémonie étirée du 20ème siècle au début du 21ème. »
Il semble cependant que cette donne soit en train de changer, puisque l’actuel champion du monde est le Norvégien Magnus Carlsen : « Ce dernier a remporté les 4 derniers tournois auxquels il a participé et n'a pas perdu une seule partie classique en 2019. Champion du monde depuis 2013, il continue de dominer aujourd'hui la scène internationale. »
Bonne journée et joyeuses fêtes.
En réalité, il faudrait parler non pas de suprématie non pas russe, mais soviétique : c’est en effet, selon un article de Slate, les autorités bolcheviques qui, très tôt, ont impulsé une politique volontariste – et largement subventionnée – pour le développement du jeu d’échecs :
« L'Union soviétique semblait avoir un penchant naturel pour les échecs. D'une part, de nombreux intellectuels et leaders communistes s'étaient pris de passion pour les 64 cases bicolores[…]. D'autre part, les soviétiques ont toujours considéré que les échecs incarnaient leurs idéaux révolutionnaires. Ce jeu de stratégie permettait à l'URSS de faire valoir son patrimoine intellectuel national. C'était, en outre, un loisir bon marché et accessible à tout le monde. Et aux yeux des dirigeants du bloc communiste, sa dynamique de va-et-vient reflétait la conception dialectique de l'histoire, qui se trouve au cœur du marxisme. L'ironie induite par la manipulation de reines et de rois, symboles de l'impérialisme, n'avait aucune importance. »
Voyez aussi cet article de Gazeta.ru cité par le Courrier international :
« Alexandre Fiodorovitch Iline-Jenevski, membre éminent du Parti bolchévique, diplomate et joueur d’échecs passionné, fut le premier propagandiste des échecs dans la Russie soviétique et en fit un sport prolétaire : en 1920, alors commissaire à la Direction générale de l’instruction militaire, il organisa à Moscou une Olympiade panrusse, devenue le premier championnat d’échecs de la Russie soviétique. Le titre fut remporté par Alexandre Alekhine, couronné premier champion d’échecs russe, avant d’émigrer en France l’année suivante.
Les échecs se trouvèrent ainsi placés sous la tutelle du gouvernement soviétique. La popularité de ce jeu en Russie, puis en Union soviétique, fut absolument phénoménale. La Fièvre des échecs (titre d’un film muet de 1925, mettant en scène l’amour des héros pour les échecs, interprété notamment par l’imposant champion cubain José Raúl Capablanca) frappa de façon mystique les habitants de l’Union soviétique d’avant-guerre. Mais le premier champion du monde soviétique s’imposa seulement après la Seconde Guerre mondiale. »
Ce champion du monde, c’est Mikhail Botvinnik (1911-1995), sept fois champion d’URSS :
« Après le décès, en 1946, du joueur français d'origine russe Alexandre Alekhine, champion du monde en titre, la Fédération internationale des échecs organise en 1948 un tournoi entre cinq joueurs pour le titre suprême, que Botvinnik remporta. Il sera champion du monde de 1948 à 1957, de 1958 à 1960 et de 1961 à 1963. Il défend victorieusement son titre en 1951 et en 1954, contre les Soviétiques David Bronstein et Vassili Smyslov, respectivement. Ce dernier le lui ravit en 1957, mais Botvinnik lui reprend la couronne l'année suivante. En 1960, le Soviétique Mikhaïl Tal le détrône, mais Botvinnik le bat sévèrement lors du match revanche, en 1961. Il perdra définitivement le titre mondial en 1963, devant le Soviétique Tigran Petrossian. »
(Source : Encyclopadia universalis)
Selon Jean-Louis Cazaux, auteur de Petites histoires des échecs [Livre], les soubresauts de l’histoire donnèrent une nouvelle importance aux jeux de stratégie pour les Soviétiques :
« […] l’URSS et les Etats-Unis allaient maintenant s’affronter dans la Guerre Froide et les échecs offraient un prolongement intellectuel à cette lutte pour la suprématie mondiale. »
Un style proprement soviétique des échecs s’était déjà développé :
« Dans les années 1920, une nouvelle école de pensée s'est introduite dans les échecs de haut niveau : l'hypermodernisme. L'idée principale est de contrôler le centre avec des pièces mineures au lieu de simplement l'occuper avec des pions. Cette nouvelle approche a été mise en évidence dans les parties d'une nouvelle génération de grands talents tels que Aron Nimzovich, Efim Bogolyubov, Richard Reti et Ernst Grunfeld. Dans cette période, de nouveaux schémas et ouvertures ont émergé et pris le relais comme la Défense Indienne, la Grunfeld, et la Benoni.
La plus hypermoderne de toutes les ouvertures est peut-être la Défense Alekhine (du nom du quatrième champion du monde, Alexander Alekhine). Son objectif est d'inviter les blancs à avancer leurs pions centraux, puis de contre-attaquer en ciblant ce centre proéminent. Aujourd'hui, Alekhine est davantage vu comme le premier joueur au style dynamique - il pouvait aussi bien jouer de manière extrêmement tactique et agressive, que de façon calme et positionnelle. Il a monopolisé le titre de champion du monde de 1927 à 1935, année de sa défaite contre Max Euwe, avant de remporter le match retour en 1937 et de conserver ses lauriers jusqu'à sa mort en 1946. Il est le seul champion du monde à les emporter jusque dans sa tombe. »
Selon le même article de chess.com, « De 1927 à 2006, les joueurs de l'Union soviétique et de Russie ont raflé tous les titres de champion du monde (à deux exceptions près). Alekhine, Mikhail Botvinnik, Vassily Smyslov, Mikhail Tal, Tigran Petrosian, Boris Spassky, Anatoly Karpov, Garry Kasparov et Vladimir Kramnik sont les géants des échecs, contributeurs de cette hégémonie étirée du 20ème siècle au début du 21ème. »
Il semble cependant que cette donne soit en train de changer, puisque l’actuel champion du monde est le Norvégien Magnus Carlsen : « Ce dernier a remporté les 4 derniers tournois auxquels il a participé et n'a pas perdu une seule partie classique en 2019. Champion du monde depuis 2013, il continue de dominer aujourd'hui la scène internationale. »
Bonne journée et joyeuses fêtes.
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