presse coloniale début 20ème
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 29/01/2020 à 13h44
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Question d'origine :
bonjour je cherche de la documentation plutot en ligne
sur le rôle de la presse dans la vision des colonies en france et la presse coloniale ou anticoloniale entre 1900 et 1930
merci
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 31/01/2020 à 11h21
Bonjour,
Malheureusement nous avons des difficultés à trouver des documents traitant en profondeur du rôle de la presse de cette période. Un travail d’analyse reste peut-être à faire.
En premier lieu, précisons que l’on trouve sur Gallica une sélection de titres de presse coloniale.
« À propos de cet ensemble
A la fin du XIXe siècle, l’expression « Presse coloniale » recouvre un ensemble de périodiques facilement identifiables. Elle décrit en effet les journaux édités dans les colonies et les organes qui, depuis la métropole, s’intéressent aux questions coloniales. A la lumière de l’histoire de la colonisation au XXe siècle et de la presse qu’elle a engendrée, il est nécessaire d’ajouter une autre dimension à cette définition. La presse coloniale, qu’il ne faut pas confondre avec la presse colonialiste, représente un éventail de tendances : des journaux qui assurent la promotion et la mise en valeur des colonies jusqu’aux publications anticolonialistes qui apparaissent dans l’entre-deux-guerres, en passant par ceux qui, sans nécessairement relever de la presse anticolonialiste, ont critiqué les politiques coloniales. »
Un article plus détaillé sur le blog de Gallica permet de se repérer parmi ses titres appartenant à différentes tendances.
Dans l’ouvrage Culture coloniale : la France conquise par son empire, 1871-1931, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire explique en quoi la presse, parmi d’autres médias (romans, cinéma, cartes postales…) relayaient la propagande coloniale, en véhiculant une image idéalisée de la colonisation :
« Le souci manifeste de vulgarisation dans les expositions et exhibitions était relayé par un ensemble de supports médiatiques dont le rôle fut essentiel. En effet, la littérature d’accompagnement de ces expositions, mais aussi la presse, les cartes postales et autres images d’Epinal et vignettes publicitaires, ont participé à la diffusion et à la construction de ces images de l’Autre. La grande presse – Le Petit Journal ou Le Petit Parisien – multipliait les sujets ayant trait aux expéditions coloniales ; d’autres journaux furent créés autour de ces thèmes porteurs, comme Le Journal des voyages en 1877. […]
Les images véhiculées par ces médias de masse étaient simplifiées afin d’être mieux comprises, perçues et retenues par le plus grand nombre. Elles ne laissaient donc que fort peu de place à la nuance et servaient de supports de propagande au discours officiel. Ces représentations – même sommaires – étaient pourtant efficaces dans le sens où elles favorisaient l’imprégnation dans les consciences d’une synthèse des messages à transmettre et à assimiler. Des images stéréotypées portant sur l’ensemble de l’empire colonial français se dégageaient de ces médias, constituant à n’en pas douter le terreau de la conscience coloniale qui s’imposa réellement au cours de l’entre-deux-guerres lors de l’apogée colonial.
En effet, les représentations au temps des conquêtes convergeaient toutes vers une mise en scène d’un monde édulcoré, où les tensions à l’intérieur de l’empire étaient totalement annihilées pour présenter un univers pacifié et calme, des « indigènes » soumis car ayant compris le sens de la colonisation française et les bienfaits de sa « mission civilisatrice ». Au-delà de l’exotisme, c’est bien l’idéologie de la mission civilisatrice qui s’est lentement installée dans le patrimoine culturel français par le biais de l’image d’une colonisation parfaitement pacifique et comprise de la plupart des colonisés. Seuls les moins éclairés d’entre eux, les plus barbares et « sauvages », ainsi que les Français n’ayant pas compris, voire ne participant pas à l’intérêt national, pouvaient s’opposer à cette entreprise bienfaitrice pour la métropole et les colonies.
Par ailleurs, le message valorisait la colonisation parce qu’elle donnait naissance à « une plus grande France », « une France où le soleil ne se couchait jamais » et aux « cent millions d’habitants », les colonies étant des prolongements de la métropole. »
Un article publié sur Retronews s’intéresse au rôle de la presse nationaliste entre les années 1920 et les années 1930 :
« Comment la presse nationaliste habitue-t-elle son lectorat à penser l’Empire ?
Les Français sont incultes sur la question coloniale à l’époque. Très peu s’intéressent aux questions de développement, aux infrastructures, à l’économie coloniale, aux cultures « indigènes » ou aux statistiques « incroyables ». Que connaît un Français sur l’Empire en 1920 ? Peu de chose. C’est une époque où l’on ne voyage pas aux colonies ou très peu, seule une élite a cette chance. Les gens ne sont pas connaisseurs du fait colonial, à part quelques explorateurs, quelques fonctionnaires ou militaires… et bien sûr les colons qui vivent dans les colonies. En France, on a une vision très exotisante de l’Empire, à l’opposé des Anglais qui ont déjà une vieille culture impériale. On est sous le charme, mais on ne connaît pas.
Il faut donc développer les colonies, proposer aux entrepreneurs français d’y investir, élaborer des stratégies diplomatiques… et pour cela il faut « vendre » les colonies aux Français. Il y a certes l’Agence économique des colonies qui a pour mission de promouvoir les colonies par une propagande active. Mais, dans les partis politiques, dans la presse, il y a peu de spécialistes. La propagande dans la presse, très politique à l’époque, va se faire en balbutiant : ces gens ne sont pas des spécialistes de la question coloniale, ils vont trouver un espace dans leurs médias pour défendre « leur vision impériale », ils vont tâtonner, écrire quelques articles… Et, petit à petit, ils vont en faire un vecteur majeur de la pensée nationale. Ils vont construire une pensée en même temps qu’ils l’élaborent. Notamment à la droite de la droite de l’échiquier politique, où désormais être nationaliste, c’est être colonialiste. À cet égard, l’effet rebond de l’Exposition coloniale internationale de 1931 a été majeur et aura influencé toute la génération nationaliste des années 30. Mais, déjà, la guerre du Rif (1924-1925) et la lutte contre le Bolchévisme au cours de ce conflit ont été un premier moment de prise de conscience.
Après l’Exposition coloniale internationale de 1931 — l’événement qui a fédéré le plus de Français dans toute l’histoire du XXe siècle : 8,5 millions de visiteurs et 33 millions de tickets vendus —, tous vont commencer à faire de leur lectorat des habitués de la question coloniale. Quand on travaille sur ces médias, on voit monter en puissance la volonté de structurer un discours qui légitime l’Empire. Cette mécanique passe par la presse, seul territoire où l’on peut parler à la fois technicité et récit national. Cela s’organise en plusieurs temps : une période de découverte (1925-1931) ; une période de prise de conscience (1932-1936) ; une période de forte propagande et d’engagement (1937-1944).
Les lecteurs et les militants se mettent à se passionner pour l’Empire. Des congrès ont lieu dans les colonies (notamment en Algérie, qui pour beaucoup de partis d’extrême droite est bien souvent l’une des trois premières fédérations régionales en termes de militants). Il faut surenchérir, montrer qu’on a une vision pertinente pour mettre en valeur nos colonies. Les populistes d’extrême droite, associé aux colons et aux milieux d’affaires coloniaux, empêchent de faire passer toute loi qui donnerait le droit de vote aux colonies (comme le projet Blum-Viollette en 1936-1937). L’Empire, pour eux, c’est aussi l’aboutissement de la domination blanche, l’affirmation de la suprématie blanche, le moyen d’éviter le déclin de l’Occident et un espace de victoire pour l’Armée française. C’est enfin un moyen de contrôler le « flot montant des peuples de couleurs » et de faire de la France une puissance-monde.
Au début des années 30, à côté de la droite classique (notamment de la Fédération républicaine), a émergé une droite nationaliste et ligueuse, symbolisée par les Croix-de-Feu (futur PSF parti social français), la Solidarité française, les Jeunesses patriotes (fascinées par Mussolini), le parti Franciste (qui admire le parti Nazi), puis arrive en 1936 le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot qui vient du PCF… Le slogan du PPF c’est « Le parti de l’Empire » ! C’est un retournement majeur. Tous ces mouvements ont des journaux ou sont proches de journaux.
À partir de 1933/1934, la droite va commencer à structurer dans ses journaux des éditoriaux, des lettres internes, des rubriques dédiées… On glorifie les héros coloniaux. Lyautey, Gouraud, Brazza deviennent des figures du nationalisme français. Et ainsi commence à se distiller l’idée que l’espace colonial est essentiel à la pensée nationale. Le lecteur commence à y croire.
Au même moment, les colonies luttent contre le communisme et contre le Komintern (en Indochine notamment) ou contre le nationalisme des colonisés. Il y a alors une adéquation entre la lutte contre le communisme naissant et la construction, grâce à l’Empire, d’une idée nationale forte et puissante. Prenez l’exemple de René Maran, prix Goncourt en 1921 (premier Français noir à recevoir ce prix pour son roman Batouala, qui critique les excès du colonialisme), qui finit par écrire dans la rubrique coloniale du journal fasciste Je suis partout. Sans aucun doute l’un des plus marqués à l’extrême droite à l’époque, en tout cas non-conformiste et profondément antisémite. C’est un monde où il faut choisir son camp : fasciste ou communiste. Et c’est dans ce monde que va se construire, article après article, rubrique après rubrique, une pensée coloniale.
La propagande s’est institutionnalisée dans le même temps. Etre impérial et colonial dans les années 30, c’est être un bon Français. C’est une culture commune à la droite et à la gauche. C’est ainsi que la pensée commune rejoindra la pensée des extrêmes. Le maréchal Pétain au pouvoir en 1940, ne renie pas cette idée. En 1940, la France sait ce que l’Empire lui a apporté. Le processus a fonctionné. Vichy a été le régime le plus pro-impérial qui soit. La propagande battra son plein pendant quatre ans alors que Vichy perd peu à peu le contrôle de l’Empire. »
Dans La puissance française à la Belle époque : mythe ou réalité ? Charles-Robert Ageron mentionne des prises de position critiques dans la presse, du point de vue économique :
« […] il est exact que Maurras avait publié dans La Gazette de France dans le bulletin L’Action française, puis dans le quotidien du même nom à partir de 1908, des jugements fort critiques sur « les conquêtes coloniales étendues sans mesure », « ces constructions éphémères, sans avenir ». Pour lui, « les entreprises coloniales fondées sur des affaires financières profitables à certains » se trouvaient « naturellement exposées à finir comme de très mauvaises affaires ». Fondamentalement, les colonies étaient source de faiblesse, non de puissance ; de leur fait, la France s’était tout à la fois appauvrie et rendue « merveilleusement vulnérable », car la République n’avait pas su se doter d’une marine à la hauteur de ses responsabilités coloniales. D’où sa conclusion : « Un empire sans marine n’est qu’une cible propre à attirer la foudre ». […]
Beaucoup de publicistes répondaient que la France serait ruinée. « Pour cet empire, disait Le Courrier du Pas-de-Calais, le contribuable verse 200 millions de francs par an ; or il ne nous rapporte que 54 millions de produits. » »
Quelques ressources complémentaires :
La conquête de l'espace public colonial : prises de parole et formes de participation d'écrivains et d'intellectuels africains dans la presse à l'époque coloniale (1900-1960) / Hans-Jürgen Lüsebrink
Bacot, Jean-Pierre. « Le role des magazines illustres dans la construction du nationalisme au XIXe siecle et au debut du XXe siecle », Réseaux, vol. 107, no. 3, 2001, pp. 265-293.
Zessin, Philipp. « Presse et journalistes « indigènes » en Algérie coloniale (années 1890-années 1950) », Le Mouvement Social, vol. 236, no. 3, 2011, pp. 35-46.
Nous vous conseillons de poursuivre les recherches dans la base Isidore avec vos propres mots clés pour trouver d’autres ressources accessibles en ligne.
Bonne journée.
Malheureusement nous avons des difficultés à trouver des documents traitant en profondeur du rôle de la presse de cette période. Un travail d’analyse reste peut-être à faire.
En premier lieu, précisons que l’on trouve sur Gallica une sélection de titres de presse coloniale.
« À propos de cet ensemble
A la fin du XIXe siècle, l’expression « Presse coloniale » recouvre un ensemble de périodiques facilement identifiables. Elle décrit en effet les journaux édités dans les colonies et les organes qui, depuis la métropole, s’intéressent aux questions coloniales. A la lumière de l’histoire de la colonisation au XXe siècle et de la presse qu’elle a engendrée, il est nécessaire d’ajouter une autre dimension à cette définition. La presse coloniale, qu’il ne faut pas confondre avec la presse colonialiste, représente un éventail de tendances : des journaux qui assurent la promotion et la mise en valeur des colonies jusqu’aux publications anticolonialistes qui apparaissent dans l’entre-deux-guerres, en passant par ceux qui, sans nécessairement relever de la presse anticolonialiste, ont critiqué les politiques coloniales. »
Un article plus détaillé sur le blog de Gallica permet de se repérer parmi ses titres appartenant à différentes tendances.
Dans l’ouvrage Culture coloniale : la France conquise par son empire, 1871-1931, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire explique en quoi la presse, parmi d’autres médias (romans, cinéma, cartes postales…) relayaient la propagande coloniale, en véhiculant une image idéalisée de la colonisation :
« Le souci manifeste de vulgarisation dans les expositions et exhibitions était relayé par un ensemble de supports médiatiques dont le rôle fut essentiel. En effet, la littérature d’accompagnement de ces expositions, mais aussi la presse, les cartes postales et autres images d’Epinal et vignettes publicitaires, ont participé à la diffusion et à la construction de ces images de l’Autre. La grande presse – Le Petit Journal ou Le Petit Parisien – multipliait les sujets ayant trait aux expéditions coloniales ; d’autres journaux furent créés autour de ces thèmes porteurs, comme Le Journal des voyages en 1877. […]
Les images véhiculées par ces médias de masse étaient simplifiées afin d’être mieux comprises, perçues et retenues par le plus grand nombre. Elles ne laissaient donc que fort peu de place à la nuance et servaient de supports de propagande au discours officiel. Ces représentations – même sommaires – étaient pourtant efficaces dans le sens où elles favorisaient l’imprégnation dans les consciences d’une synthèse des messages à transmettre et à assimiler. Des images stéréotypées portant sur l’ensemble de l’empire colonial français se dégageaient de ces médias, constituant à n’en pas douter le terreau de la conscience coloniale qui s’imposa réellement au cours de l’entre-deux-guerres lors de l’apogée colonial.
En effet, les représentations au temps des conquêtes convergeaient toutes vers une mise en scène d’un monde édulcoré, où les tensions à l’intérieur de l’empire étaient totalement annihilées pour présenter un univers pacifié et calme, des « indigènes » soumis car ayant compris le sens de la colonisation française et les bienfaits de sa « mission civilisatrice ». Au-delà de l’exotisme, c’est bien l’idéologie de la mission civilisatrice qui s’est lentement installée dans le patrimoine culturel français par le biais de l’image d’une colonisation parfaitement pacifique et comprise de la plupart des colonisés. Seuls les moins éclairés d’entre eux, les plus barbares et « sauvages », ainsi que les Français n’ayant pas compris, voire ne participant pas à l’intérêt national, pouvaient s’opposer à cette entreprise bienfaitrice pour la métropole et les colonies.
Par ailleurs, le message valorisait la colonisation parce qu’elle donnait naissance à « une plus grande France », « une France où le soleil ne se couchait jamais » et aux « cent millions d’habitants », les colonies étant des prolongements de la métropole. »
Un article publié sur Retronews s’intéresse au rôle de la presse nationaliste entre les années 1920 et les années 1930 :
« Comment la presse nationaliste habitue-t-elle son lectorat à penser l’Empire ?
Les Français sont incultes sur la question coloniale à l’époque. Très peu s’intéressent aux questions de développement, aux infrastructures, à l’économie coloniale, aux cultures « indigènes » ou aux statistiques « incroyables ». Que connaît un Français sur l’Empire en 1920 ? Peu de chose. C’est une époque où l’on ne voyage pas aux colonies ou très peu, seule une élite a cette chance. Les gens ne sont pas connaisseurs du fait colonial, à part quelques explorateurs, quelques fonctionnaires ou militaires… et bien sûr les colons qui vivent dans les colonies. En France, on a une vision très exotisante de l’Empire, à l’opposé des Anglais qui ont déjà une vieille culture impériale. On est sous le charme, mais on ne connaît pas.
Il faut donc développer les colonies, proposer aux entrepreneurs français d’y investir, élaborer des stratégies diplomatiques… et pour cela il faut « vendre » les colonies aux Français. Il y a certes l’Agence économique des colonies qui a pour mission de promouvoir les colonies par une propagande active. Mais, dans les partis politiques, dans la presse, il y a peu de spécialistes. La propagande dans la presse, très politique à l’époque, va se faire en balbutiant : ces gens ne sont pas des spécialistes de la question coloniale, ils vont trouver un espace dans leurs médias pour défendre « leur vision impériale », ils vont tâtonner, écrire quelques articles… Et, petit à petit, ils vont en faire un vecteur majeur de la pensée nationale. Ils vont construire une pensée en même temps qu’ils l’élaborent. Notamment à la droite de la droite de l’échiquier politique, où désormais être nationaliste, c’est être colonialiste. À cet égard, l’effet rebond de l’Exposition coloniale internationale de 1931 a été majeur et aura influencé toute la génération nationaliste des années 30. Mais, déjà, la guerre du Rif (1924-1925) et la lutte contre le Bolchévisme au cours de ce conflit ont été un premier moment de prise de conscience.
Après l’Exposition coloniale internationale de 1931 — l’événement qui a fédéré le plus de Français dans toute l’histoire du XXe siècle : 8,5 millions de visiteurs et 33 millions de tickets vendus —, tous vont commencer à faire de leur lectorat des habitués de la question coloniale. Quand on travaille sur ces médias, on voit monter en puissance la volonté de structurer un discours qui légitime l’Empire. Cette mécanique passe par la presse, seul territoire où l’on peut parler à la fois technicité et récit national. Cela s’organise en plusieurs temps : une période de découverte (1925-1931) ; une période de prise de conscience (1932-1936) ; une période de forte propagande et d’engagement (1937-1944).
Les lecteurs et les militants se mettent à se passionner pour l’Empire. Des congrès ont lieu dans les colonies (notamment en Algérie, qui pour beaucoup de partis d’extrême droite est bien souvent l’une des trois premières fédérations régionales en termes de militants). Il faut surenchérir, montrer qu’on a une vision pertinente pour mettre en valeur nos colonies. Les populistes d’extrême droite, associé aux colons et aux milieux d’affaires coloniaux, empêchent de faire passer toute loi qui donnerait le droit de vote aux colonies (comme le projet Blum-Viollette en 1936-1937). L’Empire, pour eux, c’est aussi l’aboutissement de la domination blanche, l’affirmation de la suprématie blanche, le moyen d’éviter le déclin de l’Occident et un espace de victoire pour l’Armée française. C’est enfin un moyen de contrôler le « flot montant des peuples de couleurs » et de faire de la France une puissance-monde.
Au début des années 30, à côté de la droite classique (notamment de la Fédération républicaine), a émergé une droite nationaliste et ligueuse, symbolisée par les Croix-de-Feu (futur PSF parti social français), la Solidarité française, les Jeunesses patriotes (fascinées par Mussolini), le parti Franciste (qui admire le parti Nazi), puis arrive en 1936 le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot qui vient du PCF… Le slogan du PPF c’est « Le parti de l’Empire » ! C’est un retournement majeur. Tous ces mouvements ont des journaux ou sont proches de journaux.
À partir de 1933/1934, la droite va commencer à structurer dans ses journaux des éditoriaux, des lettres internes, des rubriques dédiées… On glorifie les héros coloniaux. Lyautey, Gouraud, Brazza deviennent des figures du nationalisme français. Et ainsi commence à se distiller l’idée que l’espace colonial est essentiel à la pensée nationale. Le lecteur commence à y croire.
Au même moment, les colonies luttent contre le communisme et contre le Komintern (en Indochine notamment) ou contre le nationalisme des colonisés. Il y a alors une adéquation entre la lutte contre le communisme naissant et la construction, grâce à l’Empire, d’une idée nationale forte et puissante. Prenez l’exemple de René Maran, prix Goncourt en 1921 (premier Français noir à recevoir ce prix pour son roman Batouala, qui critique les excès du colonialisme), qui finit par écrire dans la rubrique coloniale du journal fasciste Je suis partout. Sans aucun doute l’un des plus marqués à l’extrême droite à l’époque, en tout cas non-conformiste et profondément antisémite. C’est un monde où il faut choisir son camp : fasciste ou communiste. Et c’est dans ce monde que va se construire, article après article, rubrique après rubrique, une pensée coloniale.
La propagande s’est institutionnalisée dans le même temps. Etre impérial et colonial dans les années 30, c’est être un bon Français. C’est une culture commune à la droite et à la gauche. C’est ainsi que la pensée commune rejoindra la pensée des extrêmes. Le maréchal Pétain au pouvoir en 1940, ne renie pas cette idée. En 1940, la France sait ce que l’Empire lui a apporté. Le processus a fonctionné. Vichy a été le régime le plus pro-impérial qui soit. La propagande battra son plein pendant quatre ans alors que Vichy perd peu à peu le contrôle de l’Empire. »
Dans La puissance française à la Belle époque : mythe ou réalité ? Charles-Robert Ageron mentionne des prises de position critiques dans la presse, du point de vue économique :
« […] il est exact que Maurras avait publié dans La Gazette de France dans le bulletin L’Action française, puis dans le quotidien du même nom à partir de 1908, des jugements fort critiques sur « les conquêtes coloniales étendues sans mesure », « ces constructions éphémères, sans avenir ». Pour lui, « les entreprises coloniales fondées sur des affaires financières profitables à certains » se trouvaient « naturellement exposées à finir comme de très mauvaises affaires ». Fondamentalement, les colonies étaient source de faiblesse, non de puissance ; de leur fait, la France s’était tout à la fois appauvrie et rendue « merveilleusement vulnérable », car la République n’avait pas su se doter d’une marine à la hauteur de ses responsabilités coloniales. D’où sa conclusion : « Un empire sans marine n’est qu’une cible propre à attirer la foudre ». […]
Beaucoup de publicistes répondaient que la France serait ruinée. « Pour cet empire, disait Le Courrier du Pas-de-Calais, le contribuable verse 200 millions de francs par an ; or il ne nous rapporte que 54 millions de produits. » »
Quelques ressources complémentaires :
La conquête de l'espace public colonial : prises de parole et formes de participation d'écrivains et d'intellectuels africains dans la presse à l'époque coloniale (1900-1960) / Hans-Jürgen Lüsebrink
Bacot, Jean-Pierre. « Le role des magazines illustres dans la construction du nationalisme au XIXe siecle et au debut du XXe siecle », Réseaux, vol. 107, no. 3, 2001, pp. 265-293.
Zessin, Philipp. « Presse et journalistes « indigènes » en Algérie coloniale (années 1890-années 1950) », Le Mouvement Social, vol. 236, no. 3, 2011, pp. 35-46.
Nous vous conseillons de poursuivre les recherches dans la base Isidore avec vos propres mots clés pour trouver d’autres ressources accessibles en ligne.
Bonne journée.
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