Question d'origine :
Bonjour !
Bonne nouvelle que vous puissiez à nouveau répondre aux questions !
En 1900 et jusqu'à la première guerre mondiale, les chambres de bonnes des immeubles parisiens étaient-elles occupées par des femmes ? Comment se passait la vie sous les toits ?
Y arrivait-il que des hommes logent dans ces endroits et travaillent pour les familles propriétaires de ces chambres, et à quel titre ?
Je m'intéresse à toute la documentation relative à ce sujet.
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 04/06/2020 à 10h21
Bonjour,
Ravi de vous retrouver également !
Concernant votre question, vous pourriez trouver quelques éléments dans cette réponse que le Guichet a publiée il y a quelques années.
L’ouvrage d’Anne-Marie Fugier, La place des bonnes : la domesticité féminine à Paris en 1900 vous donnera de nombreux éléments relatifs à la vie dans ces chambres sous les toits, appelées communément « sixième » en raison de l’étage élevé où elles étaient situées. Vous pourrez ainsi lire le chapitre IV « le logement » où toute une partie est consacrée à cet étage des bonnes. On y apprend notamment qu’il pouvait y avoir jusqu’à 80 chambres de domestiques pour les immeubles les plus importants. Ces chambres étaient régulièrement cambriolées puisque d’un accès très aisé.
Les chambres elles-mêmes sont de petites « cellules mansardées » où l’on ne peut se tenir debout que dans un espace réduit. Les aérations sont des lucarnes et l’on « y brûle en été, on y gèle en hiver ». La literie est souvent en mauvais état…
Observateur de la condition prolétaire, Zola a décrit cet univers du « sixième » dans son roman Pot-bouille.
L’insalubrité dans ces espaces délaissés par les maîtres devient une question de santé publique au tournant du XIXe siècle et la responsabilité revient aux maîtres d’assurer une hygiène décente dans ces espaces.
Mais A-M Fugier rappelle que l’espace intime du ou de la domestique ne se situe pas toujours sous les toits. Il peut s’agir d’un « réduit avec un étroit lit de fer, très mal aéré et souvent même encombré ».
Dans son très instructif Des champs aux cuisines, histoire de la domesticité en Rhône et Loire (1848-1940), Margot Béal souligne également la diversité des espaces de logements des domestiques : « Fournir à sa domesticité un logement
“confortable et satisfaisant les règles de l’hygiène” est une obligation légale. Les domestiques ont leurs propres espaces, qui varient selon le patrimoine des employeur.es : les domestiques de ferme dorment ainsi presque tous et toutes aux écuries ou à l’étable, été comme hiver. Les lits restent jusqu’au XXe siècle un mobilier coûteux et rare ; ils sont souvent partagés : un ou deux lits pour l’ensemble des domestiques hommes de l’exploitation, un autre pour les femmes. Certains dorment encore sur de simples paillasses à l’orée du XXe siècle. Très peu de propriétaires investissent dans des draps pour leur domesticité. Dans la petite bourgeoisie urbaine, les jeunes femmes partagent la couche des enfants du ménage ou sont installées dans l’alcôve attenant à la cuisine (notamment à Saint-Étienne). Dans les villes moyennes, soumises à une moindre pression immobilière, il n’est pas rare que les domestiques bénéficient d’un lit, d’une chambre individuelle. Les domestiques paraissent alors mieux logé.es que le reste des classes populaires, pour qui surpeuplement et inconfort des espaces exigus et peu cloisonnés restent marqués à Lyon et Saint-Étienne. Ces chambres demeurent pourtant froides, dans un espace géographique où les hivers sont rudes ».
Des hommes vivaient-ils dans ces chambres ?
Il n’est pas inutile de rappeler que la domesticité (notamment urbaine) est largement féminine. Dans Les femmes en France de 1880 à nos jours, Yannick Ripa parle ainsi de ces « “métiers de femmes” : l’expression suffit à dévoiler l’existence d’un sexe du travail ; il est construit à partir de la nature (supposé, mais pas interrogée) de chacun : “sexe faible” et “sexe fort” ne peuvent accomplir les mêmes travaux, occuper les mêmes emplois. La distribution des métiers se fait certes au plus près de la représentation du féminin et du masculin, mais celle-ci enferme davantage les femmes dans leurs corps […]. Avant d’être des métiers, [les] travaux de femme peu rémunérés et infériorisés sont une prolongation de leur être physique et moral : elles ont vocation à, elles se vouent à… Lavandière, blanchisseuse, bonne, nourrice n’ont pas de masculin. Jamais un homme n’envisagera un tel emploi qui ridiculiserait sa virilité, le féminiserait nécessairement ».
Le mémoire de maîtrise de Christine Cecconi sur la Domesticité à Cannes à la Belle Epoque indique qu’ « entre 1880 et 1914, la domesticité en France diminue. L'apogée des effectifs se situe en 1881 avec 1 156 000 domestiques, soit 31 domestiques pour 1 000 habitants. Vingt ans plus tard, ils ne sont que 956 000, soit 24 domestiques pour 1 000 habitants. Cette baisse des effectifs s'accompagne d'une féminisation de la profession ; les hommes représentaient 31.7 % des domestiques en I85I, en 1901 ils ne représentent plus que 17 % ».
Il n’est somme toute pas impossible que des hommes (chauffeurs, majordome, maître d’hôtel…) aient habité ces chambres mansardées, mais au sein de familles bourgeoises particulièrement fortunées : toutes n’ont pas les moyens d’avoir plusieurs domestiques, et toutes ne peuvent pas se payer « le luxe » de s’attacher les services d’un homme, mieux rémunéré sur des postes jugés plus prestigieux.
Cela étant, les tâches que l’on qualifie aujourd’hui de domestiques sont pour l’essentiel exercées par des femmes : pas ou très peu de « bonnes hommes » dans ces chambres sous les toits !
D’autres références :
- La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle de Pierre Guiral et Guy Thuillier, Hachette, 1978
- Histoire de chambres, de Michelle Perrot, Seuil, 2009.
- Sur son blog, l’auteure amateur Lise Antunes Simoes propose une typologie des domestiques, à prendre avec quelques précautions, mais qui donne néanmoins quelques repères.
A bientôt !
Ravi de vous retrouver également !
Concernant votre question, vous pourriez trouver quelques éléments dans cette réponse que le Guichet a publiée il y a quelques années.
L’ouvrage d’Anne-Marie Fugier, La place des bonnes : la domesticité féminine à Paris en 1900 vous donnera de nombreux éléments relatifs à la vie dans ces chambres sous les toits, appelées communément « sixième » en raison de l’étage élevé où elles étaient situées. Vous pourrez ainsi lire le chapitre IV « le logement » où toute une partie est consacrée à cet étage des bonnes. On y apprend notamment qu’il pouvait y avoir jusqu’à 80 chambres de domestiques pour les immeubles les plus importants. Ces chambres étaient régulièrement cambriolées puisque d’un accès très aisé.
Les chambres elles-mêmes sont de petites « cellules mansardées » où l’on ne peut se tenir debout que dans un espace réduit. Les aérations sont des lucarnes et l’on « y brûle en été, on y gèle en hiver ». La literie est souvent en mauvais état…
Observateur de la condition prolétaire, Zola a décrit cet univers du « sixième » dans son roman Pot-bouille.
L’insalubrité dans ces espaces délaissés par les maîtres devient une question de santé publique au tournant du XIXe siècle et la responsabilité revient aux maîtres d’assurer une hygiène décente dans ces espaces.
Mais A-M Fugier rappelle que l’espace intime du ou de la domestique ne se situe pas toujours sous les toits. Il peut s’agir d’un « réduit avec un étroit lit de fer, très mal aéré et souvent même encombré ».
Dans son très instructif Des champs aux cuisines, histoire de la domesticité en Rhône et Loire (1848-1940), Margot Béal souligne également la diversité des espaces de logements des domestiques : « Fournir à sa domesticité un logement
“confortable et satisfaisant les règles de l’hygiène” est une obligation légale. Les domestiques ont leurs propres espaces, qui varient selon le patrimoine des employeur.es : les domestiques de ferme dorment ainsi presque tous et toutes aux écuries ou à l’étable, été comme hiver. Les lits restent jusqu’au XXe siècle un mobilier coûteux et rare ; ils sont souvent partagés : un ou deux lits pour l’ensemble des domestiques hommes de l’exploitation, un autre pour les femmes. Certains dorment encore sur de simples paillasses à l’orée du XXe siècle. Très peu de propriétaires investissent dans des draps pour leur domesticité. Dans la petite bourgeoisie urbaine, les jeunes femmes partagent la couche des enfants du ménage ou sont installées dans l’alcôve attenant à la cuisine (notamment à Saint-Étienne). Dans les villes moyennes, soumises à une moindre pression immobilière, il n’est pas rare que les domestiques bénéficient d’un lit, d’une chambre individuelle. Les domestiques paraissent alors mieux logé.es que le reste des classes populaires, pour qui surpeuplement et inconfort des espaces exigus et peu cloisonnés restent marqués à Lyon et Saint-Étienne. Ces chambres demeurent pourtant froides, dans un espace géographique où les hivers sont rudes ».
Des hommes vivaient-ils dans ces chambres ?
Il n’est pas inutile de rappeler que la domesticité (notamment urbaine) est largement féminine. Dans Les femmes en France de 1880 à nos jours, Yannick Ripa parle ainsi de ces « “métiers de femmes” : l’expression suffit à dévoiler l’existence d’un sexe du travail ; il est construit à partir de la nature (supposé, mais pas interrogée) de chacun : “sexe faible” et “sexe fort” ne peuvent accomplir les mêmes travaux, occuper les mêmes emplois. La distribution des métiers se fait certes au plus près de la représentation du féminin et du masculin, mais celle-ci enferme davantage les femmes dans leurs corps […]. Avant d’être des métiers, [les] travaux de femme peu rémunérés et infériorisés sont une prolongation de leur être physique et moral : elles ont vocation à, elles se vouent à… Lavandière, blanchisseuse, bonne, nourrice n’ont pas de masculin. Jamais un homme n’envisagera un tel emploi qui ridiculiserait sa virilité, le féminiserait nécessairement ».
Le mémoire de maîtrise de Christine Cecconi sur la Domesticité à Cannes à la Belle Epoque indique qu’ « entre 1880 et 1914, la domesticité en France diminue. L'apogée des effectifs se situe en 1881 avec 1 156 000 domestiques, soit 31 domestiques pour 1 000 habitants. Vingt ans plus tard, ils ne sont que 956 000, soit 24 domestiques pour 1 000 habitants. Cette baisse des effectifs s'accompagne d'une féminisation de la profession ; les hommes représentaient 31.7 % des domestiques en I85I, en 1901 ils ne représentent plus que 17 % ».
Il n’est somme toute pas impossible que des hommes (chauffeurs, majordome, maître d’hôtel…) aient habité ces chambres mansardées, mais au sein de familles bourgeoises particulièrement fortunées : toutes n’ont pas les moyens d’avoir plusieurs domestiques, et toutes ne peuvent pas se payer « le luxe » de s’attacher les services d’un homme, mieux rémunéré sur des postes jugés plus prestigieux.
Cela étant, les tâches que l’on qualifie aujourd’hui de domestiques sont pour l’essentiel exercées par des femmes : pas ou très peu de « bonnes hommes » dans ces chambres sous les toits !
- La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle de Pierre Guiral et Guy Thuillier, Hachette, 1978
- Histoire de chambres, de Michelle Perrot, Seuil, 2009.
- Sur son blog, l’auteure amateur Lise Antunes Simoes propose une typologie des domestiques, à prendre avec quelques précautions, mais qui donne néanmoins quelques repères.
A bientôt !
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