Question d'origine :
Le président turc peut-il être qualifié de « fasciste » ?
Merci
Réponse du Guichet
bml_soc
- Département : Société
Le 25/06/2020 à 16h05
Autocratique, fasciste, dictature ? Depuis plusieurs années les qualificatifs pour désigner le régime de Recep Tayyip Erdoğan ne manquent pas. Mais, qu’en est-il exactement de sa nature ?
De nombreuses personnes le qualifient de fasciste et certains évènements tendent également à le démontrer : Par exemple, la lourde peine de prison de plus neuf ans prononcée contre son opposante Canan Kaftancioglu pour "propagande terroriste" et "insulte au chef de l'Etat. Ou encore la répression policière de manifestations antigouvernementales en 2013. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a notamment nommé la Turquie d’Erdogan de « sombre dictature », accusant le président du « massacre des Syriens et des Kurdes et emprisonne des dizaines de milliers de Turcs ». lsi Erdogan, écrivaine accusée de propagande terroriste affirme que « Le président truc met sur pied un régime fasciste », appuyant ses propos en citant la construction de sa propre force militaire et le vote de la loi exemptant de toute enquête judiciaire et de tout procès quiconque ayant commis un crime pour défendre le gouvernement.
Mais qu’est ce qui caractérise un régime fasciste ?
Du point de vue des sciences politiques, il s’agit de toute doctrine tendant à instaurer un état nationaliste, corporatiste et autoritaire. Une attitude fasciste, elle, est autoritaire, arbitraire, violente et dictatoriale, imposée par quelqu’un à un groupe quelconque, ou à son entourage.
Historiquement, c’est un mouvement créé en 1919 en Italie par Benito Mussolini, et qui est à l’origine du système politique fasciste instauré en 1922. Depuis, plusieurs mouvements ont repris cette doctrine notamment dans les pays européens entre la fin de première guerre mondiale et la fin de la deuxième.
La liste des caractéristiques communes aux différents mouvements fascistes est longue, mais nous pouvons en citer les principales :
- Le nationalisme avec notamment la volonté d’instaurer un Etat fort ayant l’autorité sur les droits et liberté de ses citoyens, encadrant, contrôlant et dirigeant la collectivité. Sans oublier la sacralisation de la valeur nationale et le renforcement de sa cohésion, sa grandeur et sa puissance.
- Le militarisme qui fait des partis fascistes de véritables armées combattant au service d’une idéologie politique, la violence étant un moyen d’action normalisé.
- La volonté de « former » la jeunesse, en promouvant la fidélité, l’obéissance, la camaraderie, la force, la lutte et le sacrifice.
- Le culte du chef, ayant tous les pouvoirs entre ses mains.
- Le culte du travail.
- La promotion affichée de réalisations « sociales».
- La volonté d’un Etat monopolistiques, c’est-à-dire la domination d'un parti unique. De faire de son idéologie l’idéologie de l’Etat et du peuple.
(Source : Universalis)
Certaines de ces caractéristiques se retrouvent dans la pratique politique d’Erdogan : culte du chef ayant tous les pouvoirs (bien que adossé à des institutions républicaines), domination d’un parti (mais qui n’est pas unique), militarisme, nationalisme.
Comme l’analyse l’Obs déjà en 2016 dans cet article : Turquie : la vérité sur la dictature fascisante d'Erdogan, la chasse aux sympathisants putschistes, les purges dans l'administration, l’écrasement de toute opposition sont autant de phénomènes qui autorisent à qualifier le régime du président turc de dictature fascisante. Ahmet Insel, journaliste à Cumhuriyet, également soupçonné par le régime de "connivence" avec le terrorisme, écrit également : "Si ce n’est pas encore du fascisme, c’est déjà une dictature fascisante qui rappelle celles de l’entre-deux-guerres." Le politologue Hamit Bozarslan utilise l’image du "bateau ivre" pour souligner la radicalisation progressive et inéluctable du régime : "Erdogan a fait alliance avec l’extrême droite nationaliste et la frange ultra-islamiste. Il veut rétablir la peine de mort, intervenir en Syrie, en Irak. Tension avec l’Europe, les Etats-Unis, ses voisins… C’est une fuite vers l’abîme dont on ne voit pas comment il peut sortir."
En 2018 Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la Turquie, livre son analyse dans un article du magazine Les Inrocks. Le caractère autoritaire de la politique du chef de l’Etat se manifeste à tous les niveaux de la société ; “l’immunité parlementaire a été supprimée, ce qui permet d'emprisonner facilement des parlementaires d'opposition” ; la presse est muselée, sous la pression du pouvoir par peur des représailles. De la même façon, la justice est remaniée et de plus en plus sous le contrôle de l’Etat. “Une simple pétition demandant la reprise du processus de paix avec les Kurdes amène des universitaires à être licenciés, voire condamnés à des peines de prison”. Il ajoute que même si la tentative de coup d’Etat en 2016 a été empêchée et que la vague d’attentat terroristes a cessé depuis 2017, le pays semble être resté figé dans un état d’urgence.
Reste-t-il des espaces de liberté ? Il y a toujours des élections et les partis d'opposition siègent au parlement (bien que certains députés soient en prison). Malgré cette façade démocratique, des fraudes ont été relevées lors du référendum de 2017, la libre expression de l’opposition est loin d’être garantie.
Pour approfondir, nous vous invitons à lire les ouvrages suivants d’observateurs et analystes éminents de la situation politique turque :
Guillaume Perrier, Dans la tête de Recep Tayyip Erdoğan.
Ahmet Insel, La nouvelle Turquie d'Erdogan: du rêve démocratique à la dérive autoritaire.
Le documentaire Erdogan, l’ivresse du pouvoir.
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