Éthique pour les intelligences artificielles
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 09/07/2020 à 10h06
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Question d'origine :
Existe-t-il une branche de l'éthique informatique qui prendrait en compte la « personnalité » des IA, ou leur caractère de « personne morale » ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 10/07/2020 à 09h06
Bonjour,
C’est plutôt du côté du droit que nous entraînent les sources que nous trouvons :
« L’argument déployé par les tenants de l’attribution d’une personnalité juridique aux robots, que ce soit des avocats comme maître Alain Bensoussan en France, ou des parlementaires comme Mady Delvaux en Belgique, repose sur l’imputation de la responsabilité dans le cas d’accidents où des systèmes robotisés autonomes seraient impliqués. Cela tient à l’extrême complexité des dispositifs techniques actuels qui fait que, dans le temps de l’action, on éprouve tous des difficultés à établir l’enchaînement exact des relations de cause à effet à la source des actions des robots, ce qui nous déroute. A défaut, on projette sur eux une entité abstraite que l’on appelle un agent, et dont on suppose qu’elle les meut. C’est à cet être, tout à la fois virtuel et fugitif, que l’on attribue la source des actions du robot. Mais, peut-on imputer la responsabilité des actions du robot à cet agent ? Peut-on même parler là de responsabilité ? En effet, la notion de responsabilité morale des robots n’a pas de sens, puisque ceux-ci ne sont pas des êtres libres en ce qu’ils ne possèdent pas de volonté propre et qu’ils sont assujettis à des buts qu’un autre leur a fixés.
L’attribution du statut de personne aux robots autonomes n’a donc pas de signification morale et il n’a pas la prétention d’en avoir une. En effet, d’après ses promoteurs, cela correspond à ce que l’on appelle une « fiction juridique » : cette personnalité est équivalente à la personnalité morale d’une entreprise. Une telle personnalité permettrait d’indemniser les victimes d’accidents impliquant des robots. Sur un registre analogue, ajoutons que, tant le rapport susmentionné de Mady Delvaux, que le programme de Benoît Hamon, candidat à la présidence de la République française aux élections de 2017, proposent tous deux de faire payer une taxe aux robots, à raison des emplois qu’ils font disparaître. L’idée commune partagée à la fois par le projet d’attribution d’une personnalité juridique aux robots et par la proposition de leur taxation revient à offrir une compensation à ceux que les robots auraient lésés, à hauteur des préjudices subis. On en comprend aisément la logique. Toutefois, cela pose un problème majeur : les robots n’ayant ni conscience, ni possession, comment les sanctionner d’une façon satisfaisante pour les victimes de leurs méfaits ? Il ne saurait être question de destruction ou de peine de prison ! Par analogie à la personnalité morale des sociétés, qui indemnise les créanciers ou les victimes avec les fonds propres de la société, on doterait les robots d’un fonds propre destiné à indemniser les victimes de leurs inconséquences. Autrement dit, les fabricants et/ou les utilisateurs assureraient les robots contre les dégâts qu’ils risqueraient d’occasionner.
Quoique séduisante au premier abord, cette attribution d’un droit moral aux robots pose un certain nombre de questions. Nous en énumérons ici trois qui nous apparaissent dissuasives.
En tout premier lieu, l’obligation d’abonder un fonds d’assurance destiné à indemniser les victimes de robots risque de détourner les nouveaux arrivants dans l’industrie robotique, car ils n’auront pas les moyens de payer pour des dégâts virtuels, avant même de faire leurs preuves. Il en va de même pour les utilisateurs potentiels qu’une telle assurance découragera.
En deuxième lieu, l’attribution de la responsabilité au robot en cas d’accident éludera l’enquête. On paiera pour s’assurer de l’absence de recours des victimes. Mais, outre que cela ne règle pas le cas des dommages susceptibles d’une poursuite pénale, cela ne forcera pas non plus à déterminer les causes exactes et, par là, la vraie responsabilité qui incombe parfois au fabricant, pour malfaçon, parfois au programmeur, parfois à l’utilisateur, parfois au propriétaire ou encore à celui qui a entraîné le robot lors de sa phase d’apprentissage… Or, cette détermination est essentielle pour faire progresser la technologie et éviter que des accidents semblables ne se reproduisent.
En troisième lieu, l’idée de taxtes sur les robots aurait des effets délétères sur l’économie, car désormais, loin de causer le chômage, les robots industriels accroissent la productivité des usines et donc la compétitivité, ce qui évite la désindustrialisation et permet de maintenir des emplois…
Bref, si elle frappe l’imagination et si, à ce titre, elle recueille beaucoup d’échos dans les médias, l’attribution d’une personnalité juridique aux robots pose bien plus de problèmes qu’elle n’en résout ! »
Source : Intelligence artificielle : vers une domination programmée ? / Jean-Gabriel Ganascia
« L’éthique amène les juristes à s’interroger sur la personnalité et la responsabilité du robot dont on commence à parler de plus en plus.
L’avocat Alain Bensoussan déjà cité, prône une reconnaissance de la personnalité des robots et donc de leur responsabilité. Il écrit : « avec l’introduction de l’intelligence artificielle, la robotique non plus ne pourra être encadrée par la seule norme juridique et la composante éthique revêt un caractère essentiel ». Il s’agira selon lui d’encadrer les interactions entre l’intelligence artificielle du robot et l’homme dès leur conception, par des règles éthiques. Il renvoie aux principes définis en 1950 par l’écrivain Isaac Asimov et ses lois comportementales tout en concluant que le « robot-étique » reste à inventer…
A travers cette interrogation c’est la question du statut du robot qui est posée et de la possibilité de lui reconnaître une forme de personnalité avec une responsabilité propre.
Dans le passé, la personnalité juridique a été reconnue aux personnes morales et certains voudraient aujourd’hui renouveler l’exercice avec les robots. Or, si la création d’une fiction juridique pour les personnes morales répondait à des besoins réels (reconnaissance de l’intérêt collectif, favoriser la concentration des moyens matériels / humains, assurer la pérennité d’une activité de la structure…), tel ne semble pas devoir être le cas des robots.
Le point central, principal et essentiel que pose le débat ouvert par cette question est celui du nouveau paradigme de la liberté décisionnelle du robot. Alain Bensoussan affirme : « même dans un périmètre limité, le robot, parce qu’il est libre, a une emprise sur le monde qu’il façonne nécessairement par son action ». Il justifie son affirmation par l’exemple de la voiture robot qui est amenée à un moment de son parcours à prendre une décision pour éviter un accident sans intervention humaine.
Mais ne doit-on pas lui objecter que l’intervention humaine n’est que le résultat d’une programmation préalable ? En fait, cette liberté du robot qui constituerait le critère de la reconnaissance de sa personnalité juridique, n’est que le résultat d’une programmation sur laquelle l’homme garde la maîtrise puisqu’elle est son œuvre… La question peut sembler plus complexe à l’aune de la singularité encore hypothétique ou de la capacité en cours d’avènement des possibilités à venir pour l’intelligence artificielle d’ « auto apprendre », c'est-à-dire de s’enrichir seule sans avoir besoin de l’intervention humaine… à s’autoprogrammer.
Voilà un authentique « vrai faux débat » alimenté par les progrès de la robotique. Des progrès grandissants qui accroîtront l’autonomie du robot. Pour autant cette tendance ne peut pas nous faire perdre de vue que le robot est et demeurera une création humaine et que l’homme n’est pas Dieu. Il doit rester une chose. Les progrès techniques ne doivent pas conduire à l’inversion des principes éthiques. Selon nous la réponse doit rester la même. L’inverse signifierait le renoncement de l’homme face à sa créature !
Il faut revenir à la philosophie, faute de quoi les fondements mêmes de la conception de l’autonomie et de la personnalité juridique susceptible d’en résulter seront inexacts. L’attribution de la personnalité juridique robot ne doit pas être un moyen de résoudre les questions éthiques et morales. Elle ne peut être adaptée, car elle doit l’être, qu’en fonction de prémices philosophiques et morales.
Le droit et l’éthique sont ainsi convoqués pour relever les défis moraux des progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle. Mais il ne s’agit par ce biais pour les tenants du développement de cette autonomie que de suivre le mouvement, de l’accompagner, de rendre possibles toutes les évolutions, tous les progrès et en même temps toutes les ruptures. On est dans la gestion, plus que dan la gestion…
La situation est paradoxale et inquiétante car on invoque l’éthique tout en rejetant les principes les plus élémentaires de la morale. Comme si on tentait de se donner bonne conscience en invoquant l’ordre de la morale que l’on avait pris le soin au préalable de vider de son contenu… Car enfin comment peut-on imaginer de dire ce qui est bien ou ce qui est mal en termes de développement de l’intelligence artificielle et de la robotique alors que l’on est même plus capable de dire ce qui est bien ou mal pour l’homme ? Nous sommes face à un déni de réalité !
En vérité, la question est de savoir si les capacités nouvelles que ses capteurs et ses algorithmes donnent aux robots justifient qu’on leur reconnaisse une liberté. La reconnaissance d’une personnalité propre ne résulte-t-elle pas d’une démission face à l’influence des robots ? Nous serions tentés de dire qu’il pourrait être aisé de le conclure en affirmant simplement que l’homme doit rester responsable de ce qu’il fait, de ce qu’il crée, de ce qu’il construit, même lorsqu’il crée ou construit une machine, si perfectionnée soit-elle, et dotée d’un certain degré d’autonomie. »
Source : L'avocat face à l'Intelligence Artificielle, Bernard Hawadier
«Les avocats sont-ils prêts à défendre des machines ?
En l’état, aucune machine, aussi « évoluée » soit-elle, n’est dotée de la personnalité juridique. Celle-ci est réservée aux êtres humains (« personnes physiques ») et aux entités qu’ils contrôlent et animent (« personnes morales » : sociétés, associations, syndicats, fondations, etc.).
Il n’est donc pas possible de défendre un robot, ce dernier relevant du droit des biens et non du droit des personnes. Il en va d’ailleurs ainsi, à l’heure actuelle, des animaux, qui sont juridiquement considérés comme des « êtres vivants doués de sensibilité », mais relèvent toujours du régime des biens « sous réserve des lois qui les protègent ».
Il est en revanche naturellement possible d’assister et de représenter en justice le concepteur d’une machine, le vendeur de celle-ci ou à l’inverse la victime des dommages causés par l’intelligence artificielle… »
Source : Comment l’IA va changer le droit du travail, lebigdata.fr
«Doter les robots d’un capital pour l’indemnisation
La résolution du Parlement européen du 16 février 2017 prévoit de créer un statut juridique propre aux robots, pour que les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, ayant des droits et des obligations spécifiques. S’il lui est reconnu une personnalité juridique, le robot sera susceptible de voir la responsabilité de son fait personnel engagée. Or, n’ayant pas de patrimoine, comment pourrait-il indemniser la victime ? Pour cette raison, aux États-Unis, dans l’État du Nevada, les robots se sont vu reconnaître certains attributs de la personne morale, sans être toutefois considérés comme tels. Immatriculés et répertoriés dans un fichier dédié, ils se voient surtout assigner un capital. Ceci permet de les assurer directement pour répondre des dommages qu’ils causeraient dans leurs interactions en environnement ouvert. Plus radicale, mais associée à une meilleure efficacité indemnitaire, l’idée d’une responsabilité solidaire sans faute de plusieurs acteurs impliqués dans la création et la direction de l’intelligence artificielle est suggérée, notamment par David Vladeck, un professeur de droit américain. Elle consisterait à tenir solidairement responsables différents acteurs qui « participent à une entreprise ou travaillent à une fin commune » (doctrine de la « common enterprise liability »). La création d’un fonds de garantie, dont le coût serait supporté, au moins en partie, par les industriels, est une piste de réflexion. Ce mécanisme, certes discutable en ce qu’il facilite une déresponsabilisation des acteurs, permettrait d’indemniser la victime d’un dommage corporel causé par un objet connecté autonome sans avoir à rechercher la faute d’une personne physique ou morale. »
Source : Intelligence artificielle, le droit n’est pas prêt, selene-avocats.fr
« Aujourd’hui, les robots gagnent en autonomie, en « deep learning ». Si les robots n’ont pas la personnalité juridique, ils ne sont plus uniquement une création humaine mais pourraient devenir des créateurs.
Qu’en est-il d’une œuvre crée par une machine dotée d’une intelligence artificielle ? La machine dotée d’une intelligence artificielle peut-elle être artiste et produire une œuvre ? La question de la créativité artificielle se pose.
Le droit positif, qui place l’originalité au centre de la création prive la création générée par un robot de protection, faute d’intervention humaine.
C’est dans ce contexte que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), instance chargée de conseiller le ministre de la culture sur les questions relatives au numérique, a remis son rapport « Mission Intelligence Artificielle et Culture » le 27 janvier 2020 sur l’intelligence artificielle créative. Diverses hypothèses y sont proposées relativement à la protection des œuvres crées au soutien de l’IA. […]
II. Le régime juridique des créations artistiques issues de l’intelligence artificielle.
A. La difficulté relative à la qualification juridique d’œuvre de l’esprit.
Rappelons à titre liminaire que pour qu’une création soit protégée par le droit d’auteur, le Code de la propriété intellectuelle exige que cette œuvre soit originale. Celle-ci doit refléter l’expression de la personnalité de son auteur. Une création doit donc découler d’une intervention humaine, requérir l’effort intellectuel d’une personne physique.
Juridiquement, cela signifie que seul un être humain peut réaliser une œuvre, ce qui n’exclue pas qu’il puisse se servir d’outils ou d’instruments pour créer.
S’agissant de l’implication du robot dans le processus créatif, celui-ci est capable de prendre part à la création par deux types d’interventions :
il peut être l’assistant de la personne physique qui l’utilise en tant qu’outil de sa création,
il peut être lui-même à l’origine de la création, générer une œuvre.
Cela suppose donc une approche casuistique dans la qualification de l’œuvre à la création de laquelle le robot participe.
Lorsque la personne humaine n’est pas totalement exclue du processus créatif et a recours à l’assistance d’une machine qu’elle appréhende comme outil à sa création, qu’elle utilise comme un moyen technique pour obtenir un résultat, on parle d’assistance robotique ou de création assistée par ordinateur (CAO) : cela ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère original de l’œuvre qui en découle.
A ce titre, il est établi que « l’emploi d’une machine n’est pas de nature à faire perdre à l’œuvre considérée son caractère d’originalité et de nouveauté » (Cour d’appel de Douai, 4 décembre 1964) et « qu’une œuvre de l’esprit créée à partir d’un système informatique sera protégeable si apparait même de façon minime l’originalité qu’a voulu apporter son concepteur ».
Dans une autre décision, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait dans un jugement en date du 5 juillet 2000 précisé que « la composition musicale assistée par ordinateur, dès lors qu’elle implique une intervention humaine, …, conduit à la création d’œuvres originales et comme telles protégeables quelle que soit l’appréciation qui peut être portée sur leur qualité ».
Ainsi, la Cour d’appel de Paris a jugé que « l’on ne saurait méconnaitre, a priori, l’apport des techniques informatiques tant dans le domaine de la création que de l’interprétation », la création assistée par ordinateur est donc protégeable.
On comprend que le robot n’est, dans ces hypothèses envisagé, que comme un outil s’insérant dans une plus vaste démarche créative humaine ; la titularité des droits revenant à la personne morale ou physique, dotée de la personnalité juridique.
Lorsque la création est générée par le robot-artiste, qui crée lui-même, sans intervention directe d’une personne physique, cette production ne peut être qualifiée « d’œuvre » car il n’est pas considéré en droit positif comme un auteur.
Un robot ne pense pas, n’a pas de conscience, il ne peut à proprement parler « créer ». Partant, son régime appartient à celui des biens (dans laquelle se trouvent les animaux, ou encore les végétaux) et non des personnes.
L’absence d’auteur et d’originalité rend difficile la qualification de cette création comme « œuvre de l’esprit » car ces éléments ne se retrouvent pas dans la création générée par l’intelligence artificielle.
Or, sans droit privatif sur la production générée, comment récompenser les investissements financiers réalisés pour développer la technologie à l’origine d’une création ? d’autant plus que les coûts liés à son élaboration, son utilisation puis sa maintenance peuvent être considérables.
Certains auteurs sont favorables à une reconnaissance de la personnalité juridique aux robots, qui leur permettrait d’être titulaire de droits d’auteur (sous réserve du respect de la condition d’originalité) ou d’engager leur responsabilité en cas de contrefaçon.
Le Parlement européen a d’ailleurs pris une résolution la 16 février 2017 proposant à la Commission « la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenus de réparer tout dommage causé à un tiers ».
Notons également que le droit positif français tend à s’éloigner du critère d’originalité et de la tradition personnaliste du droit d’auteur : le juge est parfois incapable de déceler l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans certaines œuvres. A titre illustratif, en matière musicale, c’est le critère de la nouveauté qui a permis d’apprécier l’originalité d’une œuvre en la comparant aux œuvres antérieures.
La « subjectivisation » du droit d’auteur est aussi relativisée en matière de logiciels où le critère déterminant de la protection est la « marque de l’apport intellectuel ».
Enfin, derrière une technologie, il y a toujours un homme, même s’il n’est pas directement à l’origine du résultat. Finalement, n’est-il pas possible de déceler une intention artistique et humaine, un choix libre et arbitraire, derrière l’absence volontaire de son intervention ?
Le photographe est reconnu comme un artiste susceptible d’être protégé sur le terrain du droit d’auteur alors que le processus de réalisation d’une photographie est proche de certaines technologies issues de l’intelligence artificielle.
Le Conseil propose alors des solutions censées faciliter l’accès et la circulation des données favorables à la création telles que le mécanisme de licence générale conclue avec les sociétés de perception et de répartition des droits, ou encore d’un droit à la portabilité des données permettant de les réutiliser voire de les revaloriser, par le biais d’un clause contractuelle qui serait imposée dans les contrats liant les titulaires de droits sur les contenus protégés et l’opérateur ayant obtenu l’autorisation de les exploiter.
Mais juridiquement, les créations produites par l’intelligence artificielle conduisent à nous interroger sur le régime de ces créations : sur leur éventuelle protection par le droit d’auteur, sur l’existence d’un monopole d’exploitation et sur la titularité des droits.
B. La difficulté relative à la titularité du droit d’auteur.
Les multiples appréhensions des créations du robot par le droit de la propriété intellectuelle complexifient la question de la titularité des droits d’auteur en cas de reconnaissance de la qualification d’œuvre de l’esprit. Qui peut revendiquer la qualité d’auteur ?
Aux Etats-Unis, le Bureau national du droit d’auteur a déclaré que seules les œuvres originales crées par un être humain pourraient prétendre à une protection par le droit d’auteur. C’est ainsi que les juges américains ont refusé de reconnaître au singe Naruto un droit d’auteur sur son selfie.
Au Royaume-Uni, la protection des œuvres assistées par des technologies robotiques est acquise. Il est précisé à l’alinéa 9.3 de la loi sur le droit d’auteur, les dessins et modèles et les brevets du 15 novembre 1988 que : “dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique créée au moyen d’un ordinateur, la personne ayant pris les dispositions nécessaires pour créer ladite œuvre sera réputée en être l’auteur”, celui-ci pouvant être une personne morale distincte du créateur personne physique.
Cette disposition prête toutefois à interprétation car plusieurs intervenants sont en effet susceptibles de prendre part au processus créatif :
Le concepteur du robot d’abord, c’est celui qui dote le robot de données préexistantes et nécessaires à la création d’un résultat donné et qui encadre le processus algorithmique. La notion de concepteur est d’ailleurs large puisque une IA peut résulter de l’implication de plusieurs intervenants.
Sur ce point le rapport du CSPLA évoque l’hypothèse de l’accession par production de l’article 546 du code civil pour permettre au propriétaire du robot d’acquérir les accessoires que produit sa chose (les œuvres étant les fruits de l’intelligence artificielle). Se pose toutefois une difficulté quant à l’application concrète de ce mécanisme : son automaticité serait critiquable car l’on raisonnerait comme si le concepteur connaissait déjà le contenu des œuvres que la technologie qu’il a mis en place serait susceptible de produire. De plus, le concepteur peut déjà obtenir une protection en tant qu’auteur du logiciel qui a permis à l’intelligence artificielle de créer.
On pourrait aussi imaginer que le titulaire d’un monopole reviendrait à l’utilisateur de l’IA (qui peut aussi être le concepteur) : c’est celui qui initie le processus créatif, déclenche la machine, maitrise le robot entre ses mains. Même si la création reste le résultat du calcul algorithmique du robot, l’utilisateur en est le plus proche et choisi de divulguer l’œuvre. Toutefois, son apport à la création reste minime : il se contente d’appuyer sur un bouton, voire de choisir entre plusieurs options, la machine fait le reste. La création ne reflète donc pas un véritable apport personnel de l’utilisateur qui se contente de lancer un programme, ce qui tend à vider de sa substance la logique du droit d’auteur.
Cette solution aboutirait à une « protection quasi automatique ».
Constatant ces difficultés, le CSPLA propose de s’inspirer des mécanismes existants. Par exemple, créer un droit d’auteur spécial, en aménageant la notion d’originalité comme cela a pu être fait pour les logiciels (cf. supra) afin de qualifier la création du robot en œuvre de l’esprit serait une première piste.
D’un point de vue économique, le Conseil propose aussi de récompenser l’instigateur de la technologie en utilisant le modèle de l’œuvre collective qui selon l’article L. 113-2 al.3 du CPI est « une œuvre crée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et en son nom ».
Dans la majorité des cas, c’est l’entreprise qui sera titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre collective, donc la personne morale qui aura investi dans la création. L’œuvre générée serait alors la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.
Une autre hypothèse envisagée serait la création d’un droit d’auteur pour celui qui divulgue la création générée par l’IA, qui réalise les investissements pour communiquer l’œuvre au public et qui bénéficierait des prérogatives patrimoniales (droits d’exploitation), une sorte de droit voisin.
Enfin, le rapport propose de s’inspirer du droit accordé au producteur de bases de données en créant un droit sui generis, afin de protéger les efforts financiers, humains ou matériels des intervenants au processus créatif développé par l’IA. Cela pourrait permettre de s’émanciper de la conception « personnaliste » du droit d’auteur tout en générant un « retour sur investissement ».
En tout état de cause, l’absence de droit d’auteur sur les créations issues de l’intelligence artificielle n’est pas insurmontable. D’autres voies alternatives sont possibles.
Le programmateur de la technologie peut très bien se faire rémunérer en concédant une licence d’utilisation de son logiciel. De plus, la directive (2016 / 943) du 8 juin 2016 sur le secret des affaires, transposée à l’article L 151-1 du CPI permet aussi de s’opposer à la divulgation illicite du savoir-faire technologique et l’appropriation de son investissement. Par ailleurs, tout investisseur pourra encore, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle, agir contre les actes de concurrence déloyale ou les agissements parasitaires.
Ces avancées technologiques témoignent tout de même de la nécessité d’un cadre légal spécifique. La députée européenne Mady Delvaux soulignait cette nécessité dans son rapport du 27 janvier 2017, en demandant à la Commission de « définir des critères de création intellectuelle propre applicables aux œuvres protégeables par droit d’auteur créées par des ordinateurs ou des robots ».
Si l’homme se robotise, le robot est capable de s’humaniser.
Si l’idée créatrice et la conscience intentionnelle sont le propre de l’artiste, si l’intelligence artificielle est pleine de mystères comme l’affirmait Cédric Villani, « elle n’est pas intelligente, elle ne comprend rien, elle n’a aucune culture ». Un robot ne pense pas, ne conçoit pas, ne crée pas ; un robot calcule, fabrique, apprend, assimile, reproduit. »
Source : Le droit d’auteur confronté au « robot-artiste » et à l’intelligence artificielle
En complément, quelques ouvrages de notre catalogue sur l’IA et l’éthique :
• Intelligence artificielle : réflexions pour une éthique responsable / sous la direction de Pascal Montagnon
Un ensemble de contributions qui explorent comment réguler l'impact de l'intelligence artificielle et des algorithmes. Les réseaux sociaux, les sites de commerce électronique, les automobiles autonomes et les bulletins météorologiques sont au nombre des sujets abordés.
• Les robots émotionnels : santé, surveillance, sexualité.. : et l'éthique dans tout ça ? / Laurence Devillers
Un essai sur l'intelligence artificielle dans la vie de tous les jours à l'image des chatbots, des robots et autres poupées humanoïdes. L'auteure estime que ces machines organisées en réseaux risquent de mettre les populations sous surveillance et de les aliéner. Elle prône la régulation éthique des objets intelligents et émotionnels connectés ainsi que la formation des citoyens.
• La voiture qui en savait trop : l'intelligence artificielle a-t-elle une morale ? / Jean-François Bonnefon
Sur la route, si vous n'aviez pas le choix, préféreriez-vous sauver un homme ou une femme ? Un sans-abri ou un cadre supérieur ? Deux jeunes filles ou deux mamies ? Accepteriez-vous de vous sacrifier avec vos passagers pour éviter d'écraser des enfants ? Les voitures sans conducteur rouleront bientôt dans nos villes. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une machine décidera seule qui sauver, sans que l'humain ait le temps de vérifier sa décision. L'algorithme choisira en fonction des critères moraux que nous lui aurons inculqués. Mais sommes-nous sûrs de notre propre morale ? Comme le montrent les études scientifiques, la valeur que nous accordons psychologiquement à telle ou telle vie diffère en fonction du sexe, de l'âge, de la condition sociale, de l'état de santé de la personne considérée. Nous sommes aussi conditionnés par notre culture. Il n'existe pas de morale universelle. Nous ignorons quelle sera celle des machines. Qui, de nous ou de la machine, prendra les commandes ?
• Les robots et le mal / Alexei Grinbaum
Des robots domestiques se font délateurs, des systèmes informatiques participent à des conflits humains, voire les provoquent, un véhicule autonome tue une piétonne. Selon l'auteur, physicien et philosophe, il ne faut pourtant pas diaboliser les robots. Dans cet essai technophile, il propose une solution aux dilemmes moraux posés par l'intelligence artificielle.
• Super intelligence / Nick Bostrom ; traduit de l'anglais par Françoise Parot
Une réflexion sur les problèmes posés par les progrès de l'intelligence artificielle et notamment sur le surpassement robotique des facultés cognitives. Elle évalue les risques et les bénéfices d'une supériorité analytique, mémorielle et décisionnelle des machines avant d'imaginer plusieurs scénarios possibles.
Bonne journée.
C’est plutôt du côté du droit que nous entraînent les sources que nous trouvons :
« L’argument déployé par les tenants de l’attribution d’une personnalité juridique aux robots, que ce soit des avocats comme maître Alain Bensoussan en France, ou des parlementaires comme Mady Delvaux en Belgique, repose sur l’imputation de la responsabilité dans le cas d’accidents où des systèmes robotisés autonomes seraient impliqués. Cela tient à l’extrême complexité des dispositifs techniques actuels qui fait que, dans le temps de l’action, on éprouve tous des difficultés à établir l’enchaînement exact des relations de cause à effet à la source des actions des robots, ce qui nous déroute. A défaut, on projette sur eux une entité abstraite que l’on appelle un agent, et dont on suppose qu’elle les meut. C’est à cet être, tout à la fois virtuel et fugitif, que l’on attribue la source des actions du robot. Mais, peut-on imputer la responsabilité des actions du robot à cet agent ? Peut-on même parler là de responsabilité ? En effet, la notion de responsabilité morale des robots n’a pas de sens, puisque ceux-ci ne sont pas des êtres libres en ce qu’ils ne possèdent pas de volonté propre et qu’ils sont assujettis à des buts qu’un autre leur a fixés.
L’attribution du statut de personne aux robots autonomes n’a donc pas de signification morale et il n’a pas la prétention d’en avoir une. En effet, d’après ses promoteurs, cela correspond à ce que l’on appelle une « fiction juridique » : cette personnalité est équivalente à la personnalité morale d’une entreprise. Une telle personnalité permettrait d’indemniser les victimes d’accidents impliquant des robots. Sur un registre analogue, ajoutons que, tant le rapport susmentionné de Mady Delvaux, que le programme de Benoît Hamon, candidat à la présidence de la République française aux élections de 2017, proposent tous deux de faire payer une taxe aux robots, à raison des emplois qu’ils font disparaître. L’idée commune partagée à la fois par le projet d’attribution d’une personnalité juridique aux robots et par la proposition de leur taxation revient à offrir une compensation à ceux que les robots auraient lésés, à hauteur des préjudices subis. On en comprend aisément la logique. Toutefois, cela pose un problème majeur : les robots n’ayant ni conscience, ni possession, comment les sanctionner d’une façon satisfaisante pour les victimes de leurs méfaits ? Il ne saurait être question de destruction ou de peine de prison ! Par analogie à la personnalité morale des sociétés, qui indemnise les créanciers ou les victimes avec les fonds propres de la société, on doterait les robots d’un fonds propre destiné à indemniser les victimes de leurs inconséquences. Autrement dit, les fabricants et/ou les utilisateurs assureraient les robots contre les dégâts qu’ils risqueraient d’occasionner.
Quoique séduisante au premier abord, cette attribution d’un droit moral aux robots pose un certain nombre de questions. Nous en énumérons ici trois qui nous apparaissent dissuasives.
En tout premier lieu, l’obligation d’abonder un fonds d’assurance destiné à indemniser les victimes de robots risque de détourner les nouveaux arrivants dans l’industrie robotique, car ils n’auront pas les moyens de payer pour des dégâts virtuels, avant même de faire leurs preuves. Il en va de même pour les utilisateurs potentiels qu’une telle assurance découragera.
En deuxième lieu, l’attribution de la responsabilité au robot en cas d’accident éludera l’enquête. On paiera pour s’assurer de l’absence de recours des victimes. Mais, outre que cela ne règle pas le cas des dommages susceptibles d’une poursuite pénale, cela ne forcera pas non plus à déterminer les causes exactes et, par là, la vraie responsabilité qui incombe parfois au fabricant, pour malfaçon, parfois au programmeur, parfois à l’utilisateur, parfois au propriétaire ou encore à celui qui a entraîné le robot lors de sa phase d’apprentissage… Or, cette détermination est essentielle pour faire progresser la technologie et éviter que des accidents semblables ne se reproduisent.
En troisième lieu, l’idée de taxtes sur les robots aurait des effets délétères sur l’économie, car désormais, loin de causer le chômage, les robots industriels accroissent la productivité des usines et donc la compétitivité, ce qui évite la désindustrialisation et permet de maintenir des emplois…
Bref, si elle frappe l’imagination et si, à ce titre, elle recueille beaucoup d’échos dans les médias, l’attribution d’une personnalité juridique aux robots pose bien plus de problèmes qu’elle n’en résout ! »
Source : Intelligence artificielle : vers une domination programmée ? / Jean-Gabriel Ganascia
« L’éthique amène les juristes à s’interroger sur la personnalité et la responsabilité du robot dont on commence à parler de plus en plus.
L’avocat Alain Bensoussan déjà cité, prône une reconnaissance de la personnalité des robots et donc de leur responsabilité. Il écrit : « avec l’introduction de l’intelligence artificielle, la robotique non plus ne pourra être encadrée par la seule norme juridique et la composante éthique revêt un caractère essentiel ». Il s’agira selon lui d’encadrer les interactions entre l’intelligence artificielle du robot et l’homme dès leur conception, par des règles éthiques. Il renvoie aux principes définis en 1950 par l’écrivain Isaac Asimov et ses lois comportementales tout en concluant que le « robot-étique » reste à inventer…
A travers cette interrogation c’est la question du statut du robot qui est posée et de la possibilité de lui reconnaître une forme de personnalité avec une responsabilité propre.
Dans le passé, la personnalité juridique a été reconnue aux personnes morales et certains voudraient aujourd’hui renouveler l’exercice avec les robots. Or, si la création d’une fiction juridique pour les personnes morales répondait à des besoins réels (reconnaissance de l’intérêt collectif, favoriser la concentration des moyens matériels / humains, assurer la pérennité d’une activité de la structure…), tel ne semble pas devoir être le cas des robots.
Le point central, principal et essentiel que pose le débat ouvert par cette question est celui du nouveau paradigme de la liberté décisionnelle du robot. Alain Bensoussan affirme : « même dans un périmètre limité, le robot, parce qu’il est libre, a une emprise sur le monde qu’il façonne nécessairement par son action ». Il justifie son affirmation par l’exemple de la voiture robot qui est amenée à un moment de son parcours à prendre une décision pour éviter un accident sans intervention humaine.
Mais ne doit-on pas lui objecter que l’intervention humaine n’est que le résultat d’une programmation préalable ? En fait, cette liberté du robot qui constituerait le critère de la reconnaissance de sa personnalité juridique, n’est que le résultat d’une programmation sur laquelle l’homme garde la maîtrise puisqu’elle est son œuvre… La question peut sembler plus complexe à l’aune de la singularité encore hypothétique ou de la capacité en cours d’avènement des possibilités à venir pour l’intelligence artificielle d’ « auto apprendre », c'est-à-dire de s’enrichir seule sans avoir besoin de l’intervention humaine… à s’autoprogrammer.
Voilà un authentique « vrai faux débat » alimenté par les progrès de la robotique. Des progrès grandissants qui accroîtront l’autonomie du robot. Pour autant cette tendance ne peut pas nous faire perdre de vue que le robot est et demeurera une création humaine et que l’homme n’est pas Dieu. Il doit rester une chose. Les progrès techniques ne doivent pas conduire à l’inversion des principes éthiques. Selon nous la réponse doit rester la même. L’inverse signifierait le renoncement de l’homme face à sa créature !
Il faut revenir à la philosophie, faute de quoi les fondements mêmes de la conception de l’autonomie et de la personnalité juridique susceptible d’en résulter seront inexacts. L’attribution de la personnalité juridique robot ne doit pas être un moyen de résoudre les questions éthiques et morales. Elle ne peut être adaptée, car elle doit l’être, qu’en fonction de prémices philosophiques et morales.
Le droit et l’éthique sont ainsi convoqués pour relever les défis moraux des progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle. Mais il ne s’agit par ce biais pour les tenants du développement de cette autonomie que de suivre le mouvement, de l’accompagner, de rendre possibles toutes les évolutions, tous les progrès et en même temps toutes les ruptures. On est dans la gestion, plus que dan la gestion…
La situation est paradoxale et inquiétante car on invoque l’éthique tout en rejetant les principes les plus élémentaires de la morale. Comme si on tentait de se donner bonne conscience en invoquant l’ordre de la morale que l’on avait pris le soin au préalable de vider de son contenu… Car enfin comment peut-on imaginer de dire ce qui est bien ou ce qui est mal en termes de développement de l’intelligence artificielle et de la robotique alors que l’on est même plus capable de dire ce qui est bien ou mal pour l’homme ? Nous sommes face à un déni de réalité !
En vérité, la question est de savoir si les capacités nouvelles que ses capteurs et ses algorithmes donnent aux robots justifient qu’on leur reconnaisse une liberté. La reconnaissance d’une personnalité propre ne résulte-t-elle pas d’une démission face à l’influence des robots ? Nous serions tentés de dire qu’il pourrait être aisé de le conclure en affirmant simplement que l’homme doit rester responsable de ce qu’il fait, de ce qu’il crée, de ce qu’il construit, même lorsqu’il crée ou construit une machine, si perfectionnée soit-elle, et dotée d’un certain degré d’autonomie. »
Source : L'avocat face à l'Intelligence Artificielle, Bernard Hawadier
«
En l’état, aucune machine, aussi « évoluée » soit-elle, n’est dotée de la personnalité juridique. Celle-ci est réservée aux êtres humains (« personnes physiques ») et aux entités qu’ils contrôlent et animent (« personnes morales » : sociétés, associations, syndicats, fondations, etc.).
Il n’est donc pas possible de défendre un robot, ce dernier relevant du droit des biens et non du droit des personnes. Il en va d’ailleurs ainsi, à l’heure actuelle, des animaux, qui sont juridiquement considérés comme des « êtres vivants doués de sensibilité », mais relèvent toujours du régime des biens « sous réserve des lois qui les protègent ».
Il est en revanche naturellement possible d’assister et de représenter en justice le concepteur d’une machine, le vendeur de celle-ci ou à l’inverse la victime des dommages causés par l’intelligence artificielle… »
Source : Comment l’IA va changer le droit du travail, lebigdata.fr
«
La résolution du Parlement européen du 16 février 2017 prévoit de créer un statut juridique propre aux robots, pour que les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, ayant des droits et des obligations spécifiques. S’il lui est reconnu une personnalité juridique, le robot sera susceptible de voir la responsabilité de son fait personnel engagée. Or, n’ayant pas de patrimoine, comment pourrait-il indemniser la victime ? Pour cette raison, aux États-Unis, dans l’État du Nevada, les robots se sont vu reconnaître certains attributs de la personne morale, sans être toutefois considérés comme tels. Immatriculés et répertoriés dans un fichier dédié, ils se voient surtout assigner un capital. Ceci permet de les assurer directement pour répondre des dommages qu’ils causeraient dans leurs interactions en environnement ouvert. Plus radicale, mais associée à une meilleure efficacité indemnitaire, l’idée d’une responsabilité solidaire sans faute de plusieurs acteurs impliqués dans la création et la direction de l’intelligence artificielle est suggérée, notamment par David Vladeck, un professeur de droit américain. Elle consisterait à tenir solidairement responsables différents acteurs qui « participent à une entreprise ou travaillent à une fin commune » (doctrine de la « common enterprise liability »). La création d’un fonds de garantie, dont le coût serait supporté, au moins en partie, par les industriels, est une piste de réflexion. Ce mécanisme, certes discutable en ce qu’il facilite une déresponsabilisation des acteurs, permettrait d’indemniser la victime d’un dommage corporel causé par un objet connecté autonome sans avoir à rechercher la faute d’une personne physique ou morale. »
Source : Intelligence artificielle, le droit n’est pas prêt, selene-avocats.fr
« Aujourd’hui, les robots gagnent en autonomie, en « deep learning ». Si les robots n’ont pas la personnalité juridique, ils ne sont plus uniquement une création humaine mais pourraient devenir des créateurs.
Qu’en est-il d’une œuvre crée par une machine dotée d’une intelligence artificielle ? La machine dotée d’une intelligence artificielle peut-elle être artiste et produire une œuvre ? La question de la créativité artificielle se pose.
Le droit positif, qui place l’originalité au centre de la création prive la création générée par un robot de protection, faute d’intervention humaine.
C’est dans ce contexte que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), instance chargée de conseiller le ministre de la culture sur les questions relatives au numérique, a remis son rapport « Mission Intelligence Artificielle et Culture » le 27 janvier 2020 sur l’intelligence artificielle créative. Diverses hypothèses y sont proposées relativement à la protection des œuvres crées au soutien de l’IA. […]
A. La difficulté relative à la qualification juridique d’œuvre de l’esprit.
Rappelons à titre liminaire que pour qu’une création soit protégée par le droit d’auteur, le Code de la propriété intellectuelle exige que cette œuvre soit originale. Celle-ci doit refléter l’expression de la personnalité de son auteur. Une création doit donc découler d’une intervention humaine, requérir l’effort intellectuel d’une personne physique.
Juridiquement, cela signifie que seul un être humain peut réaliser une œuvre, ce qui n’exclue pas qu’il puisse se servir d’outils ou d’instruments pour créer.
S’agissant de l’implication du robot dans le processus créatif, celui-ci est capable de prendre part à la création par deux types d’interventions :
il peut être l’assistant de la personne physique qui l’utilise en tant qu’outil de sa création,
il peut être lui-même à l’origine de la création, générer une œuvre.
Cela suppose donc une approche casuistique dans la qualification de l’œuvre à la création de laquelle le robot participe.
Lorsque la personne humaine n’est pas totalement exclue du processus créatif et a recours à l’assistance d’une machine qu’elle appréhende comme outil à sa création, qu’elle utilise comme un moyen technique pour obtenir un résultat, on parle d’assistance robotique ou de création assistée par ordinateur (CAO) : cela ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère original de l’œuvre qui en découle.
A ce titre, il est établi que « l’emploi d’une machine n’est pas de nature à faire perdre à l’œuvre considérée son caractère d’originalité et de nouveauté » (Cour d’appel de Douai, 4 décembre 1964) et « qu’une œuvre de l’esprit créée à partir d’un système informatique sera protégeable si apparait même de façon minime l’originalité qu’a voulu apporter son concepteur ».
Dans une autre décision, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait dans un jugement en date du 5 juillet 2000 précisé que « la composition musicale assistée par ordinateur, dès lors qu’elle implique une intervention humaine, …, conduit à la création d’œuvres originales et comme telles protégeables quelle que soit l’appréciation qui peut être portée sur leur qualité ».
Ainsi, la Cour d’appel de Paris a jugé que « l’on ne saurait méconnaitre, a priori, l’apport des techniques informatiques tant dans le domaine de la création que de l’interprétation », la création assistée par ordinateur est donc protégeable.
On comprend que le robot n’est, dans ces hypothèses envisagé, que comme un outil s’insérant dans une plus vaste démarche créative humaine ; la titularité des droits revenant à la personne morale ou physique, dotée de la personnalité juridique.
Lorsque la création est générée par le robot-artiste, qui crée lui-même, sans intervention directe d’une personne physique, cette production ne peut être qualifiée « d’œuvre » car il n’est pas considéré en droit positif comme un auteur.
Un robot ne pense pas, n’a pas de conscience, il ne peut à proprement parler « créer ». Partant, son régime appartient à celui des biens (dans laquelle se trouvent les animaux, ou encore les végétaux) et non des personnes.
L’absence d’auteur et d’originalité rend difficile la qualification de cette création comme « œuvre de l’esprit » car ces éléments ne se retrouvent pas dans la création générée par l’intelligence artificielle.
Or, sans droit privatif sur la production générée, comment récompenser les investissements financiers réalisés pour développer la technologie à l’origine d’une création ? d’autant plus que les coûts liés à son élaboration, son utilisation puis sa maintenance peuvent être considérables.
Certains auteurs sont favorables à une reconnaissance de la personnalité juridique aux robots, qui leur permettrait d’être titulaire de droits d’auteur (sous réserve du respect de la condition d’originalité) ou d’engager leur responsabilité en cas de contrefaçon.
Le Parlement européen a d’ailleurs pris une résolution la 16 février 2017 proposant à la Commission « la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenus de réparer tout dommage causé à un tiers ».
Notons également que le droit positif français tend à s’éloigner du critère d’originalité et de la tradition personnaliste du droit d’auteur : le juge est parfois incapable de déceler l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans certaines œuvres. A titre illustratif, en matière musicale, c’est le critère de la nouveauté qui a permis d’apprécier l’originalité d’une œuvre en la comparant aux œuvres antérieures.
La « subjectivisation » du droit d’auteur est aussi relativisée en matière de logiciels où le critère déterminant de la protection est la « marque de l’apport intellectuel ».
Enfin, derrière une technologie, il y a toujours un homme, même s’il n’est pas directement à l’origine du résultat. Finalement, n’est-il pas possible de déceler une intention artistique et humaine, un choix libre et arbitraire, derrière l’absence volontaire de son intervention ?
Le photographe est reconnu comme un artiste susceptible d’être protégé sur le terrain du droit d’auteur alors que le processus de réalisation d’une photographie est proche de certaines technologies issues de l’intelligence artificielle.
Le Conseil propose alors des solutions censées faciliter l’accès et la circulation des données favorables à la création telles que le mécanisme de licence générale conclue avec les sociétés de perception et de répartition des droits, ou encore d’un droit à la portabilité des données permettant de les réutiliser voire de les revaloriser, par le biais d’un clause contractuelle qui serait imposée dans les contrats liant les titulaires de droits sur les contenus protégés et l’opérateur ayant obtenu l’autorisation de les exploiter.
Mais juridiquement, les créations produites par l’intelligence artificielle conduisent à nous interroger sur le régime de ces créations : sur leur éventuelle protection par le droit d’auteur, sur l’existence d’un monopole d’exploitation et sur la titularité des droits.
Les multiples appréhensions des créations du robot par le droit de la propriété intellectuelle complexifient la question de la titularité des droits d’auteur en cas de reconnaissance de la qualification d’œuvre de l’esprit. Qui peut revendiquer la qualité d’auteur ?
Aux Etats-Unis, le Bureau national du droit d’auteur a déclaré que seules les œuvres originales crées par un être humain pourraient prétendre à une protection par le droit d’auteur. C’est ainsi que les juges américains ont refusé de reconnaître au singe Naruto un droit d’auteur sur son selfie.
Au Royaume-Uni, la protection des œuvres assistées par des technologies robotiques est acquise. Il est précisé à l’alinéa 9.3 de la loi sur le droit d’auteur, les dessins et modèles et les brevets du 15 novembre 1988 que : “dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique créée au moyen d’un ordinateur, la personne ayant pris les dispositions nécessaires pour créer ladite œuvre sera réputée en être l’auteur”, celui-ci pouvant être une personne morale distincte du créateur personne physique.
Cette disposition prête toutefois à interprétation car plusieurs intervenants sont en effet susceptibles de prendre part au processus créatif :
Le concepteur du robot d’abord, c’est celui qui dote le robot de données préexistantes et nécessaires à la création d’un résultat donné et qui encadre le processus algorithmique. La notion de concepteur est d’ailleurs large puisque une IA peut résulter de l’implication de plusieurs intervenants.
Sur ce point le rapport du CSPLA évoque l’hypothèse de l’accession par production de l’article 546 du code civil pour permettre au propriétaire du robot d’acquérir les accessoires que produit sa chose (les œuvres étant les fruits de l’intelligence artificielle). Se pose toutefois une difficulté quant à l’application concrète de ce mécanisme : son automaticité serait critiquable car l’on raisonnerait comme si le concepteur connaissait déjà le contenu des œuvres que la technologie qu’il a mis en place serait susceptible de produire. De plus, le concepteur peut déjà obtenir une protection en tant qu’auteur du logiciel qui a permis à l’intelligence artificielle de créer.
On pourrait aussi imaginer que le titulaire d’un monopole reviendrait à l’utilisateur de l’IA (qui peut aussi être le concepteur) : c’est celui qui initie le processus créatif, déclenche la machine, maitrise le robot entre ses mains. Même si la création reste le résultat du calcul algorithmique du robot, l’utilisateur en est le plus proche et choisi de divulguer l’œuvre. Toutefois, son apport à la création reste minime : il se contente d’appuyer sur un bouton, voire de choisir entre plusieurs options, la machine fait le reste. La création ne reflète donc pas un véritable apport personnel de l’utilisateur qui se contente de lancer un programme, ce qui tend à vider de sa substance la logique du droit d’auteur.
Cette solution aboutirait à une « protection quasi automatique ».
Constatant ces difficultés, le CSPLA propose de s’inspirer des mécanismes existants. Par exemple, créer un droit d’auteur spécial, en aménageant la notion d’originalité comme cela a pu être fait pour les logiciels (cf. supra) afin de qualifier la création du robot en œuvre de l’esprit serait une première piste.
D’un point de vue économique, le Conseil propose aussi de récompenser l’instigateur de la technologie en utilisant le modèle de l’œuvre collective qui selon l’article L. 113-2 al.3 du CPI est « une œuvre crée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et en son nom ».
Dans la majorité des cas, c’est l’entreprise qui sera titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre collective, donc la personne morale qui aura investi dans la création. L’œuvre générée serait alors la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.
Une autre hypothèse envisagée serait la création d’un droit d’auteur pour celui qui divulgue la création générée par l’IA, qui réalise les investissements pour communiquer l’œuvre au public et qui bénéficierait des prérogatives patrimoniales (droits d’exploitation), une sorte de droit voisin.
Enfin, le rapport propose de s’inspirer du droit accordé au producteur de bases de données en créant un droit sui generis, afin de protéger les efforts financiers, humains ou matériels des intervenants au processus créatif développé par l’IA. Cela pourrait permettre de s’émanciper de la conception « personnaliste » du droit d’auteur tout en générant un « retour sur investissement ».
En tout état de cause, l’absence de droit d’auteur sur les créations issues de l’intelligence artificielle n’est pas insurmontable. D’autres voies alternatives sont possibles.
Le programmateur de la technologie peut très bien se faire rémunérer en concédant une licence d’utilisation de son logiciel. De plus, la directive (2016 / 943) du 8 juin 2016 sur le secret des affaires, transposée à l’article L 151-1 du CPI permet aussi de s’opposer à la divulgation illicite du savoir-faire technologique et l’appropriation de son investissement. Par ailleurs, tout investisseur pourra encore, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle, agir contre les actes de concurrence déloyale ou les agissements parasitaires.
Ces avancées technologiques témoignent tout de même de la nécessité d’un cadre légal spécifique. La députée européenne Mady Delvaux soulignait cette nécessité dans son rapport du 27 janvier 2017, en demandant à la Commission de « définir des critères de création intellectuelle propre applicables aux œuvres protégeables par droit d’auteur créées par des ordinateurs ou des robots ».
Si l’homme se robotise, le robot est capable de s’humaniser.
Si l’idée créatrice et la conscience intentionnelle sont le propre de l’artiste, si l’intelligence artificielle est pleine de mystères comme l’affirmait Cédric Villani, « elle n’est pas intelligente, elle ne comprend rien, elle n’a aucune culture ». Un robot ne pense pas, ne conçoit pas, ne crée pas ; un robot calcule, fabrique, apprend, assimile, reproduit. »
Source : Le droit d’auteur confronté au « robot-artiste » et à l’intelligence artificielle
En complément, quelques ouvrages de notre catalogue sur l’IA et l’éthique :
• Intelligence artificielle : réflexions pour une éthique responsable / sous la direction de Pascal Montagnon
Un ensemble de contributions qui explorent comment réguler l'impact de l'intelligence artificielle et des algorithmes. Les réseaux sociaux, les sites de commerce électronique, les automobiles autonomes et les bulletins météorologiques sont au nombre des sujets abordés.
• Les robots émotionnels : santé, surveillance, sexualité.. : et l'éthique dans tout ça ? / Laurence Devillers
Un essai sur l'intelligence artificielle dans la vie de tous les jours à l'image des chatbots, des robots et autres poupées humanoïdes. L'auteure estime que ces machines organisées en réseaux risquent de mettre les populations sous surveillance et de les aliéner. Elle prône la régulation éthique des objets intelligents et émotionnels connectés ainsi que la formation des citoyens.
• La voiture qui en savait trop : l'intelligence artificielle a-t-elle une morale ? / Jean-François Bonnefon
Sur la route, si vous n'aviez pas le choix, préféreriez-vous sauver un homme ou une femme ? Un sans-abri ou un cadre supérieur ? Deux jeunes filles ou deux mamies ? Accepteriez-vous de vous sacrifier avec vos passagers pour éviter d'écraser des enfants ? Les voitures sans conducteur rouleront bientôt dans nos villes. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une machine décidera seule qui sauver, sans que l'humain ait le temps de vérifier sa décision. L'algorithme choisira en fonction des critères moraux que nous lui aurons inculqués. Mais sommes-nous sûrs de notre propre morale ? Comme le montrent les études scientifiques, la valeur que nous accordons psychologiquement à telle ou telle vie diffère en fonction du sexe, de l'âge, de la condition sociale, de l'état de santé de la personne considérée. Nous sommes aussi conditionnés par notre culture. Il n'existe pas de morale universelle. Nous ignorons quelle sera celle des machines. Qui, de nous ou de la machine, prendra les commandes ?
• Les robots et le mal / Alexei Grinbaum
Des robots domestiques se font délateurs, des systèmes informatiques participent à des conflits humains, voire les provoquent, un véhicule autonome tue une piétonne. Selon l'auteur, physicien et philosophe, il ne faut pourtant pas diaboliser les robots. Dans cet essai technophile, il propose une solution aux dilemmes moraux posés par l'intelligence artificielle.
• Super intelligence / Nick Bostrom ; traduit de l'anglais par Françoise Parot
Une réflexion sur les problèmes posés par les progrès de l'intelligence artificielle et notamment sur le surpassement robotique des facultés cognitives. Elle évalue les risques et les bénéfices d'une supériorité analytique, mémorielle et décisionnelle des machines avant d'imaginer plusieurs scénarios possibles.
Bonne journée.
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