Question d'origine :
Bonjour chéresamis confiné,e,s Ça passera , même la guerre de cent ans a eu une fin... Un grand philosophe, président à ses heures, a dit « Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas ». Moi, je veux bien...mais ça veut dire quoi ? Je n'ai rien trouvé de satisfaisant pour m'éclairer...sauf peut-être une phrase du poète Jean Cocteau à sa mort -Je reste avec vous- Gardez-vous en bonne santé Amitié sincère Pinous
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 07/04/2021 à 11h00
Bonjour,
Cette phrase du président de la République François Mitterrand a été prononcée lors de son dernier discours de vœux aux français le 31 décembre 1994, alors qu’il était déjà malade et qu’il savait sa mort proche. Ce discours sera à nouveau diffusé durant la cérémonie commémorative du Parti socialiste le lendemain de son enterrement en janvier 1996.
Cette phrase a suscité beaucoup de commentaires, puisqu'elle évoque le rapport que le président entretenait avec la religion. Voici l’analyse qui en ai faite sur le site de L’Institut François Mitterrand et dans François Mitterrand et la religion.
Nous vous conseillons la lecture de cet ouvrage Croire aux forces de l'esprit : récit de Marie de Hennezel, dans lequel elle tente « d’éclairer cette phrase » et de décrire «l'homme intérieur, aux prises avec ses interrogations métaphysiques, curieux des choses de la mort et de l'esprit. L'homme profond, à certains égards mystique, ayant un sens du divin, une expérience sensible de Dieu, qu'il a dû garder toute sa vie au secret .».
Voilà ce que nous dit Philip Short dans François Mitterrand : portrait d'un ambigu : « Mitterrand était un agnostique. « Je ne sais pas si je crois ou si je ne crois pas, écrivit-il, mais c’est un type de problème qui me préoccupe ». Depuis que la foi avait faibli alors qu’il était prisonnier de guerre à Ziegenhain, il avait, selon ses propres mots, « fait le tour de la question ». Des années auparavant, il avait écrit : « je suis né chrétien et mourrai sans doute dans cet état. Dans l’intervalle ?... ». En fait, il était profondément ambivalent : il croyait en Dieu tout en n’y croyant pas. « J’ai une âme mystique et un cerveau rationaliste, et […] je suis incapable de choisir », avait-il dit à Giesbert au printemps précédent… Il croyait ardemment en la prière… Mais en même temps il était sceptique. Les gens prient lorsqu’ils ont des problèmes et oublient de le faire quand ils sont heureux dit-il à Wiesel. « Tout cela me parait donc suspect »… Lorsqu’il priait, expliqua-t-il, ce n’était pas parce qu’il s’attendait à être entendu, mais pour « communiquer avec un monde transcendant ». Marie de Hennezel l’avait encouragé à lire le Bardo Thödol, le livre tibétain des morts, qui enseigne qu’une fois la chair abandonnée, l’âme ne doit plus avoir peur. Il était intrigué par les rites mortuaires de l’Égypte ancienne. Ses discussions avec Elizabeth Teissier avaient pour but de lever le voile entre l’« ici et maintenant » et l’au-delà.
Toute sa vie, depuis le mort de sa grand-mère quand il avait 14 ans, Mitterrand avait été fasciné par la mort tel un papillon par la flamme d’une bougie. Les derniers mots de sa grand-mère avait-il dit à de Hennezel, avaient été : « Ah ! La lumière ! C’était donc vrai ! » Tous les soirs, avant de s’endormir, raconta-t-il, il avait une pensée pour les morts : ses parents, ses amis les plus proches, le vieux jésuite qui avait été son compagnon dans le kommando à Schaala, devenu paralysé et muet suite à une congestion cérébrale, dont il dit que « toute la lumière du monde habitait son regard »…Il avait dit dans une interview à l’Express, peu avant de quitter la présidence : « Je ne suis pas habité par la mort, mais plutôt par l’immense interrogation qu’elle représente. Est-ce que c’est le néant ? C’est possible. Si ce n’est pas le néant, quelle aventure ! » Mais le moment de philosopher arrivait à son terme. » p. 836-839.
Et ce que nous dit Eric Roussel dans François Mitterrand : de l'intime au politique : « François Mitterrand est-il donc mort fidèle à la religion de son enfance ? Ses derniers souhaits semblent le prouver et le cardinal Lustiger, qui le connaissait bien et présida ses obsèques, l’entendra ainsi, insistant dans son homélie sur la communion des saints, à laquelle croyait, selon lui, le chef de l’Etat disparu… Jusqu’au bout, François Mitterrand aura cherché sans conclure. Attestée par d’innombrables confidences, une fidélité aux morts, son culte pour les cimetières, un dialogue permanent avec des personnalités comme le philosophe catholique Jean Guitton ou frère Roger, le prieur de Taizé, la profondeur de sa spiritualité n’est guère contestable. Son contenu, en revanche est plus difficile à cerner. Respectueux du catholicisme et des religions en général, il s’était, de toute évidence, éloigné peu à peu des dogmes, sans pour autant adopter un autre crédo très défini. S’il n’abandonna jamais la lecture de la Bible, celle du Livre des morts de l’ancienne Égypte ne le laissait pas indifférent. Panthéiste, il se montrait avant tout sensible au génie de certains sites. A Vézelay, il se sentait happé par l’héritage chrétien ; en Haute-Egypte, sans doute recherchait-il obscurément une communion avec les disparus ; à Venise, il poursuivait le fantôme des libertins du siècle des Lumières.Les forces de l’esprit, évoqués par le vieux président dans son ultime message de vœux, revêtaient en vérité des formes très diverses, coexistant à ses yeux en une sorte de syncrétisme. » p. 608-609.
Quant à Laure Adler dans François Mitterrand : journées particulières : « Que se passe-t-il après la mort ? Le trou noir de la mort est acceptable, mais après ? A Marie de Hennezel, il a confié : « Les morts ne demandent pas qu’on les pleure. Ils demandent qu’on les continue. » Que restera-t-il de lui ? La question le taraude plus que son combat contre cette saloperie. Il dit qu’il est un patient résigné… » Elle cite aussi ce qu’il a dit à Michel Martin-Roland et Pierre Favier : « Il faut toujours penser à ses morts. Vous verrez, un jour, beaucoup penseront à moi » p. 515.
Cette phrase a aussi donné le titre de cet ouvrage Les forces de l'esprit : messages pour demain paru en 98 qui regroupe neuf textes de discours prononcés entre 1993 et 1995, qui forment une sorte de tournée d’adieux. Il est préfacé et introduit par Roland Dumas qui dit de cette phrase : «elle témoigne en effet de la volonté de l’ancien président de faire connaître au peuple français dont il prenait congé, à sa manière, la réalité de ses convictions philosophiques et religieuses sur lesquelles nos compatriotes n’avaient cessé de s’interroger ».
Plus globalement, cette phrase exprime la préoccupation de François Mitterrand pour sa postérité, qu’elle soit dans un possible au-delà, ou dans l’Histoire et la mémoire des français. En effet, il a lui même impulsé la création de l'Institut François Mitterrand dans ce sens.
Lire le reste du discours dans Libération
A écouter : Les coulisses des derniers vœux de Mitterrand
Voir aussi :
Interview de François Mitterrand par Pierre Jouve et Ali Magoudi sur la religion : partie 1 et partie 2.
Mitterrand, le grand initié / Nicolas Bonnal
Mémoire à deux voix / François Mitterrand, Elie Wiesel
Si nous vous laissons libre de votre appréciation sur François Mitterrand comme "grand philosophe", son goût de la formule est indéniable, voir François Mitterrand, l'esprit et les lettres en citations et Quelques autres phrases célèbres sur le site La-Philo.
Quant à la comparaison avec Jean Cocteau, nous ne nous sommes pas livrés à une analyse de son épitaphe "Je reste avec vous" mais vous pouvez lire cet article Cocteau ou le mysticisme ambigu, qui semble montrer quelques similitudes avec François Mitterrand.
Nous conclurons sur cette autre citation de Jean Cocteau : « Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants. »
Bonne santé à vous aussi
Cette phrase du président de la République François Mitterrand a été prononcée lors de son dernier discours de vœux aux français le 31 décembre 1994, alors qu’il était déjà malade et qu’il savait sa mort proche. Ce discours sera à nouveau diffusé durant la cérémonie commémorative du Parti socialiste le lendemain de son enterrement en janvier 1996.
Cette phrase a suscité beaucoup de commentaires, puisqu'elle évoque le rapport que le président entretenait avec la religion. Voici l’analyse qui en ai faite sur le site de L’Institut François Mitterrand et dans François Mitterrand et la religion.
Nous vous conseillons la lecture de cet ouvrage Croire aux forces de l'esprit : récit de Marie de Hennezel, dans lequel elle tente « d
Voilà ce que nous dit Philip Short dans François Mitterrand : portrait d'un ambigu : « Mitterrand était un agnostique. « Je ne sais pas si je crois ou si je ne crois pas, écrivit-il, mais c’est un type de problème qui me préoccupe ». Depuis que la foi avait faibli alors qu’il était prisonnier de guerre à Ziegenhain, il avait, selon ses propres mots, « fait le tour de la question ». Des années auparavant, il avait écrit : « je suis né chrétien et mourrai sans doute dans cet état. Dans l’intervalle ?... ». En fait, il était profondément ambivalent : il croyait en Dieu tout en n’y croyant pas. « J’ai une âme mystique et un cerveau rationaliste, et […] je suis incapable de choisir », avait-il dit à Giesbert au printemps précédent… Il croyait ardemment en la prière… Mais en même temps il était sceptique. Les gens prient lorsqu’ils ont des problèmes et oublient de le faire quand ils sont heureux dit-il à Wiesel. « Tout cela me parait donc suspect »… Lorsqu’il priait, expliqua-t-il, ce n’était pas parce qu’il s’attendait à être entendu, mais pour « communiquer avec un monde transcendant ». Marie de Hennezel l’avait encouragé à lire le Bardo Thödol, le livre tibétain des morts, qui enseigne qu’une fois la chair abandonnée, l’âme ne doit plus avoir peur. Il était intrigué par les rites mortuaires de l’Égypte ancienne. Ses discussions avec Elizabeth Teissier avaient pour but de lever le voile entre l’« ici et maintenant » et l’au-delà.
Toute sa vie, depuis le mort de sa grand-mère quand il avait 14 ans, Mitterrand avait été fasciné par la mort tel un papillon par la flamme d’une bougie. Les derniers mots de sa grand-mère avait-il dit à de Hennezel, avaient été : « Ah ! La lumière ! C’était donc vrai ! » Tous les soirs, avant de s’endormir, raconta-t-il, il avait une pensée pour les morts : ses parents, ses amis les plus proches, le vieux jésuite qui avait été son compagnon dans le kommando à Schaala, devenu paralysé et muet suite à une congestion cérébrale, dont il dit que « toute la lumière du monde habitait son regard »…Il avait dit dans une interview à l’Express, peu avant de quitter la présidence : « Je ne suis pas habité par la mort, mais plutôt par l’immense interrogation qu’elle représente. Est-ce que c’est le néant ? C’est possible. Si ce n’est pas le néant, quelle aventure ! » Mais le moment de philosopher arrivait à son terme. » p. 836-839.
Et ce que nous dit Eric Roussel dans François Mitterrand : de l'intime au politique : « François Mitterrand est-il donc mort fidèle à la religion de son enfance ? Ses derniers souhaits semblent le prouver et le cardinal Lustiger, qui le connaissait bien et présida ses obsèques, l’entendra ainsi, insistant dans son homélie sur la communion des saints, à laquelle croyait, selon lui, le chef de l’Etat disparu… Jusqu’au bout, François Mitterrand aura cherché sans conclure. Attestée par d’innombrables confidences, une fidélité aux morts, son culte pour les cimetières, un dialogue permanent avec des personnalités comme le philosophe catholique Jean Guitton ou frère Roger, le prieur de Taizé, la profondeur de sa spiritualité n’est guère contestable. Son contenu, en revanche est plus difficile à cerner. Respectueux du catholicisme et des religions en général, il s’était, de toute évidence, éloigné peu à peu des dogmes, sans pour autant adopter un autre crédo très défini. S’il n’abandonna jamais la lecture de la Bible, celle du Livre des morts de l’ancienne Égypte ne le laissait pas indifférent. Panthéiste, il se montrait avant tout sensible au génie de certains sites. A Vézelay, il se sentait happé par l’héritage chrétien ; en Haute-Egypte, sans doute recherchait-il obscurément une communion avec les disparus ; à Venise, il poursuivait le fantôme des libertins du siècle des Lumières.
Quant à Laure Adler dans François Mitterrand : journées particulières : « Que se passe-t-il après la mort ? Le trou noir de la mort est acceptable, mais après ? A Marie de Hennezel, il a confié : « Les morts ne demandent pas qu’on les pleure. Ils demandent qu’on les continue. » Que restera-t-il de lui ? La question le taraude plus que son combat contre cette saloperie. Il dit qu’il est un patient résigné… » Elle cite aussi ce qu’il a dit à Michel Martin-Roland et Pierre Favier : « Il faut toujours penser à ses morts. Vous verrez, un jour, beaucoup penseront à moi » p. 515.
Cette phrase a aussi donné le titre de cet ouvrage Les forces de l'esprit : messages pour demain paru en 98 qui regroupe neuf textes de discours prononcés entre 1993 et 1995, qui forment une sorte de tournée d’adieux. Il est préfacé et introduit par Roland Dumas qui dit de cette phrase : «
Lire le reste du discours dans Libération
A écouter : Les coulisses des derniers vœux de Mitterrand
Interview de François Mitterrand par Pierre Jouve et Ali Magoudi sur la religion : partie 1 et partie 2.
Mitterrand, le grand initié / Nicolas Bonnal
Mémoire à deux voix / François Mitterrand, Elie Wiesel
Si nous vous laissons libre de votre appréciation sur François Mitterrand comme "grand philosophe", son goût de la formule est indéniable, voir François Mitterrand, l'esprit et les lettres en citations et Quelques autres phrases célèbres sur le site La-Philo.
Quant à la comparaison avec Jean Cocteau, nous ne nous sommes pas livrés à une analyse de son épitaphe "Je reste avec vous" mais vous pouvez lire cet article Cocteau ou le mysticisme ambigu, qui semble montrer quelques similitudes avec François Mitterrand.
Nous conclurons sur cette autre citation de Jean Cocteau : « Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants. »
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