L'impact de la France dans la traite des noirs
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 07/05/2021 à 13h41
792 vues
Question d'origine :
Bonjour, Je voudrais savoir quel a été le rôle de la France dans la traite des noirs, et quel a été l'impact de ce rôle sur la France. Pourriez également de donner des sources afin que je puisse plus m'informer? Merci d'avance
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 11/05/2021 à 15h33
Bonjour,
Pour borner notre sujet, nous vous proposons cette citation tirée de l’ouvrage collectif qui vient de sortir à l’occasion des 20 ans de la Loi Taubira, L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, 10 nouvelles approches : « Il convient de distinguer l’esclavage de la traite. Le premier est un système de domination humaine. Il désigne un statut de propriété individuelle et, dans le même temps, de travail non libre et non rémunéré. La traite atlantique, notamment, est un mécanisme marchand qui a conduit à une catégorisation sociale. » (Antonio de Almeida Mendes, chapitre 5, La traite négrière a-t-elle favorisé le développement économique de l’Europe ? ).
Les ports de la façade atlantique doivent leur essor au développement de l’activité sucrière consécutive à la culture de la canne dans les plantations caribéennes.
C’est le cas notamment de Bordeaux, Nantes premier port négrier français, Lorient etc. dont différentes expositions récentes retracent le parcours négrier : celle du Musée des ducs de Bretagne à Nantes ou celle des Archives de Bordeaux, par exemple.
La ville de Lorient, comme son nom l’indique, s’est, elle, consacrée au commerce des textiles avec l’Inde.
Dans ce même ouvrage, le chapitre intitulé Nantes, Bordeaux, La Rochelle : l’héritage des grands ports négriers français, Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre et maire de Nantes, revient sur l’héritage de la traite. « La France a organisé près de 14 % des campagnes de traite négrière du continent. (…) Ainsi du milieu du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, la France organise 4220 expéditions de traite. (…) En un peu plus d’un siècle , les navires nantais auront transportés plus de 50% des 1,3 millions de captifs africains enlevés vers les colonies françaises ». Les traces de l’enrichissement de ces ports sont aujourd’hui toujours visibles dans l’architecture somptueuse de leurs habitations, ainsi que dans la pérennité des productions industrielles liées aux importations des denrées coloniales : sucre, café, caco, rhum etc.
Les livres de l’historien Eric Saugera, Bordeaux et la traite des Noirs et Bordeaux port négrier : chronologie, économie, idéologie, XVIIe-XIXe siècles éclairent sur la manière dont cette ville, comme d’autres, a pu profiter de cette économie négrière. « Les puissances maritimes de l’Europe participèrent toutes à l’activité négrière. Quatre pays assurèrent plus de 90 % de l’ensemble de la traite atlantique : le Portugal, avec 4, 650 millions de captifs transportés, suivi de l’Angleterre (2,6 millions), de l’Espagne (1,6 million) et de la France (1,25 million). » ce sont les chiffres avancés dans l’ Atlas des esclavages, ouvrage qui vous permettra de visualiser les routes du commerce négrier du XVIe au XIXe siècle et de nombreuses autres représentations graphiques concernant la traite, comme aussi la rivalité entre la France et l’Angleterre pour la maîtrise de ce trafic juteux.
Des travaux comme ceux de Jean Mettas, Nantes, sur les expéditions négrières françaises, et, de Serge Daget sur les armements illégaux de navires pour la traite ont offert une riche documentation aux historiens.
Dans ce tableau de la base de données établie par David Eltis recensant 95 % des expéditions négrières, Slave voyages, vous trouverez les estimations concernant le nombre de personnes soumises à la traite par la France entre le XVIe et le XIXe siècle. Cependant, si la comptabilité semble avoir été tenue rigoureusement, l’état français prélevant 1/3 du prix de vente de chaque esclave, ces chiffres ne disent rien des traites illégales, permettant d’échapper aux taxes.
Ce « commerce riche » comme l’a qualifié l’historien Olivier Grenouilleau nécessitait en outre une importante mise de fonds pour l’armement du bateau. Le chapitre intitulé « L’expédition maritime et la traite négrière » de l’ouvrage collectif Commerce atlantique, traite et esclavage (1700-1848) comporte de nombreux documents d’époque facilitant l’appréhension de ce type de « négoce ». Une importante bibliographie en fin d’ouvrage pourra orienter efficacement vos recherches.
Dès l’avant-propos de Mémoire noire. Histoire de l’esclavage, les auteurs évoquent la thèse défendue par Olivier Grenouilleau pour synthétiser les termes de ce commerce « La traite repose sur la dissociation entre les lieux où les captifs sont « produits » et ceux où ils sont utilisés. Les esclaves sont en effet rarement « produits » par ceux qui les utilisent, la traite reposant donc sur un système d’échanges. Un système d’une telle ampleur suppose l’assentiment d’entités politiques aux intérêts convergents, et ce sur les différents continents impliqués. » Et plus loin : « En matière économique, les historiens anglo-saxons se sont intéressés au problème du rôle de la traite négrière dans l’avènement de la révolution industrielle anglaise. » Cette interrogation s’est alors déclinée en différents champs de recherches qui intéressent les chercheurs d’aujourd’hui : calcul de la rentabilité de la traite, financement de la révolution industrielle par la traite, soutien de la révolution industrielle par la demande de marchandises de traite et enfin rôle de la traite dans l’économie sucrière et, par là, dans la balance commerciale des pays européens. L’exemple des ports de la façade atlantique de la France vient corroborer cet aspect économique de la traite.
Le rôle de la traite des noirs et de l’esclavage dans le passage d’une économie féodale à l’économie capitaliste avait déjà été mis en lumière au XIXe siècle par Marx dans le premier livre du Capital. C’est aussi ce que pense Markus Rediker dans l’introduction de son A bord du navire négrier : une histoire atlantique de la traite : « Si je vous propose cette étude, c’est avec le plus grand respect pour tous ceux qui ont souffert d’une violence, d’une terreur et d’une mortalité tout simplement inconcevables, et avec la ferme conviction que nous devons nous souvenir que de telles horreurs ont toujours été, et demeurent, centrales dans le développement du capitalisme mondial. »
Aux Antilles l’économie négrière a débouché, sur ce que certains ont nommé l’économie de plantations : une certaine organisation de la propriété, du travail, de l’espace et des relations entre esclaves et propriétaires qui ont marqué durablement les populations, ce que l’historien Frédéric Régent a souligné dans son ouvrage La France et ses esclaves.
Autre ouvrage de référence consulté : La traite des noirs 1440-1870.
Voir aussi ces autres questions sur le sujet posées au Guichet du Savoir.
Bonnes lectures !
Pour borner notre sujet, nous vous proposons cette citation tirée de l’ouvrage collectif qui vient de sortir à l’occasion des 20 ans de la Loi Taubira, L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, 10 nouvelles approches : « Il convient de distinguer l’esclavage de la traite. Le premier est un système de domination humaine. Il désigne un statut de propriété individuelle et, dans le même temps, de travail non libre et non rémunéré. La traite atlantique, notamment, est un mécanisme marchand qui a conduit à une catégorisation sociale. » (Antonio de Almeida Mendes, chapitre 5, La traite négrière a-t-elle favorisé le développement économique de l’Europe ? ).
Les ports de la façade atlantique doivent leur essor au développement de l’activité sucrière consécutive à la culture de la canne dans les plantations caribéennes.
C’est le cas notamment de Bordeaux, Nantes premier port négrier français, Lorient etc. dont différentes expositions récentes retracent le parcours négrier : celle du Musée des ducs de Bretagne à Nantes ou celle des Archives de Bordeaux, par exemple.
La ville de Lorient, comme son nom l’indique, s’est, elle, consacrée au commerce des textiles avec l’Inde.
Dans ce même ouvrage, le chapitre intitulé Nantes, Bordeaux, La Rochelle : l’héritage des grands ports négriers français, Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre et maire de Nantes, revient sur l’héritage de la traite. « La France a organisé près de 14 % des campagnes de traite négrière du continent. (…) Ainsi du milieu du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, la France organise 4220 expéditions de traite. (…) En un peu plus d’un siècle , les navires nantais auront transportés plus de 50% des 1,3 millions de captifs africains enlevés vers les colonies françaises ». Les traces de l’enrichissement de ces ports sont aujourd’hui toujours visibles dans l’architecture somptueuse de leurs habitations, ainsi que dans la pérennité des productions industrielles liées aux importations des denrées coloniales : sucre, café, caco, rhum etc.
Les livres de l’historien Eric Saugera, Bordeaux et la traite des Noirs et Bordeaux port négrier : chronologie, économie, idéologie, XVIIe-XIXe siècles éclairent sur la manière dont cette ville, comme d’autres, a pu profiter de cette économie négrière. « Les puissances maritimes de l’Europe participèrent toutes à l’activité négrière. Quatre pays assurèrent plus de 90 % de l’ensemble de la traite atlantique : le Portugal, avec 4, 650 millions de captifs transportés, suivi de l’Angleterre (2,6 millions), de l’Espagne (1,6 million) et de la France (1,25 million). » ce sont les chiffres avancés dans l’ Atlas des esclavages, ouvrage qui vous permettra de visualiser les routes du commerce négrier du XVIe au XIXe siècle et de nombreuses autres représentations graphiques concernant la traite, comme aussi la rivalité entre la France et l’Angleterre pour la maîtrise de ce trafic juteux.
Des travaux comme ceux de Jean Mettas, Nantes, sur les expéditions négrières françaises, et, de Serge Daget sur les armements illégaux de navires pour la traite ont offert une riche documentation aux historiens.
Dans ce tableau de la base de données établie par David Eltis recensant 95 % des expéditions négrières, Slave voyages, vous trouverez les estimations concernant le nombre de personnes soumises à la traite par la France entre le XVIe et le XIXe siècle. Cependant, si la comptabilité semble avoir été tenue rigoureusement, l’état français prélevant 1/3 du prix de vente de chaque esclave, ces chiffres ne disent rien des traites illégales, permettant d’échapper aux taxes.
Ce « commerce riche » comme l’a qualifié l’historien Olivier Grenouilleau nécessitait en outre une importante mise de fonds pour l’armement du bateau. Le chapitre intitulé « L’expédition maritime et la traite négrière » de l’ouvrage collectif Commerce atlantique, traite et esclavage (1700-1848) comporte de nombreux documents d’époque facilitant l’appréhension de ce type de « négoce ». Une importante bibliographie en fin d’ouvrage pourra orienter efficacement vos recherches.
Dès l’avant-propos de Mémoire noire. Histoire de l’esclavage, les auteurs évoquent la thèse défendue par Olivier Grenouilleau pour synthétiser les termes de ce commerce « La traite repose sur la dissociation entre les lieux où les captifs sont « produits » et ceux où ils sont utilisés. Les esclaves sont en effet rarement « produits » par ceux qui les utilisent, la traite reposant donc sur un système d’échanges. Un système d’une telle ampleur suppose l’assentiment d’entités politiques aux intérêts convergents, et ce sur les différents continents impliqués. » Et plus loin : « En matière économique, les historiens anglo-saxons se sont intéressés au problème du rôle de la traite négrière dans l’avènement de la révolution industrielle anglaise. » Cette interrogation s’est alors déclinée en différents champs de recherches qui intéressent les chercheurs d’aujourd’hui : calcul de la rentabilité de la traite, financement de la révolution industrielle par la traite, soutien de la révolution industrielle par la demande de marchandises de traite et enfin rôle de la traite dans l’économie sucrière et, par là, dans la balance commerciale des pays européens. L’exemple des ports de la façade atlantique de la France vient corroborer cet aspect économique de la traite.
Le rôle de la traite des noirs et de l’esclavage dans le passage d’une économie féodale à l’économie capitaliste avait déjà été mis en lumière au XIXe siècle par Marx dans le premier livre du Capital. C’est aussi ce que pense Markus Rediker dans l’introduction de son A bord du navire négrier : une histoire atlantique de la traite : « Si je vous propose cette étude, c’est avec le plus grand respect pour tous ceux qui ont souffert d’une violence, d’une terreur et d’une mortalité tout simplement inconcevables, et avec la ferme conviction que nous devons nous souvenir que de telles horreurs ont toujours été, et demeurent, centrales dans le développement du capitalisme mondial. »
Aux Antilles l’économie négrière a débouché, sur ce que certains ont nommé l’économie de plantations : une certaine organisation de la propriété, du travail, de l’espace et des relations entre esclaves et propriétaires qui ont marqué durablement les populations, ce que l’historien Frédéric Régent a souligné dans son ouvrage La France et ses esclaves.
Autre ouvrage de référence consulté : La traite des noirs 1440-1870.
Voir aussi ces autres questions sur le sujet posées au Guichet du Savoir.
Bonnes lectures !
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter