Question d'origine :
bonjour,
pourquoi les noms attribués aux mois de l'année ont ils des origines aussi différentes. Il y avait bien 10 mois au départ dans le calendrier mais leurs noms différent : dieux et déesses, ou noms selon leur rang dans l'année (le dixième...)... Pourquoi n'avoir pas donné à tous les mois un nom de dieux ou déesse par exemple ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 22/02/2013 à 16h47
Bonjour,
Si Rome ne s’est pas faite en un jour, le calendrier et le nom des mois, précisément d’origine romaine, a également une histoire longue et compliquée.
« L'année primitive de Rome, dite de Romulus, contient 10 mois formant un ensemble de 304 jours (4 grands mois de 31 jours et 6 de 30 jours). Les mois s'appelaient Mars, Aprilis, Maia, Junionus, Quintilis, Sextilis, September, October, November et December. Quintilis et Sextilis deviendront juillet et août, en l'honneur de César et d'Auguste. On peut citer quelques origines des noms des mois romains : Mars est le nom du dieu dont Romulus prétendait descendre. Aprilis vient d’aperire (« ouvrir », c’est-à-dire le mois où la terre s'ouvre pour la végétation) et peut-être aussi d'Aphrodite. Maia vient de Maia, déesse mère de Mercure, ou de Maïus, dieu de la croissance, ou encore de Majores, qui signifie les Anciens. Junionus vient de Junon, fille de Saturne, ou de Junior. Les autres mois portent leur numéro, du cinquième pour Quintilis au dixième pour December.
Avec le calendrier dit de Numa ou de Tarquin (700 avant J.-C.) l'année s'agrandit de 2 mois supplémentaires (janvier et février). Les Romains s'inspirèrent du calendrier lunaire grec et il fut décidé d'ajouter 51 jours en 2 mois placés après décembre, que l'on a appelé Januarius (consacré à Janus) et Februarius (consacré aux purifications évoquées par le verbe februare). Pourquoi 51 jours et pas 50 (354-304) ? Pour des raisons de superstition numérique : seuls les nombres impairs plaisent aux dieux, ce qui interdit l'usage de nombres pairs. Avec cette année de 355 jours, il manque environ 10 jours pour se raccorder à l'année des saisons : au bout de 3 ans, il manque environ 1 mois. C'est tous les 2 ou 3 ans que les Romains intercalent un mois supplémentaire de 22 jours, appelé Mercedonius, placé curieusement entre le 23 et le 24 février. Le choix de cette date s'explique par le fait que le 23 février était le jour des fêtes de fin d'année, les Terminalia. L'année s'est agrandie de 2 mois, et plus tard les mois seront décalés car le début de l'année est ramené du 1er mars au 1er janvier, ce qui est resté apparent dans les noms des mois : (sept)embre, (octo)bre, (nov)embre et (déc)embre devraient être les septième, huitième, neuvième et dixième mois de l'année.
L'an 708 de la fondation de Rome est une véritable « année de confusion » car elle contenait 445 jours pour rattraper le retard accumulé au cours de forts malheureuses corrections antérieures. Avec la réforme, l'année commence le 1er janvier au lieu du 1er mars ; le mois Mercedonius disparaît définitivement. La nouvelle année de 365,25 jours est trop courte de seulement un quart de jour et le déficit annuel est résorbé par un jour additionnel tous les quatre ans. Sans cette précaution, tous les 120 ans, le décalage serait à nouveau d'un mois, inconvénient auquel se sont trouvés confrontés les Égyptiens avec leur « année vague ».
Introduire un seul jour dans le calendrier romain n'est pas simple pour ne pas choquer les superstitions et les habitudes : si les mois impairs dits favorables sont consacrés aux dieux bienfaiteurs, les nombres pairs sont associés aux dieux infernaux et il est hors de question de troubler l'ordre des choses. C'est bien entendu au mois le plus court (février) que l'on fait appel pour placer le jour supplémentaire et, pour conserver en apparence le même nombre de jours, on double le 24e jour. Ce jour portant dans la nomenclature romaine la dénomination de 6e jour avant les calendes de mars, le double devient bis-sextus ante calendas martius, d'où le terme consacré « bissextile », qui caractérise l'année de 366 jours. La réforme fut mal comprise et de ce fait mal appliquée, et, pendant plus de trente ans, il y eut une année bissextile sur trois au lieu d'une tous les quatre ans. En l'an 8 avant J.-C., Auguste, petit-neveu et fils adoptif de Jules César, supprime toutes les années bissextiles pendant douze ans. C'est en l'an 5 après J.-C. que le calendrier julien débute vraiment et les quarante années transitoires portent le nom d'années juliennes erronées. Dix années plus tard, le sénat romain donna au mois de Quintilis (mois de naissance de César) le nom de Julius (d'où juillet) et à Sextilis le nom d'Auguste (d'où le mois d'août). »
Extrait de l’article Calendriers de l’Encyclopaedia Universalis, en ligne sur les postes de la BML.
L’ouvrage Rythmes du temps : astronomie et calendriers, Emile Biémont, donne des précisions supplémentaires :
« Les peuples anciens, qui occupèrent le territoire du Latium, se servaient d’un calendrier lunaire. A l’époque de la fondation de Rome, le calendrier des Albins comportait dix mois. Il fut adopté par les Romains et par Romulus en particulier. Ce dernier, conformément à la tradition, est considéré comme fondateur du calendrier romain. Ce calendrier correspondait à une année de 304 jours répartis en dix mois de 30 ou 31 jours. Les mois étaient initialement désignés par un numéro d’ordre (premier, deuxième, …., dixième). Ultérieurement, le premier mois (Martius) fut consacré à Mars le dieu de la guerre ; le second (Aprilis) à Aperta, surnom d’Apollon, le troisième à Maius, nom vulgaire de Jupiter optimus ou Jupiter maximus ; le quatrième (Junius) fut consacré à Junon, épouse de Jupiter, alors que les autres conservèrent les noms dérivés des numéros d’ordre (Quintilis, Sextilis, September, October, November et December) ».
« La réforme de Numa Pompilius.
Il ne fallut que peu de temps pour réaliser que l’année de 304 jours en vigueur sous Romulus était beaucoup plus courte que l’année solaire. Le calendrier fut réformé une première fois, conformément à ce que prétend la tradition, sous le règne de Numa Pompiliu. Sous l’influence des Grecs, notamment de Pythagore, il attribua 355 jours à la nouvelle année. Il enleva un jour aux mois d’Aprilis, de Junius, Sextilis, September, November et December. Il ajouta 57 jours soit 51 jours (l’année de Romulus en comptait 304) plus 6 (les 6 jours mentionnés ci-dessus) qu’il répartit en deux mois (à savoir un mois de 29 jours et un autre de 28 jours) et il plaça ceux-ci avant le mois de Martius. Il souhaitait que le début de l’année soit plus proche du solstice d’hiver plutôt que de l’équinoxe de printemps, ce qui était le cas dans le calendrier de Romulus. Le premier mois, Januarius, fut consacré à Janus, le plus ancien dieu du Latium et divinité de la paix tandis que le second, Februarius, d’abord intercalé dans le calendrier après december, était consacré à Febro, le dieu des morts et des enfers. » p. 219-220. La suite de la page est consacrée au mois intercalaire déjà cité : Mercedonius (« parce que, semble-t-il, les mercenaires étaient payés à ce moment là de l’année ».
Soyons donc reconnaissants à César et Auguste d’avoir simplifié ce calendrier. Ils ont bien mérité de donner leur nom aux mois de juillet et d’août ! . D’ailleurs, César « prit encore la décision que l’année commencerait avec Januarius mais choisit de ne modifier ni l’ordre ni le nom des mois. ».( p.224)
La réforme grégorienne de 1582 n’y changera rien non plus et ce calendrier va perdurer et s’universaliser. En France, le calendrier républicain, avec ses noms poétiques à la parfaite cohérence, ne « prendra » pas.
Nous emprunterons la conclusion, lyrique, à Le calendrier, maître du temps, Jacqueline de Bourgoing :
« Comparer le calendrier aux couches sédimentaires du sol semble une métaphore assez pertinente. Comme le sol, le calendrier forme un soubassement, un socle de la vie collective. Comme le sol, il est fait d’héritages successifs, incorporés, agglomérés, travaillés par des forces profondes, tels le mouvement de standardisation de la mesure du temps, ou la déprise religieuse qui viennent le modifier substantiellement. Il peut être labouré en profondeur par une volonté politique tenace, retourné, travaillé, il peut incorporer des éléments nouveaux, le besoin de précision par exemple, le résultat dépendra toujours du substrat local, lui-même héritier d’une longue histoire. » (p. 111).
Bonnes lectures !
Si Rome ne s’est pas faite en un jour, le calendrier et le nom des mois, précisément d’origine romaine, a également une histoire longue et compliquée.
« L'année primitive de Rome, dite de Romulus, contient 10 mois formant un ensemble de 304 jours (4 grands mois de 31 jours et 6 de 30 jours). Les mois s'appelaient Mars, Aprilis, Maia, Junionus, Quintilis, Sextilis, September, October, November et December. Quintilis et Sextilis deviendront juillet et août, en l'honneur de César et d'Auguste. On peut citer quelques origines des noms des mois romains : Mars est le nom du dieu dont Romulus prétendait descendre. Aprilis vient d’aperire (« ouvrir », c’est-à-dire le mois où la terre s'ouvre pour la végétation) et peut-être aussi d'Aphrodite. Maia vient de Maia, déesse mère de Mercure, ou de Maïus, dieu de la croissance, ou encore de Majores, qui signifie les Anciens. Junionus vient de Junon, fille de Saturne, ou de Junior. Les autres mois portent leur numéro, du cinquième pour Quintilis au dixième pour December.
Avec le calendrier dit de Numa ou de Tarquin (700 avant J.-C.) l'année s'agrandit de 2 mois supplémentaires (janvier et février). Les Romains s'inspirèrent du calendrier lunaire grec et il fut décidé d'ajouter 51 jours en 2 mois placés après décembre, que l'on a appelé Januarius (consacré à Janus) et Februarius (consacré aux purifications évoquées par le verbe februare). Pourquoi 51 jours et pas 50 (354-304) ? Pour des raisons de superstition numérique : seuls les nombres impairs plaisent aux dieux, ce qui interdit l'usage de nombres pairs. Avec cette année de 355 jours, il manque environ 10 jours pour se raccorder à l'année des saisons : au bout de 3 ans, il manque environ 1 mois. C'est tous les 2 ou 3 ans que les Romains intercalent un mois supplémentaire de 22 jours, appelé Mercedonius, placé curieusement entre le 23 et le 24 février. Le choix de cette date s'explique par le fait que le 23 février était le jour des fêtes de fin d'année, les Terminalia. L'année s'est agrandie de 2 mois, et plus tard les mois seront décalés car le début de l'année est ramené du 1er mars au 1er janvier, ce qui est resté apparent dans les noms des mois : (sept)embre, (octo)bre, (nov)embre et (déc)embre devraient être les septième, huitième, neuvième et dixième mois de l'année.
L'an 708 de la fondation de Rome est une véritable « année de confusion » car elle contenait 445 jours pour rattraper le retard accumulé au cours de forts malheureuses corrections antérieures. Avec la réforme, l'année commence le 1er janvier au lieu du 1er mars ; le mois Mercedonius disparaît définitivement. La nouvelle année de 365,25 jours est trop courte de seulement un quart de jour et le déficit annuel est résorbé par un jour additionnel tous les quatre ans. Sans cette précaution, tous les 120 ans, le décalage serait à nouveau d'un mois, inconvénient auquel se sont trouvés confrontés les Égyptiens avec leur « année vague ».
Introduire un seul jour dans le calendrier romain n'est pas simple pour ne pas choquer les superstitions et les habitudes : si les mois impairs dits favorables sont consacrés aux dieux bienfaiteurs, les nombres pairs sont associés aux dieux infernaux et il est hors de question de troubler l'ordre des choses. C'est bien entendu au mois le plus court (février) que l'on fait appel pour placer le jour supplémentaire et, pour conserver en apparence le même nombre de jours, on double le 24e jour. Ce jour portant dans la nomenclature romaine la dénomination de 6e jour avant les calendes de mars, le double devient bis-sextus ante calendas martius, d'où le terme consacré « bissextile », qui caractérise l'année de 366 jours. La réforme fut mal comprise et de ce fait mal appliquée, et, pendant plus de trente ans, il y eut une année bissextile sur trois au lieu d'une tous les quatre ans. En l'an 8 avant J.-C., Auguste, petit-neveu et fils adoptif de Jules César, supprime toutes les années bissextiles pendant douze ans. C'est en l'an 5 après J.-C. que le calendrier julien débute vraiment et les quarante années transitoires portent le nom d'années juliennes erronées. Dix années plus tard, le sénat romain donna au mois de Quintilis (mois de naissance de César) le nom de Julius (d'où juillet) et à Sextilis le nom d'Auguste (d'où le mois d'août). »
Extrait de l’article Calendriers de l’Encyclopaedia Universalis, en ligne sur les postes de la BML.
L’ouvrage Rythmes du temps : astronomie et calendriers, Emile Biémont, donne des précisions supplémentaires :
« Les peuples anciens, qui occupèrent le territoire du Latium, se servaient d’un calendrier lunaire. A l’époque de la fondation de Rome, le calendrier des Albins comportait dix mois. Il fut adopté par les Romains et par Romulus en particulier. Ce dernier, conformément à la tradition, est considéré comme fondateur du calendrier romain. Ce calendrier correspondait à une année de 304 jours répartis en dix mois de 30 ou 31 jours. Les mois étaient initialement désignés par un numéro d’ordre (premier, deuxième, …., dixième). Ultérieurement, le premier mois (Martius) fut consacré à Mars le dieu de la guerre ; le second (Aprilis) à Aperta, surnom d’Apollon, le troisième à Maius, nom vulgaire de Jupiter optimus ou Jupiter maximus ; le quatrième (Junius) fut consacré à Junon, épouse de Jupiter, alors que les autres conservèrent les noms dérivés des numéros d’ordre (Quintilis, Sextilis, September, October, November et December) ».
« La réforme de Numa Pompilius.
Il ne fallut que peu de temps pour réaliser que l’année de 304 jours en vigueur sous Romulus était beaucoup plus courte que l’année solaire. Le calendrier fut réformé une première fois, conformément à ce que prétend la tradition, sous le règne de Numa Pompiliu. Sous l’influence des Grecs, notamment de Pythagore, il attribua 355 jours à la nouvelle année. Il enleva un jour aux mois d’Aprilis, de Junius, Sextilis, September, November et December. Il ajouta 57 jours soit 51 jours (l’année de Romulus en comptait 304) plus 6 (les 6 jours mentionnés ci-dessus) qu’il répartit en deux mois (à savoir un mois de 29 jours et un autre de 28 jours) et il plaça ceux-ci avant le mois de Martius. Il souhaitait que le début de l’année soit plus proche du solstice d’hiver plutôt que de l’équinoxe de printemps, ce qui était le cas dans le calendrier de Romulus. Le premier mois, Januarius, fut consacré à Janus, le plus ancien dieu du Latium et divinité de la paix tandis que le second, Februarius, d’abord intercalé dans le calendrier après december, était consacré à Febro, le dieu des morts et des enfers. » p. 219-220. La suite de la page est consacrée au mois intercalaire déjà cité : Mercedonius (« parce que, semble-t-il, les mercenaires étaient payés à ce moment là de l’année ».
Soyons donc reconnaissants à César et Auguste d’avoir simplifié ce calendrier. Ils ont bien mérité de donner leur nom aux mois de juillet et d’août ! . D’ailleurs, César « prit encore la décision que l’année commencerait avec Januarius mais choisit de ne modifier ni l’ordre ni le nom des mois. ».( p.224)
La réforme grégorienne de 1582 n’y changera rien non plus et ce calendrier va perdurer et s’universaliser. En France, le calendrier républicain, avec ses noms poétiques à la parfaite cohérence, ne « prendra » pas.
Nous emprunterons la conclusion, lyrique, à Le calendrier, maître du temps, Jacqueline de Bourgoing :
« Comparer le calendrier aux couches sédimentaires du sol semble une métaphore assez pertinente. Comme le sol, le calendrier forme un soubassement, un socle de la vie collective. Comme le sol, il est fait d’héritages successifs, incorporés, agglomérés, travaillés par des forces profondes, tels le mouvement de standardisation de la mesure du temps, ou la déprise religieuse qui viennent le modifier substantiellement. Il peut être labouré en profondeur par une volonté politique tenace, retourné, travaillé, il peut incorporer des éléments nouveaux, le besoin de précision par exemple, le résultat dépendra toujours du substrat local, lui-même héritier d’une longue histoire. » (p. 111).
Bonnes lectures !
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