Meurtre et Liberté
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 30/07/2014 à 22h25
164 vues
Question d'origine :
Bonjour,
Est ce qu'on peut dire que la peine de mort est pire que la prison à perpetuité ? J'ai l'impression que cette derniere est une mort en étant vivant...
D'ailleurs le fait de priver quelqu'un à sa liberté (qui est un droit fondamental à tout etre humain) étant inhumain, n'y a-t-il pas un moyen pour que celui qui a fait un crime ne le refasse plus tout en ne le privant pas de sa liberté ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 04/08/2014 à 09h25
Bonjour,
Précisons tout d’abord que la peine de mort est une violation des droits humains fondamentaux, ce que reconnaissent plusieurs protocoles internationaux :
La peine de mort dans les accords internationaux
La peine de mort viole des droits humains fondamentaux: le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants mentionné dans les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Les premiers pas concrets vers une proscription internationale de la peine de mort ont été franchis dans les années 60-70. De nombreux accords ont été élaborés sur les plans international et régional.
Ceux-ci ont limité la peine de mort aux « crimes les plus graves » et réduit son usage à travers le droit à un procès équitable, des possibilités de recours, le droit à la grâce ou à la commutation de peine, l’interdiction de la peine capitale pour les adolescents criminels et l’interdiction d’exécuter des femmes enceintes.
Dès 1980, l’ONU, le Conseil de l’Europe et l’Organisation des États américains se sont employé à étendre ces restrictions et mesures de protection à tous les États membres.
Le protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’Homme est le premier au monde et jusqu’ici le seul accord interdisant totalement la peine de mort.
Principal acquis de ces dernières années, quatre accords internationaux engagent les États qui les ont signés et ratifiés à renoncer à la peine de mort.
1. Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux Droits civils et politiques, qui vise l’abolition de la peine de mort en temps de paix (en mars 2006, ratifié par 57 Etats, sept autres l’ont signé dans la perspective de devenir plus tard des Etats contractants).
2. Le Protocole se rapportant à la Convention américaine des droits de l’Homme, qui vise l’abolition totale de la peine de mort, mais prévoit des exceptions en cas de guerre (huit Etats contractants et un signataire).
3. Le Protocole n° 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui prévoit la suppression de la peine de mort en temps de paix (45 Etats contractants, un signataire).
4. Le Protocole n° 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui prévoit l’interdiction absolue et sans aucune exception de la peine de mort (35 Etats contractants, huit signataires).
Source : Amnistie Internationale
Aujourd’hui, 90 % des exécutions dans le monde sont le fait de 4 États : la Chine, les États-Unis, l’Arabie saoudite et l’Iran.L’alliance entre totalitarisme, fanatisme et peine de mort est historique . La première question, dans la marche à l’abolition universelle, est celle de la situation aux États-Unis, seule grande démocratie à recourir à la peine de mort.
Source : Questions à Robert Badinter, L’abolition de la peine de mort en France, La Documentation française (2002)
(sur l’abolition de la peine de mort en France, voir aussi les dossiers de l’Assemblée Nationale et du Sénat)
Pour répondre à votre première question, il nous semble qu’un « avantage » certain de la prison sur la peine de mort du point de vue du condamné est que, en cas d’erreur judiciaire, il peut être innocenté et remis en liberté, même tardivement… ce qui est impossible s’il est déjà mort.
Sur une note un peu plus cynique, et du point de vue des Etats, les couloirs de la mort coûteraient trois fois plus cher à l’Etat américain que la prison à vie d’après la presse canadienne : Peine de mort: trois fois plus cher pour l'État que la prison à vie, Le Soleil.
Concernant votre deuxième question, actuellement la prison en tant que telle est rarement remise en cause car considérée comme inévitable, et les débats portent plutôt sur la nécessité de la rendre moins inhumaine.
Cependant, si la prison est une bonne « gardienne », elle est beaucoup moins efficace en termes de réinsertion des délinquants et de prévention de la récidive. Les solutions alternatives et/ou complémentaires, TIG (travaux d’intérêt général) et assignation à domicile (surveillance électronique), ont aussi leurs limites : elles peuvent difficilement constituer une alternative complète pour les « profils lourds » ; au lieu de se substituer à des peines de prisons, elles remplaceraient le plus souvent une amende ou la probation, et traduiraient en fait une aggravation du contrôle pénal plus qu’une volonté de désengorger les prisons…
Source : Un monde sans prisons? Quelques réflexions sur l’efficacité de la peine-prison, Valérie Lanier, 2001 (mémoire)
Toutefois, ces solutions seraient aussi plus efficaces pour éviter la récidive :
Le constat dressé depuis six mois est indiscutable : les mesures alternatives protègent mieux de la récidive que la prison. En outre, les exemples canadiens ou scandinaves démontrent qu'entre l'amende et la prison, des peines de "probation", assorties d'obligations et d'un suivi précis, sont beaucoup mieux adaptées pour de nombreux délinquants. Personne ne prétend que de tels dispositifs feront disparaître la récidive ; tout démontre cependant qu'ils sont de nature à la freiner sérieusement.
A deux conditions. D'une part, de mettre en place un système de suivi digne de ce nom et renforcer, en particulier, le nombre et les moyens des actuels conseillers de prévention et de probation. D'autre part, d'assumer le risque politique d'une telle philosophie, dans un pays habitué depuis des lustres à penser que la prison est la seule réponse à la délinquance.
Source : Contre la récidive, des alternatives à la prison, Le Monde, 14 février 2013
Mais concrètement, elles restent insuffisantes pour constituer une véritable alternative à la prison :
Les mesures alternatives ont été introduites pour se substituer aux peines privatives de liberté.
Leur développement aurait dû se traduire par une stagnation, voire une diminution du nombre d’incarcérations. Or, il n’en n’est rien. Depuis 20 ans, la population carcérale a globalement augmenté, alors même que les alternatives à l’incarcération se développaient quantitativement.
Malgré une législation et des orientations de politique pénale qui ont encouragé le recours aux peines alternatives, l’emprisonnement reste toujours la référence en termes de sanction efficace et visible.
Bien qu’elles fassent l’objet d’une appréciation positive dans l’opinion publique et que la préconisation de leur développement fasse consensus dans les rapports parlementaires et administratifs, les peines alternatives connaissent des difficultés de mise en oeuvre.
Source : Les mesures alternatives à l’incarcération, Ministère de la justice
Il semble, pour reprendre les citations de Valérie Lanier en conclusion de son mémoire, qu’une société sans prison soit impossible sans modifier profondément notre conception de la faute et de la sanction, de la société et de l’exclusion :
Pour Théodore Papathéodorou, “punir autrement cela supposerait préalablement l’intégration du principe selon lequel l’enfermement ne serait pas le seul instrument permettant de répondre aux tensions sociales et les peines ne serviraient pas seulement à légitimer la pérennité d’un dispositif d’ordre public. Cela supposerait également que les manifestations alternatives du pouvoir de punir fassent appel à de nouveaux acteurs dans la gestion des conflits qui dominent la réalité sociale. Cela supposerait enfin qu’avant de penser à réintégrer dans la société les exclus du système répressif, on aurait voulu modifier les rapports entre les forces qui génèrent la société excluante, touchant ainsi, les mécanismes d’exclusion à sa racine.”
Mettre en place de vraies alternatives, et par là-même abolir les prisons, suppose un changement d’état d’esprit de l’opinion publique, du corps législatif, des magistrats... “La disparition des prisons ne peut être que l’aboutissement d’une profonde transformation impliquant notre conception de la faute, de la peine, de la sanction, et surtout de la place que nous attribuons à chacun dans le fonctionnement d’une collectivité. (...) Prôner abruptement la fin des prisons sans interroger l’ensemble des modes de fonctionnement de nos institutions et, avant tout, leurs objectifs serait pure démagogie.”
Source : Un monde sans prisons? Quelques réflexions sur l’efficacité de la peine-prison, Valérie Lanier, 2001 (mémoire)
Pour terminer, citons l’ouvrage de Thierry Lévy : Nos têtes sont plus dures que les murs des prisons, qui défend des solutions de rechange plus performantes et plus humaines. N’y ayant pas accès, nous n’avons pas eu la possibilité de le consulter.
Bonne journée.
Précisons tout d’abord que la peine de mort est une violation des droits humains fondamentaux, ce que reconnaissent plusieurs protocoles internationaux :
La peine de mort viole des droits humains fondamentaux: le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants mentionné dans les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Les premiers pas concrets vers une proscription internationale de la peine de mort ont été franchis dans les années 60-70. De nombreux accords ont été élaborés sur les plans international et régional.
Ceux-ci ont limité la peine de mort aux « crimes les plus graves » et réduit son usage à travers le droit à un procès équitable, des possibilités de recours, le droit à la grâce ou à la commutation de peine, l’interdiction de la peine capitale pour les adolescents criminels et l’interdiction d’exécuter des femmes enceintes.
Dès 1980, l’ONU, le Conseil de l’Europe et l’Organisation des États américains se sont employé à étendre ces restrictions et mesures de protection à tous les États membres.
Le protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’Homme est le premier au monde et jusqu’ici le seul accord interdisant totalement la peine de mort.
Principal acquis de ces dernières années, quatre accords internationaux engagent les États qui les ont signés et ratifiés à renoncer à la peine de mort.
1. Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux Droits civils et politiques, qui vise l’abolition de la peine de mort en temps de paix (en mars 2006, ratifié par 57 Etats, sept autres l’ont signé dans la perspective de devenir plus tard des Etats contractants).
2. Le Protocole se rapportant à la Convention américaine des droits de l’Homme, qui vise l’abolition totale de la peine de mort, mais prévoit des exceptions en cas de guerre (huit Etats contractants et un signataire).
3. Le Protocole n° 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui prévoit la suppression de la peine de mort en temps de paix (45 Etats contractants, un signataire).
4. Le Protocole n° 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui prévoit l’interdiction absolue et sans aucune exception de la peine de mort (35 Etats contractants, huit signataires).
Source : Amnistie Internationale
Aujourd’hui, 90 % des exécutions dans le monde sont le fait de 4 États : la Chine, les États-Unis, l’Arabie saoudite et l’Iran.
Source : Questions à Robert Badinter, L’abolition de la peine de mort en France, La Documentation française (2002)
(sur l’abolition de la peine de mort en France, voir aussi les dossiers de l’Assemblée Nationale et du Sénat)
Pour répondre à votre première question, il nous semble qu’un « avantage » certain de la prison sur la peine de mort du point de vue du condamné est que, en cas d’erreur judiciaire, il peut être innocenté et remis en liberté, même tardivement… ce qui est impossible s’il est déjà mort.
Sur une note un peu plus cynique, et du point de vue des Etats, les couloirs de la mort coûteraient trois fois plus cher à l’Etat américain que la prison à vie d’après la presse canadienne : Peine de mort: trois fois plus cher pour l'État que la prison à vie, Le Soleil.
Concernant votre deuxième question, actuellement la prison en tant que telle est rarement remise en cause car considérée comme inévitable, et les débats portent plutôt sur la nécessité de la rendre moins inhumaine.
Cependant, si la prison est une bonne « gardienne », elle est beaucoup moins efficace en termes de réinsertion des délinquants et de prévention de la récidive. Les solutions alternatives et/ou complémentaires, TIG (travaux d’intérêt général) et assignation à domicile (surveillance électronique), ont aussi leurs limites : elles peuvent difficilement constituer une alternative complète pour les « profils lourds » ; au lieu de se substituer à des peines de prisons, elles remplaceraient le plus souvent une amende ou la probation, et traduiraient en fait une aggravation du contrôle pénal plus qu’une volonté de désengorger les prisons…
Source : Un monde sans prisons? Quelques réflexions sur l’efficacité de la peine-prison, Valérie Lanier, 2001 (mémoire)
Toutefois, ces solutions seraient aussi plus efficaces pour éviter la récidive :
Le constat dressé depuis six mois est indiscutable : les mesures alternatives protègent mieux de la récidive que la prison. En outre, les exemples canadiens ou scandinaves démontrent qu'entre l'amende et la prison, des peines de "probation", assorties d'obligations et d'un suivi précis, sont beaucoup mieux adaptées pour de nombreux délinquants. Personne ne prétend que de tels dispositifs feront disparaître la récidive ; tout démontre cependant qu'ils sont de nature à la freiner sérieusement.
A deux conditions. D'une part, de mettre en place un système de suivi digne de ce nom et renforcer, en particulier, le nombre et les moyens des actuels conseillers de prévention et de probation. D'autre part, d'assumer le risque politique d'une telle philosophie, dans un pays habitué depuis des lustres à penser que la prison est la seule réponse à la délinquance.
Source : Contre la récidive, des alternatives à la prison, Le Monde, 14 février 2013
Mais concrètement, elles restent insuffisantes pour constituer une véritable alternative à la prison :
Les mesures alternatives ont été introduites pour se substituer aux peines privatives de liberté.
Leur développement aurait dû se traduire par une stagnation, voire une diminution du nombre d’incarcérations. Or, il n’en n’est rien. Depuis 20 ans, la population carcérale a globalement augmenté, alors même que les alternatives à l’incarcération se développaient quantitativement.
Malgré une législation et des orientations de politique pénale qui ont encouragé le recours aux peines alternatives, l’emprisonnement reste toujours la référence en termes de sanction efficace et visible.
Bien qu’elles fassent l’objet d’une appréciation positive dans l’opinion publique et que la préconisation de leur développement fasse consensus dans les rapports parlementaires et administratifs, les peines alternatives connaissent des difficultés de mise en oeuvre.
Source : Les mesures alternatives à l’incarcération, Ministère de la justice
Il semble, pour reprendre les citations de Valérie Lanier en conclusion de son mémoire, qu’une société sans prison soit impossible sans modifier profondément notre conception de la faute et de la sanction, de la société et de l’exclusion :
Pour Théodore Papathéodorou, “punir autrement cela supposerait préalablement l’intégration du principe selon lequel l’enfermement ne serait pas le seul instrument permettant de répondre aux tensions sociales et les peines ne serviraient pas seulement à légitimer la pérennité d’un dispositif d’ordre public. Cela supposerait également que les manifestations alternatives du pouvoir de punir fassent appel à de nouveaux acteurs dans la gestion des conflits qui dominent la réalité sociale. Cela supposerait enfin qu’avant de penser à réintégrer dans la société les exclus du système répressif, on aurait voulu modifier les rapports entre les forces qui génèrent la société excluante, touchant ainsi, les mécanismes d’exclusion à sa racine.”
Mettre en place de vraies alternatives, et par là-même abolir les prisons, suppose un changement d’état d’esprit de l’opinion publique, du corps législatif, des magistrats... “La disparition des prisons ne peut être que l’aboutissement d’une profonde transformation impliquant notre conception de la faute, de la peine, de la sanction, et surtout de la place que nous attribuons à chacun dans le fonctionnement d’une collectivité. (...) Prôner abruptement la fin des prisons sans interroger l’ensemble des modes de fonctionnement de nos institutions et, avant tout, leurs objectifs serait pure démagogie.”
Source : Un monde sans prisons? Quelques réflexions sur l’efficacité de la peine-prison, Valérie Lanier, 2001 (mémoire)
Pour terminer, citons l’ouvrage de Thierry Lévy : Nos têtes sont plus dures que les murs des prisons, qui défend des solutions de rechange plus performantes et plus humaines. N’y ayant pas accès, nous n’avons pas eu la possibilité de le consulter.
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter