Question d'origine :
Bonsoir à tous ,
M'interessant de plus en plus à la période de la révolution francaise , une question me taraude depuis un certain moment .
Dans l'imaginaire collectif , Robespierre est surtout connu pour être l'as de la guillotine ,le matador du couperet . Mais en écoutant une conference sur ce dernier par Henri Guillemin ( 1ère partie de sa conférence ici : https://www.youtube.com/watch?v=XiM74n8I2Gc) je me suis mis à douter de la version "officielle" . J'aurais pu vous laisser au repos si ce n'est que je n'ai pas une confiance totale en cet historien prenant souvent un parti ( à voir sa série de conference sur Napoleon où on a le droit à plus de 6h de lynchage ) , c'est pourquoi je préfère me tourner vers vous , illustre érudit du Guichet du Savoir .
Qu'elle était la réelle part de Robespierre dans la terreur , fût-il illuminé au point de vouloir massacrer par milliers des honnêtes gens ayant pensé un jour du bien du roi , ou bien malgré le coté expéditif des jugements , la condamnation de ces pauvres gens apportaient un bienfait réelle à la jeune République .
J'espere ne pas trop vous dérangez avec ces multiples questions et vous remercie par avance pour vos réponses qui sauront m'éclairer .
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 28/01/2015 à 15h39
Bonjour,
La Révolution française est en effet un épisode qui donne lieu à des interprétations idéologiques, ce que l’Encyclopaedia universalis exprime ainsi en préambule de l’article de Marcel Reinhard consacré ce personnage historique :
« Robespierre incarne la Révolution française dans sa tendance démocratique et ses méthodes terroristes, ce qui lui vaut, selon la règle, des admirateurs et des détracteurs. Toutefois, les premiers sont longtemps demeurés rares, parce que Robespierre déplaisait à beaucoup de révolutionnaires en raison de ses convictions morales et religieuses. Les détracteurs au contraire ont toujours abondé, parce que Robespierre dès sa chute a servi de bouc émissaire. Entre ces deux courants, des flottements se sont produits au gré des fluctuations de l'histoire et des idéologies de 1794 à nos jours. »
Le terme « terroriste » semble un peu anachronique mais il se réfère aux seize mois de Terreur de 1793-94:
« Devant la montée des périls extérieurs et des troubles intérieurs, la Convention montagnarde ramena la Terreur à l'ordre du jour et en fit un moyen de gouvernement. Il ne s'agit plus seulement de juger les contre-révolutionnaires, mais tous ceux qui ne sont pas de bons citoyens, de vrais sans-culottes. Toute une administration terroriste s'installe au printemps 1793 et, le 5 septembre, la Convention « met la Terreur à l'ordre du jour ».
Les comités de surveillance, créés le 21 mars 1793, furent soumis le 17 septembre suivant au contrôle du Comité de sûreté générale. Le 10 mars 1793 fut créé le Tribunal révolutionnaire, appelé à juger de tous les crimes contre-révolutionnaires, sans appel ni recours, suivant une procédure simplifiée que la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) rendit encore plus sommaire : la défense et l'interrogatoire préalable des accusés étaient supprimés, les jurés pouvaient se contenter de preuves morales, le tribunal n'avait plus le choix qu'entre l'acquittement ou la mort. »
Jean Derens estime « entre 35 000 et 40 000 le total des exécutions pour toute la France » (en le comparant à la Semaine sanglante de 1870 et ses 30.000 communards exécutés à Paris).
Pour Paris seul en tout cas, 2 627 exécutions ont de quoi marquer les esprits, plus de la moitié ayant lieu en moins de sept semaines, du 22 prairial au 9 thermidor. Il faut imaginer une trentaine d’exécutions par jour !
Quant à la responsabilité personnelle de Robespierre, Marcel Reinhard écrit :
« La conjoncture était catastrophique, tant au-delà des frontières qu'à l'intérieur de la République, les ennemis étaient déchaînés et victorieux, les révolutionnaires demeuraient divisés. Le Comité de salut public organisa une lutte implacable contre les ennemis déclarés, mais il fallut louvoyer pour éviter les ruptures entre révolutionnaires. Robespierre accepta lui aussi, sous la pression des Enragés, le maximum, la législation contre les accapareurs, la levée en masse, l'armée révolutionnaire parisienne. Il s'efforça d'enrayer la déchristianisation. Il parvint à faire mettre en place un gouvernement d'exception doté de rouages révolutionnaires, tandis que la constitution était mise en sommeil. Ce fut la Terreur. S'il n'en était pas le seul responsable, il était convaincu de sa nécessité ; il ne put cependant la mener à son gré, en dépit de ce qu'on a souvent nommé, à l'époque et depuis, sa dictature. Il se défendit jusqu'à son dernier souffle d'avoir été dictateur. Était-ce à juste titre ?
Assurément aucune magistrature comportant les pleins pouvoirs ne lui fut attribuée, jamais d'ailleurs il ne le demanda. Robespierre était membre d'un comité puissant, mais il n'y était soutenu que par Couthon et Saint-Just, les autres membres n'approuvaient pas sa politique. De plus, le comité dépendait de la Convention et, là non plus, Robespierre n'était pas sûr de rallier la majorité. D'autre part, le Comité de sûreté générale, sauf deux de ses membres, ne soutenait pas Robespierre. En revanche, il n'est pas douteux que Robespierre disposait d'un immense prestige et d'une vaste audience auprès des démocrates, des Jacobins, des sans-culottes de Paris et de province, grâce à quoi il pouvait souvent imposer ses vues. Enfin, Robespierre tenait de plus en plus souvent un langage de dictateur détenteur de la vérité : « Nous sommes intraitables comme la vérité, inflexibles, uniformes, j'ai presque dit insupportables comme les principes. » Il était profondément convaincu de la justesse de ses vues, ceux qui ne les partageaient pas ne pouvaient être que des traîtres à la cause du peuple, ils devaient être éliminés. »
D’où nous parlons aujourd’hui, nous ne pouvons penser qu’aucun mort « fait du bien à la République » et ce soupçon généralisé envers tous et toutes d’être des ennemis de la Nation, cette justice « simplifiée », cet abattoir, paraissent une folie, et en tout cas ne peuvent être un modèle. L’article de l’Universalis toutefois, et plus encore les nombreux livres consacrés à Robespierre, nous rappellent que cet homme politique est présent dans la Révolution française pendant 5 ans, qu’il est mû par un contexte, par des forces en présence. La Terreur par exemple paraît à certains « acceptable » au nom d’un certain patriotisme, quand les guerres aux frontières menacent la Révolution notamment. Elle le devient moins, et Robespierre est mis en minorité puis guillotiné à son tour, au moment où l’armée révolutionnaire devient victorieuse.
Chaque époque, chaque école d’historiens réinterprète avec passion la Révolution française et ses épisodes les plus marquants, dans la mesure où elle reste le socle de notre société et de notre modèle politique, versant Droits de l’homme et abolition des privilèges.
Bonnes lectures.
La Révolution française est en effet un épisode qui donne lieu à des interprétations idéologiques, ce que l’Encyclopaedia universalis exprime ainsi en préambule de l’article de Marcel Reinhard consacré ce personnage historique :
« Robespierre incarne la Révolution française dans sa tendance démocratique et ses méthodes terroristes, ce qui lui vaut, selon la règle, des admirateurs et des détracteurs. Toutefois, les premiers sont longtemps demeurés rares, parce que Robespierre déplaisait à beaucoup de révolutionnaires en raison de ses convictions morales et religieuses. Les détracteurs au contraire ont toujours abondé, parce que Robespierre dès sa chute a servi de bouc émissaire. Entre ces deux courants, des flottements se sont produits au gré des fluctuations de l'histoire et des idéologies de 1794 à nos jours. »
Le terme « terroriste » semble un peu anachronique mais il se réfère aux seize mois de Terreur de 1793-94:
« Devant la montée des périls extérieurs et des troubles intérieurs, la Convention montagnarde ramena la Terreur à l'ordre du jour et en fit un moyen de gouvernement. Il ne s'agit plus seulement de juger les contre-révolutionnaires, mais tous ceux qui ne sont pas de bons citoyens, de vrais sans-culottes. Toute une administration terroriste s'installe au printemps 1793 et, le 5 septembre, la Convention « met la Terreur à l'ordre du jour ».
Les comités de surveillance, créés le 21 mars 1793, furent soumis le 17 septembre suivant au contrôle du Comité de sûreté générale. Le 10 mars 1793 fut créé le Tribunal révolutionnaire, appelé à juger de tous les crimes contre-révolutionnaires, sans appel ni recours, suivant une procédure simplifiée que la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) rendit encore plus sommaire : la défense et l'interrogatoire préalable des accusés étaient supprimés, les jurés pouvaient se contenter de preuves morales, le tribunal n'avait plus le choix qu'entre l'acquittement ou la mort. »
Jean Derens estime « entre 35 000 et 40 000 le total des exécutions pour toute la France » (en le comparant à la Semaine sanglante de 1870 et ses 30.000 communards exécutés à Paris).
Pour Paris seul en tout cas, 2 627 exécutions ont de quoi marquer les esprits, plus de la moitié ayant lieu en moins de sept semaines, du 22 prairial au 9 thermidor. Il faut imaginer une trentaine d’exécutions par jour !
Quant à la responsabilité personnelle de Robespierre, Marcel Reinhard écrit :
« La conjoncture était catastrophique, tant au-delà des frontières qu'à l'intérieur de la République, les ennemis étaient déchaînés et victorieux, les révolutionnaires demeuraient divisés. Le Comité de salut public organisa une lutte implacable contre les ennemis déclarés, mais il fallut louvoyer pour éviter les ruptures entre révolutionnaires. Robespierre accepta lui aussi, sous la pression des Enragés, le maximum, la législation contre les accapareurs, la levée en masse, l'armée révolutionnaire parisienne. Il s'efforça d'enrayer la déchristianisation. Il parvint à faire mettre en place un gouvernement d'exception doté de rouages révolutionnaires, tandis que la constitution était mise en sommeil. Ce fut la Terreur. S'il n'en était pas le seul responsable, il était convaincu de sa nécessité ; il ne put cependant la mener à son gré, en dépit de ce qu'on a souvent nommé, à l'époque et depuis, sa dictature. Il se défendit jusqu'à son dernier souffle d'avoir été dictateur. Était-ce à juste titre ?
Assurément aucune magistrature comportant les pleins pouvoirs ne lui fut attribuée, jamais d'ailleurs il ne le demanda. Robespierre était membre d'un comité puissant, mais il n'y était soutenu que par Couthon et Saint-Just, les autres membres n'approuvaient pas sa politique. De plus, le comité dépendait de la Convention et, là non plus, Robespierre n'était pas sûr de rallier la majorité. D'autre part, le Comité de sûreté générale, sauf deux de ses membres, ne soutenait pas Robespierre. En revanche, il n'est pas douteux que Robespierre disposait d'un immense prestige et d'une vaste audience auprès des démocrates, des Jacobins, des sans-culottes de Paris et de province, grâce à quoi il pouvait souvent imposer ses vues. Enfin, Robespierre tenait de plus en plus souvent un langage de dictateur détenteur de la vérité : « Nous sommes intraitables comme la vérité, inflexibles, uniformes, j'ai presque dit insupportables comme les principes. » Il était profondément convaincu de la justesse de ses vues, ceux qui ne les partageaient pas ne pouvaient être que des traîtres à la cause du peuple, ils devaient être éliminés. »
D’où nous parlons aujourd’hui, nous ne pouvons penser qu’aucun mort « fait du bien à la République » et ce soupçon généralisé envers tous et toutes d’être des ennemis de la Nation, cette justice « simplifiée », cet abattoir, paraissent une folie, et en tout cas ne peuvent être un modèle. L’article de l’Universalis toutefois, et plus encore les nombreux livres consacrés à Robespierre, nous rappellent que cet homme politique est présent dans la Révolution française pendant 5 ans, qu’il est mû par un contexte, par des forces en présence. La Terreur par exemple paraît à certains « acceptable » au nom d’un certain patriotisme, quand les guerres aux frontières menacent la Révolution notamment. Elle le devient moins, et Robespierre est mis en minorité puis guillotiné à son tour, au moment où l’armée révolutionnaire devient victorieuse.
Chaque époque, chaque école d’historiens réinterprète avec passion la Révolution française et ses épisodes les plus marquants, dans la mesure où elle reste le socle de notre société et de notre modèle politique, versant Droits de l’homme et abolition des privilèges.
Bonnes lectures.
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