Question d'origine :
Bonjour,
Est-il vraiment avéré que Le Corbusier avait des idéologies fascistes ?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 25/04/2015 à 13h31
Bonjour,
Deux livres publiés en mars et avril 2015 ont pour thème le fascisme de Le Corbusier : Un Corbusier, de François Chaslin et Le Corbusier, un fascisme français, de Xavier de Jarcy.
Les idées de l’architecte complaisantes avec le régime de Vichy et avec Hitler auraient été atténuées durant de nombreuses années. Ses réalisations architecturales étant plus mises en avant que ses amitiés avec le gouvernement de Vichy.
L’article du journal Libération, Le Corbusier, plus facho que fada présente les deux livres récemment sortis et la personnalité trouble de Le Corbusier :
« Cinquante ans après la mort de l’architecte, deux ouvrages évoquent son compagnonnage avec le fascisme.
Les spécialistes le savaient, même s’ils tentaient parfois de le minimiser : la guerre de Le Corbusier n’avait pas été exemplaire. Cinquante ans après sa disparition, voici que les informations sur son parcours politique se multiplient. Les deux livres publiés ces jours-ci, Un Corbusier, de François Chaslin, et Le Corbusier, un fascisme français, de Xavier de Jarcy révèlent l’ampleur de sa part d’ombre.
[…]
Classement, hiérarchie, dignité sont pour lui les valeurs suprêmes. Inspirées par les vues aériennes, les perspectives qu’il trace réduisent les hommes à des silhouettes interchangeables. Champion de l’ordre, il affirme que «l’animal humain est comme l’abeille, un constructeur de cellules géométriques». La standardisation qu’il prône a d’abord une valeur morale, que vient souligner l’emploi systématique du blanc : «On fait propre chez soi. Puis on fait propre en soi.»
[…]
Le pire est à venir. La débâcle de juin 1940 apparaît à Le Corbusier comme «la miraculeuse victoire française. Si nous avions vaincu par les armes, la pourriture triomphait, plus rien de propre n’aurait jamais plus pu prétendre à vivre», écrit-il à sa mère. Quelques semaines plus tard, il se réjouit du grand «nettoyage» qui se prépare : «L’argent, les Juifs (en partie responsables), la franc-maçonnerie, tout subira la loi juste. Ces forteresses honteuses seront démantelées. Elles dominaient tout.» Le ton de certaines lettres est plus nauséabond encore : «Nous sommes entre les mains d’un vainqueur et son attitude pourrait être écrasante. Si le marché est sincère, Hitler peut couronner sa vie par une œuvre grandiose : l’aménagement de l’Europe.» »
Cette dernière lettre est consultable dans l’ouvrage Le Corbusier: choix de lettres, par Jean Jenger, publié en 2002, disponible sur Google Livres.
La fondation Le Corbusier indique seulement dans la biographie de l’architecte « un séjour prolongé à Vichy » :
« 1941 :
Séjour prolongé à Vichy.
Publication de "Destin de Paris" et de "Sur les quatre routes".»
L’article Le Corbusier, fasciste militant: des ouvrages fissurent l'image du grand architecte, du Huffington post, détaille ce séjour à Vichy :
« 'Séjour prolongé à Vichy'
La Fondation Le Corbusier n'évoque cette période qu'en quelques mots sur son site internet: "1929: collaboration à la revue Plans", "1933: membre du journal Prélude", "1941: Séjour prolongé à Vichy". Or, "le groupuscule constitué à la fin des années 20 chemine jusqu'en 1940 et tout ce petit monde se retrouve à Vichy", dit Xavier de Jarcy.
Le Corbusier "a été à Vichy pendant dix-huit mois et occupait un bureau d'État à l'Hôtel Carlton", précise François Chaslin. De retour à Paris, il devient, jusqu'en avril 1944, conseiller du théoricien de l'eugénisme Alexis Carrel. »
Le premier universitaire a avoir étudié les rapports de Le Corbusier avec le régime de Vichy est Marc Perelman. Il a publié les résultats de cette enquête débutée en 1979 dans l’ouvrage Le Corbusier, une vision froide du monde. On peut consulter une partie de son étude en ligne, Le Corbusier politique. Marc Prelman montre comment les accointances de Le Corbusier avec le régime de Vichy ont été mises de côté après la guerre :
« Que Le Corbusier ait été, après la guerre, réhabilité, «récupéré» et même promu –
il fut le président de la Commission d’urbanisme du Front national des architectes, issu de la Résistance – ne nous étonne pas. Ce fut le cas pour nombre de personnalités politiques, artistiques et autres qui prirent beaucoup de plaisir avec l’Occupant.
Rappelons que sous sa forme institutionnelle, l’épuration s’exerça surtout sur les personnalités politiques les plus connues et les plus connues et les plus compromises.
[…]
Rien d’étonnant donc à ce que l’on retrouve le nom de Le Corbusier, juste après la guerre, dans des revues tenues par les communistes de l’époque et où se trouvent aussi d’anciens surréalistes. Rien d’étonnant non plus à ce qu’Eugène Claudius-Petit, ancien résistant, engagé dans le mouvement Franc-Tireur, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme (1948) absolve son héraut, tente et réussisse de renouer les liens avec Pierre Jeanneret, le cousin du Corbusier, qui fut, lui, un ancien et authentique résistant, et qu’il devienne même son maître d’ouvrage dès 1945 sachant pertinemment que Le Corbusier avait «habité» presque un an et demi à Vichy… »
Le magazine Le Point a décidé d’interroger Antoine Picon, professeur d'histoire de l'architecture à Harvard et président de la Fondation Le Corbusier pour contrebalancer les informations publiées dans les trois livres cités au dessus, Qui a peur de Le Corbusier ? :
«[…] Il faudrait donc parler de cécité de sa part ?
S'il est un reproche qu'on puisse lui faire, c'est, en effet, celui d'un manque de sens politique. Il est convaincu que l'excellence des solutions qu'il propose en matière d'architecture et de ville l'emporte sur les considérations partisanes. Cela paraît aujourd'hui naïf, critiquable, et il ne s'agit évidemment pas de l'héroïser. Mais je suis navré de voir qu'on désigne certains passages de sa correspondance familiale et certains de ses choix en omettant les nombreux autres éléments qui rééquilibreraient son image. On ne rappelle pas que, dans les mêmes années trente, Le Corbusier construit le siège du Centrosoyuz à Moscou, l'Union des coopératives de consommation soviétiques. On ne relève pas sa longue amitié avec Jean Cassou, qui fut membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et proche de Jean Zay. On oublie son soutien aux républicains espagnols. On ne dit rien de ses liens après guerre avec Malraux ou Nehru.
Il y a, tout de même, ces longs mois passés à Vichy entre 1942 et 1943.
En effet. Mais, là encore, on oublie les ambiguïtés réelles de l'époque. Pendant longtemps, le général de Gaulle n'est qu'une voix lointaine. Beaucoup de gens pensent qu'il n'y a d'autre avenir qu'une reconstruction française et l'on trouve à Vichy un grand nombre de technocrates qui courtisent Pétain dans ce but. Parmi eux figurent d'ailleurs des gens célèbres et dont certains ont ensuite rejoint la Résistance. Comme notre ancien président décoré de la francisque, le grand démographe Alfred Sauvy ou les membres de l'école des cadres d'Uriage, pourtant fondée en 1940 par Vichy dans la plus pure tradition maréchaliste...
Le Corbusier était-il antisémite ?
Il y avait sans doute, chez lui, un fond d'antisémitisme latent, venu de son enfance à La Chaux-de-Fonds parmi une petite bourgeoisie horlogère tributaire de grands propriétaires juifs. Mais la chose mérite d'être nuancée. Le Corbusier a eu de nombreux collaborateurs juifs. Il soutient dès les années trente le projet politique du sionisme qu'il se propose même d'aider comme architecte et, dans une lettre, écrite en 1938, il s'alarme du sort terrible des juifs allemands. Après-guerre, ce qu'il conservait d'antisémitisme tend à disparaître tout à fait. Évidemment, Le Corbusier avait un ego démesuré. Évidemment, il n'a pas toujours été un personnage très sympathique. Évidemment, il a eu ses mesquineries. Mais il était aussi un visionnaire, qui a voulu oeuvrer au bien de l'humanité et qui, s'agissant de son oeuvre, a toujours fait preuve d'une grande intégrité. Il avait une foi totale en ce qu'il proposait et mettait autant de raffinement architectural dans la conception d'une villa de luxe que dans celle d'un immeuble pour sans-abri. »
Pour en savoir plus sur Le Corbusier :
- Le Corbusier : une synthèse, Stanislas Von Moos.
- C'était Le Corbusier, Nicholas Fox Weber.
- Le Corbusier, le grand, Jean-Louis Cohen et Tim Benton.
Bonne journée.
Deux livres publiés en mars et avril 2015 ont pour thème le fascisme de Le Corbusier : Un Corbusier, de François Chaslin et Le Corbusier, un fascisme français, de Xavier de Jarcy.
Les idées de l’architecte complaisantes avec le régime de Vichy et avec Hitler auraient été atténuées durant de nombreuses années. Ses réalisations architecturales étant plus mises en avant que ses amitiés avec le gouvernement de Vichy.
L’article du journal Libération, Le Corbusier, plus facho que fada présente les deux livres récemment sortis et la personnalité trouble de Le Corbusier :
« Cinquante ans après la mort de l’architecte, deux ouvrages évoquent son compagnonnage avec le fascisme.
Les spécialistes le savaient, même s’ils tentaient parfois de le minimiser : la guerre de Le Corbusier n’avait pas été exemplaire. Cinquante ans après sa disparition, voici que les informations sur son parcours politique se multiplient. Les deux livres publiés ces jours-ci, Un Corbusier, de François Chaslin, et Le Corbusier, un fascisme français, de Xavier de Jarcy révèlent l’ampleur de sa part d’ombre.
[…]
Classement, hiérarchie, dignité sont pour lui les valeurs suprêmes. Inspirées par les vues aériennes, les perspectives qu’il trace réduisent les hommes à des silhouettes interchangeables. Champion de l’ordre, il affirme que «l’animal humain est comme l’abeille, un constructeur de cellules géométriques». La standardisation qu’il prône a d’abord une valeur morale, que vient souligner l’emploi systématique du blanc : «On fait propre chez soi. Puis on fait propre en soi.»
[…]
Le pire est à venir. La débâcle de juin 1940 apparaît à Le Corbusier comme «la miraculeuse victoire française. Si nous avions vaincu par les armes, la pourriture triomphait, plus rien de propre n’aurait jamais plus pu prétendre à vivre», écrit-il à sa mère. Quelques semaines plus tard, il se réjouit du grand «nettoyage» qui se prépare : «L’argent, les Juifs (en partie responsables), la franc-maçonnerie, tout subira la loi juste. Ces forteresses honteuses seront démantelées. Elles dominaient tout.» Le ton de certaines lettres est plus nauséabond encore : «Nous sommes entre les mains d’un vainqueur et son attitude pourrait être écrasante. Si le marché est sincère, Hitler peut couronner sa vie par une œuvre grandiose : l’aménagement de l’Europe.» »
Cette dernière lettre est consultable dans l’ouvrage Le Corbusier: choix de lettres, par Jean Jenger, publié en 2002, disponible sur Google Livres.
La fondation Le Corbusier indique seulement dans la biographie de l’architecte « un séjour prolongé à Vichy » :
« 1941 :
Séjour prolongé à Vichy.
Publication de "Destin de Paris" et de "Sur les quatre routes".»
L’article Le Corbusier, fasciste militant: des ouvrages fissurent l'image du grand architecte, du Huffington post, détaille ce séjour à Vichy :
« 'Séjour prolongé à Vichy'
La Fondation Le Corbusier n'évoque cette période qu'en quelques mots sur son site internet: "1929: collaboration à la revue Plans", "1933: membre du journal Prélude", "1941: Séjour prolongé à Vichy". Or, "le groupuscule constitué à la fin des années 20 chemine jusqu'en 1940 et tout ce petit monde se retrouve à Vichy", dit Xavier de Jarcy.
Le Corbusier "a été à Vichy pendant dix-huit mois et occupait un bureau d'État à l'Hôtel Carlton", précise François Chaslin. De retour à Paris, il devient, jusqu'en avril 1944, conseiller du théoricien de l'eugénisme Alexis Carrel. »
Le premier universitaire a avoir étudié les rapports de Le Corbusier avec le régime de Vichy est Marc Perelman. Il a publié les résultats de cette enquête débutée en 1979 dans l’ouvrage Le Corbusier, une vision froide du monde. On peut consulter une partie de son étude en ligne, Le Corbusier politique. Marc Prelman montre comment les accointances de Le Corbusier avec le régime de Vichy ont été mises de côté après la guerre :
« Que Le Corbusier ait été, après la guerre, réhabilité, «récupéré» et même promu –
il fut le président de la Commission d’urbanisme du Front national des architectes, issu de la Résistance – ne nous étonne pas. Ce fut le cas pour nombre de personnalités politiques, artistiques et autres qui prirent beaucoup de plaisir avec l’Occupant.
Rappelons que sous sa forme institutionnelle, l’épuration s’exerça surtout sur les personnalités politiques les plus connues et les plus connues et les plus compromises.
[…]
Rien d’étonnant donc à ce que l’on retrouve le nom de Le Corbusier, juste après la guerre, dans des revues tenues par les communistes de l’époque et où se trouvent aussi d’anciens surréalistes. Rien d’étonnant non plus à ce qu’Eugène Claudius-Petit, ancien résistant, engagé dans le mouvement Franc-Tireur, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme (1948) absolve son héraut, tente et réussisse de renouer les liens avec Pierre Jeanneret, le cousin du Corbusier, qui fut, lui, un ancien et authentique résistant, et qu’il devienne même son maître d’ouvrage dès 1945 sachant pertinemment que Le Corbusier avait «habité» presque un an et demi à Vichy… »
Le magazine Le Point a décidé d’interroger Antoine Picon, professeur d'histoire de l'architecture à Harvard et président de la Fondation Le Corbusier pour contrebalancer les informations publiées dans les trois livres cités au dessus, Qui a peur de Le Corbusier ? :
«[…] Il faudrait donc parler de cécité de sa part ?
S'il est un reproche qu'on puisse lui faire, c'est, en effet, celui d'un manque de sens politique. Il est convaincu que l'excellence des solutions qu'il propose en matière d'architecture et de ville l'emporte sur les considérations partisanes. Cela paraît aujourd'hui naïf, critiquable, et il ne s'agit évidemment pas de l'héroïser. Mais je suis navré de voir qu'on désigne certains passages de sa correspondance familiale et certains de ses choix en omettant les nombreux autres éléments qui rééquilibreraient son image. On ne rappelle pas que, dans les mêmes années trente, Le Corbusier construit le siège du Centrosoyuz à Moscou, l'Union des coopératives de consommation soviétiques. On ne relève pas sa longue amitié avec Jean Cassou, qui fut membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et proche de Jean Zay. On oublie son soutien aux républicains espagnols. On ne dit rien de ses liens après guerre avec Malraux ou Nehru.
Il y a, tout de même, ces longs mois passés à Vichy entre 1942 et 1943.
En effet. Mais, là encore, on oublie les ambiguïtés réelles de l'époque. Pendant longtemps, le général de Gaulle n'est qu'une voix lointaine. Beaucoup de gens pensent qu'il n'y a d'autre avenir qu'une reconstruction française et l'on trouve à Vichy un grand nombre de technocrates qui courtisent Pétain dans ce but. Parmi eux figurent d'ailleurs des gens célèbres et dont certains ont ensuite rejoint la Résistance. Comme notre ancien président décoré de la francisque, le grand démographe Alfred Sauvy ou les membres de l'école des cadres d'Uriage, pourtant fondée en 1940 par Vichy dans la plus pure tradition maréchaliste...
Le Corbusier était-il antisémite ?
Il y avait sans doute, chez lui, un fond d'antisémitisme latent, venu de son enfance à La Chaux-de-Fonds parmi une petite bourgeoisie horlogère tributaire de grands propriétaires juifs. Mais la chose mérite d'être nuancée. Le Corbusier a eu de nombreux collaborateurs juifs. Il soutient dès les années trente le projet politique du sionisme qu'il se propose même d'aider comme architecte et, dans une lettre, écrite en 1938, il s'alarme du sort terrible des juifs allemands. Après-guerre, ce qu'il conservait d'antisémitisme tend à disparaître tout à fait. Évidemment, Le Corbusier avait un ego démesuré. Évidemment, il n'a pas toujours été un personnage très sympathique. Évidemment, il a eu ses mesquineries. Mais il était aussi un visionnaire, qui a voulu oeuvrer au bien de l'humanité et qui, s'agissant de son oeuvre, a toujours fait preuve d'une grande intégrité. Il avait une foi totale en ce qu'il proposait et mettait autant de raffinement architectural dans la conception d'une villa de luxe que dans celle d'un immeuble pour sans-abri. »
Pour en savoir plus sur Le Corbusier :
- Le Corbusier : une synthèse, Stanislas Von Moos.
- C'était Le Corbusier, Nicholas Fox Weber.
- Le Corbusier, le grand, Jean-Louis Cohen et Tim Benton.
Bonne journée.
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