Question d'origine :
Bonjour, qu'est il advenu des militaires juifs français pendant la seconde guerre mondiale? ceux capturés par les nazis ont-ils eu le même traitement que les autres prisonniers de guerre? est ce que l'armée française a protégé ses soldats? il devait bien y avoir aussi des français de confession juive soldats ou officiers. et je en trouve rien à ce propos. on trouve des infos sur les militaires juifs étrangers servant pour la France qui étaient exécutés ou renvoyés par les allemands mais pas d'infos sur les militaires juifs français.
et merci !
carole
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 19/01/2016 à 15h53
Bonjour,
Afin de mieux comprendre le sens de vos questions, nous commençons par quelques éléments historiques, qui nous conduiront vers la condition des juifs notamment avec l’instauration du régime de Vichy (nous ne parlerons pas de l’antisémitisme prégnant dans la société française depuis l’affaire Dreyfus, bien qu’il faille le prendre en compte). Nos recherches nous ont finalement mené vers le sort des civils juifs ; la part de soldats juifs dans l’armée française semble limitée, et pas encore étudiée, contrairement aux étrangers Juifs de l’armée française comme vous l’indiquez dans votre question.
La France de l'immédiat avant-guerre comptait sur son sol une population totale d'environ 43 millions d'habitants. Parmi eux, quelque 300 000 à 330 000 juifs (J. Sémélin précise qu'à la fin de 1940, sur les 330 000 juifs vivant en France, 190 000 à 200 000 sont Juifs français et 130 000 à 140 000 juifs étrangers, NDLR); Mais quelle extraordinaire hétérogénéité se dissimulait derrière l'apparente unité que suggère cette dénomination collective. La "communauté" juive n'était guère alors qu'une fiction. Au regard de la loi, une première cloison s'interposait entre les Juifs français, désignation confessionnelle qu'aucune comptabilité, eu égard aux usages républicains, ne pouvait recenser dans une rubrique singulière, et les Juifs étrangers, eux-mêmes fondus statistiquement dans les catégories nationales de leur origine. Le flou des chiffres trouve là son explication.
[...] Lorsque la guerre est déclarée, la mobilisation gagne également tous les milieux juifs. "La France marche à la tête de la civilisation. Et les israélites qui lui doivent tant sont prêts à donner jusqu'à leur dernière goutte de sang", affirme l'auteur d'un éditorial dans le numéro du 15 septembre 1939 de "l'Univers israélite", tandis qu'un autre numéro se hâte de préciser que si tous les Juifs sont du côté des alliés, il ne s'agit pas pour autant d'une guerre juive, et que les Juifs ne poursuivent aucun but de guerre spécifique"
Source : Les Juifs en France pendant la seconde guerre mondiale / Renée Poznanski
Le statut des Juifs en France à partir de 1940
La loi du 3 octobre 1940 « portant statut des juifs », appelée par les historiens « premier statut des juifs » stipule les professions interdites dans son article 2, dont notamment : L'accès et l'exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après sont interdits aux juifs : 5. Officiers des armées de terre, de mer et de l'air.
La seconde loi de 1941 va dans le même sens mais avec nuance : L'article 3 stipule : Les juifs ne peuvent occuper, dans les administrations publiques ou les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, des fonctions ou des emplois autres que ceux énumérés à l'article 2, que s'ils remplissent l'une des conditions suivantes : a- Être titulaire de la carte du combattant, instituée par l'article 101 de la loi du 19 décembre 1926 ; b- Avoir fait l'objet, au cours de la campagne 1939-1040, d'une citation donnant droit au port de la Croix de guerre instituée par le décret du 28 mars 1941 ; c- Être décoré de la Légion d'honneur ou de la médaille pour faits de guerre ; d- Être pupille de la nation ou ascendant, veuve ou orphelin de militaire mort pour la France.
L'historien Jacques Sémelin a analysé cette question dans Persécutions et entraides dans la France occupée : comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort : L'ambigüité de Vichy se révèle dans ce texte qui, à travers les dérogations instituées, laisse transparaitre une vision incompatible avec sa "philosophie raciste". Tout en collaborant avec l'Allemagne, la France de Vichy y exprime en effet sa reconnaissance envers ceux qui se sont battus contre les "Boches". Dans cette logique patriotique, la valeur suprême attribuée au don de soi pour la nation vient en quelque sorte transcender la catégorisation antisémite. La logique interne du statut du 2 juin 1941 contient ainsi une contradiction que ses rédacteurs ne savent ni ne peuvent dépasser, compte tenu de l'histoire de la France : les valeurs patriotiques les plus élevées l'emportent dans certains cas sur la condition des citoyens français juifs que l'on juge s'être distingués au service de la France s'avère purement théorique : dès la rafle des notables, en décembre 1941, des titulaires de la croix de guerre sont arrêtés [...] Les deux lois relatives au statut des juifs ont-elles été appliquées avec une égale rigueur au sein des diverses administrations de l’État français ? On ne dispose pas d'une étude examinant les situations ministère par ministère, tenant compte par ailleurs des possibles différences d'application entre zone nord et zone sud. Dans quelle mesure des fonctionnaires ont-ils pu "trainer les pieds" pour appliquer les instructions de Vichy, détourner les ordres, voire protester. (p.243)
Une famille juive témoigne (La famille Benayoun): "Lors de la déclaration de guerre, notre père, bien qu'invalide et père de famille nombreuse, s'engagea, et fut affecté à la cartoucherie de Vincennes. Il disait : "en défendant mon pays, je défends ma famille"
Le père de Serge Klarsfeld avait décidé de s'engager dans l'armée et rejoint le 22e régiment de volontaires étrangers (ce régiment opposera une résistance farouche aux Allemands lors de la bataille de la Somme et perdra les 2/3 de son effectif. Les Allemands rendront les honneurs militaires aux survivants faits prisonniers de guerre, dont le père de Serge Klarsfeld) (p.77)
Plus d’informations sur ces régiments de volontaires sur le site de la Fondation pour la mémoire de la Shoah) : Ces unités combattantes, les 21e, 22e et 23e RMVE (Régiments de Marche de
Volontaires Etrangers), sont constituées de jeunes gens venant du monde entier dont un tiers de Juifs d’Europe de l’Est et un autre tiers de Républicains Espagnols qui ont fui les persécutions politiques ou religieuses dans leur pays et ont trouvé refuge en France. Au total, environ 50 nationalités sont regroupées dans ces trois régiments créés spécialement pour eux dans le sud de la France, au Barcares (Pyrénées Orientales).
Dans Vichy et les Juifs (Marrus et Paxton) nous lisons page 119 :
Plus d’un historien a fait fausse route en prenant trop à la lettre des textes de lois. Les lois que nous avons examinées ont-elles vraiment été appliquées ? Tout l’appareil de la répression anti-juive n’était-il qu’une façade destinée à constituer une concession aux Allemands ? Si une poignée de fanatiques s’est efforcée d’appliquer ces lois, les administrations traditionnelles ont-elles paisiblement refusé d’en tenir compte ? Le Commissariat aux questions juives a-t-il été tenu à l’écart par les autres ministères et par les grands corps de l’État, ou bien leurs activités étaient-elles effectivement coordonnées ? On ne saurait répondre par des généralisations à ces épineuses questions. Il faut étudier, avec autant de précisions que les documents le permettent désormais, le système politique et administratif français à ses différents niveaux : l’administration centrale, la justice, l’administration locale. […] et page 122 : le rôle des autres services ministériels ne se limita pas à leur consultation par le CGQJ ; ils prirent de temps à autre l’initiative. L’armée de terre, la marine et l’armée de l’air allèrent plus loin que la lettre des statuts des juifs. Alors que le statut excluait les Juifs du corps des officiers, les militaires les exclurent également des corps de troupe. Le CGQJ exprima même quelques doutes sur la légalité d’une aussi importante extension de la loi par simple arrêté ministériel […]
Nous vous recommandons la lecture de l'article "Le juif déchu de la nationalité française, par Catherine Kessedjian qui fait état des dispositions prises par Vichy à l'encontre des Juifs (in Le droit antisémite de Vichy publié au Seuil (p.231))
Rappel des sources consultées :
Le droit antisémite de Vichy
Les juifs en France pendant la seconde guerre mondiale
Vichy dans la solution finale : histoire du commissariat aux questions juives
Persécutions et entraides dans la France occupée : comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort
1940, l’année noire
Afin de mieux comprendre le sens de vos questions, nous commençons par quelques éléments historiques, qui nous conduiront vers la condition des juifs notamment avec l’instauration du régime de Vichy (nous ne parlerons pas de l’antisémitisme prégnant dans la société française depuis l’affaire Dreyfus, bien qu’il faille le prendre en compte). Nos recherches nous ont finalement mené vers le sort des civils juifs ; la part de soldats juifs dans l’armée française semble limitée, et pas encore étudiée, contrairement aux étrangers Juifs de l’armée française comme vous l’indiquez dans votre question.
La France de l'immédiat avant-guerre comptait sur son sol une population totale d'environ 43 millions d'habitants. Parmi eux, quelque 300 000 à 330 000 juifs (J. Sémélin précise qu'à la fin de 1940, sur les 330 000 juifs vivant en France, 190 000 à 200 000 sont Juifs français et 130 000 à 140 000 juifs étrangers, NDLR); Mais quelle extraordinaire hétérogénéité se dissimulait derrière l'apparente unité que suggère cette dénomination collective. La "communauté" juive n'était guère alors qu'une fiction. Au regard de la loi, une première cloison s'interposait entre les Juifs français, désignation confessionnelle qu'aucune comptabilité, eu égard aux usages républicains, ne pouvait recenser dans une rubrique singulière, et les Juifs étrangers, eux-mêmes fondus statistiquement dans les catégories nationales de leur origine. Le flou des chiffres trouve là son explication.
[...] Lorsque la guerre est déclarée, la mobilisation gagne également tous les milieux juifs. "La France marche à la tête de la civilisation. Et les israélites qui lui doivent tant sont prêts à donner jusqu'à leur dernière goutte de sang", affirme l'auteur d'un éditorial dans le numéro du 15 septembre 1939 de "l'Univers israélite", tandis qu'un autre numéro se hâte de préciser que si tous les Juifs sont du côté des alliés, il ne s'agit pas pour autant d'une guerre juive, et que les Juifs ne poursuivent aucun but de guerre spécifique"
Source : Les Juifs en France pendant la seconde guerre mondiale / Renée Poznanski
La loi du 3 octobre 1940 « portant statut des juifs », appelée par les historiens « premier statut des juifs » stipule les professions interdites dans son article 2, dont notamment : L'accès et l'exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après sont interdits aux juifs : 5. Officiers des armées de terre, de mer et de l'air.
La seconde loi de 1941 va dans le même sens mais avec nuance : L'article 3 stipule : Les juifs ne peuvent occuper, dans les administrations publiques ou les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, des fonctions ou des emplois autres que ceux énumérés à l'article 2, que s'ils remplissent l'une des conditions suivantes : a- Être titulaire de la carte du combattant, instituée par l'article 101 de la loi du 19 décembre 1926 ; b- Avoir fait l'objet, au cours de la campagne 1939-1040, d'une citation donnant droit au port de la Croix de guerre instituée par le décret du 28 mars 1941 ; c- Être décoré de la Légion d'honneur ou de la médaille pour faits de guerre ; d- Être pupille de la nation ou ascendant, veuve ou orphelin de militaire mort pour la France.
L'historien Jacques Sémelin a analysé cette question dans Persécutions et entraides dans la France occupée : comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort : L'ambigüité de Vichy se révèle dans ce texte qui, à travers les dérogations instituées, laisse transparaitre une vision incompatible avec sa "philosophie raciste". Tout en collaborant avec l'Allemagne, la France de Vichy y exprime en effet sa reconnaissance envers ceux qui se sont battus contre les "Boches". Dans cette logique patriotique, la valeur suprême attribuée au don de soi pour la nation vient en quelque sorte transcender la catégorisation antisémite. La logique interne du statut du 2 juin 1941 contient ainsi une contradiction que ses rédacteurs ne savent ni ne peuvent dépasser, compte tenu de l'histoire de la France : les valeurs patriotiques les plus élevées l'emportent dans certains cas sur la condition des citoyens français juifs que l'on juge s'être distingués au service de la France s'avère purement théorique : dès la rafle des notables, en décembre 1941, des titulaires de la croix de guerre sont arrêtés [...] Les deux lois relatives au statut des juifs ont-elles été appliquées avec une égale rigueur au sein des diverses administrations de l’État français ? On ne dispose pas d'une étude examinant les situations ministère par ministère, tenant compte par ailleurs des possibles différences d'application entre zone nord et zone sud. Dans quelle mesure des fonctionnaires ont-ils pu "trainer les pieds" pour appliquer les instructions de Vichy, détourner les ordres, voire protester. (p.243)
Une famille juive témoigne (La famille Benayoun): "Lors de la déclaration de guerre, notre père, bien qu'invalide et père de famille nombreuse, s'engagea, et fut affecté à la cartoucherie de Vincennes. Il disait : "en défendant mon pays, je défends ma famille"
Le père de Serge Klarsfeld avait décidé de s'engager dans l'armée et rejoint le 22e régiment de volontaires étrangers (ce régiment opposera une résistance farouche aux Allemands lors de la bataille de la Somme et perdra les 2/3 de son effectif. Les Allemands rendront les honneurs militaires aux survivants faits prisonniers de guerre, dont le père de Serge Klarsfeld) (p.77)
Plus d’informations sur ces régiments de volontaires sur le site de la Fondation pour la mémoire de la Shoah) : Ces unités combattantes, les 21e, 22e et 23e RMVE (Régiments de Marche de
Volontaires Etrangers), sont constituées de jeunes gens venant du monde entier dont un tiers de Juifs d’Europe de l’Est et un autre tiers de Républicains Espagnols qui ont fui les persécutions politiques ou religieuses dans leur pays et ont trouvé refuge en France. Au total, environ 50 nationalités sont regroupées dans ces trois régiments créés spécialement pour eux dans le sud de la France, au Barcares (Pyrénées Orientales).
Dans Vichy et les Juifs (Marrus et Paxton) nous lisons page 119 :
Plus d’un historien a fait fausse route en prenant trop à la lettre des textes de lois. Les lois que nous avons examinées ont-elles vraiment été appliquées ? Tout l’appareil de la répression anti-juive n’était-il qu’une façade destinée à constituer une concession aux Allemands ? Si une poignée de fanatiques s’est efforcée d’appliquer ces lois, les administrations traditionnelles ont-elles paisiblement refusé d’en tenir compte ? Le Commissariat aux questions juives a-t-il été tenu à l’écart par les autres ministères et par les grands corps de l’État, ou bien leurs activités étaient-elles effectivement coordonnées ? On ne saurait répondre par des généralisations à ces épineuses questions. Il faut étudier, avec autant de précisions que les documents le permettent désormais, le système politique et administratif français à ses différents niveaux : l’administration centrale, la justice, l’administration locale. […] et page 122 : le rôle des autres services ministériels ne se limita pas à leur consultation par le CGQJ ; ils prirent de temps à autre l’initiative. L’armée de terre, la marine et l’armée de l’air allèrent plus loin que la lettre des statuts des juifs. Alors que le statut excluait les Juifs du corps des officiers, les militaires les exclurent également des corps de troupe. Le CGQJ exprima même quelques doutes sur la légalité d’une aussi importante extension de la loi par simple arrêté ministériel […]
Nous vous recommandons la lecture de l'article "Le juif déchu de la nationalité française, par Catherine Kessedjian qui fait état des dispositions prises par Vichy à l'encontre des Juifs (in Le droit antisémite de Vichy publié au Seuil (p.231))
Rappel des sources consultées :
Le droit antisémite de Vichy
Les juifs en France pendant la seconde guerre mondiale
Vichy dans la solution finale : histoire du commissariat aux questions juives
Persécutions et entraides dans la France occupée : comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort
1940, l’année noire
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