Question d'origine :
Bonjour, je cherche des renseignements sur Blaise Diagne qui a été ministre français. Je cherche quelle était la nature de ses conflits avec le gouvernement pendant son séjour à Madagascar.
Merci
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 16/02/2016 à 16h48
Bonjour,
Les extraits qui suivent de l’ouvrage Naissance du Sénégal contemporain : aux origines de la vie politique moderne (1900-1920) / G. Wesley Johnson, vous donneront quelques précisions sur l’épisode de la vie de Blaise Diagne à Madagascar. Ils sont volontairement longs, puisqu’ils permettent de comprendre la carrière de Blaise Diagne dans l’administration coloniale (1892-1914), et éclairent ce qui s’est passé pour lui à Madagascar :
« La carrière de Blaise Diagne fut agitée et haute en couleur. Ses affectations successives lui firent effectuer une véritable tournée générale des colonies : Dahomey, Congo français, Gabon, Réunion, Madagascar, et enfin la Guyane française. A chaque nouveau départ, la même appréciation revenait sur son dossier : « A ne jamais renvoyer dans cette colonie ». Diagne ne craignait pas de risquer son gagne-pain en se faisant le défenseur de l’égalité ou en prenant le parti d’Africains persécutés. Il fut suspendu pendant deux mois, en 1898, pour insubordination, à la suite de quoi il dut prendre un congé de six mois, son attitude ne s’étant pas modifiée pour autant. Un inspecteur le décrivit comme présentant bien et d’esprit enthousiaste, mais fort prétentieux, et nota qu’il poussait ses supérieurs à la limite de leur endurance. Le secrétaire général du Congo français le considérait comme « un individu indiscipliné, avec un talent pour l’intrigue, qui en fera jamais un bon agent ».
Qu’avait fait Diagne pour mériter de telles critiques ? A cette question, son supérieur immédiat répondait : « Monsieur Diagne, originaire du Sénégal, a essayé de jouer ici au Congo le rôle d’émancipateur de la race africaine. Toutes ses remarques font preuve de la même véhémente hostilité envers la race blanche… »
Diagne acquit rapidement une sensibilité exacerbée aux moindres critiques ou opinions défavorables envers les Africains, les Antillais et les Noirs en général. Il fut persécuté, raillé et brimé mais n’abandonna pas le terrain à ses tyrans bien que ses réactions de colère lui aient valu plus d’une fois le blocage d’une promotion ou une suspension temporaire. A titre d’exemple, l’un de ses collègues africains, du nom de Sangué, ayant été accusé d’insubordination, Blaise Diagne lui servit de défenseur au cours de l’audience administrative. Au grand embarras de ses supérieurs, il en profita pour accuser en retour le service des douanes, et l’administration française en général, de discrimination flagrante et de pratiques racistes.
Son dossier étant rempli de doléances et de blâmes de ses supérieurs, il est difficile de comprendre pourquoi Diagne ne fut jamais limogé… L’une des raisons de cette longévité venait peut-être de son adhésion à la franc-maçonnerie au début de sa carrière -probablement au cours de son séjour à Madagascar- adhésion qui lui permettait de se placer sur un certain pied de familiarité confraternelle avec de nombreux importants administrateurs français. De tels appuis se révélaient plus que nécessaires pour Diagne car, en dépit de la précarité de sa position, il ne craignait pas de susciter l’hostilité de personnages aussi augustes que le gouverneur générale Joseph Gallieni àMadagascar ou de son successeur Victor Augagneur. Déterminé, un moment, au renvoi de Diagne, Augagneur devait en être empêché par les pressions d’autres franc-maçons (Diagne et Augagneur étaient tous deux membres de la même loge). En 1908, après plusieurs incidents à Madagascar durant une période où Diagne exerçait temporairement les fonctions de juge municipal, Augagneur ordonna son départ de la Grande Ile.
Au beau milieu de cette querelle, Diagne tomba malade et les médecins durent lui enlever l’appendice. Il prétendit qu’il y avait eu erreur de diagnostic et, soulagés, ses supérieurs lui accordèrent un congé de quinze mois en France. C’est ainsi que, tout en attendant une affectation, il eut l’occasion d’observer directement le fonctionnement de la politique française… En 1910, il reçut enfin l’ordre d’aller rejoindre son poste en Guyane française…
L’intérêt de Diagne pour la politique et son zèle militant quant aux droits des africains finirent cependant par refaire surface, l’entraînant à nouveau dans un conflit violent avec ses supérieurs. Diagne fut insulté un jour par trois marins français en état d’ivresse. Il exigea et finit par obtenir- que ceux-ci fussent sévèrement punis mais, ce faisant, il s’attira l’inimité de ses collègues par son obstination et son acharnement à faire respecter ses droits.
Diagne appliquait la loi à la lettre, également dans son travail aux douanes –à la grande contrariété des marchands du pays, habitués à avoir affaire à des agents qui ne dédaignaient ni les pots-de-vin ni les trafics d’influence. Les plaintes pleuvaient sur le bureau du gouverneur Lévecque. Entre autres accusations, on prétendit que Diagne, en servant comme conseiller auprès de la commission municipale de Saint Laurent di Maroni, avait violé la règle selon laquelle les fonctionnaires devaient, en toutes circonstances, faire preuve de neutralité politique. Ses supérieurs immédiats demandèrent son expulsion de la Guyane mais le gouverneur Lévecque, qui n’était pas entièrement convaincu que Diagne fût le seul à blâmer en l’occurrence, lui accorda un sursis en l’envoyant en congé en France, en 1912. Le gouverneur remarquait à cette occasion : « Monsieur Diagne est d’un emploi difficile. Quand il est en fonctions, il crée des ennuis à ses chefs et s’attire souvent les plaintes les plus vives de la part des marchands. Certains de ses supérieurs, au contraire, le considèrent comme un de leurs agents les plus intelligents. Je sais que Monsieur Diagne possède réellement une excellente mémoire. Mais c’est un individu ambitieux qui se croit constamment persécuté ; il aime jouer à la politique. Peut-être pourrais-je résumer ainsi mon appréciation : souffre d’une indigestion d’assimilation. » p. 193-198
Cet article de François Zuccarelli La vie politique dans les quatre communes du Sénégal apporte quelques éléments nouveaux sur sa carrière de fonctionnaire colonial (qui se contredisent parfois avec le précédent) :
« Le jeune Sénégalais est engagé comme surnuméraire, le 1er janvier 1892. Sans doute après avoir été reçu à un concours professionnel, il entre véritablement dans l’administration en qualité de commis de deuxième classe des douanes, le 1er novembre suivant. Il va alors donner la mesure de ses capacités de travail et d’assimilation, ainsi que de ses aptitudes à défendre ses points de vue.
Il sert tout d’abord au Dahomey, à Grand-Popo et à Ouidah. Il y est nommé commis de première classe le 1er juin 1895. Ses qualités doivent être appréciées puisque durant un temps, il est chef par intérim du service des douanes de Porto-Novo.
Dans son bulletin de note pour l’année 1897, il inscrit dans la rubrique des souhaits exprimés : « désirerait servir avec avancement partout où l’administration le jugera nécessaire, excepté au Congo ». Pourquoi le Congo ? Peut-être parce que la colonie sénégalaise y est nombreuse et se regroupe autour d’un exilé de marque, Cheikh Amadou Bamba, le fondateur du Mouridisme, tenu au loin par l’autorité coloniale. Quoi qu’il en soit, c’est justement au Congo qu’il est affecté le ler juillet 1897. Il débarque à Libreville, le 18 août suivant, dans l’état d’esprit que l’on devine, et demande son intégration dans les cadres métropolitains. Sans doute pense-t-il ainsi échapper aux tracasseries. Mal lui en prend car il est ainsi noté par le gouverneur : « Comme tous les Sénégalais, il trouve que le Congo est un pays de nègres, bon tout au plus pour des Européens. Naturellement il demande à aller servir en France. Si on tarde à lui donner satisfaction, il aura une maladie de foie qui nécessitera son envoi à Vichy ». Commencé dans ces conditions, ce séjour congolais se termine mal pour le jeune fonctionnaire. Par décision du 19 août 1898, il est suspendu de ses fonctions pour une durée de deux mois, pour « indiscipline et mauvaise volonté dans le service ». Le 7 novembre, il rentre au Sénégal, pour un congé de six mois. A l’issue de ces vacances, il est affecté à la Réunion. C’est dans cette île qu’il prend une importante décision destinée à marquer son existence : le 21 septembre 1899, il est initié franc-maçon à la Loge « L’Amitié », Orient de Saint-Denis. Le 25 janvier suivant, il devient compagnon puis maître le 27 octobre 1901.
La franc-maçonnerie lui procure un sentiment d’appartenance à une communauté universelle et égalitaire. En août 1900, il mentionne au sujet d’une future affectation : « Je préférerais me trouver au milieu de frères qui me donneraient la part d’affection que je m’efforcerais de leur rendre largement ». Les réunions en loge lui permettent également de développer et de mettre au point ses idées sur l’égalité des races. Elles vont être au centre de ses préoccupations et de celles des nouvelles élites sénégalaises de l’époque.
Le 27 juillet 1902, il est affecté àTamatave , affilié aussitôt à la loge « L’Indépendance malgache » , il s’y heurte aussi au racisme que secrète l’administration coloniale. Il est vrai qu’il prête le flanc aux attaques vénéneuses dont il est l’objet.
Les choses commencent fort bien pour Blaise Diagne dans la grande île. Son chef de service, de Rocca, le qualifie « d’employé d’élite à tous égards ». Il est changé de centraliser la comptabilité douanière, les statistiques commerciales du port et d’assurer le service des contributions indirectes. En 1904, de Rocca se montre toujours élogieux, mais le gouverneur général Galliéni inscrit sur son bulletin de note : « M. Diagne ferait un bon agent s’il n’était ombrageux et sournoisement frondeur ». Autrement dit, la haute administration le tient à l’œil.
A la fin de l’année 1904, revenant d’un congé pris à La Réunion, il fait passer une demoiselle Chambrun pour son épouse, puis pour sa pupille. Ceci pour obtenir une réduction sur le prix du voyage. S’étant mis dans ce mauvais cas, il ergote de mille façons. Ce comportement lui vaut un blâme avec inscription à son dossier administratif. Puis, affecté à Majunga « pour raison de service », il prétend qu’il s’agit là d’une sanction déguisée et refuse de rejoindre son nouveau poste, « en raison de son état de santé ». Il est donc remis à la disposition du Ministère des Finances. Le gouverneur général Augagneur fait savoir que Diagne est un bon fonctionnaire, mais que « malheureusement il est doué à un degré incroyable d’un esprit d’intrigue, d’un désir d’autorité, d’une susceptibilité dans la discussion de ses intérêts et d’explication de ses actes qui le rendent dangereux ».
Le voici donc à Paris, en instance d’affectation. Il s’y lie d’amitié avec des personnalités politiques, notamment avec Alexandre Isaac, sénateur de la Guadeloupe et avec Gratien Gandacé, député de la Martinique. Il y épouse aussi une jeune fille originaire d’Orléans, Odette Villain (Avril 1909). Sans doute a-t-il fait sa connaissance à Madagascar puisque leur premier fils, Adolphe, y est né le 13 octobre 1907. Puis c’est le départ pour la Guyane où le couple arrive le 29 août 1909. Johnson rapporte que son zèle intempestif le fait s’engager dans plusieurs controverses avec ses supérieurs. Il applique à la lettre les règlements douaniers, au grand dam des marchands locaux, habitués à plus de souplesse de la part des autres agents. On lui reproche également de manquer de neutralité politique en servant de conseiller à la municipalité de Saint-Laurent. Fort heureusement pour lui, il obtient la protection du Gouverneur Fernand Levecque. Pour lui accorder quelque répit, celui-ci lui permet de retourner à Paris, sous prétexte de préparer le concours d’accès au cadre des inspecteurs des douanes. En fait, Blaise Diagne publie des articles dans des journaux tels que l’Action et les Annales Coloniales. Il y développe ses idées sur l’égalité par l’assimilation politique et engage une polémique avec son vieil ennemi, le Gouverneur général Augagneur. A l’occasion, il prend la parole en public sur ces questions.
Plutôt que de retourner en Guyane, il demande et obtient un congé de convalescence à prendre au Sénégal. Il désire, en réalité, se lancer dans l’action politique, alors qu’approchent les élections législatives de 1914. »
En complément :
- un article dans Présence africaine : René Maran et Blaise Diagne : deux négritudes républicaines par Marc Michel
« Le choix de ces noms n’est pas innocent et Diagne passe longtemps non seulement pour un fonctionnaire indiscipliné, intéressé (en 1904, en poste à Madagascar , il réclame une triple solde), colérique, susceptible, revendicateur, mais un personnage subversif et même dangereux … et d’une intelligence subtile ! Sa carrière s’en ressent ; il cumule cinq blâmes et une condamnation pour port illégal d’arme, lorsqu’il quitte la carrière des Douanes, à la veille de la Grande Guerre.
Déjà, en 1897, le successeur de Brazza au Congo, de Lamothe, le juge avec sévérité ; Diagne, qui n’a encore que 27 ans, croit déjà, dit-on, être voué à un « rôle d’émancipateur de la race africaine », tient des propos animés « d’une ardente hostilité contre la race blanche », prétend implanter « ici » (au Congo) la doctrine « l’Afrique aux Africains » … Malgré leur appartenance commune à la Franc-Maçonnerie, àMadagascar , il se brouille avec Augagneur, qui, pourtant, en aurait fait « son homme de confiance ». En Guyane, il fait « le vide autour de lui » ; il séjourne deux ans, entre 1910 et 1912, dans ce poste, son dernier poste dans l’administration. Rentré en France, et ayant échoué au concours de vérificateur des Douanes, il décide alors d’entrer en politique au Sénégal.»
- un extrait de l'ouvrage Ces noirs qui ont fait la France
« Il entame alors une carrière e fonctionnaire colonial…Le parcours est chaotique. Blaise Diagne professe des opinions avancées, trop pour l’époque, les assène en outre avec ce petit rien de suffisance qui agace, a fortiori quand elle émane d’un Noir. Il est devenu franc-maçon, ce qui lui procure tout de même quelques soutiens dans l’administration coloniale. Mais ses prises de position lui valent aussi la défiance de ses supérieurs. Il passe pour un fauteur de troubles, récolte un blâme et même une suspension pour « indiscipline et mauvaise volonté dans le service ». AMadagascar , il agace prodigieusement le gouverneur général Gallieni qui le juge « ombrageux, sournoisement frondeur » et obtient sa mutation… Blaise Diagne s’engage de plus en plus, bravant la réserve exigée des fonctionnaires. Il commence à écrire des articles sur l’assimilation qui lui valent cette fois l’ostracisme de sa hiérarchie. Il demande finalement un congé administratif, revient au Sénégal et se lance en politique »
- le blog de l'historien Tidiane Diakité
« Reçu au concours des Douanes et engagé comme commis en 1892, dans le cadre de l’administration coloniale, il est affecté successivement au Dahomey (Bénin actuel), au Gabon (assimilé à l’époque au territoire du Congo), à la Réunion, puis à Madagascar.
Diagne est plutôt sévèrement jugé dans les rapports de ses supérieurs hiérarchiques, administrateurs et gouverneurs français avec lesquels il a souvent des démêlés. Le gouverneur deMadagascar , Augagneur, exaspéré par son comportement, ses réparties et sa « suffisance », le met à la disposition du ministre des Finances avec cette appréciation :
« Doué à un degré incroyable d’un esprit d’intrigue, d’un désir d’autorité, d’une susceptibilité dans la discussion de ses intérêts et d’explication de ses actes, qui le rendent très dangereux. »
Gallieni, le futur général, dit de lui en 1904 : « Diagne ferait un bon agent s’il n’était ombrageux et sournoisement frondeur. »
Nous pouvons aussi vous signaler l’ouvrage d’Amady Aly Dieng Blaise Diagne, député noir de l'Afrique dans l’intéressante collection Afrique contemporaine. Nous ne l’avons pas à la bibliothèque municipale de Lyon.
Bonne recherche.
Les extraits qui suivent de l’ouvrage Naissance du Sénégal contemporain : aux origines de la vie politique moderne (1900-1920) / G. Wesley Johnson, vous donneront quelques précisions sur l’épisode de la vie de Blaise Diagne à Madagascar. Ils sont volontairement longs, puisqu’ils permettent de comprendre la carrière de Blaise Diagne dans l’administration coloniale (1892-1914), et éclairent ce qui s’est passé pour lui à Madagascar :
« La carrière de Blaise Diagne fut agitée et haute en couleur. Ses affectations successives lui firent effectuer une véritable tournée générale des colonies : Dahomey, Congo français, Gabon, Réunion, Madagascar, et enfin la Guyane française. A chaque nouveau départ, la même appréciation revenait sur son dossier : « A ne jamais renvoyer dans cette colonie ». Diagne ne craignait pas de risquer son gagne-pain en se faisant le défenseur de l’égalité ou en prenant le parti d’Africains persécutés. Il fut suspendu pendant deux mois, en 1898, pour insubordination, à la suite de quoi il dut prendre un congé de six mois, son attitude ne s’étant pas modifiée pour autant. Un inspecteur le décrivit comme présentant bien et d’esprit enthousiaste, mais fort prétentieux, et nota qu’il poussait ses supérieurs à la limite de leur endurance. Le secrétaire général du Congo français le considérait comme « un individu indiscipliné, avec un talent pour l’intrigue, qui en fera jamais un bon agent ».
Qu’avait fait Diagne pour mériter de telles critiques ? A cette question, son supérieur immédiat répondait : « Monsieur Diagne, originaire du Sénégal, a essayé de jouer ici au Congo le rôle d’émancipateur de la race africaine. Toutes ses remarques font preuve de la même véhémente hostilité envers la race blanche… »
Diagne acquit rapidement une sensibilité exacerbée aux moindres critiques ou opinions défavorables envers les Africains, les Antillais et les Noirs en général. Il fut persécuté, raillé et brimé mais n’abandonna pas le terrain à ses tyrans bien que ses réactions de colère lui aient valu plus d’une fois le blocage d’une promotion ou une suspension temporaire. A titre d’exemple, l’un de ses collègues africains, du nom de Sangué, ayant été accusé d’insubordination, Blaise Diagne lui servit de défenseur au cours de l’audience administrative. Au grand embarras de ses supérieurs, il en profita pour accuser en retour le service des douanes, et l’administration française en général, de discrimination flagrante et de pratiques racistes.
Son dossier étant rempli de doléances et de blâmes de ses supérieurs, il est difficile de comprendre pourquoi Diagne ne fut jamais limogé… L’une des raisons de cette longévité venait peut-être de son adhésion à la franc-maçonnerie au début de sa carrière -probablement au cours de son séjour à Madagascar- adhésion qui lui permettait de se placer sur un certain pied de familiarité confraternelle avec de nombreux importants administrateurs français. De tels appuis se révélaient plus que nécessaires pour Diagne car, en dépit de la précarité de sa position, il ne craignait pas de susciter l’hostilité de personnages aussi augustes que le gouverneur générale Joseph Gallieni à
Au beau milieu de cette querelle, Diagne tomba malade et les médecins durent lui enlever l’appendice. Il prétendit qu’il y avait eu erreur de diagnostic et, soulagés, ses supérieurs lui accordèrent un congé de quinze mois en France. C’est ainsi que, tout en attendant une affectation, il eut l’occasion d’observer directement le fonctionnement de la politique française… En 1910, il reçut enfin l’ordre d’aller rejoindre son poste en Guyane française…
L’intérêt de Diagne pour la politique et son zèle militant quant aux droits des africains finirent cependant par refaire surface, l’entraînant à nouveau dans un conflit violent avec ses supérieurs. Diagne fut insulté un jour par trois marins français en état d’ivresse. Il exigea et finit par obtenir- que ceux-ci fussent sévèrement punis mais, ce faisant, il s’attira l’inimité de ses collègues par son obstination et son acharnement à faire respecter ses droits.
Diagne appliquait la loi à la lettre, également dans son travail aux douanes –à la grande contrariété des marchands du pays, habitués à avoir affaire à des agents qui ne dédaignaient ni les pots-de-vin ni les trafics d’influence. Les plaintes pleuvaient sur le bureau du gouverneur Lévecque. Entre autres accusations, on prétendit que Diagne, en servant comme conseiller auprès de la commission municipale de Saint Laurent di Maroni, avait violé la règle selon laquelle les fonctionnaires devaient, en toutes circonstances, faire preuve de neutralité politique. Ses supérieurs immédiats demandèrent son expulsion de la Guyane mais le gouverneur Lévecque, qui n’était pas entièrement convaincu que Diagne fût le seul à blâmer en l’occurrence, lui accorda un sursis en l’envoyant en congé en France, en 1912. Le gouverneur remarquait à cette occasion : « Monsieur Diagne est d’un emploi difficile. Quand il est en fonctions, il crée des ennuis à ses chefs et s’attire souvent les plaintes les plus vives de la part des marchands. Certains de ses supérieurs, au contraire, le considèrent comme un de leurs agents les plus intelligents. Je sais que Monsieur Diagne possède réellement une excellente mémoire. Mais c’est un individu ambitieux qui se croit constamment persécuté ; il aime jouer à la politique. Peut-être pourrais-je résumer ainsi mon appréciation : souffre d’une indigestion d’assimilation. » p. 193-198
Cet article de François Zuccarelli La vie politique dans les quatre communes du Sénégal apporte quelques éléments nouveaux sur sa carrière de fonctionnaire colonial (qui se contredisent parfois avec le précédent) :
« Le jeune Sénégalais est engagé comme surnuméraire, le 1er janvier 1892. Sans doute après avoir été reçu à un concours professionnel, il entre véritablement dans l’administration en qualité de commis de deuxième classe des douanes, le 1er novembre suivant. Il va alors donner la mesure de ses capacités de travail et d’assimilation, ainsi que de ses aptitudes à défendre ses points de vue.
Il sert tout d’abord au Dahomey, à Grand-Popo et à Ouidah. Il y est nommé commis de première classe le 1er juin 1895. Ses qualités doivent être appréciées puisque durant un temps, il est chef par intérim du service des douanes de Porto-Novo.
Dans son bulletin de note pour l’année 1897, il inscrit dans la rubrique des souhaits exprimés : « désirerait servir avec avancement partout où l’administration le jugera nécessaire, excepté au Congo ». Pourquoi le Congo ? Peut-être parce que la colonie sénégalaise y est nombreuse et se regroupe autour d’un exilé de marque, Cheikh Amadou Bamba, le fondateur du Mouridisme, tenu au loin par l’autorité coloniale. Quoi qu’il en soit, c’est justement au Congo qu’il est affecté le ler juillet 1897. Il débarque à Libreville, le 18 août suivant, dans l’état d’esprit que l’on devine, et demande son intégration dans les cadres métropolitains. Sans doute pense-t-il ainsi échapper aux tracasseries. Mal lui en prend car il est ainsi noté par le gouverneur : « Comme tous les Sénégalais, il trouve que le Congo est un pays de nègres, bon tout au plus pour des Européens. Naturellement il demande à aller servir en France. Si on tarde à lui donner satisfaction, il aura une maladie de foie qui nécessitera son envoi à Vichy ». Commencé dans ces conditions, ce séjour congolais se termine mal pour le jeune fonctionnaire. Par décision du 19 août 1898, il est suspendu de ses fonctions pour une durée de deux mois, pour « indiscipline et mauvaise volonté dans le service ». Le 7 novembre, il rentre au Sénégal, pour un congé de six mois. A l’issue de ces vacances, il est affecté à la Réunion. C’est dans cette île qu’il prend une importante décision destinée à marquer son existence : le 21 septembre 1899, il est initié franc-maçon à la Loge « L’Amitié », Orient de Saint-Denis. Le 25 janvier suivant, il devient compagnon puis maître le 27 octobre 1901.
La franc-maçonnerie lui procure un sentiment d’appartenance à une communauté universelle et égalitaire. En août 1900, il mentionne au sujet d’une future affectation : « Je préférerais me trouver au milieu de frères qui me donneraient la part d’affection que je m’efforcerais de leur rendre largement ». Les réunions en loge lui permettent également de développer et de mettre au point ses idées sur l’égalité des races. Elles vont être au centre de ses préoccupations et de celles des nouvelles élites sénégalaises de l’époque.
Le 27 juillet 1902, il est affecté à
Les choses commencent fort bien pour Blaise Diagne dans la grande île. Son chef de service, de Rocca, le qualifie « d’employé d’élite à tous égards ». Il est changé de centraliser la comptabilité douanière, les statistiques commerciales du port et d’assurer le service des contributions indirectes. En 1904, de Rocca se montre toujours élogieux, mais le gouverneur général Galliéni inscrit sur son bulletin de note : « M. Diagne ferait un bon agent s’il n’était ombrageux et sournoisement frondeur ». Autrement dit, la haute administration le tient à l’œil.
A la fin de l’année 1904, revenant d’un congé pris à La Réunion, il fait passer une demoiselle Chambrun pour son épouse, puis pour sa pupille. Ceci pour obtenir une réduction sur le prix du voyage. S’étant mis dans ce mauvais cas, il ergote de mille façons. Ce comportement lui vaut un blâme avec inscription à son dossier administratif. Puis, affecté à Majunga « pour raison de service », il prétend qu’il s’agit là d’une sanction déguisée et refuse de rejoindre son nouveau poste, « en raison de son état de santé ». Il est donc remis à la disposition du Ministère des Finances. Le gouverneur général Augagneur fait savoir que Diagne est un bon fonctionnaire, mais que « malheureusement il est doué à un degré incroyable d’un esprit d’intrigue, d’un désir d’autorité, d’une susceptibilité dans la discussion de ses intérêts et d’explication de ses actes qui le rendent dangereux ».
Le voici donc à Paris, en instance d’affectation. Il s’y lie d’amitié avec des personnalités politiques, notamment avec Alexandre Isaac, sénateur de la Guadeloupe et avec Gratien Gandacé, député de la Martinique. Il y épouse aussi une jeune fille originaire d’Orléans, Odette Villain (Avril 1909). Sans doute a-t-il fait sa connaissance à Madagascar puisque leur premier fils, Adolphe, y est né le 13 octobre 1907. Puis c’est le départ pour la Guyane où le couple arrive le 29 août 1909. Johnson rapporte que son zèle intempestif le fait s’engager dans plusieurs controverses avec ses supérieurs. Il applique à la lettre les règlements douaniers, au grand dam des marchands locaux, habitués à plus de souplesse de la part des autres agents. On lui reproche également de manquer de neutralité politique en servant de conseiller à la municipalité de Saint-Laurent. Fort heureusement pour lui, il obtient la protection du Gouverneur Fernand Levecque. Pour lui accorder quelque répit, celui-ci lui permet de retourner à Paris, sous prétexte de préparer le concours d’accès au cadre des inspecteurs des douanes. En fait, Blaise Diagne publie des articles dans des journaux tels que l’Action et les Annales Coloniales. Il y développe ses idées sur l’égalité par l’assimilation politique et engage une polémique avec son vieil ennemi, le Gouverneur général Augagneur. A l’occasion, il prend la parole en public sur ces questions.
Plutôt que de retourner en Guyane, il demande et obtient un congé de convalescence à prendre au Sénégal. Il désire, en réalité, se lancer dans l’action politique, alors qu’approchent les élections législatives de 1914. »
En complément :
- un article dans Présence africaine : René Maran et Blaise Diagne : deux négritudes républicaines par Marc Michel
« Le choix de ces noms n’est pas innocent et Diagne passe longtemps non seulement pour un fonctionnaire indiscipliné, intéressé (en 1904, en poste à
Déjà, en 1897, le successeur de Brazza au Congo, de Lamothe, le juge avec sévérité ; Diagne, qui n’a encore que 27 ans, croit déjà, dit-on, être voué à un « rôle d’émancipateur de la race africaine », tient des propos animés « d’une ardente hostilité contre la race blanche », prétend implanter « ici » (au Congo) la doctrine « l’Afrique aux Africains » … Malgré leur appartenance commune à la Franc-Maçonnerie, à
- un extrait de l'ouvrage Ces noirs qui ont fait la France
« Il entame alors une carrière e fonctionnaire colonial…Le parcours est chaotique. Blaise Diagne professe des opinions avancées, trop pour l’époque, les assène en outre avec ce petit rien de suffisance qui agace, a fortiori quand elle émane d’un Noir. Il est devenu franc-maçon, ce qui lui procure tout de même quelques soutiens dans l’administration coloniale. Mais ses prises de position lui valent aussi la défiance de ses supérieurs. Il passe pour un fauteur de troubles, récolte un blâme et même une suspension pour « indiscipline et mauvaise volonté dans le service ». A
- le blog de l'historien Tidiane Diakité
« Reçu au concours des Douanes et engagé comme commis en 1892, dans le cadre de l’administration coloniale, il est affecté successivement au Dahomey (Bénin actuel), au Gabon (assimilé à l’époque au territoire du Congo), à la Réunion, puis à Madagascar.
Diagne est plutôt sévèrement jugé dans les rapports de ses supérieurs hiérarchiques, administrateurs et gouverneurs français avec lesquels il a souvent des démêlés. Le gouverneur de
« Doué à un degré incroyable d’un esprit d’intrigue, d’un désir d’autorité, d’une susceptibilité dans la discussion de ses intérêts et d’explication de ses actes, qui le rendent très dangereux. »
Gallieni, le futur général, dit de lui en 1904 : « Diagne ferait un bon agent s’il n’était ombrageux et sournoisement frondeur. »
Nous pouvons aussi vous signaler l’ouvrage d’Amady Aly Dieng Blaise Diagne, député noir de l'Afrique dans l’intéressante collection Afrique contemporaine. Nous ne l’avons pas à la bibliothèque municipale de Lyon.
Bonne recherche.
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