Question d'origine :
tout en vous remerciant chaleureusement pour la réponse très approfondie quasi encyclopédique à ma précédente question..je me permets de nouveau de solliciter votre sagacité pour une question épineuse qui apporte tellement de réponses différentes que j aimerais fort connaitre votre avis..Qu en est il du complexe d Oedipe,généralement admis par toutes les écoles de psychologie actuelles à l heure du mariage pour tous et de l adoption ou la procréation pour les couples féminins? Que devient donc ce concept "universel "tendant pour le jeune enfant à vouloir accaparer amoureusement le parent de sexe différent et vouloir symboliquement "tuer" le parent de même sexe considéré comme un "rival" puisque les deux sexes sont donc identiques...casse tête un chaleureux remerciement d ores et déjà
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 29/07/2016 à 12h44
Bonjour,
Pour connaître les termes du débat qui a opposé de nombreux psychanalystes, voici un article du magazine Psychologies en ligne, qui les présentent simplement : Homos et parents ?
Pour approfondir, vous pouvez visionner les auditions au Sénat de psychanalystes, ethnologues, pédopsychiatres, sociologues etc… lors de la loi Mariage pour tous.
La place du complexe d’Œdipe dans ce débat est résumée sommairement ci-dessous :
« Le complexe d’Oedipe, socle central de la psychanalyse, semble vaciller sous les tiraillements de la discipline, divisée sur la question de l’homoparentalité conjointe au projet de loi sur le mariage pour tous. Au nom de la nécessaire différenciation sexuelle des parents pour la construction psychique de l’enfant, certains psychanalystes sont opposés à l’idée même d’homoparentalité, arguant des dangers présumés de l’altération de la notion de différence qui engendrerait une société sans tabous ni interdits, et de celui d’enfants devenus « objets de consommation ». Les « favorables » répondent que les enfants élevés par des couples homosexuels grandissent ni mieux ni moins bien que les autres, que la différence des rôles dans le couple prime sur celle des sexes, et qu’avoir deux parents est toujours mieux pour le développement de l’enfant que de n’en avoir qu’un, alors qu’aujourd’hui la législation autorise un individu vivant seul à adopter. »
Source : L’homoparentalité divise les psychanalystes, un article de Stéphanie Barzasi sur le site de la Ligue de l’Éducation.
Pour un certain nombre, voire un nombre certain, de psychanalystes, l’homoparentalité est en effet nuisible pour la construction psychique de l’enfant, puisqu’elle ne permet pas la résolution du complexe d’Œdipe. C’est ce que développe Jean-Pierre Winter dans Homoparenté :
« Lorsque l’on prive artificiellement un enfant de père parce qu’on l’élève entre deux « mères », le problème n’est pas seulement qu’on le prive d’un papa au sens d’un éducateur et d’un pourvoyeur d’amour ou de sécurité, mais qu’on le prive aussi, à travers le père qu’il n’aura pas, de toute la chaîne de transmission du désir du Père qui s’est fait entendre depuis la nuit des temps. On le coupe sciemment de son appartenance à une moitié de l’humanité. Cela vaut évidemment pour les mères. »
Pour l’auteur, c’est donc bien l’universalité du concept qui serait mise à mal par une législation autorisant et donc reconnaissant l’homoparentalité.
Caroline Thompson, se veut plus "pragmatique" :
« Comment peut se mettre en place le complexe d’Oedipe, pierre angulaire du développement psychosexuel selon la psychanalyse, lorsque les deux parents sont de même sexe ?
Les deux piliers du fameux complexe sont la différence des sexes et la différence des générations. La différence des générations est respectée que le couple soit homosexuel ou composé d’un homme et d’une femme. Mais comment la reconnaissance de la différence des sexes peut-elle s’instaurer ? N’oublions pas qu’il existe toujours un premier objet d’amour, généralement la mère, encore que ce rôle puisse être tenu par un substitut maternel, pas nécessairement une femme d’ailleurs.
C’est la prise en compte du père, ou du substitut de celui-ci – en l’occurrence le deuxième membre du couple – qui vient signifier à l’enfant que le premier objet d’amour ne peut lui appartenir et qu’il doit y renoncer car celui-ci est déjà engagé dans une relation avec l’autre parent. Le processus qui conduit au renoncement, là encore, ne varie pas, que le couple parental soit homosexuel ou hétérosexuel. Reste à savoir comment l’identification à ce deuxième personnage, clé de la résolution du complexe d’Oedipe, s’opère au sein d’une famille homoparentale. En réalité, l’identification n’est pas principalement sexuelle : elle est d’abord morale. C’est d’elle que découle le surmoi de l’enfant qui accepte la loi et l’interdit de l’inceste (« je ne peux coucher avec ma mère – ou mon père »), fondatrice de la loi au sens large. Le dédommagement sera : moi aussi plus tard je pourrai aimer quelqu’un. Le fait que les deux individus soient de même sexe ne semble pas être un frein à cette structuration (ce que confirment les études empiriques sur l’identité sexuelle comme nous allons le voir). »
Lire la suite du chapitre La construction psychique de l’enfant de Caroline Thompson dans L’homoparentalité, rapport paru à La Documentation française
Dans Parent ou homo, faut-il choisir ? dans la collection Idées reçues, au chapitre « Les enfants ne feront pas leur Œdipe », Martine Gross reprend en les développant les arguments de Caroline Thompson. Pour elle, « Ceux qui voient dans l’homoparentalité un obstacle à l’Œdipe, rabattent l’altérité nécessaire à la triangulation, c’est-à-dire qu’ils réduisent toute altérité à l’altérité sexuelle, celle-ci devant selon eux être située dans le couple parental.»
Mais si ces psychanalystes défendent l’homoparentalité, elles n’attaquent pas l’universalité du complexe d’Œdipe, qui justifie au contraire qu’il s’adapte à de nouvelles formes de familles. C’est le sens de la fin du texte de Martine Gross :
« Ainsi, si l’Œdipe est vraiment universel, il doit pouvoir s’adapter à tous les types familiaux à travers le monde, d’une manière qui reste encore à découvrir. »
A écouter : l’émission de France Culture Le complexe d’Œdipe est-il soluble dans l’homoparentalité ?
Pour aller plus loin dans le questionnement sur l’universalité de l’Œdipe, deux textes en ligne nous semblent offrir matière à réflexion :
- La famille est-elle nécessairement œdipienne ?, Jean-Pierre Deffleux sur le site de La Cause freudienne.
- Et Entre malaise et confusion, François Richard, sur le site Aspasia, qui permet de saisir tous les enjeux de cette remise en cause. Vous en trouverez une version courte, Libre réflexion sur l'homoparentalité, sur le site de la Société psychanalytique de Paris.
Extrait :
« Le sujet humain ne peut-il émerger que dans la situation œdipienne ou, plus largement, que dans le lien généalogique de filiation ? On ne saurait ici se satisfaire d’opinions, de souhaits, ou d’idées reçues, dans un sens comme dans un autre. La réflexion reste insuffisante sur la relation, souhaitée, à un enfant et le fait que cet enfant devienne son enfant, ce qui est le propre de la filiation. Ce désir là suppose une implication où l’on se donne totalement, mais, du même coup, où l’on reconnaît en soi l’incomplétude, ce qui, pour certains (Sylviane Agacinski, Christian Flavigny, Pierre Levy-Soussan, Jean-Pierre Winter), ne peut être garanti que par la différence des sexes au sein des couple des parents – alors que selon d’autres (Geneviève Delaisi de Parseval, Sylvie Faure-Pragier, Serge Hefez, Susann Heenen-Wolff, Élisabeth Roudinesco, Irène Théry, Caroline Thompson, Michel Tort) cela pourrait s’accomplir selon des modalités diverses. »
Et d’inviter à éviter les crispations pour construire une vraie pensée critique.
Très bonnes lectures !
Pour connaître les termes du débat qui a opposé de nombreux psychanalystes, voici un article du magazine Psychologies en ligne, qui les présentent simplement : Homos et parents ?
Pour approfondir, vous pouvez visionner les auditions au Sénat de psychanalystes, ethnologues, pédopsychiatres, sociologues etc… lors de la loi Mariage pour tous.
La place du complexe d’Œdipe dans ce débat est résumée sommairement ci-dessous :
« Le complexe d’Oedipe, socle central de la psychanalyse, semble vaciller sous les tiraillements de la discipline, divisée sur la question de l’homoparentalité conjointe au projet de loi sur le mariage pour tous. Au nom de la nécessaire différenciation sexuelle des parents pour la construction psychique de l’enfant, certains psychanalystes sont opposés à l’idée même d’homoparentalité, arguant des dangers présumés de l’altération de la notion de différence qui engendrerait une société sans tabous ni interdits, et de celui d’enfants devenus « objets de consommation ». Les « favorables » répondent que les enfants élevés par des couples homosexuels grandissent ni mieux ni moins bien que les autres, que la différence des rôles dans le couple prime sur celle des sexes, et qu’avoir deux parents est toujours mieux pour le développement de l’enfant que de n’en avoir qu’un, alors qu’aujourd’hui la législation autorise un individu vivant seul à adopter. »
Source : L’homoparentalité divise les psychanalystes, un article de Stéphanie Barzasi sur le site de la Ligue de l’Éducation.
Pour un certain nombre, voire un nombre certain, de psychanalystes, l’homoparentalité est en effet nuisible pour la construction psychique de l’enfant, puisqu’elle ne permet pas la résolution du complexe d’Œdipe. C’est ce que développe Jean-Pierre Winter dans Homoparenté :
« Lorsque l’on prive artificiellement un enfant de père parce qu’on l’élève entre deux « mères », le problème n’est pas seulement qu’on le prive d’un papa au sens d’un éducateur et d’un pourvoyeur d’amour ou de sécurité, mais qu’on le prive aussi, à travers le père qu’il n’aura pas, de toute la chaîne de transmission du désir du Père qui s’est fait entendre depuis la nuit des temps. On le coupe sciemment de son appartenance à une moitié de l’humanité. Cela vaut évidemment pour les mères. »
Pour l’auteur, c’est donc bien l’universalité du concept qui serait mise à mal par une législation autorisant et donc reconnaissant l’homoparentalité.
Caroline Thompson, se veut plus "pragmatique" :
« Comment peut se mettre en place le complexe d’Oedipe, pierre angulaire du développement psychosexuel selon la psychanalyse, lorsque les deux parents sont de même sexe ?
Les deux piliers du fameux complexe sont la différence des sexes et la différence des générations. La différence des générations est respectée que le couple soit homosexuel ou composé d’un homme et d’une femme. Mais comment la reconnaissance de la différence des sexes peut-elle s’instaurer ? N’oublions pas qu’il existe toujours un premier objet d’amour, généralement la mère, encore que ce rôle puisse être tenu par un substitut maternel, pas nécessairement une femme d’ailleurs.
C’est la prise en compte du père, ou du substitut de celui-ci – en l’occurrence le deuxième membre du couple – qui vient signifier à l’enfant que le premier objet d’amour ne peut lui appartenir et qu’il doit y renoncer car celui-ci est déjà engagé dans une relation avec l’autre parent. Le processus qui conduit au renoncement, là encore, ne varie pas, que le couple parental soit homosexuel ou hétérosexuel. Reste à savoir comment l’identification à ce deuxième personnage, clé de la résolution du complexe d’Oedipe, s’opère au sein d’une famille homoparentale. En réalité, l’identification n’est pas principalement sexuelle : elle est d’abord morale. C’est d’elle que découle le surmoi de l’enfant qui accepte la loi et l’interdit de l’inceste (« je ne peux coucher avec ma mère – ou mon père »), fondatrice de la loi au sens large. Le dédommagement sera : moi aussi plus tard je pourrai aimer quelqu’un. Le fait que les deux individus soient de même sexe ne semble pas être un frein à cette structuration (ce que confirment les études empiriques sur l’identité sexuelle comme nous allons le voir). »
Lire la suite du chapitre La construction psychique de l’enfant de Caroline Thompson dans L’homoparentalité, rapport paru à La Documentation française
Dans Parent ou homo, faut-il choisir ? dans la collection Idées reçues, au chapitre « Les enfants ne feront pas leur Œdipe », Martine Gross reprend en les développant les arguments de Caroline Thompson. Pour elle, « Ceux qui voient dans l’homoparentalité un obstacle à l’Œdipe, rabattent l’altérité nécessaire à la triangulation, c’est-à-dire qu’ils réduisent toute altérité à l’altérité sexuelle, celle-ci devant selon eux être située dans le couple parental.»
Mais si ces psychanalystes défendent l’homoparentalité, elles n’attaquent pas l’universalité du complexe d’Œdipe, qui justifie au contraire qu’il s’adapte à de nouvelles formes de familles. C’est le sens de la fin du texte de Martine Gross :
« Ainsi, si l’Œdipe est vraiment universel, il doit pouvoir s’adapter à tous les types familiaux à travers le monde, d’une manière qui reste encore à découvrir. »
A écouter : l’émission de France Culture Le complexe d’Œdipe est-il soluble dans l’homoparentalité ?
Pour aller plus loin dans le questionnement sur l’universalité de l’Œdipe, deux textes en ligne nous semblent offrir matière à réflexion :
- La famille est-elle nécessairement œdipienne ?, Jean-Pierre Deffleux sur le site de La Cause freudienne.
- Et Entre malaise et confusion, François Richard, sur le site Aspasia, qui permet de saisir tous les enjeux de cette remise en cause. Vous en trouverez une version courte, Libre réflexion sur l'homoparentalité, sur le site de la Société psychanalytique de Paris.
Extrait :
« Le sujet humain ne peut-il émerger que dans la situation œdipienne ou, plus largement, que dans le lien généalogique de filiation ? On ne saurait ici se satisfaire d’opinions, de souhaits, ou d’idées reçues, dans un sens comme dans un autre. La réflexion reste insuffisante sur la relation, souhaitée, à un enfant et le fait que cet enfant devienne son enfant, ce qui est le propre de la filiation. Ce désir là suppose une implication où l’on se donne totalement, mais, du même coup, où l’on reconnaît en soi l’incomplétude, ce qui, pour certains (Sylviane Agacinski, Christian Flavigny, Pierre Levy-Soussan, Jean-Pierre Winter), ne peut être garanti que par la différence des sexes au sein des couple des parents – alors que selon d’autres (Geneviève Delaisi de Parseval, Sylvie Faure-Pragier, Serge Hefez, Susann Heenen-Wolff, Élisabeth Roudinesco, Irène Théry, Caroline Thompson, Michel Tort) cela pourrait s’accomplir selon des modalités diverses. »
Et d’inviter à éviter les crispations pour construire une vraie pensée critique.
Très bonnes lectures !
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