Question d'origine :
Bonjour,
Philosophie et sciences humaines mis de côté, y'a t-il une position scientifique qui serait anti-matérialiste ? Ou toute science est-elle matérialiste ?
Cordialement.
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 01/08/2016 à 08h59
Bonjour,
Nous vous proposons tout d'abord un petit historique de la pensée matérialiste extraite d'un article de l'Encyclopédie Universalis :
Le mot matérialisme désigne une attitude philosophique caractérisée par le recours exclusif à la notion de matière pour expliquer la totalité des phénomènes du monde physique et du monde moral. Cette conception est attestée dès le moment où se forme, dans la Grèce classique, la spéculation occidentale. Refoulée à l'arrière-plan par la culture chrétienne de l'âge médiéval, elle se réaffirme avec force après la Renaissance, et semble dès lors avoir partie liée avec le développement de la science moderne. Le matérialisme demeure par excellence jusqu'à nos jours une philosophie à référence, ou à prétention, scientifique.
Mais, dans la mesure où il prétend prolonger et interpréter les résultats de la science, le matérialisme est lui-même tributaire des vicissitudes de la recherche scientifique. La notion de matière a pu paraître simple et intelligible à certaines époques de la pensée ; l'avènement de la physique corpusculaire, triomphe de la connaissance rigoureuse, détruit cette illusion. Le philosophe germano-américain Wolfgang Köhler, dans son livre The Place of Value in a World of Facts, raconte avoir rêvé qu'on l'accusait de matérialisme ; troublé par cette révélation, il va trouver un physicien, spécialiste en ce domaine, en le priant de fixer ses idées. L'autre lui fait un exposé sur les protons, les électrons, etc., mais se refuse à toute déclaration concernant la matière, sous prétexte qu'il ne sait pas ce que c'est.
Le philosophe, spécialiste de la non-spécialité, peut toujours se vanter d'en savoir plus que ceux qui savent. Selon Lénine, « le matérialisme dialectique insiste sur le caractère approximatif, relatif, de toute proposition scientifique concernant la structure de la matière et ses propriétés » (Matérialisme et empiriocriticisme). On peut donc concevoir un matérialisme philosophique qui serait un matérialisme sans matière. Mais, si philosopher consiste à savoir ce que parler veut dire, il serait sans doute plus sage de renoncer à l'utilisation systématique de notions confuses. Bertrand Russell dit fort bien, dans son Histoire de la philosophie occidentale : « Les ardentes controverses autour de la vérité ou de la fausseté du matérialisme n'ont eu une telle persistance que parce que l'on a évité de définir les mots. » [...]
Matérialisme et philosophie de la nature au XVIIIe siècle
Le mot matérialiste apparaît, semble-t-il, pour la première fois en 1675, sous la plume de Boyle (1627-1691). Savant, physicien et chimiste, celui-ci est un des créateurs de la science expérimentale ; les Anglais appellent loi de Boyle ce qu'en France on nomme loi de Mariotte, découverte simultanément par les deux hommes de science. En même temps qu'un savant, Boyle est aussi un croyant qui instituera par testament de célèbres conférences destinées à la défense et à l'illustration de la foi chrétienne.
Au XVIIIe siècle, l'atomisme et le mécanisme sont des hypothèses scientifiques généralement admises ; le matérialisme est une doctrine philosophique qui s'appuie sur la théorie corpusculaire, mais généralise et systématise les données scientifiques. L'opposition entre le matérialisme et l'idéalisme entre dans les mœurs et le langage de la littérature au début du XVIIIe siècle ; on la trouve, par exemple, dans un texte de Leibniz datant de 1702. Selon le philosophe allemand Christian Wolff, « on appelle matérialistes les philosophes selon lesquels il n'existe que des êtres matériels ou corporels ».
Dans cette situation nouvelle, il faut distinguer désormais entre le langage de la représentation scientifique du monde, reconnue par tous les intéressés, et qui met en œuvre une matière sans matérialisme, et, d'autre part, le discours de ceux qui, extrapolant ce premier langage, professent une métaphysique de la matière. Les penseurs du xviie siècle, à la seule exception de Hobbes, limitent la portée de l'explication corpusculaire au seul univers matériel. Descartes admet la possibilité d'un mécanisme strict dans l'ordre de la substance étendue, y compris le corps humain, auquel est attribué le statut d'animal-machine ; mais il réserve les droits de la substance pensante, soumise au régime d'une intelligibilité spécifique, ce qui assure une pleine liberté au développement du spiritualisme cartésien. La solution dualiste n'est d'ailleurs pas simple ; la difficulté sera de réunir dans l'unité humaine ce qu'on a si parfaitement dissocié, et l'on peut penser que l'auteur du Discours de la méthode n'y est pas parvenu.
[...]
Les physiciens, les biologistes du XVIIIe siècle conçoivent la réalité sous la forme d'un conglomérat de particules élémentaires : « atomes animés » ou « molécules organiques », mais ils ne sont pas matérialistes pour autant, dans la mesure où ils admettent la possibilité d'autres influences à l'œuvre dans la réalité. Ou bien, ils réservent leur jugement en matière métaphysique, faute d'informations suffisantes ; Locke, cité par Voltaire, estime que « nous ne serons jamais peut-être capables de connaître si un être purement matériel pense ou non ». De même, Hume, qui a détruit les fondements de toute métaphysique possible, se garde bien de restaurer une métaphysique matérialiste.
Ce sont les penseurs radicaux français qui adoptent le matérialisme comme une arme dans leur polémique contre l'ordre établi.[...]
4. Disjonction moderne de la matière et du matérialisme
Le XIXe siècle voit s'affirmer le triomphe de la théorie atomique dans le domaine de la chimie et de la physique (tableau de Mendeleïev, 1869). L'avènement de la chimie organique autorise l'espérance de déchiffrer les lois de la matière vivante (synthèse de l'urée par F. Wöhler en 1828, chimie alimentaire de J. von Liebig). Robert Mayer découvre le principe de la conservation de l'énergie au cœur même du métabolisme organique (1842). Le matérialisme scientiste s'empresse de tirer des conséquences décisives de cet état provisoire du savoir. C'est le temps des slogans : « Sans phosphore, pas de pensée », ou : « La pensée est au cerveau ce que l'urine est au rein ».
Mais le devenir de la science ne tient pas compte des images d'Épinal qui s'autorisent d'elle. Les disciplines atomiques d'aujourd'hui attestent, depuis la théorie des quanta, une sorte de dématérialisation de la matière. Le matérialisme, philosophie du sens commun, ne peut plus se réclamer de phénomènes énergétiques qui n'ont pas le sens commun. Les recherches moléculaires ou nucléaires se situent à une échelle de lecture où nos concepts usuels ne sont pas applicables.
C'est sans doute pourquoi le seul matérialisme aujourd'hui vivant est celui qui se rattache à l'inspiration marxiste. Mais ce matérialisme, puisque matérialisme il y a, n'a rien à voir avec la matière des savants, pourtant la seule qui présente un sens rigoureux. Le marxisme est un matérialisme sans matière, qui évoque tantôt la réalité physique en sa présence grossière, tantôt le domaine organique, tantôt les réalités historiques. Le « matérialisme dialectique » systématise ces pensées confuses sous la forme d'une nouvelle rhétorique, laquelle parfois se contente d'invoquer plus modestement le concept pragmatique de praxis, qui ne signifie pas grand-chose, ou l'idée d'un sens du concret, qui n'en dit pas davantage.
Nous vous proposons de lire cet article de Georges GUSDORF dans son intégralité.
L'ouvrage intitulé La matière et l'esprit : sciences, philosophie et matérialisme de Denis Collin apporte quelques éclaircissements quant à vos interrogations. Voici quelques éléments de sa conclusion :
La science semble n'avoir pas de philosophie spontanée , ni matérialiste, ni idéaliste, puisque selon l'interprétation positiviste dominante, la science n'a rien à voir avec la métaphysique. Elle semble utiliser tantôt une rationalité de type idéaliste, tantôt une rationalité de type matérialiste, suivant des conjonctures historiques ou culturelles déterminées.
[...]
Dans l'ouvrage déjà cité, Yvon Quiniou soutient que la physique est, au fond, moins nettement matérialiste que la biologie, puisque la physique ne requiert que la considération de son objectivité, c'est-à-dire le réalisme, mais qu'elle est « parfaitement compatible avec l'idéalisme de la substance pensante, c'est-à-dire avec le spiritualisme ». Certains des développements qui précèdent semblent aller dans le même sens — encore que nous ayons montré le caractère souvent abusif de ces recours au spiritualisme en physique. Pourtant, il y a peut-être là comme une illusion d'optique. Le matérialisme de la biologie est « prouvé » — si tant est qu'on puisse prouver quoi que ce soit dans ce domaine — par la réduction croissante de la biologie à la physique tant du point de vue des entités dernières que du genre d'explication causale invoquée. Peut-on dire que la biologie est matérialiste sans affirmer du même coup que la physique est la science matérialiste par excellence ? En tout cas, il semble qu'on puisse difficilement dire qu'elle est plus matérialiste que la science qui la fonde. Mais s'il reste un doute quant au matérialisme de la physique, alors ce doute rejaillira nécessairement sur la biologie.
Alors qu'Yvon Quiniou affirme catégoriquement que la science est matérialiste et que le matérialisme est scientifique, je préfère substituer à cette thèse forte une thèse plus faible : la science ne peut se passer de réflexion philosophique ontologique et le matérialisme est, tout bien pesé, la philosophie la plus favorable au développement de la pensée scientifique. En tout cas, la conception positiviste standard — qui affirme que la science et la philosophie n'ont pas de rapports internes réels, que le savant qui parle de philosophie n'a qu'un discours extérieur à sa propre activité scientifique et qu'il n'émet en philosophie que des opinions d'amateur plus ou moins éclairé — semble erronée. Inversement, il est impossible de faire sérieusement de la philosophie si on ne demande pas ce que la science nous apprend ou si la science n'a pas donné des solutions rationnelles et testables à des questions philosophiques considérées jusqu'à présent comme indécidables selon les procédures de la preuve et de la démonstration scientifiques.
Dans la science comme dans la philosophie, c'est la raison qui est à l'œuvre. [...]
Quelle est donc la place d'une philosophie matérialiste dans cette configuration ? Le matérialisme et la science ont des buts communs : « dégager l'esprit humain des liens étroits de la superstition » ; mais la science ne prouve pas la vérité philosophique du matérialisme, pas plus que le matérialisme n'est un critère discriminant de la validité des diverses hypothèses scientifiques. On peut seulement constater, après coup, que science et matérialisme se renforcent mutuellement.
Nous vous engageons à consulter cet ouvrage de Denis Collin dans son intégralité.
Pour aller plus loin :
- Problèmes du matérialisme / Yvon Quiniou
- Matériaux philosophiques et scientifiques pour un matérialisme contemporain / Marc Silberstein. Volume 1, 1, Paris, Editions Matériologiques, « Sciences & philosophie », 2013, 574 pages.
- « Considérations sur le matérialisme » / Timpanaro Sebastiano, Traduit de l’italien par Quintili Paolo, Rue Descartes 4/2015 (N° 87) , p. 168-179
- Le matérialisme, ça ne se discute pas / Yves Quiniou - LE MONDE | 03.03.2006
Quelques précédentes réponses qui pourront vous intéresser :
- Critiques vitalistes des sciences selon Bergson
- "Ce tout petit supplément d'âme"
Bonne journée.
Nous vous proposons tout d'abord un petit historique de la pensée matérialiste extraite d'un article de l'Encyclopédie Universalis :
Le mot matérialisme désigne une attitude philosophique caractérisée par le recours exclusif à la notion de matière pour expliquer la totalité des phénomènes du monde physique et du monde moral. Cette conception est attestée dès le moment où se forme, dans la Grèce classique, la spéculation occidentale. Refoulée à l'arrière-plan par la culture chrétienne de l'âge médiéval, elle se réaffirme avec force après la Renaissance, et semble dès lors avoir partie liée avec le développement de la science moderne. Le matérialisme demeure par excellence jusqu'à nos jours une philosophie à référence, ou à prétention, scientifique.
Mais, dans la mesure où il prétend prolonger et interpréter les résultats de la science, le matérialisme est lui-même tributaire des vicissitudes de la recherche scientifique. La notion de matière a pu paraître simple et intelligible à certaines époques de la pensée ; l'avènement de la physique corpusculaire, triomphe de la connaissance rigoureuse, détruit cette illusion. Le philosophe germano-américain Wolfgang Köhler, dans son livre The Place of Value in a World of Facts, raconte avoir rêvé qu'on l'accusait de matérialisme ; troublé par cette révélation, il va trouver un physicien, spécialiste en ce domaine, en le priant de fixer ses idées. L'autre lui fait un exposé sur les protons, les électrons, etc., mais se refuse à toute déclaration concernant la matière, sous prétexte qu'il ne sait pas ce que c'est.
Le philosophe, spécialiste de la non-spécialité, peut toujours se vanter d'en savoir plus que ceux qui savent. Selon Lénine, « le matérialisme dialectique insiste sur le caractère approximatif, relatif, de toute proposition scientifique concernant la structure de la matière et ses propriétés » (Matérialisme et empiriocriticisme). On peut donc concevoir un matérialisme philosophique qui serait un matérialisme sans matière. Mais, si philosopher consiste à savoir ce que parler veut dire, il serait sans doute plus sage de renoncer à l'utilisation systématique de notions confuses. Bertrand Russell dit fort bien, dans son Histoire de la philosophie occidentale : « Les ardentes controverses autour de la vérité ou de la fausseté du matérialisme n'ont eu une telle persistance que parce que l'on a évité de définir les mots. » [...]
Le mot matérialiste apparaît, semble-t-il, pour la première fois en 1675, sous la plume de Boyle (1627-1691). Savant, physicien et chimiste, celui-ci est un des créateurs de la science expérimentale ; les Anglais appellent loi de Boyle ce qu'en France on nomme loi de Mariotte, découverte simultanément par les deux hommes de science. En même temps qu'un savant, Boyle est aussi un croyant qui instituera par testament de célèbres conférences destinées à la défense et à l'illustration de la foi chrétienne.
Au XVIIIe siècle, l'atomisme et le mécanisme sont des hypothèses scientifiques généralement admises ; le matérialisme est une doctrine philosophique qui s'appuie sur la théorie corpusculaire, mais généralise et systématise les données scientifiques. L'opposition entre le matérialisme et l'idéalisme entre dans les mœurs et le langage de la littérature au début du XVIIIe siècle ; on la trouve, par exemple, dans un texte de Leibniz datant de 1702. Selon le philosophe allemand Christian Wolff, « on appelle matérialistes les philosophes selon lesquels il n'existe que des êtres matériels ou corporels ».
Dans cette situation nouvelle, il faut distinguer désormais entre le langage de la représentation scientifique du monde, reconnue par tous les intéressés, et qui met en œuvre une matière sans matérialisme, et, d'autre part, le discours de ceux qui, extrapolant ce premier langage, professent une métaphysique de la matière. Les penseurs du xviie siècle, à la seule exception de Hobbes, limitent la portée de l'explication corpusculaire au seul univers matériel. Descartes admet la possibilité d'un mécanisme strict dans l'ordre de la substance étendue, y compris le corps humain, auquel est attribué le statut d'animal-machine ; mais il réserve les droits de la substance pensante, soumise au régime d'une intelligibilité spécifique, ce qui assure une pleine liberté au développement du spiritualisme cartésien. La solution dualiste n'est d'ailleurs pas simple ; la difficulté sera de réunir dans l'unité humaine ce qu'on a si parfaitement dissocié, et l'on peut penser que l'auteur du Discours de la méthode n'y est pas parvenu.
[...]
Les physiciens, les biologistes du XVIIIe siècle conçoivent la réalité sous la forme d'un conglomérat de particules élémentaires : « atomes animés » ou « molécules organiques », mais ils ne sont pas matérialistes pour autant, dans la mesure où ils admettent la possibilité d'autres influences à l'œuvre dans la réalité. Ou bien, ils réservent leur jugement en matière métaphysique, faute d'informations suffisantes ; Locke, cité par Voltaire, estime que « nous ne serons jamais peut-être capables de connaître si un être purement matériel pense ou non ». De même, Hume, qui a détruit les fondements de toute métaphysique possible, se garde bien de restaurer une métaphysique matérialiste.
Ce sont les penseurs radicaux français qui adoptent le matérialisme comme une arme dans leur polémique contre l'ordre établi.[...]
Le XIXe siècle voit s'affirmer le triomphe de la théorie atomique dans le domaine de la chimie et de la physique (tableau de Mendeleïev, 1869). L'avènement de la chimie organique autorise l'espérance de déchiffrer les lois de la matière vivante (synthèse de l'urée par F. Wöhler en 1828, chimie alimentaire de J. von Liebig). Robert Mayer découvre le principe de la conservation de l'énergie au cœur même du métabolisme organique (1842). Le matérialisme scientiste s'empresse de tirer des conséquences décisives de cet état provisoire du savoir. C'est le temps des slogans : « Sans phosphore, pas de pensée », ou : « La pensée est au cerveau ce que l'urine est au rein ».
Mais le devenir de la science ne tient pas compte des images d'Épinal qui s'autorisent d'elle. Les disciplines atomiques d'aujourd'hui attestent, depuis la théorie des quanta, une sorte de dématérialisation de la matière. Le matérialisme, philosophie du sens commun, ne peut plus se réclamer de phénomènes énergétiques qui n'ont pas le sens commun. Les recherches moléculaires ou nucléaires se situent à une échelle de lecture où nos concepts usuels ne sont pas applicables.
C'est sans doute pourquoi le seul matérialisme aujourd'hui vivant est celui qui se rattache à l'inspiration marxiste. Mais ce matérialisme, puisque matérialisme il y a, n'a rien à voir avec la matière des savants, pourtant la seule qui présente un sens rigoureux. Le marxisme est un matérialisme sans matière, qui évoque tantôt la réalité physique en sa présence grossière, tantôt le domaine organique, tantôt les réalités historiques. Le « matérialisme dialectique » systématise ces pensées confuses sous la forme d'une nouvelle rhétorique, laquelle parfois se contente d'invoquer plus modestement le concept pragmatique de praxis, qui ne signifie pas grand-chose, ou l'idée d'un sens du concret, qui n'en dit pas davantage.
Nous vous proposons de lire cet article de Georges GUSDORF dans son intégralité.
L'ouvrage intitulé La matière et l'esprit : sciences, philosophie et matérialisme de Denis Collin apporte quelques éclaircissements quant à vos interrogations. Voici quelques éléments de sa conclusion :
La science semble n'avoir pas de philosophie spontanée , ni matérialiste, ni idéaliste, puisque selon l'interprétation positiviste dominante, la science n'a rien à voir avec la métaphysique. Elle semble utiliser tantôt une rationalité de type idéaliste, tantôt une rationalité de type matérialiste, suivant des conjonctures historiques ou culturelles déterminées.
[...]
Dans l'ouvrage déjà cité, Yvon Quiniou soutient que la physique est, au fond, moins nettement matérialiste que la biologie, puisque la physique ne requiert que la considération de son objectivité, c'est-à-dire le réalisme, mais qu'elle est « parfaitement compatible avec l'idéalisme de la substance pensante, c'est-à-dire avec le spiritualisme ». Certains des développements qui précèdent semblent aller dans le même sens — encore que nous ayons montré le caractère souvent abusif de ces recours au spiritualisme en physique. Pourtant, il y a peut-être là comme une illusion d'optique. Le matérialisme de la biologie est « prouvé » — si tant est qu'on puisse prouver quoi que ce soit dans ce domaine — par la réduction croissante de la biologie à la physique tant du point de vue des entités dernières que du genre d'explication causale invoquée. Peut-on dire que la biologie est matérialiste sans affirmer du même coup que la physique est la science matérialiste par excellence ? En tout cas, il semble qu'on puisse difficilement dire qu'elle est plus matérialiste que la science qui la fonde. Mais s'il reste un doute quant au matérialisme de la physique, alors ce doute rejaillira nécessairement sur la biologie.
Alors qu'Yvon Quiniou affirme catégoriquement que la science est matérialiste et que le matérialisme est scientifique, je préfère substituer à cette thèse forte une thèse plus faible : la science ne peut se passer de réflexion philosophique ontologique et le matérialisme est, tout bien pesé, la philosophie la plus favorable au développement de la pensée scientifique. En tout cas, la conception positiviste standard — qui affirme que la science et la philosophie n'ont pas de rapports internes réels, que le savant qui parle de philosophie n'a qu'un discours extérieur à sa propre activité scientifique et qu'il n'émet en philosophie que des opinions d'amateur plus ou moins éclairé — semble erronée. Inversement, il est impossible de faire sérieusement de la philosophie si on ne demande pas ce que la science nous apprend ou si la science n'a pas donné des solutions rationnelles et testables à des questions philosophiques considérées jusqu'à présent comme indécidables selon les procédures de la preuve et de la démonstration scientifiques.
Dans la science comme dans la philosophie, c'est la raison qui est à l'œuvre. [...]
Quelle est donc la place d'une philosophie matérialiste dans cette configuration ? Le matérialisme et la science ont des buts communs : « dégager l'esprit humain des liens étroits de la superstition » ; mais la science ne prouve pas la vérité philosophique du matérialisme, pas plus que le matérialisme n'est un critère discriminant de la validité des diverses hypothèses scientifiques. On peut seulement constater, après coup, que science et matérialisme se renforcent mutuellement.
Nous vous engageons à consulter cet ouvrage de Denis Collin dans son intégralité.
- Problèmes du matérialisme / Yvon Quiniou
- Matériaux philosophiques et scientifiques pour un matérialisme contemporain / Marc Silberstein. Volume 1, 1, Paris, Editions Matériologiques, « Sciences & philosophie », 2013, 574 pages.
- « Considérations sur le matérialisme » / Timpanaro Sebastiano, Traduit de l’italien par Quintili Paolo, Rue Descartes 4/2015 (N° 87) , p. 168-179
- Le matérialisme, ça ne se discute pas / Yves Quiniou - LE MONDE | 03.03.2006
Quelques précédentes réponses qui pourront vous intéresser :
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- "Ce tout petit supplément d'âme"
Bonne journée.
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