Question d'origine :
Bonjour ,
chrétiennes , celtes , romaines , gauloises , influencées par l'orient ;ou sommes-nous un mixte de tout ça ? Comment définir nos racines .
Car en ce moment les politiques se servent de l'histoire et desservent notre mémoire me semble-t-il .
Grand merci .
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 21/09/2016 à 15h48
Bonjour,
Cette question étant à nouveau d’une brûlante actualité, vous aurez sûrement déjà lu de nombreux articles y répondant plus ou moins (voir par exemple Sarkozy et nos ancêtres gaulois, L’Obs, 20/09/2016)
Précisons que la plupart des historiens critiques à l’égard de ces assertions ne proposent pas de racines de substitution, mais déconstruisent le mythe même de ces « racines », qui vient nier une société hétérogène et, sous couvert de créer une « unité nationale », produit essentiellement de l’exclusion.
Nous empruntons à Nos ancêtres les Gaulois, de Renée Grimaud sa conclusion.
« Nos ancêtres les Gaulois ?
Les Gaulois sont le produit de populations qui ont fait souche sur le territoire, en s’assimilant, au cours de déplacements successifs, aux peuplades issues des temps néolithiques qui se trouvaient déjà sur place. Car ces gaulois, eux-mêmes composés de peuples fort diversifiés, appartenaient à un monde bien plus vaste, dit celtique, qui s’étendait de l’Atlantique à la Bohême et qui n’a pas fini de livrer ses mystères.
Les Gaulois ont laissé sur le territoire des traces durables. Dans l’organisation du territoire : notre géographie parle gaulois en dépit de la disparition de la langue gauloise et de l’adoption du latin. Dans le domaine de la technique : grâce à leur savoir-faire et leur ingéniosité, des outils se sont mis en place pour plus de deux mille ans.
Mais le visage de la Gaule n’est pas le même partout. La Gaule chevelue, couverte de champs ouverts et où prédomine l’habitat dispersé, présente un visage différent de la Gaule du Midi, terre d’influence, où Celtes, Grecs, Ibères, se côtoient et finissent par se fondre dans un creuset commun. […]
D’autre part, « nos ancêtres les Gaulois » ne sont-ils pas aussi des Romains ? Car les liens commerciaux, diplomatiques, déjà établis, et depuis longtemps, avec les Romains, se sont concrétisés dans l’existence d’une Gaule romaine. […] ».
Voir aussi dans le même ouvrage le paragraphe La Gaule, un brassage de populations, p.15 à 17.
La Gaule n’est pas une entité géographique préexistante :
« Contrairement aux manuels qui évoquent l’arrivée des Celtes en “Gaule”, comme si celle-ci existait déjà, la Gaule, Gallia en latin, est une invention linguistique des Romains. Ces derniers nommaient galli les tribus qui, à partir du IVe siècle av. J.-C., menacent le nord de la péninsule italique. Gallia correspond à l’espace occupé par ces galli. La première “Gaule” est donc en Italie ! Au fur et à mesure qu’ils poursuivent leur conquête, les Romains distinguent la Gallia cisalpina en Italie et la Gallia transalpina de l’autre côté des Alpes. Quand César, au milieu du Ier siècle av. J.-C., atteint le Rhin, il décrète que le fleuve est la frontière entre Gallia et Germania. Espace purement géographique, cette Gaule est un territoire morcelé entre des peuples nombreux et César lui-même parle de la guerre des Gaules. Jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident, la Gaule est une fiction géographique. Au IVe siècle ap. J.-C., aucune entité administrative de l’Empire ne porte ce nom. »
Extrait de Nos ancêtres les gaulois : ils sont fous ces historiens !, Suzanne Citron, L’Obs/Rue 89, 23/06/2008.
Et le peuple gaulois ressemble davantage à une création historique et politique qu’à une réalité :
« Avec la Révolution, l’abbé Sieyès tranche. À la noblesse défaite, les Francs ; au tiers état triomphant, le peuple gaulois. Nos ancêtres seront donc Gaulois. « Mais, souligne Suzanne Citron, cette Gaule, nous la devons surtout à Jules César qui définit la Gallia de l’Atlantique au Rhin. C’est la vision littéraire de La guerre des Gaules. Du point de vue administratif, il y a des provinces, l’Aquitaine, la Narbonnaise, la Lyonnaise (Bretagne, Normandie, Île-de-France, Bourgogne) et la Belgique, au nord et à l’est de la Seine et de la Saône. » »
Extrait de Nos ancêtres les Gaulois, Témoignage chrétien, 28 janvier 2016 Quel peuple ?
Vous pouvez vous reporter au livre de Suzanne Citron Le mythe national : l’histoire de France revisitée
Voir aussi :
- La partie titrée Sur le récit national, de l’article de l’Influx, en ligne Les constructions imaginaires et politiques de l’étranger où vous découvrirez aussi les traces laissées par Nos ancêtres sarrasins
- Le mythe de l’identité nationale, Régis Meyran
- Nos ancêtres les Gaulois, Jean-Louis Brunaux
- ou, sur un mode plus pamphlétaire : L’invention des français : du temps de nos folies gauloises, Jean-François Kahn.
Quant aux fameuses et souvent revendiquées « racines chrétiennes », Paul Veyne, dans Quand notre monde est devenu chrétien, p. 249 et suiv. rappelle toute l’ambiguïté que contient ce terme de racines et combien il est réducteur d’ériger une religion en principe de civilisation :
« Puisqu'il est question de christianisme, Paul Veyne ne pouvait manquer de se demander : « L'Europe a-t-elle des racines chrétiennes ? » (pp. 249-268), eu égard au désir d'inscrire cette affirmation dans la Constitution européenne, formulé par les plus hauts représentants de la Chrétienté et, plus surprenant, par le Président de la République française. Les pages qu'il consacre à cette question d'actualité (ou plutôt qui se veut d'actualité) sont parmi les plus pertinentes de ce petit ouvrage. Il faut se méfier de ce qui paraît simple, comme l'expression « racines chrétiennes ». Première question : une civilisation, une société, c'est-à-dire une « réalité hétérogène » (p. 249) a-t-elle des racines ? Si racines il y a, viennent-elles de la religion, qui n'est qu'une des composantes de la société ?[...]. L'auteur répond à une objection qui vient tout de suite à l'esprit : le christianisme est à l'origine de grands chefs-d’œuvre spirituels en architecture (cathédrales), littérature (Blaise Pascal), musique (Jean-Sébastien Bach), et dans d'autres domaines, mais il s'agit d'un patrimoine (en italique dans le texte) et d'une « phraséologie », si l'on songe à la campagne présidentielle française de 2007 où les trois principaux candidats usaient volontiers d'un langage chrétien, pour un programme qui n'était en rien chrétien (p. 259). L'Europe actuelle, avec ses valeurs (dont l'humanitarisme), doit beaucoup aux Lumières « qui sont un plissement géologique de l'histoire » (p. 263), ce qui n'exclut pas un rôle du christianisme. [...] Mais une religion, pas plus le christianisme qu'aucune autre religion « n'étant pas une essence transhistorique, ne peut être une matrice, une racine, et devient en partie ce que son temps la fait être » (p. 263, note 1). Il est, par conséquent, illusoire, de vouloir donner à l'Europe une préfiguration chrétienne : « le christianisme y est enraciné, il n'en est pas pour autant à la racine » (p. 267). La conclusion sur l'Europe emprunte la même métaphore agricole : « Elle n'est pas préformée dans le christianisme, elle n'est pas le développement d'un germe, mais le résultat d'une épigénèse. Le christianisme également du reste » (p. 268). »
Source : Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), recension de Monique Bile.
« Comment peut-on écrire une histoire nationale ? C’est-à-dire une histoire de l’Allemagne avant l’Allemagne, du Royaume-Uni avant le Royaume-Uni, de la France avant la France, et la liste serait longue. Pour le dire encore plus clairement, comment écrire des histoires dites « nationales » avec du passé antérieur à l’existence « réelle » de nations qui, toutes, sont nées au XIXe siècle en s’affirmant et s’opposant les unes aux autres ? ». Reprenant le questionnement de Fred E. Schrader dans Comment une histoire nationale est-elle possible ?, Marcel Detienne dans L’identité nationale, une énigme, analyse la construction des mythes nationaux et dénonce l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques.
Bonnes lectures !
Cette question étant à nouveau d’une brûlante actualité, vous aurez sûrement déjà lu de nombreux articles y répondant plus ou moins (voir par exemple Sarkozy et nos ancêtres gaulois, L’Obs, 20/09/2016)
Précisons que la plupart des historiens critiques à l’égard de ces assertions ne proposent pas de racines de substitution, mais déconstruisent le mythe même de ces « racines », qui vient nier une société hétérogène et, sous couvert de créer une « unité nationale », produit essentiellement de l’exclusion.
Nous empruntons à Nos ancêtres les Gaulois, de Renée Grimaud sa conclusion.
« Nos ancêtres les Gaulois ?
Les Gaulois sont le produit de populations qui ont fait souche sur le territoire, en s’assimilant, au cours de déplacements successifs, aux peuplades issues des temps néolithiques qui se trouvaient déjà sur place. Car ces gaulois, eux-mêmes composés de peuples fort diversifiés, appartenaient à un monde bien plus vaste, dit celtique, qui s’étendait de l’Atlantique à la Bohême et qui n’a pas fini de livrer ses mystères.
Les Gaulois ont laissé sur le territoire des traces durables. Dans l’organisation du territoire : notre géographie parle gaulois en dépit de la disparition de la langue gauloise et de l’adoption du latin. Dans le domaine de la technique : grâce à leur savoir-faire et leur ingéniosité, des outils se sont mis en place pour plus de deux mille ans.
Mais le visage de la Gaule n’est pas le même partout. La Gaule chevelue, couverte de champs ouverts et où prédomine l’habitat dispersé, présente un visage différent de la Gaule du Midi, terre d’influence, où Celtes, Grecs, Ibères, se côtoient et finissent par se fondre dans un creuset commun. […]
D’autre part, « nos ancêtres les Gaulois » ne sont-ils pas aussi des Romains ? Car les liens commerciaux, diplomatiques, déjà établis, et depuis longtemps, avec les Romains, se sont concrétisés dans l’existence d’une Gaule romaine. […] ».
Voir aussi dans le même ouvrage le paragraphe La Gaule, un brassage de populations, p.15 à 17.
La Gaule n’est pas une entité géographique préexistante :
« Contrairement aux manuels qui évoquent l’arrivée des Celtes en “Gaule”, comme si celle-ci existait déjà, la Gaule, Gallia en latin, est une invention linguistique des Romains. Ces derniers nommaient galli les tribus qui, à partir du IVe siècle av. J.-C., menacent le nord de la péninsule italique. Gallia correspond à l’espace occupé par ces galli. La première “Gaule” est donc en Italie ! Au fur et à mesure qu’ils poursuivent leur conquête, les Romains distinguent la Gallia cisalpina en Italie et la Gallia transalpina de l’autre côté des Alpes. Quand César, au milieu du Ier siècle av. J.-C., atteint le Rhin, il décrète que le fleuve est la frontière entre Gallia et Germania. Espace purement géographique, cette Gaule est un territoire morcelé entre des peuples nombreux et César lui-même parle de la guerre des Gaules. Jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident, la Gaule est une fiction géographique. Au IVe siècle ap. J.-C., aucune entité administrative de l’Empire ne porte ce nom. »
Extrait de Nos ancêtres les gaulois : ils sont fous ces historiens !, Suzanne Citron, L’Obs/Rue 89, 23/06/2008.
Et le peuple gaulois ressemble davantage à une création historique et politique qu’à une réalité :
« Avec la Révolution, l’abbé Sieyès tranche. À la noblesse défaite, les Francs ; au tiers état triomphant, le peuple gaulois. Nos ancêtres seront donc Gaulois. « Mais, souligne Suzanne Citron, cette Gaule, nous la devons surtout à Jules César qui définit la Gallia de l’Atlantique au Rhin. C’est la vision littéraire de La guerre des Gaules. Du point de vue administratif, il y a des provinces, l’Aquitaine, la Narbonnaise, la Lyonnaise (Bretagne, Normandie, Île-de-France, Bourgogne) et la Belgique, au nord et à l’est de la Seine et de la Saône. » »
Extrait de Nos ancêtres les Gaulois, Témoignage chrétien, 28 janvier 2016 Quel peuple ?
Vous pouvez vous reporter au livre de Suzanne Citron Le mythe national : l’histoire de France revisitée
Voir aussi :
- La partie titrée Sur le récit national, de l’article de l’Influx, en ligne Les constructions imaginaires et politiques de l’étranger où vous découvrirez aussi les traces laissées par Nos ancêtres sarrasins
- Le mythe de l’identité nationale, Régis Meyran
- Nos ancêtres les Gaulois, Jean-Louis Brunaux
- ou, sur un mode plus pamphlétaire : L’invention des français : du temps de nos folies gauloises, Jean-François Kahn.
Quant aux fameuses et souvent revendiquées « racines chrétiennes », Paul Veyne, dans Quand notre monde est devenu chrétien, p. 249 et suiv. rappelle toute l’ambiguïté que contient ce terme de racines et combien il est réducteur d’ériger une religion en principe de civilisation :
« Puisqu'il est question de christianisme, Paul Veyne ne pouvait manquer de se demander : « L'Europe a-t-elle des racines chrétiennes ? » (pp. 249-268), eu égard au désir d'inscrire cette affirmation dans la Constitution européenne, formulé par les plus hauts représentants de la Chrétienté et, plus surprenant, par le Président de la République française. Les pages qu'il consacre à cette question d'actualité (ou plutôt qui se veut d'actualité) sont parmi les plus pertinentes de ce petit ouvrage. Il faut se méfier de ce qui paraît simple, comme l'expression « racines chrétiennes ». Première question : une civilisation, une société, c'est-à-dire une « réalité hétérogène » (p. 249) a-t-elle des racines ? Si racines il y a, viennent-elles de la religion, qui n'est qu'une des composantes de la société ?[...]. L'auteur répond à une objection qui vient tout de suite à l'esprit : le christianisme est à l'origine de grands chefs-d’œuvre spirituels en architecture (cathédrales), littérature (Blaise Pascal), musique (Jean-Sébastien Bach), et dans d'autres domaines, mais il s'agit d'un patrimoine (en italique dans le texte) et d'une « phraséologie », si l'on songe à la campagne présidentielle française de 2007 où les trois principaux candidats usaient volontiers d'un langage chrétien, pour un programme qui n'était en rien chrétien (p. 259). L'Europe actuelle, avec ses valeurs (dont l'humanitarisme), doit beaucoup aux Lumières « qui sont un plissement géologique de l'histoire » (p. 263), ce qui n'exclut pas un rôle du christianisme. [...] Mais une religion, pas plus le christianisme qu'aucune autre religion « n'étant pas une essence transhistorique, ne peut être une matrice, une racine, et devient en partie ce que son temps la fait être » (p. 263, note 1). Il est, par conséquent, illusoire, de vouloir donner à l'Europe une préfiguration chrétienne : « le christianisme y est enraciné, il n'en est pas pour autant à la racine » (p. 267). La conclusion sur l'Europe emprunte la même métaphore agricole : « Elle n'est pas préformée dans le christianisme, elle n'est pas le développement d'un germe, mais le résultat d'une épigénèse. Le christianisme également du reste » (p. 268). »
Source : Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), recension de Monique Bile.
« Comment peut-on écrire une histoire nationale ? C’est-à-dire une histoire de l’Allemagne avant l’Allemagne, du Royaume-Uni avant le Royaume-Uni, de la France avant la France, et la liste serait longue. Pour le dire encore plus clairement, comment écrire des histoires dites « nationales » avec du passé antérieur à l’existence « réelle » de nations qui, toutes, sont nées au XIXe siècle en s’affirmant et s’opposant les unes aux autres ? ». Reprenant le questionnement de Fred E. Schrader dans Comment une histoire nationale est-elle possible ?, Marcel Detienne dans L’identité nationale, une énigme, analyse la construction des mythes nationaux et dénonce l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques.
Bonnes lectures !
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