Question d'origine :
Bonjour,
Je m'interroge sur la traduction du manga et des anime (du japonais vers le français ou bien l'inverse). J'ai en effet remarqué que les traductions du japonais vers le français étaient souvent biaisées. Par exemple dans One Piece, l'un des personnages s'appelle Pipo dans les premiers tomes puis devient Usopp sans plus d'explication. Ou encore, dans Dragon Ball, le nom de race des héros est appelée parfois Sayen/Sayan/Saïyan ou encore "guerrier intergalactique" dans l'anime. Ce genre d'exemple fourmille dans l'univers du manga. J'aimerai donc analyser les méthodes de traduction. Pouvez-vous me fournir des documents sur ce sujet?
Merci pour votre temps!
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 10/04/2019 à 14h07
Bonjour,
Vous faites référence à une polémique entourant la sortie il y a quelques mois du tome 89 de la série One piece et que actualitte.com :
résume ainsi :
« Traduire un manga n'est définitivement pas de tout repos : depuis l'émergence des scantrads, il faut redoubler de rapidité, pour éviter que la diffusion pirate ne prenne le pas sur la version légale de l'œuvre. Mais la connaissance des lecteurs en japonais, ainsi que ces mêmes scantrads, parfois diffusés bien en amont des versions légales, ont aussi aiguisé l'œil critique des amateurs de manga.
Les éditions Glénat en ont fait les frais, après la livraison du tome 89 du manga : sur les réseaux et autres forums spécialisés, les lecteurs, notamment ceux qui avaient pu découvrir l'histoire en version originale, ont remis en question certains choix de traduction.
Ainsi, la traduction du nom « Katakuri » en « Dent-de-chien » a été qualifiée d'« insupportable » par certains lecteurs (sur Manga News), notamment en regard des sous-titres français de l'anime One Piece, qui utilisent « Katakuri ». Les noms des attaques, traduits du japonais, ont aussi provoqué la colère des amateurs.
Mais c'est sans doute la traduction d'une phrase prononcée par ce même « Dent-de-chien » qui a causé le plus de discussions auprès des fans et au sein de l'équipe de traducteurs de Glénat : les traducteurs de la version française du manga ont préféré « Voilà ce qui s’appelle… avoir de grandes ambitions ! » à « Tu vois loin dans le futur », que les traducteurs de la version scantrad, eux, avaient préféré.
C'est un cas plutôt intéressant, donc, auquel l'équipe de traducteurs a dû faire face : une traduction pirate devenue « canonique » auprès des lecteurs de One Piece, et qui fait donc concurrence à leur traduction. »
La réponse des éditions Glénat, que nous n’avons pas retrouvée sur le site de l’éditeur, est reprise sur le site manga-news.com. Les éditeurs affirment travailler à proposer « une version qui soit la plus fidèle possible ». Ce qui est une gageure dans n’importe quelle entreprise de traduction :
« Deux langues ne se décalquant pas l’une sur l’autre lors du processus de traduction, cette fidélité s’applique nécessairement au SENS des mots, et non aux mots eux-mêmes. Il ne s’agit donc pas de rendre “cools” des noms de personnages qui ne le sont pas pour les lecteurs japonais. Il ne s’agit pas non plus de conserver les noms japonais tels quels puisqu’ils signifient quelque chose pour les lecteurs nippons. »
Mais les partis-pris intellectuels ne pèsent pas seuls dans la balance. Glénat doit également tenir compte des contraintes liée à la franchise One Piece, avec ses nombreux produits dérivés :
« Tout d’abord, dans la mesure où One Piece se décline sur de multiples supports (manga, animé, jeux vidéo, etc.), la traduction des noms obéit à une logique d’homogénéité. Il ne s’agit pas de disposer d’une traduction dans le manga, d’une autre dans l’animé, voire d’une troisième dans les jeux vidéo. Les traductions sont donc déterminées et validées avec les différents intervenants officiels autour de la licence, afin de garantir cette homogénéité autour de One Piece. »
Dragon Ball a connu pas moins de six publications en France depuis 1993. De nombreux sites de fans se font fort de commenter et discriminer ces éditions, et leurs traductions respectives (voyez http://uclaut.net, ou le très documenté dragon-ball-z.eu). Une parfaite unanimité règne sur les sites et forums que nous avons consultés pour considérer la dite « perfect edition » (aussi appelée Kanzenban FR), dont la publication par Génat publiée entre 2009 et 2015, comme la meilleure édition française à ce jour : le manga est proposé dans son sens de lecture original, la traduction a été entièrement revue, intégrant les jeux de mots constants de l’auteur, avec des notes expliquant les choix de traduction.
Car la distance entre les langues et les cultures tient parfois à de minuscules détails : un article du blog mapetitemediatheque.fr s’intéresse par exemple aux suffixes -kun, -san, -chan… :
« Dans la société japonaise les différences de statut sont très marquées, notamment au niveau de la différence d’âge. Évidemment c’est le cas en France aussi, mais au Japon cela est plus évident, notamment grâce à l’utilisation de suffixes accolé au nom/prénom des personnes. Ce suffixe change suivant que l’on s’adresse à un ami, un inconnu, un supérieur, une personne plus âgé que soit, plus jeune, etc. »
Un écart avec ces convenances peut avoir une connotation humoristique, violente ou déplacée, sans qu’il existe forcément d’équivalent français… Ce qui en dit beaucoup sur les personnages. On trouve d’ailleurs sur dragon-ball-z.eu une page très instructive sur le sujet.
L’onomastique peut être tout aussi ardue : on mesure grâce à une page dynamique de liberation.fr à quelles acrobaties cérébrales le traducteur Julien Bardakoff a dû se livrer en 1996 pour traduire les noms… des Pokemons !
Bref , le métier de traducteur de mangas n’est pas de tout repos. Heureusement, cela commence à se savoir, au point que un prix pour la traduction de manga japonais en français est désormais remis durant le festival d’Angoulême. Et que les spécificités de la discipline font l’objet de conférences, tables rondes et autres débats : les vidéos du débat « Traduction, adaptation, lettrage des mangas - mené à Angoulême en 2011, sont ainsi disponibles sur Youtube :
Sur Youtube encore, vous trouverez aussi une conférence de Fédoua Lamodière, traductrice de Dragon Ball :
Si on trouve encore peu de livres consacrés au sujet, vous pouvez consulter des articles en ligne :
-« La culture manga change d’ère » sur cnrs.fr
-« Le manga et son histoire vus de France : entre idées reçues et approximations » sur openedition.org
-« Traduire les best-sellers du manga : entre “domestication” et “exotisation” sur revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org
-“Exposition : les traducteurs de mangas racontent leur métier » actualitte.com
Le japonais du manga [Livre] / par Shima Kadokura et Misato Raillard
Bonnes lectures.
Vous faites référence à une polémique entourant la sortie il y a quelques mois du tome 89 de la série
résume ainsi :
« Traduire un manga n'est définitivement pas de tout repos : depuis l'émergence des scantrads, il faut redoubler de rapidité, pour éviter que la diffusion pirate ne prenne le pas sur la version légale de l'œuvre. Mais la connaissance des lecteurs en japonais, ainsi que ces mêmes scantrads, parfois diffusés bien en amont des versions légales, ont aussi aiguisé l'œil critique des amateurs de manga.
Les éditions Glénat en ont fait les frais, après la livraison du tome 89 du manga : sur les réseaux et autres forums spécialisés, les lecteurs, notamment ceux qui avaient pu découvrir l'histoire en version originale, ont remis en question certains choix de traduction.
Ainsi, la traduction du nom « Katakuri » en « Dent-de-chien » a été qualifiée d'« insupportable » par certains lecteurs (sur Manga News), notamment en regard des sous-titres français de l'anime One Piece, qui utilisent « Katakuri ». Les noms des attaques, traduits du japonais, ont aussi provoqué la colère des amateurs.
Mais c'est sans doute la traduction d'une phrase prononcée par ce même « Dent-de-chien » qui a causé le plus de discussions auprès des fans et au sein de l'équipe de traducteurs de Glénat : les traducteurs de la version française du manga ont préféré « Voilà ce qui s’appelle… avoir de grandes ambitions ! » à « Tu vois loin dans le futur », que les traducteurs de la version scantrad, eux, avaient préféré.
C'est un cas plutôt intéressant, donc, auquel l'équipe de traducteurs a dû faire face : une traduction pirate devenue « canonique » auprès des lecteurs de One Piece, et qui fait donc concurrence à leur traduction. »
La réponse des éditions Glénat, que nous n’avons pas retrouvée sur le site de l’éditeur, est reprise sur le site manga-news.com. Les éditeurs affirment travailler à proposer « une version qui soit la plus fidèle possible ». Ce qui est une gageure dans n’importe quelle entreprise de traduction :
« Deux langues ne se décalquant pas l’une sur l’autre lors du processus de traduction, cette fidélité s’applique nécessairement au SENS des mots, et non aux mots eux-mêmes. Il ne s’agit donc pas de rendre “cools” des noms de personnages qui ne le sont pas pour les lecteurs japonais. Il ne s’agit pas non plus de conserver les noms japonais tels quels puisqu’ils signifient quelque chose pour les lecteurs nippons. »
Mais les partis-pris intellectuels ne pèsent pas seuls dans la balance. Glénat doit également tenir compte des contraintes liée à la franchise One Piece, avec ses nombreux produits dérivés :
« Tout d’abord, dans la mesure où One Piece se décline sur de multiples supports (manga, animé, jeux vidéo, etc.), la traduction des noms obéit à une logique d’homogénéité. Il ne s’agit pas de disposer d’une traduction dans le manga, d’une autre dans l’animé, voire d’une troisième dans les jeux vidéo. Les traductions sont donc déterminées et validées avec les différents intervenants officiels autour de la licence, afin de garantir cette homogénéité autour de One Piece. »
Dragon Ball
Car la distance entre les langues et les cultures tient parfois à de minuscules détails : un article du blog mapetitemediatheque.fr s’intéresse par exemple aux suffixes -kun, -san, -chan… :
« Dans la société japonaise les différences de statut sont très marquées, notamment au niveau de la différence d’âge. Évidemment c’est le cas en France aussi, mais au Japon cela est plus évident, notamment grâce à l’utilisation de suffixes accolé au nom/prénom des personnes. Ce suffixe change suivant que l’on s’adresse à un ami, un inconnu, un supérieur, une personne plus âgé que soit, plus jeune, etc. »
Un écart avec ces convenances peut avoir une connotation humoristique, violente ou déplacée, sans qu’il existe forcément d’équivalent français… Ce qui en dit beaucoup sur les personnages. On trouve d’ailleurs sur dragon-ball-z.eu une page très instructive sur le sujet.
L’onomastique peut être tout aussi ardue : on mesure grâce à une page dynamique de liberation.fr à quelles acrobaties cérébrales le traducteur Julien Bardakoff a dû se livrer en 1996 pour traduire les noms… des Pokemons !
Bref , le métier de traducteur de mangas n’est pas de tout repos. Heureusement, cela commence à se savoir, au point que un prix pour la traduction de manga japonais en français est désormais remis durant le festival d’Angoulême. Et que les spécificités de la discipline font l’objet de conférences, tables rondes et autres débats : les vidéos du débat « Traduction, adaptation, lettrage des mangas - mené à Angoulême en 2011, sont ainsi disponibles sur Youtube :
Sur Youtube encore, vous trouverez aussi une conférence de Fédoua Lamodière, traductrice de Dragon Ball :
Si on trouve encore peu de livres consacrés au sujet, vous pouvez consulter des articles en ligne :
-« La culture manga change d’ère » sur cnrs.fr
-« Le manga et son histoire vus de France : entre idées reçues et approximations » sur openedition.org
-« Traduire les best-sellers du manga : entre “domestication” et “exotisation” sur revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org
-“Exposition : les traducteurs de mangas racontent leur métier » actualitte.com
Le japonais du manga [Livre] / par Shima Kadokura et Misato Raillard
Bonnes lectures.
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