Question d'origine :
Bonjour,
Y avait-il une tradition consistant à enterrer le roi de France la nuit (comme ce fut le cas de Louis XIV), et à quand remonte-t-elle ?
Comment expliquer l'écart entre cette pratique royale et les connotations déshonorantes d'un enterrement la nuit pour les excommuniés, comme Molière ?
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 01/10/2019 à 10h03
Bonjour,
nos recherches ne nous permettent pas d'attester que les corps des rois de France aient été traditionnellement inhumés la nuit.
En revanche, le site de l’exposition "Le roi est mort - Louis XIV - 1715" (qui fut présenté au château de Versailles en 2015), nous apprend que le corps de Louis XIV fut transporté jusqu'à la basilique de Saint Denis (nécropole royale depuis les mérovingiens) pendant la nuit :
« Le Convoi funèbre portant le corps du souverain au lieu d'inhumation a toujours été un haut moment des funérailles. Celui de Louis XIV part de Versailles le 8 septembre 1715 à sept heures du soir pour arriver le lendemain, à l'aube, à Saint-Denis »
« Le corps du roi sera, désormais, conduit de nuit à la basilique et sans le passage habituel par la capitale et la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. De parade royale, le convoi du défunt, tiré par huit chevaux, est redevenu un cortège de deuil renvoyant ainsi à la tradition chrétienne. Le trajet nocturne à la lueur des torches et l’arrivée à l’aurore symbolisent ainsi la résurrection. »
Dans le catalogue de l'exposition vous trouverez de nombreux détails sur les funérailles du roi, de son exposition dans la chambre mortuaire le 1er septembre 1715 à son inhumation le 23 octobre à Saint-Denis.
On y apprend ainsi « que plus de 1 000 personnes prennent part au cortège funèbre. La trentaine de kilomètres séparant le château de Versailles de Saint-Denis est parcouru par le cortège, au pas, en pas moins de dix heures »
En 1715, les rites funéraires royaux sont codifiés depuis longtemps. Ainsi, la tradition qui veut que le cortège funéraire suivant le corps du roi jusqu'à Notre-Dame puis vers la basilique de Saint-Denis se fasse de nuit, semble remonter à la mort de Philippe Auguste (1223), comme en atteste cet extrait de l'ouvrage « La mort des rois - De Sigismond (523) à Louis XIV (1715) » de Joël Cornette et Anne-Marie Helvétius :
« en cette fin de XIV me siècle, le déroulement des funérailles royales est codifié depuis plusieurs décennies. Il est traditionnel que la dépouille du souverain soit conduite à Paris pour qu’un office soit célébré à Notre Dame de Paris. Attestée pour les rois au moins depuis Philippe Auguste et pour les reines à partir du dernier tiers du XIII e siecle, cette étape permettait à la ville de rendre hommage au souverain et de conforter les liens étroits …le lendemain après avoir été veillée toute la nuit, la dépouille, suivit par un imposant cortège gagnait saint Denis… »
Concernant, l'inhumation de Molière, si celle -ci a eu lieu de nuit c'est plus par discrétion que pour rendre un dernier hommage public et symbolique au défunt. En effet, les comédiens qui sous l'Ancien Régime subissent l’excommunication ne peuvent bénéficier de funérailles chrétiennes :
«C'est l'évêché de Châlons-sur-Marne, en 1649, qui semble être le premier à désigner
explicitement les comédiens comme "pêcheurs publics", frappés à ce titre d'infamie, ce qui leur interdit la participation à la sainte communion ainsi que des funérailles et une sépulture chrétiennes...Tel fut le cas pour Molière, mort subitement, en 1673, après une représentation du Malade imaginaire : le curé de Saint-Eustache, paroisse de Molière, refuse qu'il reçoive des funérailles religieuses et qu'il soit inhumé dans le cimetière de la paroisse. La veuve de Molière, Armande Béjart, envoie une supplique à l'archevêque de Paris, lequel refuse dans un premier temps de désavouer le curé de Saint-Eustache, puis, sur l'intervention de Louis XIV, accepte finalement que Molière soit enterré religieusement, mais de nuit, non en tant que comédien mais en tant que tapissier valet de chambre du roi, titre qu'il a hérité de son père, et accompagné seulement de deux ecclésiastiques de la paroisse. (Source : article en pdf "Un paria sous l'Ancien- Régime : le comédien")
Pour en savoir plus sur la mort de Molière et les conditions de son inhumation, nous vous renvoyons à la lecture de « L'histoire de la vie et des ouvrages de Molière » de Jules-Antoine Taschereau.
Enfin d'autres documents sur les rites funéraires royaux sont disponibles à la BmL :
-D'Or et de cendres : la mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Age / Murielle Gaude-Ferragu
-Le roi est mort : étude sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois de France jusqu'à la fin du XII siècle / Alain Erlande-Brandenburg
-Le coeur des rois : les Capétiens et les sépultures multiples, XIIIe-XVe siècles / Alexandre Bande
Bonnes lectures
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