Question d'origine :
On lit et on entend des chiffres totalement contradictoires concernant les coûts et les recettes de l’immigration en France. Chiffres variant souvent au gré de l’idéologie de ceux qui les communiquent : pour les «anti-migrants», l’immigration coûte, pour les «pro-migrants», elle rapporte. J’ai relevé ceci : • Une étude du mouvement ATD Quart monde [chiffres de 2005, pas d’autre communication depuis, à ma connaissance et après avoir interrogé la délégation nationale d’ATD Quart monde] indique que l’immigration représente en France un coût de 68 milliards d’euros et des recettes de 72 milliards, soit un solde positif net de 4 milliards. • France TV Info, en 2019, cite une étude de l’OCDE selon laquelle l’immigration coûterait 0,5% de la richesse nationale, soit environ 10 milliards d’euros par an (ce qui ne colle pas du tout avec les 68 milliards d’ATD Quart monde !) • Selon le Rassemblement national (qui ne cite aucune source), l’immigration coûte plus qu’elle ne rapporte : 10 à 70 milliards d’euros par an (fourchette tellement énorme qu’elle ne veut plus rien dire). Et le RN oublie de préciser combien elle rapporte... • Jean-Paul Gourévitch est l’auteur de nombreux livres (dont L’Immigration, ça coûte ou ça rapporte ? Larousse, 2009). Il est considéré par l’Agence France Presse (en 2014) comme «marqué très à droite et fréquemment cité et invité par l’extrême droite», suspecté de manipuler les chiffres et traité de «faux scientifique» ; selon lui, l’immigration coûte plus qu’elle ne rapporte. • Hippolyte d’Albis, économiste au CNRS, a démontré qu'historiquement, les migrations ne représentaient pas de coût et que, dans un pays qui n'accueillerait pas de migrants, la situation économique serait moins bonne ; il défend l’idée que l’immigration non européenne a un effet positif sur la croissance économique. • D’autres chercheurs, cités par ATD quart monde, estiment que l’activité économique produite par les migrants dépasse «de loin» les coûts gouvernementaux des nouveaux arrivants. Etc. Les dépenses citées sont, généralement, les prestations sociales accordées aux immigrés en situation régulière (CAF, RSA, APL ou allocations familiales), l’aide médicale d’État pour les étrangers en situation irrégulière et la prise en charge des mineurs isolés étrangers. Pour les recettes, les migrants, avec leurs salaires, dynamisent la consommation et génèrent des cotisations sociales. D’abord, y a-t-il d’autres dépenses et d’autres recettes à prendre en compte ? Ensuite, oui, et c’est ma question principale, quels chiffres sérieux et sourcés, avec détails si possible, peuvent être avancés, disons ces trois dernières années ?
Réponse du Guichet
Voici les éléments de réponse que nous trouvons sur checknews (avril 2018), qui se base en partie sur un article de Libé désintox de 2013 :
« La question du "coût de l'immigration" est complexe à plusieurs titre, ce qui explique que circule à son propos des estimations particulièrement variables, et pas toujours très sérieuses..
En évoquant un montant de 70 à 80 milliards par an, vous faites référence à des données qui circulent depuis longtemps, et qui ont parfois été citées par Marine Le Pen, par exemple. Des données qu'on retrouvait il y a quelques jours sur le site Dreuz. Voilà d'où elles proviennent :
En 2006, les économistes Yves-Marie Laulan et Jacques Bichot produisent une courte note sur le sujet du coût de l'immigration. En quinze pages, ils aboutissent à une estimation de 24 milliards. A quoi sont ensuite ajoutés 12 milliards - non détaillés - au titre de «l’intégration». Cela fait 36 milliards : le rapport s’arrête là. Mais en 2011, dans une interview pour Monde & Vie, Yves-Marie Laulan lance, sans guère plus de précisions : «Les experts qui ont travaillé à cette étude pensent qu’il faut doubler [ce montant].» Et voilà comment on est passé de 24 milliards à 70 ou 80.
Cette inflation brutale, de 24 à 80 milliards, incite à la plus grande prudence quant au sérieux de ce chiffrage.
A noter que Dreuz, dans son article daté d'il y a deux jours, se base sur ce montant de 70 à 80 milliards pour le doubler à nouveau, et affirmer que le montant actuel est de 164 milliards par an. Comment? Simplement en décrétant que ce montant augmente de 10% par an. Et toujours sans aucune justification.
Nous pouvons estimer son coût, à raison de 10% supplémentaires par année, à 164 milliards, compte non tenu de l’afflux de tous ces illégaux qui envahissent notre territoire et ceux « légaux » que nos gouvernements font entrer au nombre de 300 ou 400 mille, chaque année. Ce sont, bien entendu, 164 milliards, à la charge du contribuable français. Mais les chefs de l’État, tous, refusent obstinément de dévoiler les chiffres réels.
Au delà de ce tour de passe passe consistant à multiplier par deux le montant initial calculé, cette étude (comme toutes celles sur l'immigration) repose sur des bases arbitraires, et donc contestables.
Par exemple, l'étude estime que l'éducation est un des pans les plus coûteux (près de 10 milliards d'euros) de l'immigration du fait de la scolarité des enfants d'immigrés. Ce qui revient à compter comme coût de l'immigration des dépenses liées aux enfants d'immigrés.
Lorsque l’on cherche à chiffrer le coût de l’immigration, le tout est justement de savoir ce que l’on chiffre. Il y a des évidences : comme tout un chacun, les immigrés coûtent en dépenses de santé, en retraites, en allocations, mais ils rapportent en cotisations sociales, impôts, TVA… Restent les coûts indirects, qui ouvrent la porte aux interprétations les plus diverses et aux choix les plus arbitraires. Quelle part des dépenses de sécurité ou d’éducation leur est imputable ? Faut-il prendre en compte leurs enfants (et pourquoi pas, alors, les enfants de leurs enfant)? Un enfant né d'un couple mixte (un parent immigré et un parent né en France) doit-il être «comptabilisé»? Si on mesure le coût indirect, comment mesurer les bénéfices indirects? Etc.
Les différences de chiffrage entre les différentes études tiennent essentiellement -outre aux sérieux des calculs- aux périmètres retenus. Quand une étude de chercheurs lillois (aboutissant à l'idée que l'immigration est positive sur le plan économique à hauteur de 4 milliards d'euros pour l'année 2006) estiment à 47,9 milliards les dépenses de l’Etat en faveur des immigrés, l'auteur d'une autre étude pour contribuables associés (aboutissant à un coût de l'immigration de 17 milliards d'euros par an), Jean-Paul Gourévitch compte lui deux fois plus (89,4 milliards) en rajoutant à l’ardoise les «coûts sécuritaires», et en incluant les enfants nés en France.
Bref, personne ne calcule la même chose.
En 2013, l’OCDE a rendu public une étude qui repose aussi sur des choix (se bornant au seul impact fiscal des immigrés) mais qui a l'avantage d'appliquer le même calcul à l'ensemble des pays. Selon l'étude, l'impact fiscal due l'immigration, au sein de ses pays membres de l'OCDE, n’est que très rarement supérieur à 2% du PIB. Car même si les ménages immigrés touchent plus d’avantages sociaux que ceux nés dans le pays, leur «structure par âge [est] plus favorable» : en clair, les immigrés sont davantage concentrés dans la tranche d’âge 25-54 ans que les autochtones, donc ils cotisent plus et ont, par exemple, moins de dépenses de santé que la moyenne. Et si la France a, selon l’OCDE, un impact de - 0,52% du PIB (environ 10 milliards d’euros), c’est parce que ce constat y est moins vrai : l’immigration y est plus ancienne, ce qui creuse les dépenses de retraites.
Voici par ailleurs ce que nous lisons dans l'ouvrage de François Héran, Parlons immigration en 30 questions :
"
Dans son rapport de 2004, elle souligne qu'établir un coût d'ensemble de l'immigration aurait "peu de sens", vu "l'impossible évaluation des avantages et autres ressources qu'elle procure". Ce dont l'Etat a besoin, c'est d'indicateurs sur les actions qu'il finance. Ils figurent dans le rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur la politique migratoire, mais sans chiffre global.
Pourtant, une association de contribuables a estimé à 30 milliards le coût annuel de l'immigration pour la France. Les économistes récusent ce chiffre, car il oublie que les immigrés consomment des produits taxés, que l'Etat perçoit les cotisations patronales assises sur leurs salaires, que la majorité du travail dissimulé est le fait des natifs, que l'argent envoyé au pays contribue au développement.
En réalité, il n'y a aucun sens à additionner ce que "nous" coûtent les étrangers, les immigrés et leurs enfants (y compris leur coût de scolarisation), car cela revient à calculer ce que coûtent un quart de la population aux trois quarts restants. Démarcation impossible. Les comptes de l'Etat ne différencient pas les contribuables selon l'origine. "Nous sommes en réalité de tous les côtés à la fois : chacun contribuable et chacun bénéficiaire.
Chacun de nous, tour à tour, coûte, rapporte et coûte à nouveau. Au cycle de vie s'ajoute le cycle migratoire. En période de croissance, on fait appel à une main-d'oeuvre peu qualifiée, qui finit par s'installer. Mais le pays se désindustrialise, les non-qualifiés deviennent "inemployables". Le niveau d'instruction des immigrés a beau progresser, il reste inférieur à celui des natifs et leur faible taux d'emploi grève les finances publiques. En serait-on là sans les migrations d'antan ? De même que nos sociétés ont allongé la vie sans imaginer le "vieillissement" qui s'ensuivrait, elles ont fait appel à l'immigration en temps de croissance sans anticiper ses effets.
Plus une politique durcit les conditions d'admission, plus elle coûte en contrôles, fichiers, contentieux. La politique migratoire étant un choix, peut-on l'inclure dans le coût de l'immigration comme si elle était le fait des migrants ?
Extrait d'un dessin de Pieter Geenen intitulé "Homo economicus", paru dans Vrij Nederland le 29 octobre 2011 : "Avant, j'étais nul en économie. Quand je croisais le facteur, un artiste, une vieille dame, un immigré, je trouvais ça sympa. Maintenant, je sais : le facteur est en surnombre, l'artiste vit de subventions, la vieille dame vit trop longtemps, l'immigré n'est plus rentable. Et tout ça avec mes sous !"."
N’étant que bibliothécaires et non économistes ou sociologues, nous pourrons difficilement aller plus loin dans l’analyse. Nous ne pouvons que vous encourager à examiner de près les différentes études et retenir celles reposant sur les critères qui vous paraissent les plus pertinents, en gardant à l'esprit qu'aucun calcul ne peut refléter le "vrai" coût de l'immigration.
Quelques lectures complémentaires :
Mouzon, Céline. « Ecoutons-les ! », L'Économie politique, vol. 84, no. 4, 2019, pp. 5-7.
Neveu, Érik. « Sur Avec L’Immigration. Mesurer, débattre, agir de François Héran », Questions de communication, vol. 34, no. 2, 2018, pp. 285-300.
Bonne journée.