Séparations affichées
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 14/01/2020 à 14h21
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Question d'origine :
Bonjour,
En consultant : le Journal de Paris en 1777, il y a une rubrique qui s'intitule : les séparations affichées, de quoi s'agissait-t-il ? Sachant que sauf quelques rares cas autorisés, le divorce n'existait pas - concerne LEMOINE Jean Baptiste, marchand fripier, demeurant rue Tirechape, paroisse Saint Germain l'Auxerrois, é poux de BRETON Marie Louise, fabricante de gaze - Cité le 09/11/1777, au tableau des séparations affichées aux consuls, le 05/11/1777, (Le Journal de Paris n° 313)
Merci d’avance – cordialement - Ginhelen
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 16/01/2020 à 09h57
Bonjour,
Il semble bien que ce « Tableau des séparations affichées aux consuls » corresponde à desséparations de biens . Contrairement au divorce, qui ne deviendra légal en France qu’en 1792, les séparations ne dissolvent pas le lien conjugal.
On trouve par exemple mention d’une femme délaissée. Par ailleurs, les « consuls » font sans doute référence à la juridiction consulaire de Paris :
« C'est la seule juridiction d'Ancien Régime conservée aux Archives de Paris. Créée au XVIe siècle, formée de juges élus, qui sont tous des marchands choisis par leurs pairs, elle est compétente en matière de commerce.
Établi en 1792, le tribunal de commerce prend immédiatement la suite de la juridiction consulaire et se voit attribuer des compétences juridictionnelles substantiellement identiques.
Le fonds est relativement complet, notamment pour ce qui concerne le fonctionnement de la juridiction depuis ses origines. La série des sentences et plumitifs d’audiences commence en 1680, celle des procédures en 1703 et celle des actes des sociétés commerciales en 1718.
C'est en matière de faillites qu’il est particulièrement riche d'informations sur la vie des entreprises parisiennes, de la fin du XVIIe siècle à 1791, notamment avec la série des livres de comptes des commerçants faillis. »
En effet les séparations de biens devaient être affichées dans le « tableau » afin que les biens de l’épouse ne soient pas confondus avec ceux du mari en cas de faillite :
« Dans les lieux où la communauté de biens entre mari et femme est établie par la coutume ou par l’usage, la clause qui y déroge, dans les contrats de mariage des marchands grossiers ou détailleurs et des banquiers, doit être publiée à l’Audience de la Juridiction consulaire, s’il y en a, sinon dans l’Assemblée de l’Hôtel commun des Villes, et cette clause n’a lieu que du jour qu’elle a été publiée et enregistrée.
La même règle doit être observée entre les négociants et marchands, tant en gros qu’en détail, et les banquiers, pour les séparations de biens d’entre mari et femme, outre les autres formalités en tel cas requises.
La communauté de biens d’entre mari et femme a lieu dans la coutume de Paris, sans qu’il soit nécessaire d’en convenir par le contrat de mariage : elle n’est reçue en pays de droit écrit que lorsqu’elle a été stipulée : il y a des coutumes où il n’est pas permis de la stipuler.
Si on veut donc à Paris et dans les autres lieux où la coutume et l’usage font qu’il y ait communauté, nonobstant le défaut de stipulation, empêcher l’effet de cette communauté, il est nécessaire d’y déroger expressément par une clause du contrat de mariage, et de faire un état ou inventaire dans les formes, des meubles et effets mobiliers de la femme, afin qu’ils ne soient pas confondus avec ceux du mari, en cas de saisie et exécution, ou de faillite ; mais suivant l’ordonnance, l’état ou l’inventaire, et les quittances pardevant notaires pour les choses requises par la femme non commune, ne suffisent pas pour empêcher la confusion de ses effets avec ceux de son mari négociant, marchand ou banquier ; il faut aussi que la clause portant dérogation à la communauté, ait été rendue publique par l’enregistrement et par l’exposition dans le tableau. La raison est, que tel marchand qui a du crédit à cause de la communauté, n’en aurait pas si sa femme était non commune par le contrat, ou était séparée. Il est assez rare aussi que les contrats de mariage des marchands contiennent cette clause, et communément les femmes ne se font séparer, que lorsque la communauté sombre dans le désordre. »
Source : Le praticien des juges et consuls, ou Traité de commerce de terre et de mer, Couchot (1742)
« Les aléas de la conjoncture économique (Antonetti, 1998, 8), la mauvaise tenue des comptabilités (Coquery, 2006) et le recours habituel au crédit expliquent la fragilité économique des commerces et la fréquence des séparations de biens dans le milieu des boutiquiers : à Paris, plus de la moitié des sentences rendues en 1750 et en 1770 affectent des couples de marchands et d’artisans (Francini, 1998, 203). Le milieu des petits entrepreneurs est aussi bien représenté dans les autres villes de France et de Nouvelle-France (Savoie, 1986, 61 ; Maillard, 1997, 416 ; Hardwick, 1998, 163). »
Source : Croq, Laurence. « La vie familiale à l'épreuve de la faillite : les séparations de biens dans la bourgeoisie marchande parisienne aux xviie-xviiie siècles », Annales de démographie historique, vol. 118, no. 2, 2009, pp. 33-52.
« Les magistrats […] sont assez hostiles [à la séparation ou divortium], car sa banalisation risquerait de miner une institution fondamentale dans l’organisation de la vie familiale et sociale. Le droit en distingue deux types : la séparation de corps et de biens, par laquelle le mari perd son pouvoir sur sa femme, et la séparation de biens qui ne rompt pas la vie commune. Ces affaires sont examinées par les juridictions royales, qui en dépossèdent les officialités en les préemptant ou selon la procédure d’appel comme d’abus […]. Quand elle réclame une séparation de biens, l’épouse cherche en principe à préserver ses intérêts matériels contre un mari peu scrupuleux, comme Marguerite Pilot qui, en 1785 dans le Maine, accuse Joseph Launay de dilapider son patrimoine. D’autres reprochent à leur époux de trop aimer le jeu ou de fréquenter assidûment les cabarets. Bref, comme le souligne B. Garnot, le naufrage économique est aussi souvent celui du couple.
En revanche, pour obtenir une séparation de corps, il faut avancer des motifs autrement plus graves, que la vie de l’un des conjoints soit en danger ou qu’il y ait du scandale (violences, insultes, abandon, hérésie). […] Dans 80% des cas, la séparation est accordée, mais rarement de manière définitive : 50% le sont pour une durée de trois ans et, à tout moment, la vie commune peut reprendre si la partie lésée le désire. Très bienveillante à l’égard des plaignants, l’officialité fait donc tout pour continuer à défendre l’institution matrimoniale. […]
Tous ces jugements, même quand ils entérinent la désunion du couple, ne permettent pas aux conjoints de refaire leur vie avec une autre personne. Pour cela, il faut obtenir une annulation de mariage […]. Les demandes d’annulation restent exceptionnelles, et toutes ne sont pas satisfaites, loin de là : dans le diocèse de Lyon, à peine onze dossiers sont déposés au XVIIIe siècle. »
Source : La famille en France à l'époque moderne : XVIe - XVIIIe siècle / Stéphane Minvielle
Bonne journée.
Il semble bien que ce « Tableau des séparations affichées aux consuls » corresponde à des
On trouve par exemple mention d’une femme délaissée. Par ailleurs, les « consuls » font sans doute référence à la juridiction consulaire de Paris :
« C'est la seule juridiction d'Ancien Régime conservée aux Archives de Paris. Créée au XVIe siècle, formée de juges élus, qui sont tous des marchands choisis par leurs pairs, elle est compétente en matière de commerce.
Établi en 1792, le tribunal de commerce prend immédiatement la suite de la juridiction consulaire et se voit attribuer des compétences juridictionnelles substantiellement identiques.
Le fonds est relativement complet, notamment pour ce qui concerne le fonctionnement de la juridiction depuis ses origines. La série des sentences et plumitifs d’audiences commence en 1680, celle des procédures en 1703 et celle des actes des sociétés commerciales en 1718.
C'est en matière de faillites qu’il est particulièrement riche d'informations sur la vie des entreprises parisiennes, de la fin du XVIIe siècle à 1791, notamment avec la série des livres de comptes des commerçants faillis. »
En effet les séparations de biens devaient être affichées dans le « tableau » afin que les biens de l’épouse ne soient pas confondus avec ceux du mari en cas de faillite :
« Dans les lieux où la communauté de biens entre mari et femme est établie par la coutume ou par l’usage, la clause qui y déroge, dans les contrats de mariage des marchands grossiers ou détailleurs et des banquiers, doit être publiée à l’Audience de la Juridiction consulaire, s’il y en a, sinon dans l’Assemblée de l’Hôtel commun des Villes, et cette clause n’a lieu que du jour qu’elle a été publiée et enregistrée.
La même règle doit être observée entre les négociants et marchands, tant en gros qu’en détail, et les banquiers, pour les séparations de biens d’entre mari et femme, outre les autres formalités en tel cas requises.
La communauté de biens d’entre mari et femme a lieu dans la coutume de Paris, sans qu’il soit nécessaire d’en convenir par le contrat de mariage : elle n’est reçue en pays de droit écrit que lorsqu’elle a été stipulée : il y a des coutumes où il n’est pas permis de la stipuler.
Si on veut donc à Paris et dans les autres lieux où la coutume et l’usage font qu’il y ait communauté, nonobstant le défaut de stipulation, empêcher l’effet de cette communauté, il est nécessaire d’y déroger expressément par une clause du contrat de mariage, et de faire un état ou inventaire dans les formes, des meubles et effets mobiliers de la femme, afin qu’ils ne soient pas confondus avec ceux du mari, en cas de saisie et exécution, ou de faillite ; mais suivant l’ordonnance, l’état ou l’inventaire, et les quittances pardevant notaires pour les choses requises par la femme non commune, ne suffisent pas pour empêcher la confusion de ses effets avec ceux de son mari négociant, marchand ou banquier ; il faut aussi que la clause portant dérogation à la communauté, ait été rendue publique par l’enregistrement et par l’exposition dans le tableau. La raison est, que tel marchand qui a du crédit à cause de la communauté, n’en aurait pas si sa femme était non commune par le contrat, ou était séparée. Il est assez rare aussi que les contrats de mariage des marchands contiennent cette clause, et communément les femmes ne se font séparer, que lorsque la communauté sombre dans le désordre. »
Source : Le praticien des juges et consuls, ou Traité de commerce de terre et de mer, Couchot (1742)
« Les aléas de la conjoncture économique (Antonetti, 1998, 8), la mauvaise tenue des comptabilités (Coquery, 2006) et le recours habituel au crédit expliquent la fragilité économique des commerces et la fréquence des séparations de biens dans le milieu des boutiquiers : à Paris, plus de la moitié des sentences rendues en 1750 et en 1770 affectent des couples de marchands et d’artisans (Francini, 1998, 203). Le milieu des petits entrepreneurs est aussi bien représenté dans les autres villes de France et de Nouvelle-France (Savoie, 1986, 61 ; Maillard, 1997, 416 ; Hardwick, 1998, 163). »
Source : Croq, Laurence. « La vie familiale à l'épreuve de la faillite : les séparations de biens dans la bourgeoisie marchande parisienne aux xviie-xviiie siècles », Annales de démographie historique, vol. 118, no. 2, 2009, pp. 33-52.
« Les magistrats […] sont assez hostiles [à la séparation ou divortium], car sa banalisation risquerait de miner une institution fondamentale dans l’organisation de la vie familiale et sociale. Le droit en distingue deux types : la séparation de corps et de biens, par laquelle le mari perd son pouvoir sur sa femme, et la séparation de biens qui ne rompt pas la vie commune. Ces affaires sont examinées par les juridictions royales, qui en dépossèdent les officialités en les préemptant ou selon la procédure d’appel comme d’abus […]. Quand elle réclame une séparation de biens, l’épouse cherche en principe à préserver ses intérêts matériels contre un mari peu scrupuleux, comme Marguerite Pilot qui, en 1785 dans le Maine, accuse Joseph Launay de dilapider son patrimoine. D’autres reprochent à leur époux de trop aimer le jeu ou de fréquenter assidûment les cabarets. Bref, comme le souligne B. Garnot, le naufrage économique est aussi souvent celui du couple.
En revanche, pour obtenir une séparation de corps, il faut avancer des motifs autrement plus graves, que la vie de l’un des conjoints soit en danger ou qu’il y ait du scandale (violences, insultes, abandon, hérésie). […] Dans 80% des cas, la séparation est accordée, mais rarement de manière définitive : 50% le sont pour une durée de trois ans et, à tout moment, la vie commune peut reprendre si la partie lésée le désire. Très bienveillante à l’égard des plaignants, l’officialité fait donc tout pour continuer à défendre l’institution matrimoniale. […]
Tous ces jugements, même quand ils entérinent la désunion du couple, ne permettent pas aux conjoints de refaire leur vie avec une autre personne. Pour cela, il faut obtenir une annulation de mariage […]. Les demandes d’annulation restent exceptionnelles, et toutes ne sont pas satisfaites, loin de là : dans le diocèse de Lyon, à peine onze dossiers sont déposés au XVIIIe siècle. »
Source : La famille en France à l'époque moderne : XVIe - XVIIIe siècle / Stéphane Minvielle
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