Question d'origine :
Pourquoi parlait-on de minitel rose alors que l'appareil était beige et marron ?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 28/01/2020 à 11h58
Bonjour,
Nous soupçonnons que « rose » dans l’expression consacrée ne désigne pas le coloris du moniteur de l’appareil, mais bien une connotation érotique dont est chargé l’adjectif, aux dires du Grand Robert de la langue française, dans « quelques syntagmes » :
Ballets roses. – Les messageries roses du Minitel, où s’échangent des messages érotiques. Presse, télévision rose, érotique ou pornographique (« soft »).
Cette connotation est présentée dans l’auguste dictionnaire comme un glissement de sens de la connotation du rose comme « de nature sentimentale, agréable ; qui évoque des événements heureux, évite les sujets pénibles (et travestit la réalité) ».
Les messageries érotiques à distance, ancêtres du chat sur internet et des sites de rencontre, ont connu leur heure de gloire au cours des années 1980-90, avant d’être supplantées par le web, faisant les choux gras de quelques journaux télévisés, faisant au passage quelques fortunes, telles que celle de Xavier Niel, actuel patron du fournisseur internet Free. Basées sur l’anonymat, elles permettaient à tout un chacun, moyennant un tarif à la seconde, de vivre ses fantasmes à coups de messages courts, préparant leurs usagers à de nouveaux modes de communication, comme le révèle la sociologue Josiane Jouët dans l’entretien « Le minitel rose : du flirt électronique... et plus, si affinités » (revue « Le Temps des médias » 2012, lisible en bibliothèque sur Cairn) :
« Il y avait une très large place laissée à l’imaginaire. Les pseudos étaient extrêmement importants, très peu de personnes utilisant leur vrai patronyme. Ceux qui le faisaient étaient d’ailleurs moqués par les autres. Ce pouvaient être des pseudos très explicites, par exemple « hchfdominatrice ». Mais il y avait aussi une très grande recherche des pseudos à partir de chansons, à partir de films, le résultat pouvait être très poétique. Par ailleurs, certains messageurs écrivaient en vers, manifestaient une recherche dans le style. L’humour était très courant aussi, avec beaucoup de jeux de mots. Dans ce protocole d’échange complètement désincarné, il n’y avait pas d’image. Pour attirer l’autre, il fallait donc jouer sur le pouvoir des mots. Pour une minorité, les messages étaient très travaillés. Mais il ne faut pas oublier qu’on ne pouvait écrire que quatre à cinq lignes par message, donc on ne pouvait pas se permettre un bavardage infini. Et c’est d’ailleurs sur les messageries roses qu’on a vu apparaître l’écriture texto dont on parle aujourd’hui. Parce que passer du temps sur les messageries coûtait cher, on l’a dit ; il fallait donc des messages rapides, et c’est là qu’on voit apparaître des abréviations, une écriture phonétique, des symboles, bref un langage original, ici mis au service de nouveaux codes amoureux. L’écrit était également important en tant qu’opérateur de sélection. On décidait de rencontrer untel parce qu’on aimait son style, on éliminait tous ceux qui faisaient trop de fautes d’orthographe, cela revenait souvent dans les entretiens. Cet opérateur de sélection recoupait souvent d’ailleurs des critères de sélection sociale car le texte des messages était révélateur du niveau culturel. »
Le rituel, révolutionnaire pour l’époque, paraît bien lourd à la journaliste Isabelle Hanne lorsqu’en 2012, à la veille de la suppression du service, elle tente de se connecter une dernière fois à 3615 Ulla en un ultime baroud d’honneur :
« D’abord allumer le Minitel, puis décrocher le téléphone, et taper 3615. Code ? «Ulla». En gros pixels, s’affichent les contours d’une femme nue, de profil et cambrée. «Pour vous présenter, tapez votre prénom ou un pseudo sympa, 4 à 31 caractères.» ISABELLE. «Votre numéro de département.» 75 ENVOI (la grosse touche verte). Sur le petit écran, les choix s’affichent ligne par ligne. «Horoscopes» , «envoi de SMS par Minitel» , «annonces rencontres» . On choisit «Dialoguez en direct, entre connecté(e)s.» L’écran balaye la liste, de gauche à droite : seize profils par page, pour 19 pages. Mais qui sont ces 300 utilisateurs encore connectés sur le 3615 Ulla, soixante-douze heures avant la disparition du Minitel (lire ci-dessous) ?
Illico, notre profil plaît. «Bonsoir, comment vas-tu ?» s’enquiert «Truc» du 94. «BONSOIR JE SUIS JOURNALISTE À LIBÉRATION ET JE CHERCHE DES TÉMOIGNAGES D’UTILISATEURS DU MINITEL JUSTE AVANT SA DISPARITION» -- nous n’avons pas trouvé la parade pour écrire en minuscules. Et ce texte, on va devoir le taper 30, 40 fois : le copier-coller n’existe pas sur Minitel -- ou alors nous ne l’avons pas trouvé. Et taper sur un clavier de Minitel demande beaucoup plus de muscles qu’un clavier d’ordinateur. Les touches sont plus dures et sonnent comme du bois creux qui s’entrechoque. Mais comment faisaient-ils, ces accros du Minitel rose, pour y passer la nuit sans réveiller bobonne ? »
(Source : Libération)
Toute une époque !
Bonne journée.
Nous soupçonnons que « rose » dans l’expression consacrée ne désigne pas le coloris du moniteur de l’appareil, mais bien une
Ballets roses. – Les messageries roses du Minitel, où s’échangent des messages érotiques. Presse, télévision rose, érotique ou pornographique (« soft »).
Cette connotation est présentée dans l’auguste dictionnaire comme un glissement de sens de la connotation du rose comme « de nature sentimentale, agréable ; qui évoque des événements heureux, évite les sujets pénibles (et travestit la réalité) ».
Les messageries érotiques à distance, ancêtres du chat sur internet et des sites de rencontre, ont connu leur heure de gloire au cours des années 1980-90, avant d’être supplantées par le web, faisant les choux gras de quelques journaux télévisés, faisant au passage quelques fortunes, telles que celle de Xavier Niel, actuel patron du fournisseur internet Free. Basées sur l’anonymat, elles permettaient à tout un chacun, moyennant un tarif à la seconde, de vivre ses fantasmes à coups de messages courts, préparant leurs usagers à de nouveaux modes de communication, comme le révèle la sociologue Josiane Jouët dans l’entretien « Le minitel rose : du flirt électronique... et plus, si affinités » (revue « Le Temps des médias » 2012, lisible en bibliothèque sur Cairn) :
« Il y avait une très large place laissée à l’imaginaire. Les pseudos étaient extrêmement importants, très peu de personnes utilisant leur vrai patronyme. Ceux qui le faisaient étaient d’ailleurs moqués par les autres. Ce pouvaient être des pseudos très explicites, par exemple « hchfdominatrice ». Mais il y avait aussi une très grande recherche des pseudos à partir de chansons, à partir de films, le résultat pouvait être très poétique. Par ailleurs, certains messageurs écrivaient en vers, manifestaient une recherche dans le style. L’humour était très courant aussi, avec beaucoup de jeux de mots. Dans ce protocole d’échange complètement désincarné, il n’y avait pas d’image. Pour attirer l’autre, il fallait donc jouer sur le pouvoir des mots. Pour une minorité, les messages étaient très travaillés. Mais il ne faut pas oublier qu’on ne pouvait écrire que quatre à cinq lignes par message, donc on ne pouvait pas se permettre un bavardage infini. Et c’est d’ailleurs sur les messageries roses qu’on a vu apparaître l’écriture texto dont on parle aujourd’hui. Parce que passer du temps sur les messageries coûtait cher, on l’a dit ; il fallait donc des messages rapides, et c’est là qu’on voit apparaître des abréviations, une écriture phonétique, des symboles, bref un langage original, ici mis au service de nouveaux codes amoureux. L’écrit était également important en tant qu’opérateur de sélection. On décidait de rencontrer untel parce qu’on aimait son style, on éliminait tous ceux qui faisaient trop de fautes d’orthographe, cela revenait souvent dans les entretiens. Cet opérateur de sélection recoupait souvent d’ailleurs des critères de sélection sociale car le texte des messages était révélateur du niveau culturel. »
Le rituel, révolutionnaire pour l’époque, paraît bien lourd à la journaliste Isabelle Hanne lorsqu’en 2012, à la veille de la suppression du service, elle tente de se connecter une dernière fois à 3615 Ulla en un ultime baroud d’honneur :
« D’abord allumer le Minitel, puis décrocher le téléphone, et taper 3615. Code ? «Ulla». En gros pixels, s’affichent les contours d’une femme nue, de profil et cambrée. «Pour vous présenter, tapez votre prénom ou un pseudo sympa, 4 à 31 caractères.» ISABELLE. «Votre numéro de département.» 75 ENVOI (la grosse touche verte). Sur le petit écran, les choix s’affichent ligne par ligne. «Horoscopes» , «envoi de SMS par Minitel» , «annonces rencontres» . On choisit «Dialoguez en direct, entre connecté(e)s.» L’écran balaye la liste, de gauche à droite : seize profils par page, pour 19 pages. Mais qui sont ces 300 utilisateurs encore connectés sur le 3615 Ulla, soixante-douze heures avant la disparition du Minitel (lire ci-dessous) ?
Illico, notre profil plaît. «Bonsoir, comment vas-tu ?» s’enquiert «Truc» du 94. «BONSOIR JE SUIS JOURNALISTE À LIBÉRATION ET JE CHERCHE DES TÉMOIGNAGES D’UTILISATEURS DU MINITEL JUSTE AVANT SA DISPARITION» -- nous n’avons pas trouvé la parade pour écrire en minuscules. Et ce texte, on va devoir le taper 30, 40 fois : le copier-coller n’existe pas sur Minitel -- ou alors nous ne l’avons pas trouvé. Et taper sur un clavier de Minitel demande beaucoup plus de muscles qu’un clavier d’ordinateur. Les touches sont plus dures et sonnent comme du bois creux qui s’entrechoque. Mais comment faisaient-ils, ces accros du Minitel rose, pour y passer la nuit sans réveiller bobonne ? »
(Source : Libération)
Toute une époque !
Bonne journée.
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