Brecht et Aristote

Réponse du Département Civilisation


La distanciation est un moyen stylistique et une composante fondamentale du théâtre selon Bertolt Brecht. L’action est interrompue par des commentaires ou des chansons pour que toute illusion soit détruite chez le spectateur. Selon la théorie brechtienne ce genre de procédé introduit une distance critique vis à vis de ce qui est représenté.

En voici quelques exemples :
--- les comédiens se dépouillent de leur rôle et se tournent vers le public pour discuter de ce qui vient de se passer.
---- on montre des possibilités d’actions alternatives qui seraient restées ouvertes aux protagonistes dans d’autres circonstances.
--- aménagement spartiate de la scène et utilisation courante de costumes ordinaires au lieu des costumes d’époque.
--- les acteurs eux-mêmes doivent conserver une certaine distance par rapport à leur rôle pour que le spectateur ne puisse pas percevoir les protagonistes comme des figures auxquelles il pourrait s’identifier. Par là on évite d’influencer le spectateur d’une manière unilatérale, ce qui permet à celui-ci de considérer de manière critique les motifs des protagonistes.
--- les personnages ont souvent un caractère symbolique et sont interchangeables à volonté. On suscite fort peu d’émotions, le théâtre épique a de plus un point de vue extérieur sur elles.

Ce théâtre « épique », fondé sur la distanciation, se situe (selon Brecht) aux antipodes du théâtre aristotélicien. Le théâtre classique cherchait à provoquer l’empathie du spectateur pour les personnages représentés, la distanciation conduit à une confrontation du spectateur avec les personnages. Et cette mise à distance somme le spectateur de donner lui-même le sens de la pièce (interprétation au lieu d’identification).

Brecht espérait, en indiquant des solutions alternatives, pouvoir susciter des changements politiques et culturels.

Il utilisait rarement dans ses œuvres des héros classiques comme personnages principaux, mais la plupart du temps des personnages qui apparaissent peu sympathiques au spectateur, avec lesquels il est difficile de s’identifier étroitement et dont on ne peut dès l’abord prendre le parti. Cela produit chez le spectateur une distance supplémentaire et doit préserver son objectivité.

Ce qui est familier doit être reconnu dans ce qui est distancié, pour cela est requise une collaboration active, mais distanciée (rationnelle) du spectateur. Il doit sa propre situation et se reconnaître concerné pour en tirer des conséquences pour sa propre vie s’engager éventuellement dans les relations sociales et politiques de son temps.

Pour vous faire une idée plus précise des conceptions brechtiennes, consultez le volume des œuvres de Brecht édité dans la collection de la Pléiade intitulé Ecrits sur le théâtre, en particulier pp. 256-265, 290-294, 322-329 et le court essai de 1948 « Petit organon pour le théâtre » pp. 353-390.

Naturellement les choses ne sont pas aussi simples que ces quelques indications schématiques pourraient le laisser croire. Dans le théâtre classique on trouve aussi des effets de distanciation et dans celui de Brecht intervient aussi la bonne vieille méthode de l’identification.

Un bon exemple du premier cas se trouve dans la tragédie d’Eschyle : Les Perses. A ce sujet consultez le site pédagogique suivant : cpge-cpa.ac.ma

Pour une discussion fouillée du rôle de la notion d’identification au théâtre et de son évolution : mimesis

Sur la notion de « mimesis » à un point de vue plus philosophique, vous pouvez consulter le livre classique de Pierre Somville Essai sur la poétique d’Aristote : et sur quelques aspects de sa postérité où l’auteur montre que de Platon à Aristote la notion, de largement négative qu’elle était, prend une valeur beaucoup plus positive.


Pour finir, quelques documents utiles en ligne :
- ditl.info
- wikipedia.org
- ac-nancy-metz.fr
- marocagreg