Comment se pratiquait la médecine sous l'Empire Romain ?
Question d'origine :
Salut,
Comment se pratiquait la médecine sous l'Empire Romain ?
Je ne trouve presque rien sur ce sujet sur internet !
Merci à vous !
Réponse du Guichet
La médecine romaine s'inspire fortement de la médecine hellénistique (les premiers médecins qui pratiquent à Rome viennent de Grèce). Nous vous proposons quelques références bibliographiques qui vous permettrons d'approfondir le sujet.
Bonjour,
Pour commencer, voici deux ouvrages présents dans nos collections qui pourront vous intéresser:
- La médecine à l'époque hellénistique et romaine : Galien : la survie d'Hippocrate et des autres médecins de l'Antiquité / Simon Byl
- Histoire de la médecine : de l'Antiquité à nos jours / Roger Dachez (chapitre IV : Rome et la synthèse de la médecine antique, p.165 à 229
Le premier est consacré notamment à Soranos et Galien, deux médecins ayant exercé à Rome et dont certains écrits ont survécu jusqu'à nous. Le deuxième nous en apprend plus sur le statut des médecins dans la Rome antique, et vous y trouverez également des éléments sur les pratiques.
La médecine romaine s'inspire fortement de la médecine hellénistique (les premiers médecins qui pratiquent à Rome viennent de Grèce). C'est une information que nous retrouvons dans l'article de Fabienne Olmer, La médecine dans l'Antiquité : professionnels et pratiques, consultable sur Cairn :
La médecine romaine se veut différente de la médecine hellénistique mais, au départ, elle s’en inspire fortement et fait même appel à ses Dieux, pour combattre les épidémies. C’est ainsi que Rome a accueilli Apollon, installé aux prés flaminiens en 433-431 avant J.-C., en acquittement d’un vœu fait «pour la santé du peuple» à la suite d’une épidémie de peste. Elle a accueilli Asklépios/Esculape en 291 avant J.-C., en face de l’île Tibérine, après qu’une ambassade s’est rendue à Épidaure.
La médecine romaine se pratique dans plusieurs cadres: le temple, l’iatreion, des cabinets privés où les malades viennent rencontrer le médecin, sorte de dispensaire ou de clinique. Il existe également des médecins itinérants et des médecins publics (medicus publicus), ne relevant pas d’une institution charitable mais d’un emploi de fonctionnaire payé par la ville, à l’exemple de T. Cacilius Optatus, medicus coloniae Nemausensium (CIL XII, 3 343). La médecine légale fait aussi son apparition dans le cadre de procès, mais sans jamais devenir une spécialité. Et bien sûr des hommes de l’art se sont spécialisés auprès de certaines activités, comme les gladiateurs, qui nécessitent des soins spéciaux, ou bien sont affiliés à des collèges ou des corporations (schola), à la manière de cliniques.
Dans les camps militaires romains sont créés les premiers hôpitaux militaires, les valetudinaria, où sont soignés les blessés durant les campagnes. Celui du camp de Inchtuthil (Écosse) est composé de quatre bâtiments; on connaît d’autres exemples de valetudinaria sur le limes germanique à Xanten (en Allemagne, l’ancienne Colonia Ulpia Traiana) et à Vindonissa (actuelle Windich, en Suisse).
Les sanctuaires des eaux sont nombreux en Gaule, illustration du syncrétisme des cultes à l’origine liés à la nature intégrés dans le panthéon gallo-romain. Ainsi le sanctuaire «naturel» des Roches à Chamalières (Puy-de-Dôme), se présente-t-il comme une cuvette en eau où étaient plantées des milliers de statuettes de pèlerins et d’ex-voto anatomiques en bois, notamment des bras et des jambes, disposés à l’intention de la divinité locale Appolon-Maponos, associé à une croyance thérapeutique.
Notons également l'apparition de certaines spécialités :
La plupart des prtaiciens étaient généralistes, surtout dans les débuts de la médecine romaine. Avec le temps des spécialisations apparurent. Au Ier siècle de notre ère, le poète Martial ironisait sur la multiplicité des sortes de médecins que l'on pouvait trouver à Rome, mais déjà Cicéron, cent conquante ans plus tôt, écrivait dans son dialogue De l'orateur :
"Crois-tu que du temps du grand Hippocrate de Cos, il y avait des médecins spécialisés dans les traitements, les uns des maladies, d'autres des blessures, d'autres encore des yeux ?"
Telles semblent avoir été, en effet, si l'on en juge par les inscriptions qui nous sont parvenues, les trois grandes subdivisions de l'art médical romain. Les cachets des médecins portent le plus souvent l'une des trois mentions medicus, chirurgicus ou ocularius. Beaucoup plus rarement, on trouve medicus auricularius, ancêtre probable des otologistes. Cette évolution paraît du reste surtout marquée dans les seules villes où le nombre important d'habitants permettait à un spécialiste de trouver suffisamment de patients. Plus fondamentalement, pourtant, elle traduit aussi le fait qu'au tournant du Ier siècle, comme Celse lui-même le constatera avec un peu de nostalgie, le développement des connaissances médicales rendait de plus en plus difficile à un seul homme de les maîtriser toutes. Si le statut de l'ophtalmologie demeure à part, il résultera de la séparation progressive des chirurgiens et des médecins un statut différent pour ces deux catégories de praticiens : les médecins s'arrogeront la partie noble de l'art, celle qui cultive la théorie et la réflexion, les chirurgiens se concentrant sur la qualité du geste et l'habileté de l'opérateur. Ces derniers perdront ainsi peu à peu le contact avec une certaine médecine intellectuelle et, vers le Ve siècle de notre ère, la figure du chirurgien sera devenue nettement inférieure à celle du médecin. Les barbiers-chirurgiens du Moyen Âge européen hériteront de cette infériorité et il leur faudra des siècles pour recouvrer leur pleine dignité.
Les médecins romains se préoccupèrent cependant de ces questions et songèrent à se regrouper, à la fois pour se reconnaître et pour contrôler, autant qu'il était possible, la formation des jeunes praticiens.
Source : Histoire de la médecine : de l'Antiquité à nos jours / Roger Dachez
L’ophtalmologie
L’ophtalmologie est une science ancienne que les Gaulois et les Romains ont portée à un stade très avancé de connaissances, puisque les remèdes étaient nombreux et les interventions parfois très audacieuses. La statuaire funéraire évoque souvent la visite chez un médecin spécialiste des yeux [ill. 16] et nous disposons d’une quantité assez importante de cachets dits «d’oculiste» qui sont en fait des petits objets de bronze permettant d’imprimer des «ordonnances», pour traiter telle ou telle affection. Le nombre d’instruments médicaux destinés aux soins est tout à fait conséquent et propre à traiter des affections assez délicates. Ainsi la découverte d’une «trousse» d’ophtalmologiste dans la Saône, à Montbellet (Saône-et-Loire, France) et datée de la fin du iie ou du iiie siècle de notre ère, permet-elle même de reconnaître certains outils qui ont facilité les opérations de la cataracte avec extraction du cristallin: après avoir percé l’œil, une aiguille creuse permet d’aspirer la membrane opaque. Les opérations traditionnelles consistent à déplacer le cristallin sur la paroi latérale de l’œil laissant ainsi passer les images et la lumière [ill. 17], ce que pratiquent encore les tradipraticiens au Sahel, où l’on rencontre cette chirurgie traditionnelle très fréquente. De très nombreux médicaments ont été inventés dans l’Antiquité afin de soigner les affections ophtalmologiques. Souvent élaborés sous forme de petits pains de pâte pressés, ils portent une estampille en relief faite à l’aide de ces cachets dits «d’oculistes», découverts notamment en Gaule, permettant de connaître le nom du praticien et les substances composants la préparation de cette pâte qui était ensuite diluée ou grattée. Ainsi connaît-on des recettes à base d’extrait de plantes, «au safran» (crocodes), «à la rose» (diarhodon), «aux feuilles de buis» (pyxinum)… et autres pépins de coing, chélidoine, romarin, ayant des vertus avérées pour le traitement des maladies des yeux, associés aux actions curatives des métaux. Sont également mis à contribution dans ces mêmes traitements, les sels de mercure, de fer, de cuivre, de plomb, de soufre et des matières animales, notamment des graisses utilisées comme exci-pients.
Le médecin Q. Junius Taurus a ainsi fait graver à son nom plusieurs cachets (eux-mêmes gravés sur trois ou quatre faces), qui mentionnent des actifs correspondant à des affections et des traitements précis: opacité de la cornée, blépharite, trachome, écoulement. Au regard des connaissances actuelles, la pharmacopée antique utilisant ce type de produit suscitait certainement de bons résultats «contre les écoulements» (ad omnes liquores), «contre les brûlures» (ad adustiones) ou encore «contre les suppurations» (ad suppurationes) [ill. 18].
Source : La médecine dans l'Antiquité: professionnels et pratiques, Fabienne Olmer
Dans son ouvrage Histoire des médecins : artisans et artistes de la santé de l'Antiquité à nos jours, Stanis Perez évoque notamment les traitements caractéristiques de la médecine gréco-romaine :
Parmi les traitements caractéristiques de la médecine gréco-romaine, on peut retenir les bains, les massages, le vin, les saignées, les clystères destinés à ramollir les selles et à en débarrasser les intestins, les remèdes provoquant l'urine, les cataplasmes à base d'épices, de fruits, de céréales ou de vin, les boissons à base de miel (le mélicrat), les vomitifs et bien d'autres substances employées pour rafraîchir, réchauffer ou soulager le malade. Galien recommande aux patients atteints de fièvre tierce un véritable régime diététique à base de laitue, de concombre et de la fameuse ptisane d'Hippocrate, préparée à base d'orge mondée. Ces aliments rafraîchissants, comme la chair de porc bouillie, doivent aider le corps à lutter contre l'élévation de la température. Le miel, la moutarde et les viandes salées sont proscrites et en cas de fièvre quarte, le patient pourra prendre, selon la gravité de son état, de l'ellébore blanc ou pur. Dans les cas graves, la célèbre thériaque de Mithridate ou d'Andromaque est conseillée. Ce remède, fabriqué à base de chair de vipère séchée, d'opium et de miel, est un électuaire longtemps considéré comme la panacée. Avec ses soixante-cinq composants, il était réputé infaillible et parfait, même si Galien crut bon d'y ajouter une dizaine de substances supplémentaires et d'y consacrer deux traités intitulés Thériaque à Pison et Thériaque à Pamphilianus.
L'opuscule Sur la goutte, attribué à Rufus d'Ephèse, nous renseigne avec précision sur la thérapeutique employée dans les cas de douleur aux articulations, une maladie ayant inspiré de nombreux auteurs de l'Antiquité. Le texte constitue un exemple éloquent de ce que préconisent les médecins, à savoir un "régime de vivre" complet comportant exercices appropriés, conseils diététiques et traitements adaptés. ce programme thérapeutique est également d'une grande cohérence : tous les remèdes et aliments cités sont considérés comme "secs", et même le sel marin est interdit. L'objectif est d'assécher au maximum le corps du goutteux pour en évacuer l'humeur superflue dans ses articulations ou pour en relâcher le ventre et la vessie, dût-on pratiquer des saignées ou des scarifications.
Chaque substance végétale ou animale est choisie par le médecin en vertu de sa propre expérience, de ses lectures (Dioscoride, Pline, Marcellus ou Scribonius Largus font autorité) et de ses compétences en physique ou en histoire naturelle. La connaissance de la nature constitue un socle essentiel de la pratique médicale, comme le déclare Aristote :
D'autre part, il revient au naturaliste d'examiner les premiers principes de la santé et de la maladie. En effet, il ne peut y avoir ni santé ni maladie chez les êtres privés de vie. C'est pourquoi l'on peut dire de la plupart de ceux qui étudient la nature, ainsi que des médecins qui s'adonnent à leur art avec le plus de philosophie, que les premiers parachèvent leur recherche avec la médecine, et que les autres commencent la médecine avec la physique.
L'ouvrage dirigé par Alain Froment et Hervé Guy, Archéologie de la santé, anthropologie du soin nous fournit certaines précisions sur les "maisons médicales" gréco-romaines et les hôpitaux militaires romains (article d'Hamida Chaouky, Les Hôpitaux et les lieux de soin dans l'Antiquité et au Moyen Âge) :
Les "maisons médicales" gréco-romaines
Les iatreia sont de véritables maisons médicales dédiées dans les cités grecques aux soins du corps des citoyens et des esclaves (soignés par des auxiliaires serviles du médecin). Les médecins privés ou publics résidant dans une ville avaient toujours un cabinet de consultation, mais possédaient aussi souvent une officine plus complète, appelée dans le monde romain la taberna medica ou medicina, composée des éléments suivants : la demeure du médecin, de sa famille, de ses auxiliaires et de ses esclaves, une pharmacie, une salle d'opération, une salle de consultation, une ou plusieurs chambres pour accueillir les malades et les hospitaliser avant ou après une opération, au cours d'une maladie ou au début d'une convalescence. L'iatreion était tantôt la propriété de la ville, dirigée par le médecin public, tantôt celle du médecin qui exerçait à son compte.
L'iatreion public devait être installé dans une maison de grandes dimensions, percée de larges ouvertures laissant passer l'air et la lumière à flots, mais protégée du vent et du soleil qui fatiguent les yeux des malades. La salle d'opération était pourvue de toutes sortes d'instruments, d'appareils fixes (tels que le banc d'Hippocrate) pour réduire les luxations, de sièges, de baignoires, de vases, bassins, couteaux, bistouris, ventouses, cautères, scalpels, seringues, sondes pour les oreilles, arrache-dents, trépans, outils pour couper la luette, bandes, compresses, coffrets à onguents, etc. Les instruments devaient tous être en bronze et les serviettes et les éponges parfaitement propres. Les médicaments simples ou composés se préparaient dans la pharmacie.
Les hôpitaux militaires romains
C'est principalement par l'auteur latin Végèce que nous connaissons les hôpitaux militaires chez les romains, appelés valetudinaria. Des fragments de textes d'Onésandre, Galien et Tatius y font aussi référence. De nombreuses épigraphies témoignent également de la présence de médecins dans les camps consignant les légions romaines à partir du 1er siècle de notre ère. Le service de santé ne semble avoir eu une organisation militaire pérenne et une hiérarchie qu'à partir du règne d'Auguste. les seuls médecins présents durant la République étaient les médecins esclaves que les chefs militaires faisaient suivre à titre privé durant les campagnes.
Le premier hôpital militaire permanent se situe probablement au sein du camp abritant les trois légions qui défendaient Rome durant le règne d'Auguste. Hygin, fonctionnaire s'occupant de l'implantation et de l'installation des camps militaires de l'Empire durant le IIe siècle de notre ère, a donné une description du valetudinarium dans son ouvrage Des Fortifications du camp.
L'épigraphie et le traité de Végèce sont les principales sources témoignant du fonctionnement et de l'administration du valetudinarium, assurés par un administrateur de l'hôpital (optio valetudinarii), que l'on peut traduire par aide ou adjudant. L'épigraphie nous montre que ce poste pouvait évoluer durant une carrière administrative : une stèle découverte à Bénévent, en Campanie, témoigne de la carrière de Sabinus Lucius - qui prit son congé en 134 et décéda en 146 - et décline les différents postes qu'il occupa : adjutor, secutor tribunii, optio arcarii, etc.
Thomas Reisenius (1587-1667), médecin et épigraphiste, définit le rôle de l'infirmier au sein du valetudinarium. C'était très probablement un esclave qui occupait cette fonction car il n'était pas immatriculé et ne faisait donc pas partie de l'armée.
Les medici ordinarii ou les medici legionis examinent les hommes malades ou blessés sous leur tente et ne les admettent dans les valetudinaria qu'en cas de problèmes graves. Ces médecins étaient sous les ordres du medicus castrensis, le médecin chef du camp légionnaire. Lors de grandes épidémies ou après des batailles meurtrières, le valetudinarium pouvait recevoir jusqu'à cinq cent blessés ou malades dont certains, très graves, pouvaient être alités dans les habitations situées aux environs de la zone du camp délaissé par l'armée en campagne. Les habitants étaient ensuite dédommagés pour les soins prodigués. Parfois, les malades suivaient l'armée, placés sur des chariots suspendus, les carpenta, mis à disposition des légionnaires invalides par les chefs militaires qui n'avaient de cesse de se soucier de la santé de leurs hommes.
Nous ne retrouvons aucune source mettant en évidence l'existence d'hôpitaux civils. Lors de la catastrophe de Fidènes sous Tibère - l'effondrement de l'amphithéâtre qui fit près de 50 000 victimes - , Tacite rapporte que les maisons des citoyens s'ouvrirent pour accueillir les blessés mais il ne mentionne pas de valetudinarium.
Quelques autres références qui pourront vous intéresser, consultables sur Cairn :
- Bonnard, Jean-Baptiste, Véronique Dasen, et Jérôme Wilgaux. « Les technai du corps : la médecine, la physiognomonie et la magie », Dialogues d'histoire ancienne, vol. 14, no. Supplement14, 2015, pp. 169-190.
- Blonski, Michel. « Corps propre et corps sale chez les Romains, remarques historiographiques », Dialogues d'histoire ancienne, vol. 14, no. Supplement14, 2015, pp. 53-82.
Bonne journée.