À quoi servaient initialement les balcons filants sur les derniers étages des immeubles ?
Question d'origine :
À quoi servaient initialement les balcons filants sur les derniers étages des immeubles ?
Réponse du Guichet
Même si nous n'avons trouvé aucun document l'exposant explicitement, les sources que nous avons trouvées nous inclient à penser que cette particularité tient à l'adaptation du modèle haussmannien parisien à l'urbanisme lyonnais.
Bonjour,
Dans une réponse à une précédente question sur le même sujet, nos collègues de la documentation régionale disaient ceci :
Voici une étude architecturale Le balcon, entre ornement et débarras dans les habitats modestes où l'on trouve une définition (p. 17) :
« L’association du balcon au logement constitue, à l’origine, un signe distinctif de richesse réservé à la haute bourgeoisie. Sa présence sur la façade des immeubles de rapport distingue les étages les plus nobles. Sa fonction joue un rôle avant tout ornemental et sert de lieu d’apparat. Les riches habitants y surplombent la rue, à la fois acteurs et spectateurs de cette scène permanente. Fonctionnellement, le balcon, souvent étroit et filant, offre une circulation extérieure parallèle entre les pièces du logement. »
D’après les ouvrages que nous avons consultés, le balcon filant du deuxième étage des immeubles parisiens haussmanniens était destiné anoblir cet étage destiné aux bourgeois les plus aisés. Leur appartement était ainsi agrandi par un lieu en surplomb et protégé du bruit de la rue.Le balcon filant du dernier étage, destiné aux habitants socialement plus modestes, permettait d’équilibrer l’architecture de la façade.
C’est donc pour une raison sociale et décorative qu’on trouve souvent deux balcons filants à Paris.
Nicolas Jacquet consacre un chapitre de son ouvrage Façades lyonnaises à la transformation de la presqu'île sous le Second Empire, à l'époque même des travaux du baron Haussmann à Paris. C'est par le percement de grandes artères telles que la rue Centrale (aujourd'hui rues Chenavard puis de Brest), à partir de 1850, puis la rue Impériale (rue de la République) en 1856, que les préfets lyonnais Jaÿr puis Vaïsse
Pour l'élite lyonnaise, traumatisée par les révoltes des canuts de 1831 et 1834, la question est celle de l'archaïsme d'un centre urbain congestionné et pris en otage par une population ouvrière. Le coeur de la Presqu'île et les pentes de la Croix-Rousse se sont considérablement paupérisés et les logements ne correspondent plus aux normes de confort de la société bourgeoise. Il devient dès lors nécessaire de rééquilibrer géographiquement la ville entre les nouveaux quartiers bourgeoise et un centre asphixié et délabré afin de réinvestir économiquement le coeur commerçant historique.
C'est à bon droit qu'on compare cette politique à celle d'Haussmann à Paris, mais il ne s'agit pas d'une copie conforme. On parlera d'architecture "vaïssienne", du nom de Claude-Marius Vaïsse, préfet du Rhône de 1853 à 1864, qui coordonne les travaux. Par goût esthétique mais aussi du fait de contraintes topographiques, cette architecture s'appuie "sur une tradition architecturale méridionale qui privilégie le travail ornemental sur d'étroites parcelles et sur de courtes perspectives afin de produire des effets d'élancement spectaculaires" :
Ainsi, les percées lyonnaises n'atteignent pas les effets solennels visibles à Paris et aucune perspective ne porte le regard sur un édifice public magistralement individualisé. [...] L'étroitesse du site de la Presqu'île ne saurait permettre de reproduire le gabarit des percées parisiennes. Pour Vaïsse, il s'agit de donner à Lyon un écrin qui glorifie l'activité commerciale par la création d'espaces publics intimistes, propres à une civilité bourgeoise méridionale. A l'opposé des artères parisiennes qui doivent décongestionner la circulation, les artères lyonnaises sont conçues comme une ponctuation et une promenade à vocation commerciale. Les effets de perspective des balcons filants y sont plus rares. [...]
Jacquet insiste sur l'aspect "hétéroclite" des façades, soulignant la "volonté d'autonomie" d'une bourgeoisie dont "le commerce est le fondement de la richesse individuelle". Et de fait, les photos des ouvrages que nous avons consultés montrent des ornementations très différentes d'une façade à l'autre, malgré des bâtiments proportionnellement très harmonieux entre eux : certains immeubles sont dépourvus de balcons filants, d'autres en ont deux, et d'autres encore, comme vous le soulignez, un seul au dernier étage, qui est généralement le cinquième. Avec parfois, à "l'étage noble", des balcons individuels à chaque fenêtre.
Nous pensons en somme que le balcon traversant unique, lorsqu'il est présent, résulte de l'adaptation du modèle haussmannien à la réalité physique de Lyon : faute de grandes perspectives, c'est sur la verticalité qu'il se serait agi d'attirer l'attention avec des "effets d'élancement" (verticaux, donc) spectaculaires, que les balcons ont peut-être fonction de mettre en valeur.
Documents consultés :
- Villes haussmanniennes : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille / Patrice de Moncan, Marc Saboya, Marie-Josèphe Lussien-Maisonneuve, Jean-Paul Duffieux, Denise et Claude Jasmin
- Lyon, entre Bellecour et Terreaux : urbanisme et architecture au XIXe siècle / Bernard Gauthiez
- Le système de la façade & de la baie : maisons à loyer urbaines du XIXe siècle / Ministère de l'Équipement & du logement et alii
- Vingt siècles d'architecture à Lyon (et dans le Grand Lyon) : des aqueducs romains au quartier de la Confluence / Jacques Beaufort ;
- Façades lyonnaises : 2000 ans de création architecturale et de confluence culturelle / Nicolas Jacquet ; préface de Régis Ney
Bonne journée.