Quelle est l'histoire du "durag", ce couvre-chef porté par les esclaves noirs aux États-Unis ?
Réponse du Guichet
Foulard de tête caractéristique de la culture hip-hop, l'histoire du durag se mêle à celle des Afro-Américains depuis l'époque de l'esclavage.
Bonjour,
Dans l'ouvrage d'Annette Lynch et Mitchell D. Strauss Ethnic Dress in the United States: A Cultural Encyclopedia, consultable sur Google livres (en anglais, traduit par nos soins), nous lisons :
Le do-rag, aussi orthographié "doo-rag" ou "du-rag", est un couvre-chef extensible en nylon ou polyesther avec un long pan couvrant la nuque et un lien de chaque côté de la tête pour assurer le maintien. Un authentique do-rag des temps modernes ne doit pas être confondu avec le bandana qu'utilisent les motards pour empêcher leurs cheveux de flotter pendant qu'ils roulent. Un bandana est une simple pièce de tissu pliée en deux pour en faire un couvre-chef, alors qu'un do-rag est fait de plusieurs pièces de textile cousues ensemble pour obtenir une forme qui couvre confortablement la tête. Un do-rag peut être fabriqué à partir de deux à cinq (voire plus) pièces de tissu. Les do-rags ont pu être appelés "pressing caps" des années 1930 à 1960. Aujourd'hui on les appelle "wave caps" parce qu'ils sont utilisés pour créer un motif de vague dans les cheveux ou pour maintenir les tresses africaines ou toute autre coiffure.
Selon l'article, les premiers prémisses du do-rags furent des foulards dont on trouve la trace en ancienne Egypte, à l'époque de la première dynastie, "de simples pièces de tissus semi-circulaires roulées et rejetées en arrière". Ces couvre-chefs avaient déjà un lacet permettant de les attacher fermement. Il s'agissaient de vêtements destinés à protéger les cheveux lors de travaux salissants.
Le do-rag moderne apparait parmi les esclaves noirs des Etats-Unis dès le XVIIIè siècle, fait de haillons de coton cousus ensemble et attachés à la tête. Il était porté par les esclaves des deux sexes pour se protéger contre les poux et les teignes. Associé à l'esclavage, l'accessoire fut ensuite utilisé pour distinguer des blancs certains métis très clairs. Puis dans les années 1930, les do-rags acquirent la réputation d'aplatir les cheveux des Noirs, dans un contexte de société raciste où les cheveux crépus étaient dépréciés : après l'application d'un produit cosmétique sur les cheveux, ceux-ci étaient serrés dans le do-rag pendant la nuit. Cela donnait une coiffure très spéciale, appelée "conk", vite associée aux pauvres, aux proxénètes et aux voyous - réputation dont héritèrent les porteurs de do-rags.
Aujourd'hui accessoire de mode, le do-rag n'a pas perdu sa mauvaise réputation, au point que la ligue nationale de football américain en a proscrit le port sous le casque en 2001. Il est pourtant devenu un élément central du style hip-hop et de la mode masculine noire américaine, avec des aficionados tels que LL Cool J ou Snoop Dog.
Un article du Monde rapporte que le durag aurait été à l'origine surtout imposé aux femmes esclaves : "Selon le dictionnaire urbain (Urban Dictionary), il tirerait son nom de la contraction de «doo» (coiffure) et «rag» (chiffon): un tissu que les femmes noires étaient contraintes de porter durant l’esclavage, la loi Tignon les obligeant à dissimuler leur chevelure, considérée comme trop voyante. Une manière de les marquer, voire de nier leur identité." Mais depuis une dizaine d'années, du fait de sa présence grandissante dans l'industrie de la musique, il s'est acheté une respectabilité, jusqu'à être porté par Rihanna sur la couverture de Vogue. Tout en restant profondément ambivalent :
Et puis, au cours des années 2010, le rap et ses codes connaissent un succès commercial inédit: ils deviennent… «respectables». En2014, alors que des artistes noirs recommencent timidement à le porter, des influenceuses non noires de tous bords l’exhibent fièrement. Chanel décide d’en commercialiser. Une idée rapidement abandonnée, la maison française étant accusée d’appropriation culturelle. «Le durag est accepté selon qui le porte. Lorsqu’une fille des beaux quartiers l’arbore, c’est une innovation. Si c’est un homme noir du ghetto, c’est menaçant. C’est ce que les détracteurs de Chanel ont alors voulu dénoncer», explique Mame-Fatou Niang.
En février 2019, le lycée John Muir de Pasadena, en Californie, a modifié son règlement pour refuser à ses élèves le port du durag en son sein. Une interdiction presque anachronique mais reprise dans plusieurs autres établissements du pays, malgré les protestations.
Anachronique car nombreux sont ceux qui avaient vu l’année précédente cet accessoire sur les images du défilé Fenty × Puma bombardées pendant la Fashion Week de New York, ou apparaître dans le clip Apeshit des Carters (Jay-Z et Beyoncé), tourné au Louvre. En fin d’année dernière, le rappeur Isha, sage de la nouvelle scène rap belge, lui consacrait aussi un titre dans lequel, désabusé, et du haut de ses 34ans, il disait «ne croire qu’en l’élasticité de [son] durag». Autrefois diabolisé, objet de stigmatisation raciste, il sort la tête de l’eau. Jusqu’à devenir, de Minneapolis au parvis du tribunal de Paris, un symbole de beauté, de confiance en soi et de fierté.
C'est sans doute pour ces raisons que le durag porté par Rihanna sur la couverture de Vogue en mars 2020 a fait les choux grans d'Huffington post et du Courrier international...
Pour aller plus loin sur l'histoire et la culture afro-américaine :
Bonne journée.