Que signifient ces lettres sur une mosaïque de la cathédrale de Fourvière ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je fais une recherche sur les mosaïques de Notre Dame de Fourvière de Lyon et j'aimerais savoir la signification des P dorés et ornementés en bas à gauche de la mosaïque de la bataille de Lépante.
Merci d'avance pour votre réponse.
Réponse du Guichet
Les "P" dorés et ornementés en bas à gauche de la mosaïque de la bataille de Lépante font référence au pape Pie V, «Pieux Pie (V)».
Bonjour,
Vous vous interrogez sur la symbolique et la signification des caractères «P» figurant en bas à gauche de la mosaïque de la bataille de Lépante de la basilique de Fourvière.
Il s’agit d’une œuvre de Charles Lemeire qui fut installée dans la basilique en 1900. Le thème a été choisi par l’architecte de Fourvière Pierre Bossan.
Afin de répondre précisément à votre question, je suis entré en contact avec le Pôle Culture de la Fondation Fourvière que nous remercions. Nous avons ainsi été orientés vers M. Jean-Paul Brusq, l’un des archivistes de Fourvière, qui nous a apporté une réponse riche, précise et détaillée. Nous vous la restituons ci-dessous. Nous tenons à le remercier tout particulièrement.
Voici la réponse :
«Tout d’abord une petite précision sur «l’intitulé» de cette mosaïque.
Le 07 octobre 1571 s’est déroulée la bataille navale dite «bataille de Lépante», qui vit s’opposer la flotte de «La Sainte Ligue» (initiée par le pape Pie V) et la flotte ottomane du sultan Sélim II.
La victoire de cette bataille appartient au prince Don Juan d’Autriche (commandant la flotte chrétienne) qui écrasala flotte du sultan.
A Fourvière, il ne s’agit pas de glorifier cette bataille, mais de faire le lien entre, «l’Histoire» en générale, et «Marie» en particulier.
Pendant la bataille, il est dit que Pie V récita «le Rosaire» (1) pour solliciter Marie, et, suite à la victoire, il institua la liste des quinze«mystères du Rosaire».
Cette mosaïque incarne donc l’institution des «mystères du Rosaire» et non pas la «bataille de Lépante» qui n’en est que l’inspiration.
En conclusion, si les «mystères du Rosaire» avaient été créés dans d’autres circonstances, cette bataille ne ferait pas partie des mosaïques de Fourvière!
> Voir l'image associée, fournie par M. Jean Paul Brusq :
Les «P» ( inscrits sur une sorte de tenture posée sur la barrière) font référence au "Pieux Pie (V)".
L’armoirie papale de Pie V apparaît au milieu de la composition («Bandé d’or et de gueules»)(2) surmontée des symboles du Pape : "clefs et tiare ".
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(1) – Sur la mosaïque; on voit Pie V, chapelet à la main (pour réciter le Rosaire), aux pieds de "Celle" qui est le recours des chrétiens.
(2) – Ici l’argent a remplacé l’or, peut-être pour obtenir un meilleur contraste ? "
Jean-Paul Brusq, le 16 décembre 2021
Dans la basilique, la mosaïque représente cet événement historique non pas pour le célébrer, mais pour sa signification symbolique religieuse (le pape Pie V, le lien fait par rapport à Marie et l’institution des «mystères du rosaire»).
En guise d’information complémentaire, voici un petit rappel chronologique du contexte historique de cette fin du 16e siècle:
- 1570: prise de Chypre par les Ottomans (Chypre était alors une possession gouvernée par les Vénitiens).
- En conséquence, une coalition européenne sous le nom de «Sainte Ligue» réagit, il s’agit d’une alliance mobilisée par le Pape Pie V, contre l’Empire Ottoman et la Sublime Porte dirigée par Selim II. Le personnage en bas à gauche de la fresque représente le pape Pie V.
- Eté 1571, la flotte de cette coalition stationne à Messine.
- L’affrontement et la bataille navale se déroule le 7 octobre 1571. La bataille se conclut par une victoire de la «Sainte Ligue» et une défaite de l’Empire Ottoman.
- PieV décéde le1er mai 1572. L’alliance chrétienne se défait progressivement.
- Venise, craint la perte de ses possessions en Dalmatie et une invasion possible du Frioul. Elle souhaite réduire ses pertes et reprendre son commerce traditionnel avec l'Empire Ottoman. Dans ce contexte, Venise démarre donc des négociations unilatérales avec la Sublime Porte.
- Le 7 mars 1573: ces négociations aboutissent sur le traité de paix entre Venise et l’Empire Ottoman qui met fin à la guerre de Chypre. Venise accepte sa défaite malgré la victoire de Lépante. Chypre est alors cédé à l’empire Ottoman.
- À l'inverse, après ce traité de paix, Don Juan d’Autriche, prince espagnol de la famille des Habsbourg qui commanda l’ancienne coalition, attaque Tunis et prend la ville.
- En 1574, en conséquence, la ville de Tunis est reprise par les Ottomans avec le soutien de la France alors en lutte contre l’Espagne.(source : article Wikipedia)
Dans son article «La bataille de Lépante : la mosaïque de la basilique de Fourvière» paru dans le Bulletin Municipal de Lyon du 31 décembre 2012, l’auteur Dominique Bussy contextualise la scène de la mosaïque et précise :
«Le 7 octobre 1571, la bataille de Lépante a opposé, non loin du golfe de Corinthe, les forces ottomanes de Selim II à une coalition des forces chrétiennes, «la Sainte Ligue» créée pour l’occasion par les Etats de Venise, Gênes, Malte, l’Espagne, associés à la papauté.
La France avait de bons rapports, notamment avec les ottomans, elle n’a donc pas participé à l’aventure.
Depuis que les Vénitiens avaient imprudemment enseigné aux ottomans l’art de la construction des bateaux et de la navigation, ceux-ci se livraient en Méditerranée à des actes de piraterie, rendant impossible un commerce maritime jusque-là florissant.
Le Pape Pie V a encouragé et aidé financièrement cette expédition, y voyant un moyen de barrer la route aux «infidèles» dont l’influence grandissante menaçait aussi le pouvoir de l’Eglise.
Sous le commandement du jeune et fougueux Don Juan d’Autriche, fils bâtard de Charles Quint, frère du Roi Philippe II d’Espagne, les forces de la Sainte Ligue, après trois jours d’un affrontement sans merci, ont écrasé les forces ottomanes, menées par Selim II (…)».
Sur la dernière page de couverture, il précise également:
«(…) On peut s’interroger sur le choix d’un thème aussi guerrier pour orner les murs d’un édifice, tout de douceur et de féminité, entièrement consacré à la dévotion à la Vierge Marie. La réponse se trouve dans la mosaïque elle-même, en bas à gauche.
Le pape Pie V serait resté 3 jours en prière, implorant la Vierge Marie de donner la victoire aux forces de la chrétienté (on aperçoit à son poignet gauche, un chapelet pour réciter le rosaire.)
Après une victoire totale, et en remerciement, le Pape a instauré la fête des Victoires, célébrée le 7 octobre. Par la suite, cette fête deviendra la fête du Rosaire, célébrée le premier dimanche d’octobre.
Si le thème guerrier peut sembler insolite dans le contexte général de la basilique, il est destiné à montrer qu’on ne fait jamais appel en vain à l’intercession de la Vierge Marie à laquelle tant de Lyonnais vouent un culte fervent, depuis des siècles.
Le vœu solennel de 1870 destiné à leur épargner l’invasion prussienne en est une des éclatantes démonstrations: les Prussiens ont stoppé leur progression à Nuits Saint-Georges…
Ainsi, la Basilique de Fourvière, désormais indissociable du paysage lyonnais, peut être considérée comme un magnifique «ex-voto».» Dominique Bussy, Avocat honoraire – Magistrat honoraire, Bulletin Municipal de Lyon du 31 décembre 2012».
"Ex voto : Tableau ou objet symbolique suspendu dans une église, un lieu vénéré, à la suite d'un vœu ou en remerciement d'une grâce obtenue.(Dictionnaire Larousse)
Bonne poursuite dans vos recherches et bonne journée.