Pouvez-vous m'éclairer sur les pratiques du photojournalisme à la Belle Epoque ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je souhaiterais savoir pourquoi les photographies d'événements sont rares dans la presse à la Belle Époque, contrairement aux photographies réalisées par des reporters photographes pour carte postale dite d'actualité.
Je vous remercie
Réponse du Guichet

Même si la presse commence dès les années 1840 à utiliser la photographie, jusqu'à la fin du XIXe siècle la reproduction de photographies dans les journaux pose un défi technique majeur. La simili-gravure est perfectionnée à la toute fin du XIXe siècle, et il faut encore quelques années pour que cette nouvelle pratique se généralise dans la presse. Tandis que les journaux illustrés "historiques" de la Belle Epoque opèrent la transition entre dessins de presse et photographie progressivement afin de ne pas bouleverser leur identité et conserver leur lectorat, de nouveaux journaux apparaissent et se distinguent par leur utilisation massive d'images photographiques.
Parallèlement, la carte postale illustrée connaît un engouement phénoménal. Les premières cartes postales illustrées de photographies apparaissent aussi au début des années 1890. D'abord rares car coûteuses à produire, elles se popularisent dès le début du XXe siècle et permettent à la photographie de se diffuser à travers le monde, et dans toutes les couches sociales. Les imprimeurs français produisent pas moins de 100 millions de cartes postales en 1910, et 800 millions en 1914...
Bonjour,
La Belle Epoque est une période qui se situe grossièrement entre la fin du XIXe siècle et le début de la Première Guerre mondiale en 1914.
Même si la presse commence dès les années 1840 à utiliser la photographie, jusqu'à la fin du XIXe siècle la reproduction de photographies dans les journaux pose un défi technique majeur. A cette époque, les clichés sont utilisés comme modèles par des graveurs qui les copient sur des planches de buis. La simili-gravure est perfectionnée à la toute fin du XIXe siècle, et il faut encore quelques années pour que cette nouvelle pratique se généralise dans la presse. La transition entre le dessin de presse et la photographie dans les journaux est décrite dans cet article d'Anne-Claude Ambroise-Rendu (disponible dans Persée) : Du dessin de presse à la photographie (1878-1914) : histoire d'une mutation technique et culturelle, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine Année 1992 39-1 pp. 6-28. En voici quelques extraits :
Du dessin de presse à la photographie (1878-1914) : histoire d'une mutation technique et culturelle
Le 25 juillet 1891, L'illustration publie la première gravure obtenue à partir d'un bois pelliculé sur lequel une photographie instantanée a été reportée directement, grâce à une émulsion au collodio-bromure, sans l'intervention du dessinateur. Le cliché - une grande barrière et un train - est intégré à un fond dessiné. C'est la première fois qu'une photographie est reproduite par un périodique.
Au-delà du coup de théâtre que représente ce double exploit technique - il concerne la prise de vue elle-même mais aussi et surtout les conditions de sa reproduction - c'est une véritable révolution dans l'utilisation de l'information iconographique qui s'amorce. En brisant le goulot d'étranglement que constituait la reproduction des images photographiques, cette innovation permet la naissance de la presse illustrée moderne.
[...] A partir de 1850, les clichés photographiques deviennent indispensables à la réalisation des illustrations. Les dessinateurs les recopient ou les graveurs les interprètent directement sur le bois. Pour satisfaire aux exigences de rentabilité de la presse "nouvelle manière" et, partant, aux délais de bouclage, quelques expériences de transformation de la plaque daguérienne en planche gravée, qui présentent l'avantage de supprimer l'étape de la reproduction manuelle, sont tentées, mais sans grand succès. En outre, les procédés photomécaniques alors en usage ne permettent pas d'imprimer l'image en même temps que le texte. La gravure sur bois reste donc la seule technique de reproduction des images en usage à L'illustration, jusqu'à l'introduction, en 1891, par Ernest Clair-Guyot de la méthode d'impression directe du bois par la photographie. Progressivement, ce procédé est appliqué à la plupart des photographies destinées à la reproduction, particulièrement pour les oeuvres d'art. Les moins bonnes sont seulement retouchées le plus discrètement possible, afin de ne pas altérer leur aspect photographique. [...]
Enfin - et c'est le deuxième temps fort de ces innovations - , après diverses tentatives de gravure directe des photographies sur acier (procédé Gillot dès 1850), on commence à utiliser à partir de 1895 la simili-gravure, procédé d'impression photomécanique hérité de la gravure en relief : des plaques de cuivre sont gravées à travers une trame. Pour rendre par impression mécanique une image à modelés continus comme l'image photographique, il fallait, en effet, la sectionner en une "multitude d'éléments assez distinct les uns des autres pour être encrés séparément et assez rapprochés pour donner à l'oeil humain l'illusion d'une teinte". L'épaisseur plus ou moins grande des aspérités ménagées dans la plaque de cuivre, permet de traduire avec une grande précision les effets d'ombres et de lumières souvent rajoutés par les dessinateurs aux photographies retouchées. Désormais, la transformation du cliché photographique en plaque métallique gravée adaptée à l'impression typographique est au point.
[...] Dès 1890, la supériorité de la photographie, sur toute autre forme de document iconographique, comme instrument de reportage, avait été affirmée [...]. Mais des contraintes techniques et mentales en limitaient encore le développement. Les perfectionnements techniques apportés aux appareils et aux supports de l'image permettent de généraliser l'intervention des photographes sur les lieux de l'action. Peu à peu, les reporters troquent leurs carnets à dessin et leurs crayons contre des appareils photographiques. A partir de 1903, plusieurs quotidiens adoptent eux aussi la simili-gravure et, en 1910, Pierre Lafitte lance Excelsior, premier quotidien français illustré, conçu lui aussi sur le modèle des journaux anglo-saxons.
A la veille de la grande guerre, l'ère des dessinateurs et des graveurs sur bois semble révolue. La photographie vient d'entrer dans les foyers et dans les moeurs. Aucun organe de presse illustrée ne saurait s'en passer.
L'ouvrage de Thierry Gervais La fabrique de l'information visuelle : photographies et magazines d'actualité explique en outre que les journaux illustrés "historiques" de la Belle Epoque opèrent cette transition progressivement afin de ne pas bouleverser leur identité et conserver leur lectorat. Parallèlement, de nouveaux journaux apparaissent et se distinguent par leur utilisation massive d'images photographiques :
Au cours des années 1890, les journaux illustrés historiques tels The Illustrated London News (1842-1971), L'Illustration (1843-1944) et Illustrirte Zeitung (1843-1944) adoptent progressivement le tandem photographie-similigravure pour illustrer leurs pages. Ils conservent néanmoins une forme de hiérarchie dans les représentations qui donne aux dessins reproduits par les graveurs une place importante afin de ne pas bouleverser leur identité et conserver un lectorat qui leur est fidèle depuis des décennies. Parallèlement, de nouveaux périodiques tels The Illustrated American (1890-1899), le Collier's Weekly (1895-1957) ou La Vie au grand air (1898-1914) ; 1916-1922) apparaissent et se distinguent par une diffusion massive d'images, majoritairement photographiques et toutes reproduites en similigravure, qui vise à séduire un nouveau public. Si la photographie devient le principal vecteur de l'information visuelle, son usage diffère selon les publications et définit deux types de périodiques illustrés qui cohabitent à la Belle Epoque : les journaux illustrés tels qu'ils ont été imaginés et conçus au milieu du XIXe siècle et les magazines, dont la forme et la structure se mettent alors en place et se développeront au cours du XXe siècle.
Les premières cartes postales illustrées de photographies apparaissent aussi au début des années 1890. D'abord rares car coûteuses à produire, elles se popularisent dès le début du XXe siècle et permettent à la photographie de se diffuser à travers le monde, et dans toutes les couches sociales : en effet dès 1904 il est autorisé d'utiliser la partie gauche du verso des cartes postales pour la correspondance. Ce changement fait de la carte postale « Le » moyen de communication populaire, aidé par l’expansion des modes de transport, qui permettent aux personnes de se déplacer et accélèrent les délais postaux. Les imprimeurs français produisent pas moins de 100 millions de cartes postales en 1910, et 800 millions en 1914... Ainsi, "avant les journaux, avant les magazines, avant le livre, la carte postale fut le premier support par lequel la photographie fut massivement diffusée."
Le Marseillais Dominique Piazza semble être en 1891 l'un des premiers à avoir commercialisé, en France, des cartes postales comportant une reproduction de cliché photographique : le procédé d'impression photomécanique peut être la typogravure, la similigravure ou la phototypie, et reste cher et encore balbutiant. Dès 1892, d’autres villes du sud de la France emboîtent le pas, suivies de Paris. Cependant, les « cartes photo-imprimées » restent excessivement rares avant 1897 du fait des coûts de fabrication et des difficultés techniques inhérentes aux procédés photomécaniques alors en pleine mutation : le rendu est « sale », les contrastes pauvres et souvent peu lisibles. C'est à cette époque que l'imprimeur Neurdein va éditer des cartes pour chaque ville importante de France, et qu'Albert Bergeret, dès 1898, va produire des cartes illustrant l'Est de la France. Émile Straus, dit « Papyrus » (1865-1939) lance en 1899 La Carte postale illustrée, le bulletin de l'International Poste-Carte Club.
Durant la période qui court de l’exposition universelle de 1889 à celle de 1900, outre les cartes officielles constituées surtout d’entiers postaux illustrés, apparaissent les « Gruss ». Ces cartes allemandes, conviviales et à plans multiples, adressent souhaits, salut et remerciements. Elles allient perfection et raffinement.
La carte postale passe occasionnellement à la couleur et adopte la photochromie, elle acquiert alors une notoriété considérable avec l'exposition universelle de 1900 à Paris, où les tirages, coûteux, peuvent être rentabilisés de fait de l'affluence.
[...] Jusqu'au début de l’année 1904, il était interdit d'écrire au recto de la carte postale. Trois ou quatre lignes horizontales, sur toute la largeur de la carte, permettaient d'inscrire la seule adresse du destinataire. La photographie (au verso) ne recouvrait pas la totalité de l’espace, pour permettre la correspondance à côté de l’image. On parle alors de « carte nuage » ou « carte nuageuse ».
Le tournant de 1904: division du recto en deux parties
Le 20 novembre 1903, l’administration des postes françaises décide à partir de 1904 de diviser le recto de la carte postale en deux parties, l'une, à gauche, réservée à la correspondance, et l'autre, à droite, à l'adresse. Dès lors, la photographie peut librement occuper tout le verso.
Si, à l'origine, la carte postale est un document presque exclusivement postal, imprimé par l’administration, à cette époque, des photographes, profitant des nouvelles avancées techniques, vendent leur production à une clientèle aisée sur les principaux lieux touristiques.
La carte postale va aider la photographie à se diffuser à travers le monde et dans toutes les couches sociales. Le public souhaite tellement s'approprier l'image qu'on en vient même à faire développer des photos au format carte postale : c'est ce qu'on appelle les « cartes-photos ».
Source : Wikipedia
En 1908, dans un article que publia une revue cartophile où il examinait « comment on collectionne les cartes postales », Gaston Marcqfoy tentait d’opérer des classements dans la production pléthorique et hétéroclite de son temps, où les tirages pouvaient être parfois vertigineux – de 5 à 10 000 exemplaires d’une même carte chez les grands éditeurs comme Bergeret de Nancy qui, d’après ses propres dires, diffusait environ 50 000 cartes par jour – ou infinitésimaux mais incalculables. Il y définissait aussi cinq principales catégories fondées sur le succès des images les plus diffusées : les « cartes locales comprenant les vues, sites, monuments, types, mœurs, costumes, légendes […], coutumes » ; les « cartes fantaisie » ; les « reproductions de tableaux et sculptures des musées et salons annuels » ; les « actualités » ; et les « cartes politiques ».
Source : La carte postale, multiple documentaire du chef-d’œuvre, Bertrand Tillier
Pour aller plus loin :
Photo de presse : usages et pratiques / sous la direction de Gianni Haver
La carte postale : son histoire, sa fonction sociale / Aline Ripert, Claude Frère
La carte postale photographique comme médiation territoriale. L'exemple d'Arcachon, Christian Malaurie, Communication & Langages Année 2001 130 pp. 70-85
Benjamin Caillaud, « Carte postale photographique et balnéarisation des villes littorales : le cas de Royan (1895-1920) », Confins [En ligne], 39 | 2019
Bonne journée.