Les communistes français ont-ils été résistants pendant la seconde guerre mondiale ?
Question d'origine :
Bonjour,
Dans un récent débat télévisé, le membre du PCF Ian Brossat affirmait que les communistes ont été résistants durant la guerre mondiale. Face à lui, Daniel Riolo affirmait qu'ils ont été collaborationnistes.
Ma question est donc la suivante : Quels ont été les comportements des communistes entre 1939 et 1945 ? Ont-ils été plutôt résistants ou plutôt collaborationnistes ? L'engagement résistant est-il grandement déterminé par l'engagement politique ou résulte-t-il davantage d'autres clivages (il me semble que Simon Epstein considère le clivage belliciste/pacifiste).
Merci beaucoup !
Réponse du Guichet
Le parti communiste français n'a jamais été collaborationniste. Durant les premiers mois de l'occupation, il tarda pourtant à s'engager dans la lutte armée, du fait du pacte germano-soviétique, ce qui n'empêcha pas certains militants de se lancer dans la résistance dès juin 1940, à titre individuel. L'invasion de l'URSS par l'armée allemande mit de toute façon fin à la passivité du parti.
Bonjour,
Nous avons déjà répondu à des questions proches que nous vous invitons à consulter : Résistance et communisme et Communistes français collabos ? Dans cette dernière, nous vous citions l'ouvrage Le PCF à l'épreuve de la guerre [Livre] : 1940-1943 : de la guerre impérialiste à la lutte armée / Roger Bourderon ; préface de Roger Martelli :
« De la défaite de l’été 1940 à l’action directe contre l’occupant, la politique du Parti communiste français évolue dans une contradiction majeure entre la revendication hautement proclamée de l’indépendance nationale, la dénonciation d’un gouvernement de traîtres et de valets, l’affirmation de la nécessité de mobiliser les masses pour la défense de leurs intérêts d’une part, et le refus de situer le combat communiste dans la poursuite d’une guerre qualifiée d’impérialiste des deux côtés, sans établir de distinction entre les buts de guerre britanniques et allemands, ramenés à la volonté d’asservissement des peuples au grand capital. Cette contradiction est au départ politiquement paralysante car elle empêche d’ouvrir une perspective stratégique un tant soit peu réaliste, d’autant qu’elle s’accompagne jusqu’en août 1940 de tentations et de tentatives légalistes et que le slogan de la libération sociale comme condition de la libération nationale développé les semaines suivantes est totalement inadapté aux circonstances. Le slogan de la libération sociale apparaît comme une sorte de palliatif : la reconquête de l’indépendance nationale ne pouvant se faire en revenant dans une guerre qui n’est autre que celle des capitalistes, la révolution socialiste est la seule solution pour atteindre cet objectif.
De cette première période de confusion totale demeurera toutefois le mot d’ordre lançant les comités populaires, d’abord envisagés dans un cadre légal pour organiser la solidarité et l’entraide, mais qui deviennent très rapidement un outil clandestin pour reprendre contact avec les couches populaires, notamment dans les usines. Au niveau de la direction, […] la sortie des errements initiaux est à la fois incontestable et partielle, puisque même la création du Front national en mai 1941 ne fait pas revenir complètement sur le thème de la guerre impérialiste. En même temps, les dénonciations répétées du gouvernement de Vichy, de la collaboration, de l’antisémitisme, de la réaction anti-intellectuelle, de la situation matérielle des Français, de l’occupant, mis en cause sous une forme de plus en plus directe et vigoureuse à partir de septembre 1940, vont de pair avec les appels répétés à l’organisation et à l’action, notamment revendicative, face à une situation intolérable.
Comment qualifier ces dénonciations et ces appels que l’on trouve en permanence dans l’Humanité et dans les tracts ? Malgré toutes les limites que nous avons relevées dans leur contenu, ces textes, loin de se ramener au seul refus de la guerre impérialiste, à l’agitation anticapitaliste et à une neutralité plus ou moins complice face à l’occupant, constituent autant d’affirmations de la volonté de refuser la situation présente et de la nécessité de lui opposer une résistance constante.
Le PCF n'a donc jamais suivi de ligne clairement collaborationniste - à cet égard, il est peut-être nécessaire de souligner que le mot a un sens particulier, plus fort que celui de "collaborateur", comme l'indique l'Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe de la Sorbonne :
La collaboration, aussi diverse soit-elle dans ses motivations et ses réalités, correspond toujours à un soutien à l’Allemagne nazie, du moins à sa gestion de guerre. Dès 1968, l’historien Stanley Hoffmann a proposé une distinction entre une première collaboration de nécessité, ou « collaboration d’État », qui peut être volontaire ou involontaire et qui vise le maintien de l’ordre public et de la vie économique (intérêts partagés autant par l’occupant que par l’occupé) – c’est le cas du gouvernement de Vichy –, et une deuxième collaboration, désirée et individuelle, motivée par la conviction ou une convergence idéologique, le « collaborationnisme ».
Le nazisme étant violemment anticommuniste, le convergence idéologique était peu probable. Cependant si le PCF ne s'est engagé dans la résistance armée qu'à partir de juin 1941, c'est également en raison du pacte germano-soviétique de non-agression signé en août 1939 - qui n'empêcha nullement les autorités d'occupations allemandes de persécuter les communistes français dès le début de l'occupation :
Dans les années 1930, le Parti communiste français (alors appelé Section française de l’Internationale communiste) s’engage pleinement contre le fascisme et le nazisme. Son groupe parlementaire est le seul à dénoncer le recul des démocraties face à l’expansionnisme hitlérien et à condamner les Accords de Munich, qui cèdent la région des Sudètes à l’Allemagne. Mais après la signature du pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS le 23 août 1939, le Parti communiste français s’aligne rapidement sur la politique extérieure de l’URSS. Il refuse alors de s’engager dans une guerre qu’il qualifie d’« impérialiste », renvoyant dos à dos démocraties libérales et États fascistes comme des régimes capitalistes qui s’affrontent pour accroître leurs profits. Le Parti communiste et toute activité communiste sont interdits : les publications communistes sont prohibées dès le lendemain du pacte germano-soviétique, le parti communiste et les organisations affiliées sont dissous le 26 septembre 1939. Les mesures de répression à l’encontre des communistes et de leurs activités vont ensuite se succéder. Ceux qui continuent de militer sont arrêtés ainsi que des anciens militants, des personnes soupçonnées de militer ou proches des milieux communistes. Jusqu’en juin 1941, près de 5 000 communistes sont arrêtés.
Source : Lucie Hébert, "Militer contre Vichy est-il un acte de résistance ?", Cahiers de l'histoire, 2015, consultable sur journals.openedition.org.
Lorsque Simon Epstein rapporte dans Le paradoxe français [Livre] : antiracistes dans la collaboration, antisémites dans la Résistance la façon dont le pacifisme des antiracistes les a poussés à la collaboration, il traite moins de la ligne du PCF que de choix individuels de personnalités de la gauche d'entre-deux-guerres, et pas uniquement communistes : le syndicaliste Raymond Froideval, le socialiste Georges Barthélémy, Jean Luchaire... ce qui n'a jamais été la ligne du PCF. Cependant, un clivage a bien divisé le parti à l'été 1940 lorsque quelques responsables communistes prirent l'initiative - non approuvée par le Komintern - de demander aux autorités allemandes la levée de l'interdiction de L'Humanité. L'événement est analysé par Roger Bourderon dans son livre La négociation, été 1940 : crise au PCF :
En juin 1940, dans Paris occupé par les troupes allemandes, Maurice Tréand, responsable des cadres du PCF, et Jean Catelas, député d’Amiens, négocient à l’ambassade d’Allemagne la reparution légale de l’Humanité, avec l’accord de Jacques Duclos, secrétaire du parti. Les oppositions à cette démarche, condamnée début août par le Komintern, sont nombreuses. Duclos dédouané de toute implication dans l’épisode, l’« affaire » Tréand commence et, avec elle, une grave crise de direction.
Rédigés en octobre 1940 et en février 1941, deux rapports d’Arthur Dallidet, proche collaborateur de Duclos, permettent de pénétrer au cœur des méthodes de direction du communisme kominternien et d’analyser le mécanisme de la disgrâce politique de Tréand et de son entourage – notamment de Jean Catelas –, sous l’accusation majeure de constitution d’un « groupe » antiparti.
Ces flottements volèrent en éclats le 22 juin 1941 quand les Allemands violèrent le pacte en envahissant l'URSS et le PCF entra officiellement en résistance. Comme le rappelle Franck Liaigre dans Les FTP [Livre] : nouvelle histoire d'une résistance, "Le PCF crée ses premiers groupes armés à l’été 1941 sur ordre de l’Internationale communiste (IC) qui multiplie les télégrammes depuis que l’Allemagne nazie a attaqué l’URSS". La lutte s'organise alors rapidement :
Trois branches armées sont constituées en région parisienne à l’été 1941 : les « adultes » venant du PCF sont versées à l’Organisation spéciale (OS) que dirigent au plan national Eugène Hénaff et Jules Dumont ; les membres des Jeunesses communistes (JC) qui s’engagent dans la lutte armée sont placés sous la direction d’Albert Ouzoulias et Pierre Georges ; les communistes d’origine étrangère sont affectés à la branche de l’Organisation spéciale liée à la MOI (OS-MOI). Ces trois branches fusionnent à l’automne 1941 pour former l’OS unifiée. En l’état actuel de la recherche, une seule branche armée, sur les trois émanant du PCF et de ses organisations affiliées, est connue par l’archive : les Jeunesses communistes armées parfois dénommées les « Bataillons de la jeunesse », une appellation contestée mais bien réelle. Pierre Georges dispose de deux combattants en juillet 1941. Un second groupe armé, auquel appartiennent sept volontaires dirigés par Gilbert Brustlein, émerge en août 1941. Pierre Georges peut compter sur un troisième groupe, composé de trois Francs-tireurs, en septembre 1941. Deux nouveaux groupes sont créés en novembre 1941, compensant ainsi la perte du groupe Brustlein, démantelé fin octobre-début novembre 1941. Lors du second semestre 1941, ces « Bataillons » constituent le fer de lance de la lutte armée communiste en région parisienne. Ils y commettent la plupart des attentats – 85% des attentats dont les auteurs sont identifiés – et surtout mènent l’essentiel des actions retentissantes, à commencer par les attentats individuels contre des militaires allemands – 13 en région parisienne dont 2 mortels lors du second semestre 1941.
Les groupes adultes de l’OS et l’OS-MOI ont bel et bien été formés en région parisienne lors du second semestre 1941 comme en témoignent les rares indices collectés à l’issue d’une longue plongée dans les archives : une dizaine de leurs membres ont été condamnés à mort en avril 1942 lors du procès dit de la Maison de la Chimie ; 16 Francs-tireurs arrêtés ultérieurement ont avoué leur participation à la lutte armée au second semestre 1941 ; un recensement des Francs-tireurs parisiens, saisi par la police au domicile de Jules Dumont en décembre 1941, atteste de leur présence en novembre de la même année.
À partir de là, les communistes français prirent une part déterminante à la Résistance. Comme le rappellent Libération et FranceTVInfos, si le PCF a pu, après-guerre, exagérer le nombre de ses martyrs et se proclamer "parti des 75 000 fusillés" alors que le nombre de fusillés en France s'éleva à environ 4000 pour la durée de la guerre, il n'en reste pas moins que "30% des fusillés condamnés par un tribunal militaire allemand étaient communistes. Quant aux otages fusillés, 80% d’entre eux étaient communistes."
Pour aller plus loin :
Bonne journée.