Pourquoi Labov parle-t-il de la trace permanente de l’hétérogénéité de la langue commune ?
Question d'origine :
Pourquoi Labov parle de la trace permanente de l’hétérogénéité de la langue commune?
Réponse du Guichet
Le postulat de Labov est qu’au sein d’une même langue on peut à partir de l’étude des interactions verbales mettre en évidence l’appartenance sociale du locuteur à un ou des groupes.
Réponse du département langues et littérature :
Bonjour,
le postulat de Labov est qu’au sein d’une même langue on peut à partir de l’étude des interactions verbales mettre en évidence l’appartenance sociale du locuteur à un ou des groupes.
Cette théorie du langage, qui a fait de lui l’un des pionniers de la sociolinguistique moderne, a émergé des recherches qu’il a conduites dans le cadre de sa thèse de doctorat intitulée The Social Stratification of English in New York City Department Stores (qui sera publiée quelques années plus tard sous le titre The social stratification of English in New York City) dans laquelle il met en avant les variations de langue qu’il a observé dans trois chaînes de grands magasins américains: Saks Fifth Avenue qui s’adresse à une clientèle aisée, Macy’s qui cible la classe moyenne et S. Klein implantée au sein des quartiers populaires de la ville. Son protocole de recherche était le suivant: en ciblant des boutiques disposées de la même manière avec la section chaussures pour femme située à chaque fois au 4e étage, il est allé poser systématiquement la même question au personnel, à savoir où se trouve le rayon en question afin d’analyser les variations de prononciation présentes au sein d’une même phrase «le rayon chaussures pour femme se trouve au 4e étage» en fonction de la classe sociale touchée par les dites boutiques.
Dans cette étude ainsi que dans toutes celles qui émailleront sa carrière de linguiste, Lebov va mettre en avant les variations diastratiques de la langue, c’est-à-dire qui sont liées au sexe du locuteur, à son âge, à son ethnie, à sa position sociale, à son niveau d'études, à son histoire ou à sa profession, et les variations dites diaphasiques qui sont liées aux circonstances de l’échange verbal lui-même et vont influer sur la façon dont le locuteur parle avec son interlocuteur. Ses théories ont ouvert la voie à un nouveau champs de compréhension du langage appelé sociolinguistique. Jusqu’à ces travaux, les seules variations prises en compte par les linguistes étaient les variations géographiques (dialectes et régionalismes) ou temporelles (histoire et évolution de la langue).
De fait, cette vision novatrice du langage comme marqueur identitaire ou sociolecte a constitué une véritable rupture avec les conceptions linguistiques qu’on avait jusqu’alors.
Pour en revenir à votre question, dès lors que l’on conçoit la langue comme sujette à des variations diaphasiques et diastratiques, la langue commune, c’est-à-dire partagée par différentes personnes pour communiquer, est à la fois homogène au sens où elle est régie par des codes communs (grammaire, sémantique, syntaxe, etc.) et hétérogène car portant les marques de l’individu qui l’utilise, de son environnement social et du contexte de l’échange lui-même.
Quelques références pour approfondir ce sujet :
- Sociolinguistique, William Labov (1976)
- Le Parler ordinaire : la langue dans les ghettos noirs des États-Unis, William Labov (1978)
- Hétérogénéité sociale et hétérogénéité linguistique, Bernard Conein, article publié dans la revue Langages n°108 (1992)
- Sociolinguistique et analyse de discours : façons de dire, façons de faire, Josiane Boutet, Dominique Maingueneau, article publié dans la revue Langage et société n°114 (2005)
- Variation et hétérogénéité, Françoise Gadet, article publié dans la revue Langages n°108 (1992)
- Variations et changements linguistiques, Gudrun Ledegen et Isabelle Léglise, article publié dans l’ouvrage Sociolinguistique du contact, ENS éditions, Lyon (2013)
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