Qui étaient les hommes d'armes pendant la guerre de Cent Ans ?
Question d'origine :
Bonjour,
j'aurais aimé savoir qui était les hommes d'armes pendant la guerre de Cent Ans?
Merci Beaucoup :)
Réponse du Guichet

Les "gens d'armes", c'est-à-dire la cavalerie lourde (par opposition aux "gens de pied", composés des fantassins, archers...) étaient recrutés parmi la noblesse et les populations plus riches. Leur équipement militaire (à la charge des combattants en règle générale), reflétait leur niveau social.
Bonjour,
Voici ce que nous apprend Boris Bove dans son ouvrage Le temps de la guerre de Cent ans : 1328-1453 à propos des armées du début de la guerre de Cent Ans :
Les armées des rois de France et d'Angleterre ont beaucoup de points communs, en particulier la typologie de leurs combattants, leur structure tactique, leur caractère non féodal, et enfin leurs effectifs temporaires.
Les combattants sont, dans les deux armées, principalement de deux types. Il y a d'abord les gens d'armes, qui forment la cavalerie lourde et sont le fer de lance, si l'on peut dire, des armées médiévales. Ce sont les soldats les mieux équipés. Il y a ensuite des gens de pied, dont l'équipement est beaucoup plus sommaire. Parmi eux on trouve des fantassins (dits aussi sergents, piquiers, bidaux, ribauds, pillards, brigands), des gens de trait, c'est-à-dire des archers ou des arbalétriers accompagnés de leurs indispensables acolytes, les pavesiers qui sont des soldats portant un grand bouclier (ou pavois) protégeant les arbalétriers pendant qu'ils rechargent (lentement) leur engin. Les gens de pied sont nombreux dans l'armée anglaise, en particulier les archers dont les effectifs sont égaux à ceux des gens d'armes, mais les cavaliers lourds sont en général plus nombreux que les fantassins dans les armées françaises. Quand ces gens de pied sont montés, ce qui est de plus en plus le cas au cours du XIVe siècle pour donner plus de mobilité aux armées, on les qualifie de gens de chevaux, même s'ils combattent toujours à pied. A l'inverse, les gens d'arme peuvent techniquement combattre à pied.
Cette typologie reflète grossièrement la hiérarchie sociale, car l'équipement militaire est à la charge des combattants. Ils peuvent certes se le faire offrir par leur chef ou leur patron, mais c'est l'exception et cela ne modifie en rien le fait que les armées médiévales sont le reflet des hiérarchies civiles. On comprendra aisément le caractère discriminant de l'équipement militaire au milieu du XIVe siècle en considérant celui des gens d'armes, tel qu'on peut l'apercevoir sur le gisant du Prince Noir dans la cathédrale de Canterbury. L'armure de plates d'acier, faite pour résister aux flèches, est fort chère et fort lourde. Cependant elle n'empêche pas les hommes d'armes de monter à cheval ou de se relever après être tombés et elle leur permet même de se battre à pied. A cela, il faut ajouter aussi un armement offensif : le fils d'Edouard III porte au côté la grande épée des gens d'armes ; il ne lui manque donc que la dague (ou miséricorde) et surtout la lance de bois (ou glaive) à bout ferré longue de trois à quatre mètres qui sert dans les charges de cavalerie. On pouvait aussi se servir d'une masse, d'un fléau d'armes ou d'une hache de guerre, selon l'humeur. Une telle armure rend le bouclier moins nécessaire et sa taille s'est beaucoup réduite depuis le XIIIe siècle, ce qui explique peut-être qu'il ne soit pas représenté au côté du gisant ; les hommes d'armes du XIVe siècle portent un petit bouclier suspendu au cou, leur laissant ainsi l'usage de leurs mains. Tout cela serait bien sûr inutile sans cheval de guerre (ou coursier), mais il faut aussi des bêtes de somme (ou sommiers) pour porter les bagages. Ainsi deux chevaux au moins par homme d'armes sont-ils indispensables, voire plus pour assurer la remonte en cas de perte ou pour porter le ou les valets indispensables pour fourbir les armes et harnacher le maître.
On l'aura compris, les hommes d'armes se recrutent dans la noblesse, voire le patriciat urbain, ce qui ne signifie pas qu'ils sont tous sur le même pied. Il faut imaginer des princes, des ducs, des comtes, des barons, des chevaliers bannerets (c'est-à-dire assez puissants pour rasembler un groupe d'hommes d'armes sous la bannière carrée de leur lance) équipés de pied en cap et suivis de plusieurs chevaux et serviteurs, parfois d'une maisonnée toute entière, et des chevaliers bacheliers (c'est-à-dire sans compagnons et portant un fanion triangulaire à leur lance) ou de simples écuyers arrivant avec un seul serviteur à l'ost, deux chevaux et un équipement peut-être incomplet. Tous ces nobles, Français et Anglais, rêvent de beaux faits d'armes et de belles rançons lorsqu'ils partent en campagne.
L'équipement des gens de pied est beaucoup moins onéreux [...]. Les gens de pied se recrutent surtout parmi les strates de la population moins riche et non noble : ce sont les paysans gallois qui constituent l'archerie d'Edouard III et les montagnards anglais ses sergents. En France, les habitants des bonnes villes fournissent des arbalétriers (quand on ne recrute pas des mercenaires génois) et ceux des villages des fantassins ordinaires.
La structure tactique des armée est assez semblable de part et d'autre de la Manche. A leur tête, le roi, ou le lieutenant choisi par lui avec une large délégation de pouvoir - comme le Prince Noir en Aquitaine en 1346 ou Jean de Marigny, évêque de Beauvais, pour le compte du roi de France en 1340 dans la même région. En France, ces lieutenants du roi commandent à des capitaines généraux qui ont la responsabilité d'une région (ils sont aussi souvent baillis ou sénéchaux), mais peuvent aussi mener l'armée de campagne locale. Lorsque ces armées manoeuvrent, elles sont divisées en quelques batailles (en général trois : avant-garde, arrière-garde et corps principal) dont les chefs sont nommés par le roi ou s'imposent à lui en raison du nombre de soldats qu'ils amènent avec eux à l'ost, comme c'est le cas de certains princes. Ces batailles sont subdivisées en montres ou groupes de combattants unis à un chef qui les a recrutés parmi ses parents, ses vassaux, ses clients et dont l'effectif a été passé en revue (montré) et accepté dans l'ost par les maréchaux de France et le maître des arbalétriers, nommés par le roi, ou encore par les princes et grands seigneurs qui amènent avec eux un fort contingent. L'armée médiévale a donc une structure à gros grains dont l'unité la plus solide est la montre, unie derrière un sire avec sa bannière et son cri de ralliement, mais de taille très variable puisqu'elle varie d'un à quatre-vingts hommes ! Le principe tactique qui commande les affrontements militaires médiévaux c'est de tenter de briser l'arroi adverse, c'est-à-dire la cohérence de son dispositif, en y perçant des brèches qui aboutissent à sa dispersion, ou désarroi (desroi).
Ces troupes royales ne sont plus féodales. Les progrès de la souveraineté des rois de France et d'Angleterre leur ont permis de recruter leurs soldats dans toute la population aisée du pays et de se passer du recours à leurs vassaux, dont les services étaient certes gratuits mais trop hétérogènes. En France, le roi convoque à l'armée tous les propriétaires de fiefs du royaume, qu'ils soient ses vassaux ou non: c'est la semonce des nobles. Ces seigneurs doivent servir en personne ou racheter leur absence par une taxe en cas d'impossibilité (en particulier pour les femmes, les enfants ou les vieillards titulaires d'un fief). Ceux qui servent en personne dans les armées royales sont soldés dès le premier jour de campagne et leurs frais de transport pris en charge. Au pire, le roi peut convoquer l'arrière-ban en cas de danger pour le royaume, ce qui oblige tous les hommes valides de 18 à 60 ans, quelle que soit leur condition, à servir dans l'armée ou à racheter leur absence. [...] Les taxes levées pour les semonces des nobles et des non-nobles servent à solder des volontaires. Côté anglais, le roi exige le service (ou le rachat) de tous les propriétaires fonciers jouissant d'un revenu de plus de 40 £ sterling (soit environ 200 £t.), mais peut aussi demander la levée en masse dans toute la population. Ce système a l'avantage de pouvoir réunir des armées très nombreuses avant la peste noire de 1347 (jusqu'à 50.000 combattants pour Philippe VI à la fin de l'été 1340!) mais toujours temporaires (le roi de France n'en soldait que 10.000 en février-mars 1340 [...]. Après la grande épidémie, les effectifs des armées sont plutôt de l'ordre de la dizaine de milliers d'hommes au plus, ainsi l'armée de Jean II à Poitiers en 1356. A la fin du siècle, quand Charles V met en place une armée permanente, les effectifs en campagne tournent plutôt autour de 5000 hommes.
Le site du château d'Angers fournit aussi quelques éléments sur les gens d'armes et l'infanterie sur cette page : La guerre de Cent Ans et les forces en présence.
Nous n'avons pas pu consulter le chapitre sur les acteurs de la guerre dans l'ouvrage d'Aude Mairey sur la guerre de Cent ans, ce document ne faisant pas partie de nos collections, mais si vous en avez la possibilité, peut-être y trouverez-vous d'autres informations intéressantes.
Nous ne possédons pas non plus l'ouvrage de Nicolas Lemas, mais vous pourrez en lire des extraits sur Google Livres. Il s'intéresse notamment à la cohabitation difficile entre les gens d'armes et les populations civiles, victimes de pillages et d'autres violences :
L'homme d'armes semble aux contemporains particulièrement violent. Sans doute le témoignage des lettres de rémission ne le montre-t-il pas plus imaginatif ou plus persévérant dans le crime, ni même plus spécifique (les armes "de guerre" comme la dague ou l'épée sont autant utilisées par l'homme d'armes que par le laboureur), mais il est surreprésenté dans les statistiques : alors que les gens d'armes ne pèsent guère plus de 0,6 à 1,2 % de la population mâle active du royaume de France à la fin du XVe siècle, ils représentent entre 7 et 16% des crimes, soit autant que les laboureurs ou les gens de métier. Parfois même, lors des crises (dans les années 1370 par exemple), ils sont plus nombreux que ces derniers. Certes, c'est aussi qu'ils sont les plus à même d'obtenir une lettre de rémission, et donc surreprésentés chez les demandeurs - à raison de leur origine sociale plus élevée que celle du commun (11% se disent nobles, 73% écuyers).
cela reflète aussi le caractère étranger à la communauté. Un homme d'armes, même après qu'il a repris la vie civile, se distingue du commun des mortels par ses moeurs et sa violence, à l'instar de ce Person Colet, boucher, qui justifie ses viols, meurtres, rixes, par les habitudes prises lors de son "voyage d'Allemagne" (expédition contre les écorcheurs) dans sa jeunesse, où il a adopté les coutumes des gens de guerre "en langage et autrement" (baillage de Vitry, 1452). L'habit - l'épée, le cheval, le chien - distingue l'homme d'armes de manière visible, mais aussi la sociabilité, en partie liée au fait qu'il est en général jeune. Le plus souvent (à 60%), l'homme d'armes n'agit pas seul, mais avec des complices de même état que lui, en bande. Comme ils se reconnaissent au premier coup d'oeil - Jean Noël raconte avoir rencontré dans une taverne en 1453 un Bertrant Rambot qui "lui sembla avoit été ce temps passé homme de guerre comme lui" -, ils s'acoquinent et se soutiennent mutuellement, quand bien même l'un arriverait quelque part seul ou aurait commis un crime de manière isolée. Cette sociabilité emprunte d'ailleurs à celle du village et la subvertit, puisqu'elle s'effectue à la taverne.
Bonne journée.