A partir de quand a-t-on commencé à employer l'expression "électricité statique" ?
Question d'origine :
Bonjour,
On dit que le mot "électricité" a été inventé par William Gilbert vers 1600. Cependant je ne trouve aucune information sur le terme "électricité statique". Pouvez-vous me dire qui a commencé à combiner les mots "électricité" et "statique", et à partir de quand est-ce qu'on a parlé d'électricité statique plutôt que d'effluves ?
Je vous remercie pour votre réponse et vous souhaite une bonne journée !
Réponse du Guichet
Bien que le phénomène ait été observé depuis l'antiquité, il semble que les expressions "électricité statique" et "électrostatique" aient commencé à être utilisées au début du XIXe siècle. Si nous n'avons pas pu identifier formellement leur inventeur, nous soupçonnons qu'André-Marie Ampère a été un de ses premiers usagers, peu après 1820.
Bonjour,
Si nous savons quand les termes d'"électricité statique" et d'"électrostatique" ont commencé à être en usage, aucune source ne nous a malheureusement permis d'apprendre qui les a employés en premier, même si nous avons une hypothèse.
Ni William Gilbert ni aucun de ses successeurs pendant un siècle et demi n'aurait eu de raison de s'en servir. Même Charles-Augustin Coulomb, qui formula pourtant la première loi de l'électrostatique en 1785, n'emploie pas l'expression dans ses Mémoires sur l'électricité et la magnétisme consultables sur archive.org. Et pour cause : des premières observations des phénomènes électriques par Thalès de Milet à l'invention de la pile voltaïque par Alessandro Volta en 1800, l'électricité est, par définition, statique. L'adjectif est donc inutile. C'est dans les travaux postérieurs à Volta que commencèrent à être opposées électricité statique et électricité dynamique (ou voltaïque).
C'est alors que deux champs d'études vont se distinguer, l'électrodynamique et l'électrostatique :
Relatif à l'électricité statique. Champ, énergie, équilibre électrostatique. Les pneus américains (...) de type conducteur (...) sont employés (...) sur les trolleybus et, d'une manière générale, afin d'éviter d'emmagasiner sur les véhicules des charges électrostatiques dangereuses (Tinard, Automob.,1951, p. 347):
1. ... deux corps électrisés (...) se repoussent, mais en même temps, si tout est entraîné dans une translation uniforme, ils équivalent à deux courants parallèles et de même sens qui s'attirent. Cette attraction électrodynamique se retranche donc de la répulsion électrostatique et la répulsion totale est plus faible que si les deux corps étaient en repos. Poincaré, La Valeur de la sc.,1905, p. 189.♦ En partic. [En parlant d'un instrument] Qui utilise l'électricité statique. Les vibrations sont excitées par un électroaimant (...) par l'intermédiaire d'un vibrateur électrostatique (Decaux, Mesure temps,1959, p. 27).− (Science) électrostatique. Science qui étudie les phénomènes électrostatiques :
2. En 1846, Weber publia un mémoire (...) qui avait pour but de condenser en une loi unique d'interaction entre particules électriques en mouvement tout ce que l'on savait sur l'électricité, c'est-à-dire de faire la synthèse entre l'électrostatique et l'électrodynamique. Hist. gén. des sc.,t. 3, vol. 1, 1961, p. 228.
(CNRTL)
Ce dernier mot se rencontre dans les ouvrages de référence à la fin du premier tiers du XIXe siècle :Dictionnaire raisonné, étymologique, synonymique et polyglotte des termes usités dans les sciences naturelles (1834, consultable sur Gallica), nous apprend qu'"Electrostaticus" est l'"Epithète donnée par Ampère aux effets de la pile voltaïque et de la machine électrique". Le Grand Robert et le Dictionnaire historique de la langue française [Livre] précisent que le terme se retrouve chez Ampère au moins depuis 1827.
Ampère n'emploie le mot ni dans ses Mémoires sur l’électromagnétisme et l’électrodynamique (voir sur Wikisource), ni dans son Essai sur la philosophie des sciences, ou Exposition analytique d'une classification naturelle de toutes les connaissances humaines (1834, consultable sur Gallica). Mais on trouve l'expression dans une lettre à Auguste de la Rive datée d'octobre 1822 (voir Correspondance du grand Ampère - tome 2 sur Gallica, p.610).
Nous ne pouvons affirmer qu'il s'agisse de la toute première occurrence du mot, d'autant qu'Ampère ne juge pas nécessaire de l'expliquer, ce qui semble indiquer qu'il le tient pour compris par son destinataire, mais il s'agit de la plus ancienne que nous ayons trouvée.
Cette hypothèse ne nous satisfaisant qu'à moitié, nous avons contacté la bibliothèque de la Cité des sciences, le Musée Ampère de Poleymieux-au-Mont-d’Or et les responsables du site ampere.cnrs.fr. Nous vous transmettrons leur éventuelle réponse.
Sources consultées :
Science des mots - Mots de la science, Atiff, 2006.
Wikipédia : articles Histoire de l'électricité et Electrostatique
Cours élémentaire de physique : à l'usage des écoles professionnelles, des écoles normales et des aspirants aux baccalauréats / par Am. Jacquet, sur Gallica
Traité d'électricité statique, Éleuthère Mascart, 1876, t. 1 et 2 sur Google livres
L'Histoire de l'électricité, documentaire de Tim Usborne présenté par Jim Al-Khalili, BBC, 2011, sur arte.tv
Bonne journée.
Complément(s) de réponse
Bonjour,
Bertrand Wolff, responsable parcours historique du site ampere.cnrs.fr, que nous remercions chaleureusement, nous fait une réponse qui tend à confirmer notre intuition :
Bonjour Monsieur,
Il me semble que c'est à Ampère qu'on peut attribuer l'expression électricité statique, ou du moins électrostatique.
Et plus précisément en 1822. Je ne pense pas qu'il y ait d'antériorité dans ses écrits à ce texte de 1822"Le nom d'action électromagnétique, que je n'emploie ici que pour me conformer à l'usage, ne saurait plus convenir pour désigner cette sorte d'action. Je pense qu'elle doit l'être sous celui d'action électrodynamique. Ce nom exprime que les phénomènes d'attraction et de répulsion qui la caractérisent, sont produits par l'électricité en mouvement dans les conducteurs [et non par l'action attractive ou répulsive des fluides électriques au repos] qu'on connaît depuis longtemps et qu'on devrait distinguer de la précédente en lui donnant le nom d'action électrostatique." [Recueil d'observations électrodynamiques, 1822, p. 200]que je recopie de la page Ampère jette les bases de l'électrodynamique du site http://www.ampere.cnrs.fr/histoire/Cela peut étonner que ce soit plus de 20 ans après la pile de Volta, qui permettait en effet de produire des courants. Mais cette notion de courant n'était absolument pas claire pour Volta et ses contemporains. On se posait des questions sur l'identité - ou non - de l'électricité des machines (à frottement) et de l'électricité "voltaïque", mais il a fallu qu'Ampère s'intéresse à l'expérience d'Oersted, pour qu'apparaisse l'idée de propriétés propres à "l'électricité en mouvement", et donc la distinction d'avec l'action électrostatique.Derrière la question de la datation d'une expression (sur laquelle il est toujours difficile d'avoir des certitudes) se cachait donc celle de la naissance d'une nouvelle branche de la science...
Complément(s) de réponse
Re-bonjour,
M. Wolff nous envoie la réponse que lui a faite Christine Blondel, historienne de l'électricité. Nous la remercions à notre tour :
Si on cherche les occurrences d'un terme précis sur une période précise, on peut utiliser google livres avec l'option "outils"/ dates précises.
J'ai fait "électricité statique", 01/01/1800 - 01/01/1825
La première occurrence est dans le manuel de Demonferrand (1823) qui travaillait avec Ampère.
Comme tu le dis, ce qui importe plus que l'expression exacte (électrostatique ou électricité statique) est la définition de la chose. Mais c'est à Ampère qu'on doit cette dénomination.
Ceci étant, on savait que l'électricité galvanique avait des propriétés différentes de l'"électricité de frottement" dès la pile de Volta (électrolyse...).
Bonne journée.
Complément(s) de réponse
Bonjour,
Bernard Pallandre, conservateur du Musée Ampère, que nous remercions, nous a donné ce complément de réponse :
L'ouvrage de 1827 auquel vous faites référence est "Théorie Mathématique des phénomènes électro-dynamiques uniquement déduite de l'expérience". La première édition est de 1826 (la deuxième de 1883 est numérisée/ Gallica).
Il est très probable qu'Ampère l'ait utilisé "électrostatique ou électricité statique" dès octobre 1820 pour faire la distinction avec ses observations qui concernent l'électricité qu'il appelait dynamique (électrodynamique).
Il faudrait rechercher dans les "Mémoires sur les actions mutuelles de deux courants" publiés dans les annales de chimie.
Ampère en a publié plusieurs en octobre et novembre 1820, la plupart ont été numérisées, il en existe sur support numérique que je n'ai hélas pas le temps de rechercher moi-même, je les ai lus il y a quelques temps sans conserver de notes.
Ils ont été repris dans le mémoire de 1826.
Bonne journée.