Un conseiller municipal peut-il faire employer son entreprise par sa commune ?
Question d'origine :
Est-il per permis à un gérant d'entreprise conseiller municipal de faire travailler son entreprise pour sa commune ?
Réponse du Guichet
La situation que vous décrivez peut donner lieu à un soupçon de conflit d'intérêt, quand bien même le conseiller municipal / gérant d'entreprise serait de bonne foi. Pour que cette situation soit parfaitement légale, il faut que l'élu intéressé se soit abstenu de participer à la délibération du conseil municipal portant sur cette affaire. Sa simple présence physique dans la salle au moment du vote peut être considérée comme une influence effective sur la délibération.
Bonjour,
La situation que vous décrivez peut donner lieu à un soupçon de conflit d'intérêt, quand bien même le conseiller municipal / gérant d'entreprise serait de bonne foi. Pour que cette situation soit parfaitement légale, il faut que l'élu intéressé se soit abstenu de participer à la délibération du conseil municipal portant sur cette affaire. Sa simple présence physique dans la salle au moment du vote peut être considérée comme une influence effective sur la délibération.
Voici quelques ressources que nous avons consultées à ce propos :
L’élu local et la prise illégale d’intérêts : éléments d’information et de prévention
Selon sa définition pénale énoncée à l’article 432-12 du code pénal, la prise illégale d’intérêts est constituée lorsqu’une personne, dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, se trouve dans la situation de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. Cette infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. Une disposition spécifique de cette même loi autorise le maire, ses adjoints et les conseillers municipaux délégués des communes de 3 500 habitants au plus à traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens ou la fourniture de services dans la limite d’un montant annuel de 16 000 euros et, sous certaines conditions, à acquérir des parcelles ou à conclure des baux pour leur habitation ou encore à acquérir des biens pour leur activité professionnelle. Dans tous les cas, l’élu doit s’abstenir de participer à la délibération du conseil municipal portant sur cette affaire.
L’infraction de prise illégale d’intérêts n’implique pas que son auteur ait eu une volonté frauduleuse, l’intention coupable étant caractérisée « du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit » (Cour de cassation, chambre criminelle, 27 novembre 2002, n° 02-81581). Par ailleurs, l’intérêt de l’élu local peut tout à fait être compatible avec la finalité d’intérêt général poursuivie (Cour de cassation, chambre criminelle, 19 mars 2008, n° 07-84288).
La surveillance ou l’administration de l’opération sont des notions qui s’apprécient largement lorsque la situation implique un élu local. Constituent ainsi un acte de surveillance ou d’administration de l’opération : la participation de l’élu local à la délibération portant sur une affaire dans laquelle il détient un intérêt quelconque (Cour de cassation, chambre criminelle, 19 mai 1999, n° 98-80726), et ce qu’il prenne ou non part au vote (Cour de cassation, chambre criminelle, 09 février 2011, n° 10-82988 ; Cour de cassation, chambre criminelle, 19 juin 2013, n° 11-89210), a fortioti s’il assure la présidence de la séance (Cour de cassation, chambre criminelle, 19 mars 2008, n° 07-84288), la préparation et la proposition de la décision en vue de l’adoption par d’autres élus (Cour de cassation, chambre criminelle, 19 novembre 2003, n° 02-87336 ; Cour de cassation, chambre criminelle, 23 juin 2009, n° 08-84501), y compris par la formulation d’un seul avis favorable suite à une instruction réalisée par un tiers (Cour de cassation, chambre criminelle, 09 mars 2005, n° 04-83615).
Par ailleurs, la loi pénale fait partie des normes auxquelles doivent se conformer les autorités publiques lors de l’adoption d’un acte administratif (CE, Ass., 06 décembre 1996, n° 167502) : la décision de l’assemblée délibérante peut ainsi être annulée par le juge administratif au motif qu’elle a directement méconnu une disposition du code pénal en exposant le bénéficiaire de la décision à une situation constitutive d’une prise illégale d’intérêts (CE, sect., 25 janvier 1957, Sté Cracco, Lebon, p. 56 ; CE, 09 novembre 1984, n° 49123 ; CE, 07 avril 1999, n° 149208 ; CE, 27 septembre 2010, n° 320905).
La prise illégale d’intérêts a donc tout lieu d’être identifiée avant même sa réalisation car, comme cela vient d’être exposé, elle peut avoir des incidences notables tant pour l’élu local que pour les actes adoptés par la collectivité ou établissement public concerné.
Source : Préfecture du Loiret
Alors même que la notion – en même temps que l’obligation de prévention – des conflits d’intérêts résulte de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, le praticien sait combien cette obligation est encore méconnue, si ce n’est dans son principe, à tout le moins dans son périmètre exact.
Ainsi, après avoir indiqué dans son article 1er que « les personnes titulaires d’un mandat électif local (…) veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts », l’article 2 dispose que « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». [...]
Prendre les apparences au sérieux
Ainsi que cela ressort de la définition rappelée, la situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés doit être de nature à influencer « ou à paraître influencer » l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions électives.
Autrement posé, il suffit que la situation litigieuse donne l’apparence d’un conflit d’intérêts pour que ce dernier puisse être retenu. Aussi étonnant, voire contestable que cela puisse paraître, un élu peut être d’une parfaite bonne foi et d’une parfaite honnêteté, et se retrouver en situation de conflit d’intérêts. Tel pourrait être, par exemple, le cas d’un maire qui participerait activement au recrutement de sa sœur ou de son fils sur un poste vacant dans les services municipaux, quand bien même ce candidat remplirait toutes les conditions pour y prétendre.
Tel pourrait être également le cas d’une adjointe qui, par délégation, signerait l’attribution d’un marché public au bénéfice d’une entreprise dans laquelle elle a récemment travaillé en tant que salariée. Dans ce type de situations, l’élu doit systématiquement se poser une question : « Un observateur extérieur peut-il douter de mon impartialité dans le traitement de cette situation ou dans cette prise de décision ? » Si la réponse est positive, cela ne signifie pas que le candidat ne doit pas être recruté ou que l’entreprise ne doit pas être attributaire du marché public. Il s’agirait d’une discrimination parfaitement illégale, par ailleurs réprimée par le code pénal.
Se déporter à bon escient
Le déport est la principale technique permettant de prévenir les conflits d’intérêts pour les élus locaux, en leur qualité d’exécutif (maire, président…) ou de titulaire d’une délégation de fonctions et/ou de signature.
C’est le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014, pris pour application de la loi du 11 octobre 2013, qui organise le déport des élus locaux, selon leur qualité. Si le maire ou le président de la structure estiment se trouver en situation de conflit d’intérêts, qu’ils agissent en vertu de leurs pouvoirs propres ou par délégation de l’organe délibérant, ils doivent prendre un arrêté mentionnant la teneur des questions pour lesquelles ils estiment ne pas être tenus d’exercer leurs compétences et désigner la personne chargée de les suppléer.
Ainsi que l’article 5 du décret le précise, par dérogation aux règles de délégation prévues aux articles L.2122-18, L.3221-3, L.4231-3, L.4422-25 et L.5211-9 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire ou le président concernés « ne peuvent adresser aucune instruction à leur délégataire ». En clair, le simple renvoi à un autre élu titulaire d’une délégation de signature de l’exécutif ne suffit pas. Si c’est un élu titulaire d’une délégation de l’exécutif qui s’estime en conflit d’intérêts (adjoint, vice-président et conseiller délégué), il doit en informer le délégant par écrit, en précisant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas devoir exercer sa compétence.
En retour, un arrêté du délégant doit, d’une part, déterminer en conséquence les questions pour lesquelles l’élu intéressé doit s’abstenir d’exercer ses compétences et d’autre part peut, à cette occasion, désigner l’élu qui le suppléera ou assurer lui-même la gestion du dossier ou de la décision problématiques.
Anticiper la situation de conseiller intéressé
L’exécutif de la collectivité (maire ou président) ou le titulaire d’une délégation de fonctions et/ou de signature de ce dernier ne sont pas les seuls à devoir respecter l’obligation de prévention des conflits d’intérêts. L’ensemble des membres de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) – et pas seulement les « non-membres » de l’exécutif – sont astreints à cette même obligation de prévention des conflits d’intérêts.
En tant que membre de l’organe délibérant, c’est l’article L.2131-11 du CGCT qui organise cette obligation, en disposant que « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en a fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ». Le juge administratif a dégagé deux critères qui, s’ils sont cumulativement réunis, le conduisent à considérer l’élu comme ayant été intéressé à l’affaire sur laquelle il a délibéré.
En premier lieu, l’élu doit avoir un intérêt personnel à l’affaire. L’intérêt est personnel dès lors qu’il ne se confond pas avec l’intérêt général, qu’il est différent de celui de la généralité des habitants. Cet intérêt est apprécié au niveau individuel, ou bien, à raison des fonctions exercées au sein d’une personne morale, comme une entreprise ou une association.
En second lieu, l’élu doit avoir exercé une influence effective sur la délibération. Celle-ci sera déterminée par la prise en compte de l’ensemble des circonstances ayant entouré la délibération et de l’implication de l’élu, notamment dans l’instruction du projet, en étant à l’origine de la proposition présentée à l’organe délibérant, en rapportant le projet en séance, en participant aux débats et/ou au vote, ou en étant simplement présent physiquement dans la salle, même en ne participant pas au vote…
Il s’en déduit également qu’une traçabilité fiable et complète doit être assurée de toutes les diligences et préventions que l’élu aura prises, afin de pouvoir attester de sa non-implication dans la décision ou le projet soumis au vote (procès-verbal de séance ou de réunion de commission, mails adressés à la direction générale indiquant sa non-participation à ce projet, etc.).
Source : Prévenir de manière concrète les conflits d’intérêts des élus locaux, La Gazette des communes
le fait pour un élu de participer à une procédure de passation d’un marché public ou d’une délégation de service public alors qu’il a des intérêts avec un candidat est susceptible de caractériser un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CE 14 octobre 2015, n° 390968 et article L.2141-10 du CCP). [...]
L’article 432-12 du code pénal punit d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende le fait, pour un élu, « de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».
La Cour de Cassation se montre particulièrement sévère car l’intérêt quelconque est entendu de manière large, l’intervention dans l’opération peut se réduire à l’émission d’un simple avis et l’élément intentionnel de l’infraction résulte de la seule conscience d’avoir agi en connaissance d’un lien particulier (amitié, familial, professionnel).
Un conflit d’intérêts dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique pourrait également conduire à une condamnation pour délit de favoritisme sur le fondement de l’article 432-14 du code pénal.
LES OUTILS DE PRÉVENTION
Afin de prévenir les risques liés aux conflits d’intérêts, la loi du 11 octobre 2013 impose, à certaines catégories d’élus seulement, des obligations de déclaration et d’abstention.
Déclarations d’intérêts... dont les activités professionnelles
Ainsi, dans les deux mois de leur élection, les maires des communes de plus de 20 000 habitants et les présidents d’EPCI de plus de 20 000 âmes ou dont le montant des recettes totales de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros doivent transmettre à la Haute Autorité une déclaration d’intérêts. Cette obligation s’impose également, s’ils sont titulaires d’une délégation de fonction ou de signature, aux adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants et aux vice-présidents des EPCI de plus de 100 000 habitants.
Conformément au décret du 23 décembre 2013, cette déclaration porte sur les activités professionnelles de l’élu et celles de son conjoint, ses activités de consultant, ses mandats électifs, ses activités bénévoles, ses participations dans des organes dirigeants et ses participations financières dans le capital de sociétés. L’objectif est de susciter un questionnement chez l’élu et de l’inciter à prendre le cas échéant les mesures nécessaires pouvant aller jusqu’à un renoncement à ses intérêts.
L’obligation de déclaration étant limitée aux élus exerçant des fonctions exécutives, la HATVP incite les collectivités à aller plus loin en proposant à tous les élus qui le souhaiteraient de déposer de manière confidentielle une déclaration de leurs intérêts les plus pertinents auprès d’un déontologue dédié aux élus et de la tenir régulièrement à jour.
Le déport, pour anticiper tout risque
Outre la déclaration d’intérêts, le législateur a prévu un mécanisme d’abstention. Lorsqu’un exécutif estime être en conflit d’intérêts, le décret du 31 janvier 2014 pris en application de l’article 2 de la loi du 11 octobre 2013, précise qu’il doit prendre un arrêté de déport mentionnant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas devoir exercer ses compétences et désigner un autre élu pour exercer lesdites compétences, sans bien évidemment lui donner aucune instruction.
Lorsqu’un élu bénéficiant d’une délégation de signature de l’exécutif estime être en conflit d’intérêts, il doit en informer par écrit le délégant pour qu’il prenne un arrêté fixant les questions pour lesquelles cet élu doit s’abstenir d’exercer ses compétences.
A noter que si le déport est susceptible d’intervenir à une fréquence telle que le fonctionnement normal de la collectivité s’en trouve entravé, il est préférable d’accorder des délégations à un autre élu (CE, juillet 2018, n° 411345).
Le dessaisissement, décision du conseil municipal
En parallèle des dispositions introduites en 2013, le code général des collectivités prévoit de longue date en son article L.2122-26 un mécanisme de dessaisissement : « Dans le cas où les intérêts du maire se trouvent en opposition avec ceux de la commune, le conseil municipal désigne un autre de ses membres pour représenter la commune, soit en justice, soit dans les contrats.»
Le Conseil d’Etat est venu préciser qu’il ne devait être mis en œuvre que lorsque les intérêts du maire se trouvaient non pas en conflit mais véritablement en opposition avec ceux de la commune dans un litige donné ou pour la signature ou l’exécution d’un contrat (CE, 30 janvier 2020, n° 421952).
Il va de soi qu’au regard des risques encourus, notamment sur le plan pénal, l’abstention de participer au vote d’une délibération et même aux travaux préparatoires doit être étendue à tout élu intéressé, qu’il soit ou non adjoint ou vice-président.
A ce titre, la Haute Autorité encourage les collectivités à tenir à jour un registre recensant les organismes extérieurs dans lesquels les élus représentent la collectivité ou les responsabilités associatives qu’ils exercent afin de gagner en efficacité dans la mise en œuvre des déports le plus en amont possible.
Source : Les élus locaux et les conflits d’intérêts : risques encourus et outils de prévention
Pour finir, nous vous rappelons que nous sommes bibliothécaires, et non juristes : notre réponse n'a aucune valeur juridique.
Bonne journée.