Quelles sont les modalités de publication des rapports du GIEC et y a t-il consensus des experts ?
Question d'origine :
Cher Guichet,
Le GIEC publie, périodiquement, des rapports faisant le point sur la situation climatique du globe . Ces rapports sont doubles : un premier, comprenant plusieurs milliers de pages et un deuxième rédigé pour les décideurs, en principe le résumé du premier rapport. Mais ce rapport résumé est publié 6 mois avant la publication du rapport-fleuve du GIEC et est sans doute le seul lu par les décideurs.
Mes questions :1) Pouvez-vous me confirmer ou m'infirmer ce processus ?
2) Y aurait-il souvent des différences notables entre les deux espèces de rapports et y a t-il eu des remarques dans ce sens? Ainsi le rapport pour les décideurs a indiqué une fois que l'élévation future du niveau des oicéans allait être dangereux pour les millions d'hommes vivant près des côtes alors que le rapport-fleuve indiquait que l'élévation du niveau des océans était seulement de 3,5cm dans la prochaine décennie!
Y a t-il consensus des experts du GIEC ?
Bien à vous et merci pour votre travail!
Réponse du Guichet

Boussole scientifique des politiques climatiques, le GIEC produit plusieurs rapports essentiels à la compréhension des évolutions du climat et des risques engendrés. Il est souvent injustement critiqué alors que sa méthode et son processus d'élaboration pourtant très encadrés sont très mal connus.
Réponse du Département Société
Depuis 1988, le GIEC a pour mission «d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation». (Thomas Burelli, The Conversation). Pour Alexandre K. Magnan, Docteur en géographie, chercheur «Vulnérabilité et adaptation au changement climatique» à l'Iddri, Sciences Po, le GIEC est "la «boussole scientifique» des politiques climatiques.
Le fonctionnement du GIEC et le processus d'élaboration des rapports est très bien expliqué ici : Comprendre le GIEC sur le site du Ministère de la transition écologique
1. Vous précisez très justement l'existence de 2 rapports du GIEC. Il en existe en fait 3 versions :
- le résumé à l’intention des décideurs: rapport de synthèse de 42 pages rédigé dans un langage accessible. Le "RID" a été approuvé par les représentants des gouvernements.Cela ne signifie pas pour autant, comme se plaisent à le dire certains détracteurs, que ce "RID" est un message politique. Les modifications demandées sur la base du texte proposé par les scientifiques portent surtout sur la forme, et le texte final reste en total cohérence avec le rapport complet .
- le résumé technique (159 pages).
- le rapport complet dit "TRE qui se présente en plusieurs documents :
- La première partie "Changements climatiques : les éléments scientifiques" (3949 pages) a été publié le 09/08/2021. Sa rédaction a débuté en 2017-2018 et rassemble les connaissances scientifiques les plus récentes et les plus complètes du système climatique et des changements climatiques à ce jour. Le précédent rapport de ce type datait de 2013-2014. . Il est rédigé par 234 autrices et auteurs qui ont répondu à 78007 commentaires de gouvernements et d’experts.
- La seconde partie traite de la compréhension physique du système climatique et du changement climatique. Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité – est un "document produit par le groupe de travail II du GIEC, qui est responsable d’effectuer la synthèse des données scientifiques en matière de conséquences, d’adaptation et de vulnérabilité en lien avec le réchauffement climatique. Il s’agit d’un rapport monumental de 3 675 pages produit par 270 auteurs provenant de 67 pays. et publié le 26/02/2022. Le rapport s’appuie sur plus de 34 000 références bibliographiques et a fait l’objet de 62 418 observations formulées par des experts et les gouvernements. Il s’agit donc d’une source d’information à la fois très documentée, mais aussi très crédible en ce qui concerne les effets et les risques associés au réchauffement climatique."(Thomas Burelli, The Conversation)
- viendront ensuite en 2022 , la 3eme partie "L’atténuation des changements climatiques" (groupe de travail 3 - mars 2022) qui abordera les solutions globales à mettre en œuvre pour atténuer le changement climatique et ses effets, puis le rapport de synthèse prévu pour fin septembre 2022.
Dans la littérature du GIEC on trouve aussi mention du "RSSE" : c'est le Rapport spécial du GIEC sur les scénarios d’émissions et il a été publié en 2000.
Le paragraphe Elaboration des rapports produit par le site du Ministère de la transition écologique précise les différentes phases du processus :
Les étapes successives de la préparation d’un rapport d’évaluation sont les suivantes :
- Le GIEC, en réunion plénière, décide de préparer un rapport et en approuve le sommaire.
- Les gouvernements et les organisations soumettent au GIEC la nomination de spécialistes, en fournissant notamment leurs curriculum vitae et leurs listes de publications.
- Les bureaux des différents groupes de travail sélectionnent les auteurs.
- Les auteurs rédigent un premier projet de rapport.
- Ce projet est examiné par les spécialistes – examen 1 (8 semaines).
- Les auteurs établissent un second projet de texte.
- Cette seconde version est examinée par les spécialistes et par les gouvernements – examen 2 (8 semaines).
- Les auteurs établissent la version définitive du rapport.
- Les gouvernements examinent le résumé à l’attention des décideurs – examen 3 (8 semaines).
- Les gouvernements réunis en assemblée plénière examinent le résumé à l’attention des décideurs, le texte final est adopté mot à mot à l’unanimité par les délégations gouvernementales et sous le contrôle des auteurs.
Le RID est donc rédigé après le rapport (logique) mais publié avant. En effet, "Dans le processus de validation des rapports, le GIEC fait une distinction entre acceptation, adoption et approbation ligne à ligne. Les rapports dans leur version intégrale doivent être acceptés par le groupe de travail correspondant. Cela signifie que le texte n’a pas fait l’objet d’une approbation ligne par ligne, mais qu’il expose néanmoins le sujet de façon complète, objective et équilibrée. Les résumés à l’intention des décideurs sont approuvés ligne à ligne lors d’une session du groupe de travail, cette procédure visant à garantir leur conformité aux éléments factuels figurant dans les chapitres du rapport." (source : Elaboration des rapports)
2. Vous notez des différences entre le RID et le RTE en citant l'exemple de la montée du niveau des mers. L'explication se trouve à la page13 du RID :
«Les limites supérieures des températures simulées sont plus importantes que celles du TRE (voir tableau RID.3), principalement parce qu’un nombre accru de modèles aujourd’hui disponibles suggère une boucle de réaction plus forte entre le climat et le cycle du carbone. {7.3, 10.5} • Le tableau RID.3 présente les simulations de l’élévation mondiale moyenne du niveau de la mer à la fin du XXIe siècle (2090–2099). Pour chaque scénario du tableau RID.3, le point médian de la fourchette indiquée dans le tableau se situe à moins de 10% des résultats des modèles moyens du TRE pour 2090–2099. Les fourchettes sont plus étroites que dans le TRE principalement grâce à l’amélioration des informations concernant quelques incertitudes dans des contributions simulées».
Le RID pointe à de nombreux endroits les subtilités de lectures nécessaires pour comprendre les différentes modélisations des documents.
Aller plus loin avec cet article de The Conversation de 04/10/2020 : Les sciences cachées derrière les modèles climatiques
3. Vous vous demandez aussi s'il y a consensus entres experts du GIEC. Une petite recherche sur le web révèle la présence importante de ce questionnement dans les médias et sur les réseaux sociaux en raison de la défiance nourrie par certains à l'égard des conclusions du GIEC. Quelques opposants à ses conclusions véhiculent à tord l'image d'un organe politique qui ferait du point de vue majoritaire une «vérité». Il n'en est rien et il est nécessaire de rappeler les principes suivants :
- Le GIEC n’est pas une association de personnes physiques mais une association de nations et les sièges sont occupés par des représentants des pays membres (voir ici pour la structure de l'organisme).
- Le processus d'élaboration des travaux et la production des rapports est totalement transparente : sélection des contributeurs, sources, gestion des erreurs, commentaires apportés sur les rapports, validation...
- Ce n'est pas non plus un laboratoire de recherche : il évalue une connaissance scientifique sur la base des articles publiés et les rapports sont une synthèse des connaissances mais aussi des incertitudes.
Cet organisme chargé de synthétiser les connaissances scientifiques sur le réchauffement climatique est mal connu, et donc critiqué.
Pour aller plus loin :
- sur la compréhension du fonctionnement du GIEC Source : webzine de l'ENSAE
- Sur les principales critiques faites aux experts climatiques du GIEC, Le Monde, 02/08/2019
- Sur le Nouveau rapport du GIEC : toujours plus documenté, plus précis et plus alarmant, The Conversation, 10/03/2022
Pièces jointes
